Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/RICHARD II, roi d’Angleterre

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 4p. 1180-1181).

RICHARD II, roi d’Angleterre, né à Bordeaux en 1366, mort au château de Pontefract en 1400. Il était fils du fameux prince Noir, alors gouverneur de la Guyenne. Ce prince, attaqué d’une maladie mortelle, voulut retourner en Angleterre, où il emmena Richard, encore enfant. Lorsqu’il mourut, Édouard III déclara son petit-fils héritier présomptif de la couronne ; il voulut même que la noblesse lui prêtât serment en cette qualité. Le 21 juin 1377, Richard succéda à son grand-père. Sa minorité fut troublée par l’ambition et la rivalité de ses oncles, les ducs de Lancastre, d’York et de Glocester, par une guerre avec la France et l’Écosse et par une insurrection formidable. Pour faire la guerre contre Charles V, qui avait envoyé des troupes ravager les côtes d’Angleterre, et contre les Écossais, qui ravageaient le Northumberland, pour subvenir à la cupidité des oncles du roi, on dut accabler le peuple d’impôts. Indignés d’être un objet d’exploitation constante pour le pouvoir royal, un grand nombre d’hommes du peuple, excités par Wat Tyler et quelques autres hommes énergiques, se soulevèrent au nom de l’égalité des droits et envahirent Londres (1381). Le jeune roi, n’ayant avec lui qu’un petit nombre de cavaliers, fut enveloppé par un corps d’insurgés menaçants. « Payant d’audace, il leur cria : Qu’allez-vous faire ? Wat Tyler était un traître. Venez avec moi, vous serez soulagés. » Confiants dans sa parole, les révoltés le suivirent jusqu’en un endroit où se trouvait réunie une troupe nombreuse, qui dégagea Richard et dispersa le peuple armé. Ayant réuni une quarantaine de mille hommes, le roi écrasa le mouvement partout où il s’était produit, fit couler des torrents de sang et remit le peuple sous le joug. Richard venait d’atteindre l’époque de sa majorité, lorsque les Écossais, secondés par un corps de troupes que leur avait envoyé le roi de France, Charles VI, recommencèrent la guerre avec l’Angleterre (1385). Il envahit aussitôt l’Écosse, brûla un grand nombre de villes, Édimbourg, Perth, Dumferline, Dundee, etc., puis revint brusquement en Angleterre où, pendant son absence, un corps d’Écossais avait fait, de son côté, de grands ravages. À cette époque, le jeune roi s’était entouré de favoris qu’il gorgeait de richesses aux dépens du peuple, et à qui il donnait tous les honneurs, à la grande irritation des nobles. Le duc de Glocester, qui, par son affabilité et sa générosité, était devenu extrêmement populaire, se mit à la tête d’une opposition formidable qui fut appuyée par le Parlement (1386). Richard dut renvoyer ses ministres. Forcé d’accepter la tutelle d’un conseil qui exerça l’autorité, il résolut de s’en débarrasser par la ruse ; mais Glocester, prévenu de ses projets, s’empara de Londres (1387) et du pouvoir, frappa de confiscation, d’exil ou de mort les favoris ou les confidents de Richard et força le roi à subir ses volontés. Toutefois, deux ans plus tard, Richard II parvint à échapper à cette tutelle, à reprendre le pouvoir, à choisir ses ministres et, pour se concilier le peuple, il accorda une amnistie (3 mai 1389). Pendant quelques années, son administration fut assez calme. En 1394, il alla comprimer une révolte en Irlande et soumit l’île. Deux ans plus tard, il fit un traité de paix avec Charles VI, qui lui promit son appui contre ses sujets, et, comme il était veuf d’Anne de Bohême, il épousa, le 27 octobre 1396, Isabelle, fille du roi de France, bien qu’elle n’eût que sept ans. Comptant sur l’appui de son nouvel allié, Richard ne songea plus qu’à reconquérir le pouvoir absolu et à se débarrasser, soit par la force, soit par l’astuce, des grands qui lui avaient fait opposition, de ses oncles et surtout de Glocester, à qui il ne pouvait pardonner de l’avoir profondément humilié et d’avoir fait périr ses favoris. Avec une habileté extrême, il s’attacha d’abord à diviser entre eux ceux qu’il voulait perdre, puis prétextant, en 1397, un complot formé contre lui par Glocester et ses partisans, il fit arrêter Glocester qu’il envoya à Calais, emprisonna Warwick et Arundel, qui périt