Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/RÉVOLUTION FRANÇAISE — PREMIÈRE SECTION. L’Assemblée constituante. Fin de l’ancien régime

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1113-1115).
PREMIÈRE SECTION.
L’Assemblée constituante. Fin de l’ancien régime.

Il n’y a pas d’événement qui ait été mieux annoncé, mieux élaboré que la Révolution. La plupart des réformes accomplies par elle étaient esquissées déjà en traits ineffaçables dans les travaux des penseurs, dans les œuvres des Montesquieu, des Voltaire, des Mably, des Rousseau et de tous les génies de cette grande génération. Ce sont leurs disciples mêmes qui allaient traduire ces impérissables idées en faits, en lois positives et donner un corps aux conceptions de la philosophie.

Déjà Turgot, Malesherbes, Necker avaient successivement tenté l’application timide de quelques-unes de ces idées ; mais ils avaient échoué devant l’égoïsme des hautes classes, devant la coalition des privilégiés. Non-seulement les améliorations projetées furent abandonnées, mais encore on revint sur celles qui avaient été accomplies.

À la veille de la Révolution, la situation était celle-ci : impérieuse nécessité de réformes larges et profondes ; résistance des classes privilégiées, qui se refusaient obstinément à toute diminution de leurs injustes prérogatives, à toute espèce de progrès et d’amélioration.

Une crise terrible était inévitable. En repoussant les réformes, on ouvrait fatalement la porte à une révolution.

On connaît les agitations misérables des derniers temps de la monarchie, les embarras financiers, les troubles, les disettes, les luttes des privilégiés entre eux, le renvoi, puis le rappel des parlements, les coups de force et les actes de faiblesse, les tergiversations, les fausses mesures, etc., signes frappants d’une société en pleine dissolution.

Une panique avait saisi la société tout entière. Les révélations du Compte rendu de Necker, en dévoilant le mystère des finances, en évoquant aux yeux de tous le spectre du déficit, avaient propagé la terreur d’une banqueroute publique et causé une impression plus profonde que la débâcle du fameux système de Law.

Mais la crise financière ne fut point, comme on l’a trop répété, la seule cause déterminante de la Révolution ; car il y avait bien d’autres déficits qui s’ajoutaient à la misère publique : déficit de justice, de garanties sociales et individuelles, de liberté, de dignité humaine, de progrès, etc.

Le mot d’états généraux avait été prononcé dans les inutiles assemblées des notables (v. ASSEMBLÉE) de 1787 et 1788 ; répété par les parlements et par les mille voix de l’opinion, il devint bientôt le cri de ralliement de ceux qui voulaient des réformes, une espérance pour la nation, un expédient pour la monarchie, qui comptait en tirer simplement des ressources financières.

Louis XVI n’avait d’abord accueilli cette idée qu’avec répugnance ; mais, dominé par l’opinion comme par la nécessité, il finit par s’y résigner, naïvement convaincu, d’ailleurs, que cette institution d’apparat, tombée en désuétude depuis près de deux siècles, lui servirait à tirer de l’argent du pays et à donner des forces nouvelles à la couronne. C’était le résultat ordinaire de la comédie des états généraux.

Mais il se trouva que, cette fois, la nation prit son rôle au sérieux et travailla pour elle-même et contre le régime qu’on l’appelait à restaurer.

L’arrêt de convocation est du 8 août 1788. De victoire en victoire, l’opinion publique imposa successivement le rappel de Necker aux finances, une double représentation pour le tiers état, c’est-à-dire autant de députés pour lui seul que pour la noblesse et le clergé réunis, ce qui n’était que juste puisqu’il formait la presque totalité du pays, enfin une liberté de presse qui s’établit de fait, pur droit de conquête sur la censure.

Parmi les milliers d’écrits qui se produisirent alors, on remarqua surtout le fameux pamphlet de l’abbé Sieyès, Qu’est-ce que le tiers état ? brochure qui eut une action immense.

Après de longues résistances, le conseil du roi finit par accorder le doublement du tiers, qui eut 600 députés ; la noblesse et le clergé en eurent chacun 300.

D’après l’édit de convocation, tous les imposés âgés de plus de vingt-cinq ans, moins les domestiques, étaient appelés à concourir à la nomination des électeurs, lesquels devaient rédiger les cahiers (v. ce mot) et nommer les députés.

L’élection était donc à deux degrés, sauf pour la noblesse et le haut clergé. Chacun des trois ordres procédait séparément.

Jamais, dans un grand pays comme la France, un corps électoral aussi considérable n’avait été mis en mouvement. Mais, en accordant le droit de suffrage à un aussi grand nombre de plébéiens, Necker et surtout le gouvernement ne songeaient nullement à les tirer de leur nullité politique et sociale. Leurs préoccupations étaient surtout fiscales ; ils n’avaient guère d’autres vues que d’écumer l’argent du peuple et de se servir du tiers état pour exercer une pression sur les hautes classes. Cette politique de contre-poids était traditionnelle dans l’histoire de la royauté, qui n’avait dédaigneusement laissé grandir et s’élever le tiers état que pour se réserver un instrument de lutte et un point d’appui.

En outre, l’ignorance des classes rurales, leur complet asservissement aux grandes puissances sociales, leur docilité séculaire semblaient une garantie suffisante.

Mais l’événement déjoua ces petites combinaisons. Quoique votant à haute voix dans les assemblées primaires, sous l’œil des intendants, des notables, etc., les paysans, éclairés par le sentiment de leurs intérêts, nommèrent généralement des électeurs patriotes et éclairés.

Le bas clergé produisit un certain nombre de députés acquis à la cause populaire, et quelques membres de la haute noblesse s’honorèrent par leur généreuse adhésion aux réformes.

La rédaction des cahiers se fit par toute la France avec une rapidité et une verve incroyables. Ceux du tiers indiquaient nettement toutes les réformes que la Révolution devait accomplir. Ceux de la noblesse et du clergé portaient généralement l’empreinte des préoccupations les plus égoïstes.

Les états généraux s’ouvrirent à Versailles le 5 mai 1789. Quoique la cour et les hautes classes fussent manifestement disposées à prodiguer les humiliations au tiers état et à lui faire sentir son infériorité, il représenta dignement la nation et endura tout avec un froid dédain, avec la gravité méprisante de la force.

