Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Reliure s. f.

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 913-914).

RELIURE s. f. (re-li-u-re — rad. relier). Art du relieur La reliure est un des arts les plus importants pour conserver intacts les ouvrages précieux et originaux que les savants ont publiés et publient chaque jour sur les science, sur les arts, sur l’industrie et sur toutes les branches des connaissances humaines. (Lenormant.)

— Ouvrage du relieur ; couverture forte et rigide qu’on met à un livre, pour le préserver : Certains amateurs n’estiment dans les livres que la reliure.

Demi-reliure, Reliure dans laquelle le dos et les plats ne sont pas de la même matière.

Encycl. On sait que chez les anciens les livres se composèrent d’abord de feuilles collées les unes à la suite des autres, et que l’ensemble qui en résultait se roulait autour d’une petite verge, adaptée à l’extrémité de la dernière feuille. Ces livres roulés, ou volumina (volumes), étaient serrés dans un étui en peau ou en parchemin, quelquefois en simple papyrus, et n’étaient pas reliés. Les livres carrés, ou codices, ne furent en usage que bien postérieurement. A l’époque de Cicéron, la forme carrée existait pour les livres de compte et d’administration ; elle n’était pas employée pour les ouvrages littéraires, pour les ouvrages placés dans les bibliothèques. Au temps de Martial, c’était encore une noweauté. Les livres carrés se reliaient. On en réunissait les feuilles en les collant ou les cousant, soit avant qu’elles fussent écrites, soit après. Photius attribue l’invention de l’assemblage des feuillets à un Athénien, nommé Phillatius, auquel ses compatriotes auraient élevé par reconnaissance une statue. Chez les Romains, l’assemblage était fait souveut par des ouvriers dont c’était la profession spéciale et qu’on nommait glutinatores. Quelquefois l’opération étuit faite par les copistes eux-mêmes. Ou enveloppait ensuite les livres dans un morceau d’étoffe ou dans une sorte de couverture en bois. On les fermait soit au moyen d’une courroie, dans le sens de


la largeur ou de la longueur, soit au moyen de fermoirs. Si nous en croyons saint Jérôme, il y eut, dès le ive siècle, des livres reliés avec un grand luxe et revêtus de pierres précieuses.

MM. H. Géraud, dans son Essai sur les livres, d’Israéli, dans ses Curiosities of literature, et Ludovic Lalanne, dans ses Curiosités littéraires, ont donné sur l’histoire de la reliure des détails que nous reproduisons en partie.

Au milieu du ve siècle, nous voyons, entre les mains des dignitaires de l’empire, des livres reliés, couverts en cuir vert, rouge, bleu ou jaune et décorés sur un des plats du portrait de l’empereur. Bélisaire trouva, parmi les dépouilles de Gélimer, un recueil des Evangiles, orné d’or et de pierres précieuses. Le manuscrit des Pandectes, appartenant à la bibliothèque Laurentienne de Florence et que l’on fait remonter au vie siècle, est relié avec des tablettes de bois couvertes de velours rouge et garnies d’ornements d’argent dans le milieu et aux angles. Un évangéliaire grec du ixe siècle, appartenant à la bibliothèque de Sienne, a une magnifique reliure ornée de nielles. La reliure, dit M. Lalanne, étant un des moyens les plus propres à conserver les livres, il est probable qu’au moyen âge, où ils avaient une si grande valeur, tous les livres étaient reliés. Charlemagne accorda à l’abbé de Saint-Berlin un diplôme par lequel il l’autorisait à se procurer par la chasse les peaux nécessaires pour relier les livres de son abbaye. Au milieu du ixe siècle, Geoffroi Martel, comte d’Anjou, ordonna que la dîme des peaux de biches prises dans l’île d’Oléron serait consacré à relier les livres de l’abbaye qu’il avait fondée à Saintes ; et Guibert de Nogent raconte qu’après une visite faite aux chartreux de Grenoble par le comte de Nevers, ce seigneur leur envoya des cuirs de bœuf et des parchemins dont ils avaient grand besoin. On voit à la bibliothèque Laurentienne, à Florence, la copie que Pétrarque avait faite lui-même des Epitres de Cicéron. La couverture en bois de ce livre, garnie de fermoirs et de coins en cuivre, avait en tombant tellement blessé Pétrarque à la jambe gauche, qu’il fut menacé d’une amputation. Timperley rapporte que le manuscrit du Nouveau Testament sur lequel tous les rois d’Angleterre, depuis Henri Ier jusqu’à Edouard VI, prêtèrent serment en prenant possession du trône, se trouve dans une bibliothèque particulière à Norfolk. Il renferme les quatre Evangiles, écrits sur vélin les lettres, belles et bien formées, se rapprochent des capitales romaines. Il semble avoir été écrit et préparé pour le couronnement de Henri Ier. La reliure originale, dans un parfait état de conservation, consiste en deux tablettes de chêne de près d’un pouce d’épaisseur, assujetties avec des bandes de cuir les coins sont revêtus de métal, et un crucifix est placé sur l’un des côtés. » L’inventaire des livres de la bibliothèque du Louvre, fait par Gilles Malet à la fin ou xive siècle, offre des particularités intéressantes sur l’état de la reliure à cette époque. En voici quelques passages :