peu après sur l’échafaud, bannit l’archevêque de Cantorbéry et Warwick, et fit étouffer, dit-on, Glocester entre deux matelas. Débarrassé de la plupart de ses ennemis, ayant obtenu, soit par la séduction, soit par la peur, l’acquiescement du Parlement à ses actes, Richard II mit le comble à la haine qu’il excitait en s’entourant de nouveaux favoris, en épuisant la nation pour les combler de richesses, en confisquant des comtés, en s’emparant suivant son caprice des biens des bourgeois, etc. En 1399, il était allé faire la guerre à l’Irlande, lorsque son cousin, Henri de Hereford, qui s’était réfugié en France et qui, par la mort de son père, était devenu duc de Lancastre, débarqua en Angleterre sous le prétexte de revendiquer les biens paternels qui venaient d’être confisqués, réunit autour de lui les mécontents et se vit bientôt à la tête d’une armée. Il s’empara alors de Londres sans résistance et soumit les comtés qui passaient pour favorables à la cause du roi. Le 5 août, Richard apprit, en revenant en Angleterre, ce qui venait de se passer. Abandonné par ses troupes, il se retira d’abord au château de Conway, puis demanda une entrevue à son compétiteur, fut conduit à Londres et emprisonné à la Tour. Le 29 septembre, il consentit à signer son acte de déchéance et, le lendemain, Henri de Lancastre fut proclamé roi sous le nom de Henri IV. Enfermé dans le château de Pontefract, il y mourut de faim, selon les uns ; selon d’autres, il fut poignardé par ordre de son cousin et on l’enterra au château de Longley. Il n’avait point eu d’enfants.

Richard II, drame historique, par Shakspeare. Cette tragédie a pour, sujet l’exil de Bolingbroke, duc de Hereford, petit-fils d’Édouard III, qui revient à main armée détrôner son cousin Richard II, le fait mourir et règne à sa place sous le nom de Henri IV. Les détails du drame ont été fournis par la chronique d’Hollinshed ; les faits ne diffèrent en rien des récits historiques, si ce n’est sur le genre de mort qu’on fit subir à Richard ; un seul personnage, celui de la reine, est de l’invention du poëte. La tragédie ne comprend que les deux dernières années de la vie de Richard et ne contient qu’un seul événement, celui de sa chute, catastrophe à laquelle tout marche dès le début de la pièce. Shakspeare ne s’érige pas en professeur d’histoire. Il n’explique pas comment Bolingbroke est devenu roi ; il n’indique pas comment s’est accomplie la chute de Richard. Au début, Richard paraît comme roi, et on le revoit signant sa propre déposition. Shakspeare a reproduit fidèlement les mœurs et les caractères du temps ; il ne met en scène ni héros supérieurs ni victimes innocentes ; les crimes et les qualités s’associent et se balancent ; l’usurpateur a plus de mérite que le souverain de droit et n’a pas une physionomie plus odieuse. Richard II n’est point, au surplus, un tyran, mais un prince faible, irrésolu, présomptueux, confiant en autrui, bien qu’il n’ait pas un seul ami. Il ne conçoit pas la royauté autrement qu’absolue ; il est roi, par cela même qu’il existe ; c’est sa condition, sa destinée ; il ne peut s’en dépouiller ; il ne peut cesser d’en être digne. Oint du Seigneur, il est revêtu d’un caractère sacré. Sa faiblesse paraît dès qu’il entre en scène. Il ne sait pas prendre un parti énergique ; il suit les entraînements de la passion ; il n’ose pas empêcher ses favoris de gaspiller les finances de l’État. Obligé de recourir à de fausses mesures politiques, à des exactions et autres injustices, il offre un prétexte au retour de Bolingbroke ; le duc exilé arrive de France, réclamant l’héritage paternel confisqué. Au lieu d’attaquer sans retard la rébellion, Richard, indolent et présomptueux, hésite, ajourne ; l’occasion lui échappe. Sa torpeur lui fait perdre, sans coup férir, un secours de 12,000 hommes tout prêt à l’offensive. Bolingbroke s’avance et gagne la faveur du peuple et des grands. Richard se berce d’illusions puériles ; le droit divin répond de sa sécurité ; il laisse faire le ciel. Quand il se voit à la merci de son adversaire, il passe de l’excès de la confiance à l’excès de l’abattement ; il n’a plus la force de lutter contre la destinée ; il la subit tantôt avec résignation, tantôt avec