L’Assemblée eut à subir trois discours, du roi, du garde des sceaux et de Necker ; tous trois roulaient sur le vide du Trésor et sur les moyens de le remplir. De droit, de réformes, de constitution, rien ou presque rien.

On voyait clairement que la cour et Necker lui-même prétendaient ridiculement réduire la portée et le but de ce grand mouvement de rénovation aux minces proportions d’une opération financière.

La question capitale était de savoir si l’on formerait une assemblée unique et si l’on voterait par tête, ce qui assurait la majorité au tiers état, ou si l’on voterait par ordre et séparément, ce qui eût donné la prépondérance à la noblesse et au clergé.

Naturellement, les députés des ordres privilégiés se prononcèrent pour le vote par ordre, suivant la forme des anciens états généraux, et, le lendemain 6 mai, ils s’assemblèrent dans des chambres séparées, commençant ainsi une résistance qui devait durer plus de six semaines.

Les députés du tiers, avec un sens très-pratique, s’établirent dans la vaste salle qui avait servi à la séance d’ouverture, s’occupèrent de la vérification des pouvoirs, et, après de longs et inutiles pourparlers, sur la motion de Sieyès, se constituèrent en Assemblée nationale (17 juin) et commencèrent à faire acte de pouvoir législatif en se saisissant du droit d’impôt et en garantissant la dette nationale.

Ces coups de vigueur eurent leur retentissement jusque dans la chambre du clergé, où les curés, malgré l’opposition de l’abbé Maury, emportèrent sur les prélats la majorité pour la réunion au tiers. Mais ils indignèrent la cour et les privilégiés, qui ne rêvèrent, dès lors, que coups de force, dissolution, répression violente, etc.

Afin d’empêcher la réunion, Louis XVI annonça une séance royale pour le 22 juin et fit fermer la salle des séances.

Le samedi 20 juin, date à jamais mémorable, les députés du tiers, trouvant leurs portes fermées et gardées militairement, allèrent résolument se réunir dans la salle du Jeu de paume, et là, dans l’élan du plus noble enthousiasme, insensibles aux dangers qui les enveloppaient, prêtèrent ce célèbre serment, qui allait créer un peuple et une société, de ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution au pays. V. jeu de paume,

La séance royale n’eut lieu que le 23. La cour, pour frapper les imaginations de crainte, donna à cette solennité l’appareil des anciens lits de justice. Le roi parla en maître, cassa les arrêtés des communes, consacra les dîmes, les droits féodaux, etc., et termina en ordonnant aux représentants de se séparer pour reprendre le lendemain séance dans leurs chambres respectives.

Les députés de la noblesse et du clergé se retirèrent en silence ; mais les communes restèrent immobiles, dans un calme solennel. Le grand maître des cérémonies, le marquis de Dreux-Brézé, vint réitérer les ordres du roi. Ce fut alors que Mirabeau, se faisant spontanément l’organe de l’Assemblée, fit éclater la magnifique apostrophe si célèbre sous sa forme populaire : « Allez dire à votre maître, etc. » V, Mirabeau.

Entraînée par cette éloquence, mais soutenue surtout par sa propre énergie, l’Assemblée, pendant que les troupes se rangeaient en bataille devant ses portes, décréta l’inviolabilité de ses membres et déclara traître à la patrie quiconque attenterait à la liberté d’un député.

Barnave, Pétion, Buzot, Grégoire, Camus, Sieyès parlèrent avec non moins de résolution que Mirabeau. La cour jugea prudent d’ajourner l’exécution des projets de coups de force, et, d’autre part, la courageuse attitude du tiers état porta ses fruits. Le lendemain, la majorité du clergé et, le surlendemain, la minorité de la noblesse, le duc d’Orléans en tête, vinrent se réunir aux communes.

Enfin le 27, en présence de la fermentation publique et de l’entraînement général, le roi, se déjugeant à quelques jours de distance, ordonna la réunion des trois ordres en une chambre unique.

Des lors, l’Assemblée nationale se trouva légalement constituée et elle put commencer ses travaux.

Mais la faction de la cour, malgré ses reculades et ses concessions forcées, n’avait pas abandonné ses projets de dissolution et de violence ; elle n’attendait qu’une occasion favorable, enveloppait Versailles et Paris de troupes et prenait une série de mesures qui n’indiquaient que trop qu’une exécution militaire était résolue.

Se fiant peu aux troupes nationales, le gouvernement avait appelé les vingt régiments étrangers qui étaient à la solde de la couronne ; ces meutes aveugles et grossières commettaient toutes sortes d’excès et augmentaient encore la disette dont souffrait Paris.

Sur la motion de Mirabeau (8 juillet), l’Assemblée demanda au roi l’éloignement des troupes. Avec sa dissimulation habituelle, Louis XVI répondit que ces forces n’avaient d’autre objet que de protéger la liberté des délibérations.

L’opinion générale, et tout confirme cette croyance, était que Paris allait être inondé de sang et pillé par les hordes étrangères, l’Assemblée dissoute, les patriotes proscrits, l’absolutisme restauré.

Le 11 juillet, la cour frappa un premier coup par le renvoi brutal de Necker et par la nomination d’un ministère composé d’hommes trop connus par leur esprit de

réaction. Necker avait encore une grande popularité et son renvoi fut considéré comme un acte de guerre bien caractérisé, d’autant plus que cela coïncidait avec de grands mouvements de troupes et les préparatifs les plus menaçants.

Paris, orageux et inquiet, éclata dans la journée du 12. Au jardin du Palais-Royal, centre de l’agitation, un jeune homme qui entrait dans l’histoire par un coup d’éclat, Camille Desmoulins, monta sur une table et, dans une harangue enflammée, appela le peuple et la jeunesse parisienne aux armes.

Après cette première explosion, tout Paris fut bientôt debout. Nous avons donné le récit de ces grands épisodes à l’article Bastille (prise de la) et nous n’y reviendrons pas ici. On sait que le 14 juillet au soir, date à jamais mémorable, le peuple de Paris était vainqueur de la réaction par la prise de la vieille forteresse, repaire du despotisme. Le comité des électeurs, transformé en une sorte de gouvernement, siégeait en permanence à l’Hôtel de ville, assurait les services et nommait Bailly maire de Paris et La Fayette commandant de la garde nationale nouvellement formée.