« Une carte de mer en tableaux, faite par mamière de une table painte et ystoriée, figurée et escrite, et fermant de quatre fermoers (fermoirs).

« Messire Guillaume de Maureville, qui parle d’une partie des merveilles du monde et des pays, couvert de veluyau ynde (velours bleu).

« Marcus Paulus, couvert de drap d’or, bien escript et enluminé.

« Josephus, en deux grands volumes, couverts de cuir blanc, à queue et à bouillon.

« Josephus escript en françois, en lettre de note, couvert de veluyau azuré, à deux fermoers de cuivre dorez, à tissus de soye.

« Un livre couvert de cuir rouge à empraintes, qui a quatre fermoers d’argent des armes de la reyne, qui est de Genesis et du roi Ninus et autres choses.

« Titus Livius en un grand volume, couvert de soye, à deux grands fermoers d’argent esmaillez de France.

« Valerius Maximus, couvert de soye vermille, à queue, très-bien escript et ystorié. Julien Frontin, en un cahier de papier, couvert de parchemin.

« Godeffroy de Billon, de la conqueste d’outre-mer, à deux colombes (colonnes), couvert de cuir blanc, à queue.

« Les Croniques de France, en deux volumes, couvertes de soye ynde à queue, et sont en deux estuys de cuir escorchiez aux armets de France.

« Unes croniques de France en françois, couverte de veluyau, à fleurs de lys, et bouillons d’argent, bien escriptes.

« La guerre du roi Philippe et des Flamens, en ryme, escript de forme, couvert de cuir à empraintes, à deux fermoers de cuivre.

« Le Livre du sacre des Roys, en latin et en françois, tous les misteres, vestures et officiers figurez et historiez, couvert de drap d’or terré, à fermoers d’argent. (Le roy l’a prins pour son sacre.)

« Un livre fermant à clef, couvert d’un cuir vermeil, d’un avis comme le pape ne l’Eglise ne pueent ne doivent avoir aucune cognoissance en ce qui touche le temporel du roy, du royaume de France, de la couronne, ne des appartenances.

« Un livre, nommé Royal, en latin, à une


chemise blanche à queue, à deux fermoers d’argent, que list et donna ai roy le patriarche d’Alexandrie, et est du roy Pietre (Pierre) et du roy Henri.

On voit par ce catalogue et par ceux des, riches biblithèques des ducs d’Orléans et de Bourgogne que les livres de luxe étaient recouverts d’étoffes ou de cuir. Les étoffes employées le plus ordinairement étaient le velours, la soie, le satin, le damas, de différentes couleurs, le plus souvent vermeilles, ornées fréquemment de fieurs brodées en or et quelquefois d’un grand nombre de perles. Le cuir blanc ou vermeil était d’un usage fréquent, avec des clous ou des plaques d’or, d’argent, de vermeil ou de cuivre doré sur les couvertures. Des fermoirs ou des agrafes, adaptés aux livres ainsi reliés, portaient les armes du propriétaire.

