Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Révolution française (HISTOIRE DE LA), par Louis Blanc

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1121-1122).

Révolution française (HISTOIRE DE LA), par Louis Blanc (1847-1852, 12 vol.). L’un des derniers venus parmi les historiens de la Révolution, M. Louis Blanc avait à redouter de ses antécédents politiques une récusation contre laquelle il a protesté : « Le livre qu’on va lire, dit-il en tête de son travail, a été pendant dix-huit ans l’occupation, le charme et le tourment de ma vie. Ainsi que tant d’autres, j’aurais peut-être pu me concilier la faveur du plus grand nombre en paraissant adorer ce que le monde adore et en vilipendant tous ceux qu’il a vilipendés. J’aurais pu courtiser avec profit, par un étalage d’admirations banales et de haines toutes faites, ce que certains appellent la conscience publique. Mais ce qui gouverne ma pensée et commande à ma parole, ce n’est pas votre conscience ou la leur : c’est la mienne. À qui aime la vérité d’un amour digne d’elle qu’importe l’opposition de la terre entière si, sur un point donné, la terre entière se trompe ou

« J’ai été élevé par des parents royalistes. L’horreur de la Révolution est le premier sentiment fort qui m’ait agité. Pour porter le deuil et embrasser le culte des victimes, je n’avais nul besoin de sortir de ma propre famille, car mon grand-père fut guillotiné pendant la Révolution, et mon père eût été guillotiné comme lui s’il n’eût réussi à s’évader de prison la veille du jour où il devait passer en jugement. Ce n’est donc pas sans quelque peine que je suis parvenu à me faire une âme capable de rendre hommage aux grandes choses de la Révolution et à ses grands hommes. Maudire les crimes qui l’ont souillée n’exigeait certes de moi aucun effort. Je plains quiconque, en lisant ce livre, n’y reconnaîtrait pas l’accent d’une voix sincère et les palpitations d’un cœur affamé de justice. » Cette déclaration de principes n’était pas superflue, venant d’un homme qui avait présidé la commission du Luxembourg, après avoir écrit un pamphlet politique : l’Histoire de dix ans. Toutefois, Michelet n’a pas craint de contester la justesse des vues de son rival et l’exactitude des résultats obtenus par lui. Michelet tient pour Danton, et M. Louis Blanc se range du côté de Robespierre. Le premier historien fait observer au second que, pour comprendre les hommes et les événements de la Révolution, il ne suffit pas de consulter les documents du British Muséum, les notes de la diplomatie anglaise, qui tenait tous les fils de la politique continentale, mais qu’il est indispensable d’exhumer des archives françaises les témoins directs du passé, les pièces originales, parfois restées incomplètes, le mort ayant arrêté la main calme ou fiévreuse de l’écrivain sur le papier qui dépose pour ou contre lui. En vérité, ces griefs ne portent pas ; ils peuvent même être rétorqués contre Michelet, qui encourt de son côté le reproche d’avoir négligé les sources abondantes ouvertes par l’exil aux veilles studieuses de M. Louis Blanc. Tout ce qu’il est permis de savoir sur les grands acteurs de la Révolution est connu ; quelques révélations nouvelles ne sauraient modifier les traits caractéristiques de leur physionomie. Les choses changeraient peut-être d’aspect et les actes de signification si la postérité rentrait jamais en possession de toutes les pièces d’un procès « qui a été jugé, mais non entendu. » De qui émanent les témoignages invoqués par les défenseurs des parties adverses ? Des émigrés, des royalistes, de quelques girondins. Les montagnards n’ont pas laissé de confidences ; la mort, la déportation, une vieillesse indigente, la méfiance des pouvoirs monarchiques les ont empêchés d’écrire leurs commentaires. Quant au petit groupe de conventionnels ralliés au gouvernement impérial et aux régimes qui succédèrent, un intérêt facile à comprendre leur a imposé silence ; il est même permis de conjecturer que leur pusillanimité leur a fait détruire des pièces accusatrices, alors qu’ils occupaient de hautes fonctions publiques. Comme ses prédécesseurs, M. Louis Blanc avait sous la main les actes officiels, les mémoires des contemporains, les procès-verbaux souvent mensongers et les rapports tronqués du Moniteur, les impressions et les jugements recueillis par les autres journaux, les souvenirs des acteurs survivants du drame révolutionnaire, la tradition confuse des légendes populaires, et de plus les archives de la diplomatie britannique. Cette richesse de matériaux se serait réduite à un simple mérite d’érudition, si l’écrivain n’eût eu sur ses devanciers la supériorité de la méthode, surtout celle du style. Narrer, peindre et juger, telle apparaît la constante préoccupation de M. Louis Blanc ; il a employé et associé les meilleurs procédés de l’école historique moderne. Les origines, les causes, les vicissitudes des événements ; les épisodes et les scènes de la lutte ; les mœurs de l’époque et les décors du théâtre ; le portrait des personnages ; le tableau du temps et l’image des hommes ; enfin la peinture animée, sobre, éloquente, magistrale d’une période qui ouvre l’ère du droit et de la liberté, se retrouvent dans le livre de M. Louis Blanc. La diction, vraiment digne de la Muse sévère de l’histoire, cadre à ravir avec la grandeur et l’austérité du sujet. Aucun historien n’a encore raconté en si beau style les fastes de la Révolution française. Assurément, il a dû commettre des erreurs d’appréciation ou de fait : il est impossible au talent le plus consciencieux de ne pas payer son tribut à la faiblesse humaine ; la fatalité veut même qu’il ne puisse combler certaines lacunes. Mais personne ne peut révoquer en doute son impartialité, affirmée en tant de pages où les ennemis du droit populaire auraient pu surprendre les défaillances d’un burin moins ferme que le sien devant l’image auguste de la vérité. Dès le début, M. Louis Blanc avait distingué deux Révolutions : l’une portant l’empreinte de Voltaire, l’autre issue de Rousseau ; la première triompha, la seconde fut vaincue.