À Versailles, l’Assemblée avait conservé une attitude ferme et digne. La cour, atterrée par la victoire populaire, dut s’incliner sous la main de fer de la nécessité. Louis XVI, à de nouvelles députations, promit tout ce qu’on lui demandait, l’éloignement des troupes, le rappel de Necker, etc. Malgré l’opposition de la reine, il se résigna même à faire un voyage d’apparat à Paris, démarche impérieusement commandée par les circonstances. 100,000 hommes armés vinrent au-devant de lui ; il parut au balcon de l’Hôtel de ville, accepta la nouvelle cocarde (aux couleurs de la ville, auxquelles on ajouta le blanc de la maison de France, comme signe de réconciliation), fut prodigue enfin de ces démonstrations qui apaisent les peuples et qui n’engagent pas beaucoup les princes.

À ce moment même, le comte d’Artois, Condé, Conti, les Polignac, etc., donnaient le signal de l’émigration et allaient intriguer à l’étranger, pour soulever contre nous les colères monarchiques.

Les événements de Paris eurent leur retentissement dans les provinces ; partout on s’arma, on se forma en milices nationales, on remplaça les autorités royales par des comités qui devinrent le noyau des municipalités. Les habitants des campagnes envahissaient les archives seigneuriales pour y détruire les titres de leur servilité séculaire.

Des scènes déplorables vinrent attrister ces grands mouvements. À Paris, des personnages détestés périrent victimes de la fureur populaire. V. Berthier et Foulon.

Cependant l’Assemblée, assurée de son existence par la grande journée du 14 juillet, poursuivait ses travaux et préparait la rénovation nationale, élaborait une Déclaration des droits de l’homme (v. ce nom), prescrivait des mesures urgentes et nommait un comité pour poser les bases de la constitution.

Au milieu de ces agitations, Necker reprit possession du ministère ; mais cette idole d’hier était déjà bien dépassée.

Nous arrivons ici à l’un des événements les plus mémorables de cette première période, la nuit du 4 août (v. août). Dans cette séance fameuse, sur les motions du vicomte de Noailles, du duc d’Aiguillon, etc., l’Assemblée adopta en principe les réformes suivantes : abolition de la qualité de serf, de la mainmorte, du droit exclusif de chasse, de tous privilèges pour les particuliers, les provinces et les villes ; faculté de rembourser les droits seigneuriaux ; taxe en argent représentative de la dîme ; rachat possible de toutes les dîmes ; égalité des impôts, admission de tous les citoyens aux emplois, etc.

Ces réformes étaient importantes et décisives ; mais c’était l’abolition et non le rachat des droits féodaux et des dîmes qu’exigeaient l’opinion publique, la justice et la raison.

Quoi qu’on ait dit de la générosité des classes privilégiées dans cette circonstance, il est certain qu’elles ne cédèrent qu’aux plus impérieuses nécessités et qu’elles ne consentirent à sacrifier une partie de leurs injustes privilèges que pour préserver le reste.

Néanmoins, ces résolutions, tout incomplètes qu’elles étaient, soulevèrent les colères de la noblesse et du clergé ; le roi résista longtemps avant d’en accepter le principe et ne céda qu’à la crainte, au spectacle de l’immense entraînement de toute la France.

Après de longs et solennels débats, l’Assemblée, dans le courant du mois d’août, adopta successivement les articles de cet acte célèbre qui a servi de type aux préambules de toutes les constitutions révolutionnaires, nous voulons parler de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Différentes lois furent ensuite préparées et votées pour fixer les droits civils et politiques, l’égalité devant la loi, la liberté de la parole, des cultes, de la presse, du commerce, de l’industrie, etc., enfin toutes les garanties et tous les droits dont l’ensemble constitue les principes de 1789.

Toutes ces lois étaient déjà considérées comme partie intégrante de la constitution ; du moins c’étaient les matériaux du monument. Ce fut après deux ans de travaux que l’Assemblée sentit le besoin de coordonner d’une manière définitive les diverses parties de son œuvre.

Quand il s’agit de formuler en lois les principes acclamés le 4 août, les discussions furent plus vives qu’on n’aurait pu s’y attendre. L’ivresse une fois dissipée, beaucoup de privilégiés qui avaient subi l’entraînement général revinrent à leurs préoccupations égoïstes et chicanèrent bassement sur les réformes. Mais la majorité se prononça vigoureusement contre eux.

Le 6 août, sur la proposition de Duport, on décréta l’abolition complète du régime féodal, puis celle du droit exclusif de chasse, des justices seigneuriales, etc.

La question des dîmes ecclésiastiques fut plus laborieuse à trancher ; le clergé défendit ses intérêts avec une énergie désespérée ; il eut cette bonne fortune inattendue d’avoir pour défenseur l’oracle du tiers état, l’abbé Sieyès, qui soutenait la thèse fallacieuse du rachat. Dans cette discussion mémorable, Mirabeau fut admirable de sens et de raison.

Le 12 août, la dîme fut abolie sans restriction et il fut décidé qu’on pourvoirait d’une autre manière aux dépenses du culte.

On décréta ensuite et successivement la permanence et l’unité du Corps législatif, malgré les efforts des constitutionnels de l’école anglaise, qui voulaient deux Chambres ; puis le veto suspensif, c’est-à-dire le droit pour le roi de suspendre l’exécution des décisions de l’Assemblée pendant deux législatures (Mirabeau, qui s’offrait déjà à la cour, avait parlé en faveur du veto absolu) ; enfin l’inviolabilité du roi, l’indivisibilité et l’hérédité de la couronne (15 sept.) ; car l’Assemblée, tout en dépouillant le roi de ses principales prérogatives, était encore ou se croyait essentiellement monarchique.

Cependant le château conspirait sans relâche ; la dernière combinaison de la faction était d’enlever le roi, de le conduire à Metz, au milieu des troupes de Bouillé, et de commencer la guerre civile avec l’appui de l’Autriche. Les préparatifs se poursuivaient assez ouvertement ; Paris, averti, surexcité par des organes infiniment clairvoyants, la presse et les sociétés populaires, puissances nouvelles et déjà redoutables, Paris, qui avait déjà protesté par toutes ses voix lors des débats sur le veto, allait bientôt agir, accomplir un de ces actes décisifs qui sont des révolutions. L’agitation était encore augmentée par une cruelle disette qu’on attribuait en partie, non sans raison, à d’infâmes et mystérieuses manœuvres ayant pour but de réduire le peuple par la faim.