Parmi les reliures dont l’histoire de la bibliographie a conservé le souvenir, il ne faut pas oublier celles qui appartenaient à la magnifique bibliothèque de Jean Grolier, l’un des quatre trésoriers généraux sous François Ier. Vigneul-Marville écrivait à ce sujet au xviie siècle « J’en ai eu pour ma part quelques volumes à qui rien ne manque. Ils sont tous dorés avec une délicatesse inconnue aux doreurs d’aujourd’hui ; les compartiments sont peints de diverses couleurs, parfaitement bien dessinés, et tous de différentes figures ; dans les cartouches se voit d’un côté, en lettres d’or, le titre du livre, et au-dessous ces mots qui marquent le caractère si honnête de M. Grolier : J. Grolierii et amicorum ; et de l’autre côté cette devise, témoignage sincère de sa piété : Portio mea, Domine, sit in terra viventium. Le titre des livres se trouve aussi sur le dos entre deux nerfs, comme cela se fait aujourd’hui. D’où l’on peut conjecturer que l’on commençait dès lors à ne plus coucher les livres sur le plat dans les bibliothèques, selon l’ancienne coutume qui se garde encore aujourd’hui en Allemagne et en Espagne, d’où vient que les titres des livres reliés en vélin ou en parchemin qui nous viennent de ces pays-là sont écrits en gros caractères tout le long du dos des volume. Les livres à la reliure de Grolier n’ont rien perdu de leur prix. Les meilleures bibliothèques publiques se font un honneur d’en posséder. L’empressement des bibliophiles à les rechercher va toujours en croissant, comme l’attestent les prix élevés qu’ont atteint, de notre temps, quelques-uns de ces volumes dans les enchères publiques. En 1854, le Recueil des lettres de Pline (Alde, 1508, in-8o) a été adjugé à 1,106 francs ; le De sole de Marsile Ficin (1490, in-fol.), à 1,500 francs ; le Virgile d’Alde (1527, in-8o), a 1,600 francs ; les Adages d’Erasme (Alde, 1520, in-fol.), à 1,720 francs. En 1556, le Catulle d’Aldo (1515) est monté à 2,500 francs. La Bibliothèque nationale de Paris possède de beaux Grolier. Ceux qu’avaient réunis Renouard et Coste ont été dispersés ; mais il en existe encore deux remarquables collections celle d’un Lyonnais, M. Yemeniz, et celle d’un. Anglais, lord Spenser.

L’Angleterre possède aussi de riches reliures de la seconde moitié du xvie siècle, exécutées en partie d’après les ordres de la reine Elisabeth. On voit au Bristish Museum une Bible française imprimée à Lyon en 1566 et qui porte sur la couverture le portrait en miniature de cette princesse. Le Golden Manual of prayers, que la même reine portait suspendu à sa ceinture par une chaîne d’or, fut relié en or massif. Sur l’un des côtés est représenté le jugement de Salomon ; sur l’autre le serpent d’airain entouré des Israélites. Un autre livre, possédé par la bibliothèque Bodléienne d’Oxford, offre un précieux souvenir d’Elisabeth. C’est une traduction en anglais des épîtres de saint Paul. La couverture, en soie noire, fut brodée par la reine, à l’époque où elle était en prison à Woodstock, sous le règne de sa sœur Marie. Elle est remplie de devises. L’une des plus remarquables, placée au centre, à l’entour d’une étoile, porte ces mots : Vincit omnia pertinax virtus.

Les édits publiés contre le luxe en France vers la fin du xvie siècle n’y suspendirent que momentanément la richesse des reliures. Une ordonnance royale, signée par Henri III le 16 septembre 1677, excepta des édits la dorure des livres, en ne permettant toutefois que la dorure de la tranche, des filets d’or et une marque au milieu du plat. Cette ordonnance ne tarda pas à tomber comme les édits précédents ; mais on revint bien rarement aux reliures fastueuses qui donnaient à l’extérieur des livres l’aspect lourd et surchargé d’une chasse ou d’un reliquaire. Le goût n’y perdit pas. « À cette époque, dit Géraud, on avait déjà perfectionné au plus haut degré les reliures en cuir à filets et ornements d’or et de couleur ; la Bibliothèque du roi possède en ce genre des reliures de l’époque qui servent encore aujourd’hui de modèles. Vers le même temps, la sculpture et la ciselure avaient fait de rapides progrès. Les artistes s’exercèrent sur les reliures et revêtirent les missels et autres livres d’église de tablettes en bois, en ivoire, en argent, ciselées avec art et parfois incrustées de pierres précieuses. »

La reliure a fait peu de progrès dans les siècles suivants, sous le rapport de la beauté artistique ; mais sous le rapport de la main-d’œuvre elle a été heureusement modifiée par diverses inventions.