colère. Mais, au lieu d’agir, il se replie sur lui-même, se recueillant, analysant ses sentiments, se vengeant des hommes par des ironies. Quelquefois, il rougit de son humiliation et se juge sévèrement. Sa confiance, ébranlée par chaque revers, se raffermit un instant pour faire place ensuite à un complet abandon de sa volonté. Quand on oblige Richard à abdiquer et à choisir Bolingbroke pour son successeur, il se fait en lui un nouveau déchirement. Cette scène de l’abdication est pleine de résignation, de douleur, de dignité, de mépris pour les hommes. À la fin, quand tout espoir lui est interdit, l’excès du malheur l’étonne ; il veut le comprendre, et il n’y parvient pas. En cessant d’être roi, il a perdu, dans son opinion, la dignité de sa nature : il n’est plus l’élu du Seigneur. La force faisait son droit. Dépossédé du titre de roi, il ne résiste à rien. Il faut qu’un danger soudain, pressant, provoque son énergie. Attaqué dans sa vie, entouré d’assassins au fond d’un cachot, il se défend et meurt avec courage. Son intelligence est-elle parfaitement saine ? On peut en douter. Ce caractère, une des plus profondes conceptions de Shakspeare, est tourné et retourné entre ses mains comme une proie vivante entre les griffes d’un lion. Ce personnage devient attachant après sa chute ; sa sensibilité attendrit. Le rôle de Bolingbroke est également un des plus intéressants et des plus profonds qu’ait tracés le poète. Il s’élève au trône par son adresse, par son habileté, par les fautes de son adversaire. Dès qu’il entre en scène, il gagne à lui tous les cœurs et il éclipse le faible Richard II. Assisté de son père, Jean de Gand, le plus brave et le plus célèbre des frères du prince Noir, il s’annonce avec dignité et avec énergie. Exilé, ses biens sont confisqués après la mort de son père. Cette injustice l’amène à revendiquer ses droits ; déjà populaire, il réclame à main armée l’héritage paternel. Entrant aussitôt en campagne, il marche contre le roi. Devenu maître de la situation, il commence par demander la restitution de ses domaines ; puis, tout en protestant de son dévouement, il s’empare de la personne de Richard et, sans paraître user de violence, il le fait abdiquer en sa faveur. Les circonstances atténuent l’odieux de cette usurpation : Bolingbroke cède à la nécessité ; il se présente au nom du principe sacré de l’hérédité ; il tient à légitimer son pouvoir aux yeux du peuple. Il agit en roi ; abus réformés, déprédateurs poursuivis, favoris châtiés, fermeté et indulgence raisonnées, punition et non vengeance, telle est sa règle de conduite. Après tout, l’usurpateur est un excellent roi et un fort habile politique. En développant ce caractère d’après l’histoire, le poëte, qui enregistre les événements sans les expliquer, a eu sans doute l’intention de démontrer que le mérite constitue le titre et que l’incapacité fait la déchéance. Il a exposé, par la bouche de Richard, la doctrine du droit divin ; son impartialité estsauve. Au reste, il ne dissimule pas les défauts de Bolingbroke, ni sa perfidie, ni sa violence. Un roi détrôné est à craindre tant que sa vie dure. Henri IV ne veut pas précisément tuer Richard II, mais il désirerait le savoir mort ; il laisse tomber une parole ambiguë, fatale. Exton comprend cet ordre discret et va poignarder le royal prisonnier. Son maître désavoue le crime et chasse le criminel ; mais il se sent responsable de l’acte. En proie aux remords, il partira pour la croisade. Henri IV sera la suite de Richard II. Les deux drames s’interprètent mutuellement.

Shakspeare ne présente pas uniquement des types vicieux ou effrayants, comme ce duc d’York, si disposé à servir tous les pouvoirs. Quand les barons prononcent la déchéance de Richard, l’évêque de Carlisle parle en sa faveur et défend les idées de justice. L’épouse du monarque, longtemps négligée malgré sa jeunesse, reste fidèle à ses devoirs et annonce qu’elle ne pourra pas lui survivre. La duchesse de Glocester pleure son mari assassiné et poursuit vainement la vengeance de sa mort. Thomas Mowbray, duc de Norfolk, homme simple et loyal, représente le chevalier sans peur et sans reproche du moyen âge. Le drame de Richard II, écrit tout en vers, est en grande partie rimé.