Une nouvelle provocation de la cour vint combler la mesure. Le 1er octobre, la faction risqua une manifestation qu’elle croyait décisive et qui n’était qu’insensée ; nous voulons parler du fameux repas des gardes du corps, qui se donna au château et où la cocarde nationale fut foulée aux pieds.

Paris répondit à ces démonstrations factieuses par une nouvelle explosion. L’idée de ramener le roi à Paris devint dominante dans la population ; on pensait ainsi l’isoler de la faction qui complotait de l’enlever pour l’entraîner dans la guerre civile avec l’appui de l’étranger, et, d’un autre côté, la partie la plus pauvre de la population était persuadée que, dès que la cour et le gouvernement seraient à Paris, on n’oserait plus agioter et que l’abondance reviendrait.

Les femmes surtout, désespérées de la disette et des souffrances de leurs enfants, s’agitèrent, se soulevèrent et, le 5 octobre, marchèrent sur Versailles, conduites par Maillard (v. ce nom). Les hommes et la garde nationale suivirent, La Fayette en tête. (V. le récit de ces deux journées à l’article octobre.) Devant ce mouvement irrésistible, Louis XVI dut céder. Il quitta Versailles, ce lieu sacré de la monarchie et de l’absolutisme, et vint s’établir aux Tuileries. Mais dès lors, il affecta de se considérer comme captif, n’ayant plus au même degré qu’à Versailles la liberté du mensonge et de la trahison. Cependant ce peuple, qui l’avait ramené au milieu des piques et des baïonnettes, n’était pas encore affranchi du fétichisme royaliste, et il eût été facile de reconquérir son affection en réprimant les manœuvres factieuses de l’aristocratie et de l’émigration, en s’associant franchement aux principes nouveaux.

Mais ce n’était pas le sentiment du parti de l’ancien régime, qui reformait obstinément ses rangs et se préparait à de nouvelles luttes et à de nouvelles trahisons.

L’Assemblée, quoique entravée par les éléments aristocratiques et cléricaux qu’elle avait absorbés dans son sein, et même impressionnée, troublée par les progrès rapides du parti populaire, n’en continuait pas moins ses travaux. Elle décréta la responsabilité des ministres, le vote annuel de l’impôt par les représentants, commença la réforme criminelle, abolit la question, les lettres de cachet, la vénalité des charges, les privilèges des provinces, accomplit diverses réformes dans l’armée, les finances, l’administration ; attribua l’initiative des lois au Corps législatif, enleva au roi toute action sur le pouvoir judiciaire, etc.

Cependant, le retour de la famille royale à Paris avait contribué pour un moment à régulariser les approvisionnements ; mais cette amélioration dura peu. La disette, la pénurie, la cessation de travail, la mauvaise volonté des hautes classes, l’émigration successive des aristocrates, l’entassement des nécessiteux dans les villes, les manœuvres infâmes des accapareurs et des agioteurs, de nouveaux bruits de conspirations, des mouvements excités, dirigés par des agents soudoyés dans le but de pousser les pouvoirs publics à la réaction par le fantôme de l’anarchie : toutes ces causes contribuaient à répandre l’inquiétude et les défiances et à rendre la situation de plus en plus difficile.

Le meurtre du boulanger François, faussement accusé d’accaparement (21 octobre), meurtre accompli dans une émeute et probablement par des agents de la faction royaliste, servit de prétexte pour entraîner l’Assemblée à voter la loi martiale contre les attroupements.

La pénurie financière dominait la situation. L’État était tellement obéré, le fantôme de la banqueroute apparaissait si menaçant, le peuple était si peu en état de supporter de nouvelles charges, que tous les yeux se tournèrent enfin vers un immense patrimoine en réserve, les biens du clergé (v. biens nationaux). La nation périssait ; ces ressources dont une partie demeurait improductive entre des mains oisives, apparurent à tous comme le salut du peuple et de l’État.

L’abolition des dîmes avait entamé déjà ce que le clergé considérait comme sa propriété et qui n’était en réalité qu’une injuste contribution levée d’autorité sur la propriété et le travail d’autrui. Outre les dîmes, qui produisaient annuellement plus de 120 millions, il avait d’immenses possessions foncières, le quart des terres du royaume, même le tiers, même la moitié en beaucoup de contrées. Il serait difficile d’évaluer ces monstrueuses richesses, que le clergé augmentait sans cesse par les moyens les moins avouables, extorsion d’héritage, exploitation du patrimoine des familles, de l’ignorance, de la terreur de l’enfer, de la maladie, du vice même et du crime, des calamités publiques comme des malheurs privés.

En outre, la nation pouvait périr : le clergé n’abandonnait jamais rien de son droit, qui était de ne pas contribuer aux charges publiques, sauf par quelques maigres dons gratuits, à titre d’aumône, et qu’il se faisait toujours payer par de nouveaux privilèges ; enfin, de prendre et de recevoir toujours sans jamais rien donner.

La suppression des dîmes n’avait été qu’un premier pas vers une réforme plus radicale. On commença dès lors à discuter la légitimité des propriétés cléricales, et il fut établi, par le droit civil et par le droit canonique, qu’elles ne constituaient pas une propriété réelle et que le clergé n’était simplement que dépositaire et administrateur.

Des écrivains de parti ont pu contester la légitimité du grand fait historique de la reprise de ces biens par la nation ; mais il n’y a jamais eu de question mieux posée, plus clairement discutée et plus magistralement résolue. C’est toujours à ces admirables discussions qu’il faudra remonter quand on voudra avoir une idée précise sur ce sujet.

Le débat fut ouvert le 10 octobre, avant que l’Assemblée eût quitté Versailles, et la question fut posée par Talleyrand de Périgord, évêque d’Autun. Quoique ce grand procès fût depuis longtemps jugé par l’opinion, il fut d’un bon effet que l’initiative fût prise par un prélat et par un aristocrate.