Nous allons maintenant entrer dans des,détails très-minutieux sur les procédés du métier, sans cependant avoir la prétention de faire un manuel professionnel sur l’art de la reliure.

Le premier soin de l’ouvrier relieur doit être de s’assurer si l’impression du volume est assez ancienne pour qu’il puisse le battra sans risquer de faire décharger, l’encre et de maculer les pages. Les cahiers mis en ordre, l’ouvrier en prend un certain nombre pour les battre. Cette opération doit se faire sur une pierre spéciale qui a reçu par suite de sa destinàtion le nom de pierre à battre ; elle est en pierre de liais ou en marbre. La pierre de liais est préférable parce qu’elle est plus lisse ; cependant, en mettant une chemise en papier fort à chaque buttée, l’inconvénient du marbre disparaît. La buttée se fait au marteau et à la main. Le marteau de relieur est une masse de fer dont la base carrée, nommée platine, a environ 0m, 10 de côté ; les arêtes sont arrondies dans tous les sens afin de ne jamais risquer de couper les feuilles en frappant d’aplomb. Cette disposition de la platine est nommée panse la pause donne plus de force au coup dans le milieu de la battée et ne permet pas l’écrasement des bords. Le marteau ordinaire pèse 5 kilogr. Pour battre, il faut beaucoup de force et d’adresse de la part de l’ouvrier ; tenant d’une main les cahiers, il lui faut constamment avec l’autre main soulever le marteau et le laisser retomber bien parallèlement à la surface de la pierre en ayant soin que chaque coup de marteau donné couvre les deux tiers du coup précédent. La battée se commence par le milieu et l’ouvrier tire à lui jusqu’à l’extrémité de la feuille ; il retourne alors le haut en bas, recommence le travail par le milieu et répète cette opération autant de fois qu’il est nécessaire pour faire passer chaque cahier de la battée sous l’effort du marteau. Si le marteau ne tombe pas bien d’aplomb, il produit dans le cahier des pinçures très-difficiles à faire disparaître. Après le battage, les battées mises en ordre sont soumises à une forte pression pendant plusieurs heures, sous une presse qui n’offre aucune disposition particulière et qui le plus souvent est mise en mouvement par un moulinet. En Angleterre d’abord, puis depuis peu d’années à Paris, le battage, qui exige beaucoup de soins de la part du batteur, est remplacé par un laminage entre deux cylindres polis. Ces machines réalisent une grande économie sur la main-d’œuvre, mais les ouvriers prétendent que le travail est moins bien fait. C’est après le battage que les gravures et les plans, s’il s’en trouve dans l’ouvrage, sont mis à la place qu’ils doivent occuper ; les mettre en volume avant le battage serait les exposer à être détériorés. Les volumes sont alors grecgués. Grecquer un livre, c’est faire sur le dos des cahiers des entailles destinées à loger la ficelles qui doit soutenir les coutures et qu’on désire ne pas laisser paraître au dos. Le grecquage se fait en plaçant entre deux ais le volume et donnant un trait de scie peu profond sur le dos à chacune des places où seront les nerfs. On ne doit grecquer que très-peu, ce système ôtant à la reliure une partie de sa solidité en rendant les feuilles plus faciles à déchirer. Les livres grecqués sont portés au cousoir. Le cousoir se compose d’une table dans laquelle on a pratiqué une fente transversale de 0 m, 01 ou 0 m, 02 de largeur, sur une longueur facultative. Aux deux extrémités de cette ouverture se dressent deux montants soutenant une barre qui les relie entre eux ; cette barre est mobile et cette partie du cousoir représente assez exactement un métier à tapisserie. Des ficelles pendent de la barre et passent au travers de la table par la fente indiquée plus haut. Les choses étant en cet état, la couseuse tend les cordes à l’aide de chevilles qu’elle place sous la table elle remonte ou descend la barre de soutien et s’assure de la rigidité de ses cordelettes. Les ficelles ont été placées à des distances calculées à l’avance pour coïncider avec les traits de scie du grecquage. On introduit les cordes dans les entailles et l’ouvrière coud alors les cahiers entre eux, en ayant bien soin d’entourer les ficelles d’un nombre de points de couture suffisant pour les fixer solidement aux cahiers. Les livres cousus, les ficelles sont coupées, en laissant de grands bouts des deux côtés ; ce sont ces bouts de cordes qui serviront à réunir les cahiers aux cartons. L’opération du cousage est la même pour les livres non grecqués et dans lesquels les ficelles cousues feront l’office de nerfs ; on remplace parfois les ficelles par des rubans de fil ou de soie pour les livres sans nerfs et non grecqués. À ce point du travail, on colle les gardes de couleur ; les gardes sont les feuilles de papier qui précèdent le titre à l’ouverture du volume et qui suivent la table à la fin. L’ouvrier coupe les couvertures de carton, les bat, les rogne du côté du dos, ou mors, et colle dessus une bande de papier plus ou moins large qui enveloppe l’épaisseur du carton à la partie rognée ; cette opération s’appelle raffiner le carton. Les couvertures ainsi préparées, on les place sur le volume ; en face de chaque ficelle, on perce trois trous obliques, le premier et le dernier du dedans au dehors, celui du milieu du dehors au dedans ; les cordes sont passées par ces trous et ramenées le plus fortement possible à l’intérieur du volume. Ce lacé fixe les couvertures au livre ; les cartons doivent alors se tenir droits ; on frappe sur la pierre à rabaisser pour incruster les ficelles et on passe à l’endossage. Pour cette opération, la presse est nécessaire : on se sert communément de la presse anglaise, dont la construction est très-simple sur un plateau fixe, quatre montants en bois ou en fer fondu ; entre ces montants un plateau mobile ; la pression est exercée au moyen d’une vis en métal mise en mouvement par une roue horizontale dont les dents sont prises dans une vis sans fin. Un tourniquet, placé sur le côté de la presse, sert de moteur à tout l’appareil. La pression donnée est forte, graduée et sans secousse. On emploie aussi la presse hydraulique dans les grandes manufactures de reliure. Endosser, c’est former le dos du livre, suivant un galbe déterminé. Les livres à endosser sont placés entre des ais de bois, un volume alternant avec un ais, et la pile étant terminée à chacune de ses extrémités par une membrure, sorte d’ais garni de fer et plus épais en bois. Les ais ne doivent pas dépasser les mors ; on presse légèrement, et l’ouvrier, à l’aide du poinçon à endosser, outil qui a la forme d’une langue de carpe, donne au dos la rondeur en introduisant son outil entre les cahiers et les faisant saillir plus ou moins. Le même outil lui sert à ramener les cartons à hauteur convenable selon le mors qu’il veut donner. Les dos formés, le paquet est fortement pressé et maintenu dans cet état plusieurs heures. Les livres suffisamment enformés sont retirés de la presse, et en les maintenant serrés entre les ais à l’aide de cordes, on les encolle à la colle de farine. On commence la pose de la colle par le milieu du dos en tirant vers les extrémités pour éviter de faire pénétrer de la colle dans le livre ; on laisse tremper, on presse et on fait pénétrer la colle avec un grattoir. Cette opération est