Après de longs et solennels débats, auxquels prirent part les plus savants légistes et les députés et publicistes connus par la modération de leurs opinions, l’Assemblée décréta, malgré l’opposition de Sieyès, que les biens ecclésiastiques étaient à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir aux frais du culte et au soulagement des pauvres (2 novembre).

Mirabeau, Talleyrand, Thouret, Barnave, Le Chapelier, Dupont (de Nemours) et autres avaient pris la part la plus éclatante à cette grande discussion.

L’Assemblée ordonna, en outre, l’ouverture des prisons ecclésiastiques, des in pace, et interdit provisoirement les vœux monastiques,

Le lendemain (3 novembre), Thouret déposa son rapport sur la suppression des provinces, qui formaient comme autant de petites nations morcelées à l’infini en gouvernements dans l’ordre militaire, en généralités dans l’ordre administratif, en diocèses dans l’ordre ecclésiastique, etc. À cette confusion, qui était l’anarchie pure, l’Assemblée substitua, après de longues études, l’égalité départementale, l’unité de la patrie. Ce grand travail ne fut achevé que le 22 décembre.

Du même coup fut brisée la centralisation oppressive de la monarchie, les départements étant placés sous la direction d’une administration départementale élue, des administrations de district et des municipalités, toutes chargées d’appliquer les lois et décrets de l’Assemblée nationale.

Le droit de vote, dans les assemblées primaires, fut accordé à ceux qui payaient une contribution directe annuelle de la valeur de trois journées de travail, c’est-à-dire à peu près 3 francs ; ce n’était pas là une aristocratie ; toutefois, cette distinction en citoyens actifs et passifs suscita beaucoup de protestations parmi les amis de la liberté. Pour le complément de cette organisation, v. constitution de 1791.

En résumé, l’Assemblée avait substitué au chaos de l’ancien régime l’ordre et la justice et fondé les libertés locales, tout en consacrant l’unité administrative et politique de la nation.

Toutes ces réformes, dans le détail desquelles nous ne pouvons entrer, ne se firent pas sans déchirement. Les privilégiés, clergé et noblesse, dépouillés de leur injuste domination, suscitèrent de nombreuses résistances sur tous les points du territoire. Les parlements, annulés par la réorganisation judiciaire, entrèrent également dans la ligue contre les institutions nouvelles. C’était une guerre à mort de la faction du passé contre la justice et la liberté. Cependant, malgré les complots et les menées de toute nature, la France nouvelle grandissait chaque jour et s’affermissait dans ses institutions.

La municipalité de Paris, la commune, après beaucoup de tâtonnements, s’organisait peu à peu. Les sociétés populaires, dont les principales étaient les Jacobins et les Cordeliers (v. ces noms), éclairaient et surexcitaient l’opinion. Enfin la Révolution avait fait éclore une autre puissance, la presse politique, les journaux, dont les principaux étaient : le Courrier de Provence de Mirabeau ; le Point du jour, de Barère ; le Courrier de Versailles, de Corsas ; le Patriote français, de Brissot ; les Révolutions de Paris, de Prudhomme ; l’Ami du peuple, de Marat ; les Révolutions de France et de Brabant, de Camille Desmoulins ; la Chronique de Paris, de Condorcet, Rabaut Saint-Étienne et autres ; le Moniteur universel, l’Orateur du peuple, etc. V. ces noms.

La presse royaliste comptait également des organes nombreux, dont les plus connus sont : les Actes des apôtres, la Gazette de Paris, le Journal général de la cour et de la ville, etc.

Si les journaux révolutionnaires étaient passionnés, les feuilles royalistes étaient d’une violence bien plus accentuée et qu’on a trop oubliée. Elles ne parlaient que de bâtonner, de pendre et de rouer les patriotes, et il est certain que Marat et, plus tard, le Père Duchêne ne dépassèrent jamais ce degré de frénésie.

Les travaux constitutionnels se poursuivaient sans relâche. L’Assemblée apporta dans son organisation judiciaire le même esprit d’unité et de simplicité rigoureuse que dans les autres parties de son œuvre et substitua à la barbarie de la législation ancienne un ordre admirable et régulier, qui malheureusement n’existe plus qu’incomplètement et auquel il faudra revenir un jour.

Chaque jour amenait une nouvelle victoire de la philosophie. À la fin de 1789 et successivement, les classes opprimées dans l’ancien régime, les protestants, les juifs, les comédiens, furent appelés à l’égalité. Dans l’intervalle et plus tard, l’Assemblée travaillait à la réorganisation de l’année, décrétait que la loi ne reconnaissait plus les vœux monastiques (13 février 1790), supprimait la gabelle (26 février), s’occupait de la vente des biens ecclésiastiques, des assignats, faisait imprimer le Livre rouge (v. ce nom), registre scandaleux des pensions de la cour, etc.

Cette œuvre libératrice était troublée constamment par les manœuvres et les complots du parti de l’ancien régime. La plus célèbre de ces tentatives fut, à cette époque, la conspiration de Favras (v. ce nom). Cet aventurier de qualité, agent probable de Monsieur, comte de Provence, tenta l’exécution d’un plan de contre-révolution violente, échoua et fut pendu en place de Grève (19 février 1790). C’est vers la même époque aussi que se nouèrent définitivement les relations de Mirabeau avec la cour. On trouvera le détail de ces faits et de ce marché scandaleux à l’article biographique consacré au célèbre orateur.

Enfin, pendant que l’Assemblée détruisait pièce à pièce le vieux régime absolutiste et féodal, les ennemis de la justice et de la Révolution continuaient leurs menées et leurs intrigues. L’émigration, assurée de la protection royale, préparait l’invasion étrangère. Le roi, en même temps qu’il jurait les lois constitutionnelles et prêtait le serment civique (4 février 1790), entretenait en permanence des agents à l’étranger ; la reine et sa faction agissaient dans le même sens avec plus de furie, et, de son côté, le clergé préparait activement la guerre civile, suscitait des troubles, surtout dans les départements méridionaux, et préludait à l’insurrection de la Vendée par des massacres de patriotes et de protestants à Toulouse, à Montauban et à Nîmes (mai-juin 1790).