renouvelée trois ou quatre fois ; le dernier trempage est frotté avec un frottoir en fer ayant à peu près la forme du dos du livre. L’ouvrier frotte en arrondissant et finit de parfaire son dos avec un frottoir de buis. Il enfonce les ficelles et donne au mors la vive arête. L’endossage à l’anglaise diffère du précédent par quelques points ; on encolle les cahiers à la colle forte et avec un marteau on forme le dos du livre. Cette méthode convient surtout pour les ouvrages qui ont beaucoup de planches ou de plans et qui seraient susceptibles d’être déchirés avec l’outil à endosser. Les volumes endossés sont séchés devant un feu clair et jamais en étuve ; il convient ensuite de les préparer à la rognure. A cet effet, on colle les charnières et les gardes blanches, on remet en presse et on laisse sécher. La presse à rogner est composée de deux jumelles que traversent deux vis en bois. Le pas de vis est aussi fin que possible ; la tête de vis est plus grosse que le corps afin de bien appuyer sur la jumelle et de pouvoir exercer une pression convenable, cette tête est percée d’un trou pour y passer la barre de moulinet. Le filet de la vis ne descend qu’à 5 pouces de la tête ; c’est dans cet espace, appelé blanc de vis, qu’on a creusé une rainure qui reçoit une cheville sur laquelle tourne la vis sans que la téte sorte. Le jeu des vis approche ou recule la jumelle mobile ; la jumelle de devant est renforcée d’une tringle en bois dur ; à la jumelle de derrière est fixé un liteau qui sert à diriger le fût ; ce liteau est fixé parallèlement à la ligne de jointure des deux jumelles. Le fût à rogner est une petite presse destinée à glisser sur la grande que nous venons de décrire elle est formée de deux jumelles, deux clefs, une vis de fer ; ces pièces sont assemblées horizontalement comme la presse à rogner la jumelle de devant porte par-dessous, et dans le même plan que l’appareil, le couteau à rogner. Ce couteau en acier est aiguisé sur une de ses faces en fer de lance, l’autre face est plate ; il est reçu à queue d’aronde dans une pièce de fer que porte la jumelle. On sort plus ou moins le couteau et on le fixe au point convenable à l’aide d’une vis à oreilles. C’est un relieur de Lyon qui a imaginé le fût dont l’usage est répandu dans tous les pays. La presse en état, le fût bien tranchant et bien régie, on prend les volumes, on relève les couvertures, et après avoir posé sur les feuillets du livre d’autres cartons calibrés, on presse et fait marcher le fût ; la tête du livre une fois rognée, l’ouvrier cherche la feuille la plus courte pour déterminer la hauteur de queue et rogne le bas de son volume. L’opération du rognage doit être très-bien conduite pour que la tranche soit unie. Il reste à trancher la gouttière. Pour cette opération, on commence par tracer un arc de cercle sur la tranche supérieure, en prenant le dos pour centre. A l’aide d’une pression graduée entre deux ais, on ramène le dos à la forme plate, on met en presse et on rogne la tranche jusqu’à ce qu’on ait atteint la corde de l’arc tracé ; on dépresse et, le dos reprenant sa forme arrondie, la gouttière est formée. Les tranchefiles, ornements de fil d’or, d’argent ou de soie, sont placés en tête et en queue du dos pour assujettir les cahiers et consolider les parties de couverture qui débordent. Les cartons ont été coupés en tête et en queue en temps utile ; il ne reste qu’à les rabaisser du côté des gouttières cette opération se fait à l’aide d’uu couteuu spécial et d’une règle d’acier. L’ouvrier bat les cartons rabaissés pour faire disparaître les nœuds ou les grains et pour donner aux bords extérieurs des couvertures


plus de finesse et de dureté. Le volume amené à sa grandeur, on coupe les coins, on rabat le petit angle qui excède la tranche et on colle sur le dos une bande de toile. La toile est recouverte de parchemin qui, en embrassant à la fois dos, nerfs et couvertures, donne au volume toute sa solidité. Cette méthode est celle qu’on emploie pour les livres à dos adhérent. Les dos brisés sont traités de même, mais au lieu de la bande de parchemin on place un morceau de carton, appelé carte, taillé juste de la largeur du dos et qu’on ne colle que sur les bords latéraux à l’endroit des mors. Par le procédé de la carte, on peut réunir l’avantage des dos brisés et de l’aspect des dos nervés, en rapportant sur le dos des nerfs factices formant décoration, et qui serviront par leurs saillies à préserver les titres du contact de la table lorsqu’on ouvre le volume. Les couvertures sont faites en veau, en maroquin, en basane, en papier, etc. Quelle que soit la matière employée, les procédés sont les mêmes ; plus ou moins de soins de la part du couvreur fait toute la différence. Les peaux qui servent à couvrir les livres sont préparées spécialement pour cet objet par les corroyeurs ; le couvreur les chanfreine, c’est-à-dire qu’il les diminue en biseau à partir d’une certaine distance du bord et qu’il s’efforce de rendre les bords de la plus grande minceur, afin qu’ils s’appliquent sur tous les points de la couverture avec ténacité et sans former de reliefs. La colle de farine est seule employée pour couvrir. L’ouvrier, à l’aide d’un frottoir, appuie sur toutes les surfaces de la couverture afin d’éviter les plis ou les rides et d’effacer les grains. La couverture collée, on coiffe les volumes. Cette opération consiste à faire passer la couverture sous les extrémités de la carte. On y parvient en décollant un peu en tête et en queue et en introduisant dans cet entre-bâillement la peau bien amincie ; on colle à nouveau, on presse, et de cette façon les coiffes sonc résistantes et ne font pas de saillie au-dessus du niveau des cartons du volume. C’est par les coiffes qu’on prend les livres dans une bibliothèque. Les volumes à nerfs, qu’ils soient ou non à dos brisé, doivent être fouettés, c’est-à—dire qu’après avoir placé le livre entre deux ais et n’avoir laissé dépasser que le dos, on passe de la corde de fouet au-dessus et au-dessous de chaque nerf et, par une pression vigoureuse, on fait ressortir les cordons nerveux en un relief bien franc ; ce tour de main s’exécute pendant que les dos sont encore humides et le fouet est maintenu en position jusqu’à séchage du dos. Retirer le volume des ais eu défaisant les cordes s’appelle défouetter. On ne fouette pas les maroquins, les ais abîmeraient le grain ; l’ouvrier releve les nerfs à l’aide d’un fer chaud. Dans l’état où est arrivé le volume, il est soumis aux manipulations de décoration soit des tranches, soit des couvertures. Nous laisserons de côté le travail du marbreur, dont la description nous entraînerait trop loin, et nous nous bornerons à indiquer le nom des opérations les plus usitées racinage, jaspage et marbrage de toutes couleurs avec ou sans arborescences. Les ornements rapportés, ainsi que la dorure, seront seuls de notre part l’objet d’une description rapide. Les ornements rapportés, en peau ou papier de ditïéreutes couleurs, sont découpés et collés en place à l’aide d’un fer à applique portant le dessin dans son entier. Les dessins à plat de couleur opposée à celle de la couverture sont figurés par des cartes ajourées, sur lesquelles on passe avec un pinceau ou une brosse chargée de couleur pour fixer le dessin sur la couverture. Les parties gaufrées sont obtenues par de fortes pressions à chaud. Les couvertures entièrement gaufrées sont faites d’un seul coup, dans des matrices de cuivre ou d’acier portant en relief les parties à enfoncer dans le carton et en creux celles qui devront faire saillie sur le volume. Les titres sont ou collés par rapport du morceau ou faits sur place. Pour dorer, les volumes sont d’abord encollés à la colle de parchemin ; les veaux fauves le sont à l’empois blanc ; on laisse sécher, puis on glaire au blanc d’œuf, en passant sur tous les points qui devront être dorés avec un pinceau fin et une éponge très-douce. Cette opération est répétée trois fois, en ayant soin de ne donner une autre couche que lorsque la précédente est bien sèche. Sur le troisième glairage encore humide, on passe un drap légèrement suifé, puis on pose les feuilles d’or et on presse au fer chaud, s’il s’agit de fleurons ou de rosaces, ou on pousse les filets si c’est cette décoration qui doit être appliquée. Les titres sont faits au composteur et, une fois composés, sont serrés iortement dans la forme. Un se sert alors de ce travail comme d’un fer ordinaire. Les velours, la moire, les maroquins mats ne sauraient être glairés à l’éponge ni au pinceau ; on a recours à un moyeu détourné. On fait dessécher complétement du blanc d’œuf cru, on le réduit en poudre impalpable et on en saupoudre les places à dorer. L’or est appliqué sur le fer chaud et porté en place par cet outil ; on respire légèrementsur la poudre d’œuf avant d’apposer le fer. Ce procédé est employé également dans le cas ou on désire faire, entre les détails du dessin, des réserves de peau mate. Les tranches sont dorées à la feuille, passées au fer et brunies. Ce n’est qu’après la dorure qu’on colle les gardes blanches à l’intérieur du volume jusque-là elles étaient bien fixées dans