Grâce à l’attitude de Marseille et des grandes villes du Midi, la contre-révolution fut pour le moment étouffée ; mais ces complots sans cesse renaissants augmentaient de plus en plus l’irritation publique.

À cette époque, l’Assemblée commença l’élaboration d’un règlement célèbre qui fut complété plus tard, la Constitution civile du clergé (v. ce nom), qui soumettait le clergé à la société civile, introduisait l’élection dans la hiérarchie ecclésiastique et astreignait les fonctionnaires sacerdotaux au serment civique de fidélité à la nation, à la loi et au roi, ainsi qu’à la constitution. Ce fut pour le clergé une nouvelle occasion de manœuvres factieuses ; il se trouva dès lors partagé en deux catégories : le clergé constitutionnel et le clergé réfractaire, les assermentés et les insermentés, nouvelle cause de division, nouveau prétexte à des rébellions.

Une des discussions les plus importantes de ce temps fut celle sur le droit de paix et de guerre, à laquelle prirent part notamment Barnave, Robespierre, Pétion, Lameth, Mirabeau. Ce dernier, déjà gagné à la cour, se prononça audacieusement pour la prérogative royale. L’Assemblée adopta un moyen terme, établissant en principe que le droit de paix et de guerre appartenait à la nation, mais abandonnant l’initiative au roi.

Pendant que l’Assemblée travaillait à constituer la nation en faisant encore la part si belle à la royauté, Louis XVI et Marie-Antoinette s’employaient activement pour amener une intervention étrangère. La reine correspondait sans relâche, à ce sujet, avec son frère, l’empereur Léopold. Nous verrons se développer de plus en plus ce plan, dont la trahison est la base et qui justifie à l’avance toutes les représailles de la Révolution.

Le 19 juin, l’Assemblée avait supprimé les titres de noblesse. Le 14 juillet eut lieu, au Champ-de-Mars, la grande fédération commémorative de la prise de la Bastille. Ce fut une des grandes journées de la Révolution. V. FÉDÉRATION.

Pendant que le roi et la reine correspondaient avec l’étranger, l’aristocratie et le clergé formaient partout des foyers de résistance, ravivaient le fanatisme, s’épuisaient en complots et se préparaient à la lutte.

Un événement malheureux vint fournir des prétextes à la réaction. Une sédition militaire éclata dans la garnison de Nancy et fut cruellement réprimée (31 août). V. Nancy (affaire de).

Tandis que la France épuisait ses forces pour résister aux ennemis de l’intérieur, l’Europe monarchique, excitée par la famille royale et les émigrés, et redoutant d’ailleurs la contagion de la liberté, faisait des préparatifs et des armements et massait silencieusement des troupes à portée de nos frontières. Dans le temps même qu’il protestait publiquement de sa fidélité à la constitution, Louis XVI écrivait au roi de Prusse (décembre) la lettre aujourd’hui si connue : « ... Je viens de m’adresser à l’empereur Léopold, à l’impératrice de Russie, aux rois d’Espagne et de Suède, et je leur présente l’idée d’un congrès des principales puissances de l’Europe, appuyées d’une forte armée, comme la meilleure mesure pour arrêter ici les factieux, etc. »

Dans l’intervalle, Necker avait quitté le ministère, laissant l’administration des finances dans le plus triste état. Depuis longtemps déjà son rôle était fini ; il s’était dépopularisé par ses demi-mesures, par son opposition à la création des assignats, à la suppression des titres de noblesse (lui, plébéien !), etc.

La Révolution héritait de ce lourd fardeau d’accomplir au milieu des crises la liquidation de l’ancien régime. La dette, énorme déjà, s’était accrue de charges nouvelles : remboursement des nombreux offices supprimés, restitution d’une myriade de cautionnements, rentes du clergé, etc. Une nouvelle émission d’assignats avait été décrétée ; mais la situation n’en restait pas moins grave, et, en outre, l’année 1790 se ferma tristement au retentissement de troubles qui éclataient de tous les côtés, fomentés par les prêtres, les émigrés, les aristocrates, et qui annonçaient assez qu’entre l’ancienne France et la nouvelle c’était une guerre sans merci. Le prétexte du clergé était la constitution civile et le serment constitutionnel ; mais le motif réel était la question des privilèges et des biens perdus.

L’émigration augmentait tous les jours, et bientôt Mesdames, tantes du roi, quittèrent la France pour se retirer à Rome (19 février 1791). Ce départ excita une grande fermentation ; on le rattachait à des plans de complots qui étaient loin d’être chimériques, et l’on prévoyait très-justement que les autres membres de la famille royale nourrissaient les mêmes projets de fuite.

Cet épisode amena la proposition d’une loi contre l’émigration, projet contre lequel Mirabeau s’éleva avec véhémence et qui n’aboutit pas, à cause de la forme choquante qu’on lui avait donnée, peut-être à dessein, pour la faire rejeter.

Le jour même (28 février 1791), des centaines de gentilshommes s’étaient introduits aux Tuileries, armés de pistolets et de poignards. La garde nationale, soupçonnant avec quelque raison un complot pour enlever le roi, désarma et chassa les héros de cette aventure suspecte, qui furent baptisés par les Parisiens du nom de chevaliers du poignard.

Tout cela n’était pas de nature à calmer les inquiétudes et les soupçons des patriotes.

Au milieu de toutes ces agitations, l’Assemblée continuait ses travaux, décrétait la création d’un tribunal de commerce à Paris, élaborait plusieurs grandes institutions organiques, supprimait les fermiers généraux, les droits d’aides, les maîtrises et jurandes, organisait le trésor public et les douanes, préparait l’uniformité des poids et mesures, etc.

La fin de ce premier trimestre de 1791 fut marquée par un événement qui causa une profonde émotion publique, la maladie et la mort de Mirabeau (2 avril). Après avoir joué un rôle éclatant, le grand orateur, comme on le sait, s’était mis aux gages de la cour ; mais il n’y avait encore contre lui que des soupçons parmi un petit nombre d’hommes clairvoyants, et le peuple fit éclater à sa mort une immense douleur et lui fit des funérailles splendides.

Nous renvoyons le lecteur à l’article biographique que nous avons consacré à l’illustre tribun et dans lequel nous avons raconté et sa vie et toutes les circonstances de sa mort.

À ce moment, un homme destiné à une célébrité orageuse et qui n’avait joué jusque-là qu’un rôle effacé, Robespierre, commença à prendre quelque influence, fit décréter notamment que les membres de l’Assemblée constituante ne pourraient être réélus à la prochaine législature, et s’éleva à une grande hauteur dans sa lutte contre Barnave et autres, en parlant en faveur des hommes de couleur et des esclaves.

L’éternelle question de la constitution civile du clergé continuait à servir de prétexte à l’agitation. Le pape avait lancé un bref pour flétrir et suspendre les prêtres constitutionnels ; et, d’un autre côté, les manœuvres de la cour et de l’émigration ne s’arrêtaient point ; Marie-Antoinette ne cessait de correspondre avec son frère, l’empereur Léopold, et les souverains étrangers ; le comte Mercy était un des principaux agents de ces négociations. On n’attendait que le moment d’agir, en prenant l’Alsace pour point central et en s’appuyant sur des insurrections royalistes et religieuses à l’intérieur. Les conditions de l’intervention se dessinaient ; il s’agissait d’une dislocation de nos frontières au profit des puissances coalisées,

À l’article Marie-Antoinette, nous avons esquissé quel fut le rôle de cette femme funeste en ces coupables intrigues.

Le premier acte devait être la fuite de la famille royale, sa sortie de Paris. Une première tentative fut faite le 18 avril (1791), sous le prétexte d’une installation à Saint-Cloud ; mais le peuple et la garde nationale s’opposèrent au départ.

En attendant une occasion plus favorable, Louis XVI essayait d’endormir les soupçons par de nouveaux serments publics en faveur des lois constitutionnelles, et même, avec une duplicité étonnamment jésuitique, il adressait, le 23 avril, à toutes les cours une pièce diplomatique dans laquelle il faisait un éloge enthousiaste de la « glorieuse » Révolution, ordonnait à ses ambassadeurs de notifier aux cours étrangères son irrévocable serment de maintenir la nouvelle constitution, etc.

Le 2 mai, arriva à Paris un nouveau bref du pape contre cette constitution que jurait le roi et spécialement contre la nouvelle organisation ecclésiastique. Paris répondit à cette manifestation par l’exécution traditionnelle, en brûlant, au Palais-Royal, un mannequin représentant le pape Pie VI (4 mai).

Dans le courant de ce mois, l’Assemblée s’occupa des colonies et de la situation des hommes de couleur, de l’organisation militaire et de diverses autres questions importantes.

Pendant ce temps, la famille royale préparait sa fuite. Le 22 mai, la reine en écrivait le plan à son frère Léopold, en lui demandant de la protéger par l’entrée d’un corps de 10,000 hommes du côté de Montmédy. Le 1er juin, nouvelle demande. Les négociations se poursuivaient, et, pour entamer la guerre contre la France rebelle, l’empereur promettait 35,000 hommes ; l’Espagne, la Prusse et les autres puissances devaient fournir aussi leurs contingents.

Ainsi, par leurs manœuvres criminelles, Louis XVI et Marie-Antoinette, de concert avec l’émigration, allaient ameuter l’Europe contre nous, ouvrir à l’étranger le chemin de nos foyers et nous précipiter dans des guerres sans fin.

Le projet de fuite était ancien, comme on le sait. Constamment démenti, il n’en était pas moins la base de tous les plans de contre-révolution. Plus le moment approchait, plus la famille royale redoublait de dissimulation et de basses protestations. Les préparatifs se poursuivaient, d’ailleurs, avec la maladresse la plus imprudente. Cependant l’évasion s’exécuta avec succès dans la soirée du 20 juin. Le roi et sa famille purent s’échapper des Tuileries en se dirigeant vers Montmédy, vers l’étranger. La monarchie émigrait à son tour. Bouillé avait été prévenu d’échelonner des détachements sur la route jusqu’à Châlons.

À l’article Varennes (fuite de), nous donnons tous les détails de cet événement et nous n’avons pas à les reproduire ici.

Le matin du 21, Paris se réveilla sans roi, et le canon d’alarme, en annonçant la grande nouvelle par ses mugissements, semblait avertir les citoyens des suprêmes périls et annoncer que la monarchie parjure et fugitive allait déchirer la patrie par la guerre étrangère et la guerre civile.

La vaillante cité ne faiblit pas ; en un instant elle fut tout entière debout, prête à faire face à une tentative possible de contre-révolution. À ce moment, l’idée de la république se présenta à beaucoup d’esprits comme une solution logique et nécessaire. Mais la plupart des hommes politiques hésitaient encore en raison de la gravité des circonstances.

Les constitutionnels purs, les feuillants, y compris La Fayette, se sentant dépassés, réagissaient et s’obstinaient à vouloir sauver le principe de la royauté, quoiqu’ils eussent été également joués et trompés par elle. Ils inventèrent cette fiction que Louis XVI avait été enlevé.

Toutefois, l’Assemblée montra de la vigueur et prit toutes les mesures d’urgence, tout en réagissant aussi contre le mouvement républicain.

On sait que la famille royale fut arrêtée à Varennes, grâce à l’énergie et à la vigilance du maître de poste Drouet, et ramenée à Paris, escortée par des centaines de mille hommes. Le peuple accueillit ce cortège la tête couverte et dans un silence glacé.

Cette rentrée était bien, suivant l’expression de Fréron, le convoi de la monarchie.

Rentré aux Tuileries, le roi fut désormais gardé à vue, pour ainsi dire interdit de fait ; et, par une contradiction singulière, pendant ce temps l’Assemblée achevait imperturbablement une constitution qui consacrait la royauté, alors qu’elle s’éteignait si visiblement et qu’elle se séparait de la France en faisant appel aux puissances étrangères.

C’était là l’œuvre des feuillants et des constitutionnels de la nuance de Barnave (lequel était gagné à la cour), qui voulaient garder l’institution de la monarchie comme un rempart contre les progrès de la démocratie.

On dicta à Louis XVI de nouvelles protestations en faveur de la constitution, qu’il signa sans scrupule, pendant qu’il poussait de plus en plus activement ses négociations avec la cour de Vienne.