le dos du livre, mais elles ne couvraient pas le carton de couverture.

Demi-reliure. Elle ne diffère de la reliure entière que parce que les dos seuls sont couverts en peau, maroquin ou basane, et que les cartons sont couverts en papier s’il y a des dorures au dos, elles se font avant de couvrir les côtés du livre.

Cartonnage allemand dit à la Bradel. Il offre l’avantage de conserver intactes les marges et de permettre ainsi de remettre à plus tard la reliure définitive sans courir le risque de voir les volumes s’abîmer ou se maculer. Depuis quelques années, on fait beaucoup de reliures mobiles ; elles sont destinées à réunir temporairement et sous l’aspect d’un véritable volume les livraisons, journaux, dessins, plans, morceaux de musique ou ouvrages en cours de publication, auxquels il sera nécessaire de faire subir un nouveau classement.

Reliure arrhaphique. Cette reliure permet de faire de très-gros volumes sans nerfs ni couture et pouvant s’étendre bien à plat, à quelque point qu’on les ouvre. Cela est commode surtout pour les grands livres, les registres, les catalogues. Les feuilles ne sont pas classées comme à l’ordinaire ; elles sont placées les unes à côté des autres et non par cahiers. Sur le dos du livre, on étend à plusieurs reprises et jusqu’à consistance suffisante une dissolution de caoutchouc, qui réunit les feuilles et donne au dos une grande élasticité.

On a encore imaginé une reliure munie d’un mécanisme qui, faisant mouvoir une tringle de fer armée de pointes, permet d’enfiler et de maintenir en place et en ordre des feuilles de papier de toute forme ou grandeur. On donne le nom de reliure genre anglais au recouvrement des volumes par le collage d’une toile grise enveloppant tout le volume ce travail n’est pas beau, mais il est d’une grande commodité pour les livres d’étude ou de commerce, parce qu’il présente une grande solidité et qu en outre il ne coûte pas cher. En terminant, nous indiquerons un curieux mode de décoration des tranches ; il consiste à peindre à l’aqua-tinta sur la tranche blanche non collée, puis à dorer et brunir par-dessus. Le volume fermé, on ne voit que l’or ; mais en le laissant entr’ouvert de côté, on voit toute la décoration en aqua-tinta. Une des applications ingénieuses de ce système est de faire écrire le nom du propriétaire sur la gouttière et de le recouvrir d’or ; à moins de rogner et par conséquent d’abîmer le livre, le nom est ineffaçable.

Les plus grands centres de reliure sont Paris, Londres et Tours, puis Berlin, Bruxelles et Genève.

Reliure (), poême didactique en six chants, par Lesné (Paris, 1820, 1 vol. in-8°). Où la poésie va-t-elle se nicher ? Et qui aurait jamais pensé que l’art de rassembler des feuilles d’impression, de les coudre ensemble, de les coller et de les habiller en veau pût inspirer un poëme didactique ? C’est ce qui est néanmoins arrivé pour la reliure, et nous le signalons à cette place pour la rareté du fait. Lesné, qui était relieur, s’est senti enflammé par l’amour de son art et il l’a chanté en alexandrins. Il a consacré son talent à donner des préceptes sur la reliure, son ambition ne s’étend point au delà. On ne trouvera donc dans le poème sur la Reliure ni descriptions prétentieuses, ni épisodes héroïques, ni songes plus ou moins tragiques ; en un mot, tout le bagage — nous allions dire toute la friperie — de la grande épopée ; et ce n’est pas nous qui en ferons un reproche à l’auteur. Après avoir établi l’origine présumée de l’art qu’il célèbre, après avoir parlé de ses progrès, de sa décadence et des progrès nouveaux qu’il avait faits à cette époque, Lesné décrit les différents procédés de la reliure, et l’introduction d’une foule de mots techniques dans la langue d’Apollon n’a pas dû être pour lui une mince difficulté. Non-seulement il chante son art, mais il veut encore le perfectiouner, et il accompagne son texte de notes très-instructives pour les relieurs.

L’auteur a fait suivre son poème d’un mémoire relatif à des moyens de perfectionnement propres à conserver les reliures pendant plusieurs siècles, mémoire qu’il avait soumis en 1818 à la Société d’encouragement. Celle-ci nomma une commission qui, après examen des procédés de Lesné, exprima son avis en ces termes « Nous pensons que M. Lesné, par ces divers perfectionnements, est parvenu à rendre les reliures moins sujettes à se déformer et particulièrement à leur donner une solidité capable d’égaler la durée des ouvrages précieux qu’elles sont destinées à conserver. » cette dernière partie de l’approbation de la commission nous paraît quelque peu hyperbolique ; mais on n’est pas pour rien de la Société d’encouragement.

Lesné exprime le vœu que d’autres ouvriers fassent pour leur art ce qu’il a fait pour le sien, et qu’à leur tour ils le célèbrent en vers. Nous aurions de la sorte des poëmes sur la carrosserie, la ferblanterie, la cordonnerie, la soudure des queues de boutons. . . S’imagine-t-on par quels chemins rocailleux on ferait passer ainsi le blond Phébus et les neuf filles du Pinde, si faciles à effaroucher, pour ne pas dire si bégueules ? Nous espérons bien que le conseil ne sera pas suivi ; on trouve


bien de loin en loin, il est vrai, un maître Adam, un Lesné, un Reboul, un Jasmin ; mais, en revanche, que de maîtres André se feraient renvoyer à leurs perruques !