Au milieu de cette espèce d’interrègne (puisque la plupart des pouvoirs avaient passé aux mains de l’Assemblée), la république fit son apparition. La société des Cordeliers s’était prononcée en faveur de cette forme de gouvernement et cette opinion gagnait de plus en plus du terrain. Elle recueillit successivement des adhésions précieuses, celles de Condorcet, de Thomas Payne, de Brissot, de Camille Desmoulins, du cercle des époux Roland, etc.

Ce fut pendant cette crise, où la France était en travail pour l’enfantement de l’idée républicaine, que les restes de Voltaire furent ramenés triomphalement à Paris et, suivant un décret de l’Assemblée, déposés au Panthéon (11 juillet).

Quelques jours plus tard, l’agitation antimonarchiste, surexcitée par l’indulgence de l’Assemblée à propos du fait de la fuite royale, aboutit à un événement grave et tragique.

Le dimanche 17 juillet, les citoyens se rendirent au Champ-de-Mars pour signer, sur l’autel de la Patrie, une pétition demandant la déchéance du roi. Ce mouvement, d’ailleurs tout pacifique, fut cruellement réprimé dans le sang des pétitionnaires. Nous avons amplement raconté ce triste épisode à l’article massacre du Champ-de-Mars, auquel nous renvoyons le lecteur.

Le parti feuillant, qui avait ainsi cru sauver la royauté, anéantir le parti populaire et assurer sa propre domination par sa politique cauteleuse et violente, était néanmoins effacé, perdu ; il s’était noyé dans son triomphe, c’est-à-dire dans le sang. De plus en plus isolés, ses principaux meneurs firent de nouveaux pas vers la droite, qui n’accueillait, d’ailleurs, leurs avances qu’avec mépris, car ce n’était pas une contre-révolution mitigée qu’on demandait de ce côté, mais le rétablissement complet de l’absolutisme et de l’ancien régime.

À ce moment, la tactique des Duport, des Lameth, des Barnave, des Malouet et autres était d’obtenir ta révision de la constitution, sous prétexte d’en coordonner les matériaux, d’en rassembler les parties. Il s’agissait, en effet, de former un tout, un code unique de tant de lois et décrets rendus depuis 1789, de faire, en un mot, un travail de classification, de condensation et de synthèse : excellente occasion pour revenir sur bien des points, amoindrir la portée des réformes faites dans le premier moment d’ivresse, enfin pour rendre le plus de pouvoir possible au roi.

Cette grosse affaire de la révision fut menée comme un complot, mais avorta en grande partie, et le code des lois constitutionnelles, s’il subit quelques remaniements, n’eut pas à subir de mutilations trop graves.

Ce travail s’accomplit dans le courant du mois d’août. Le 3 septembre, une députation de l’Assemblée présenta l’acte constitutionnel au roi, qui, le 13, formula son acceptation dans les termes les plus solennels. Le lendemain, il vint à l’Assemblée prononcer avec apparat le serment constitutionnel et signer la constitution, qui fut proclamée dans toute la France le 18 avec une pompe inouïe et au milieu des démonstrations les plus passionnées de la joie publique.

C’était, en effet, un grand événement, et, quelles que fussent ses graves imperfections, l’œuvre des constituants n’en fut pas moins la première de nos chartes de liberté, le pacte social le plus parfait qui jusque-là eût régi un peuple. V. constitution de 1791.

Pendant que le peuple s’abandonnait à l’enthousiasme, pensant que la mise en pratique de la constitution allait dater pour la nation l’ère de la félicité publique, de la justice et de la liberté, la cour continuait ses intrigues avec l’étranger ; la coalition des rois se formait contre nous, quoique lentement et péniblement, à cause des complications européennes et des rivalités ; enfin, l’Autriche et la Prusse venaient de signer le fameux traité de Pilnitz, point de départ du concert de l’Europe monarchique contre la Révolution.

C’est sous le coup de ces éventualités menaçantes que l’Assemblée constituante acheva ses travaux. Un de ses derniers décrets fut celui qui prononçait la réunion d’Avignon et du Comtat-Venaissin à la France. Ses indécisions, sa lenteur avaient causé bien des calamités dans ce malheureux pays. Nous parlerons plus loin de ces déplorables événements.

Les opérations électorales se poursuivaient dans toute la France, et enfin, lorsqu’elles furent terminées, l’Assemblée se sépara pour faire place à la nouvelle législature (30 septembre 1791).

Le lendemain, premier octobre, était le jour fixé pour la réunion de l’Assemblée législative. Dans leurs justes défiances, les auteurs de la constitution n’avaient pas voulu qu’il y eût un seul jour d’interrègne parlementaire, que la royauté demeurât une minute le seul pouvoir en exercice sans que le conseil de la nation fût là pour contrôler ses actes et pour la contenir et la réprimer au besoin.

La Constituante a élaboré plus de trois mille lois, actes et décrets consacrés à la liquidation de la société ancienne, à l’organisation de la France nouvelle. Beaucoup de ses créations politiques ont disparu ou ont été modifiées ; mais ses réformes matérielles ont été presque toutes définitives. Aucune réaction n’a pu reconstruire la vieille société. Napoléon a pu restaurer l’administration et le gouvernement de l’ancien régime, mais non son organisation sociale, absolument détruite et pour jamais.

Il serait superflu de mettre en relief le grand caractère de cette Assemblée, autant qu’il serait puéril de dissimuler ses erreurs, ses défaillances, ses entraînements de réaction, ses fluctuations de toute nature.

Quelles qu’aient été ses fautes, ses tergiversations, les intrigues des coteries formées dans son sein, ses velléités antipopulaires, ses fausses mesures et ses contradictions, on n’oubliera jamais qu’elle a, d’une main souveraine, détruit le vieux monde et posé les premières assises du nouveau, brisé des institutions de quinze siècles, anéanti la féodalité, balayé les parlements et toute la vieille magistrature, saisi les biens du clergé et accompli une véritable révolution agraire en faisant passer la terre aux mains du paysan, subordonné la royauté et tous les pouvoirs publics à la nation, placé la loi au-dessus de tout, réorganisé l’armée, la justice, l’administration, les finances, tout réformé, enfin, suivant l’idéal de justice et de droit que ses membres portaient en eux et qui était le résumé de la philosophie du XVIIIe siècle.

On chercherait en vain dans l’histoire des nations une assemblée politique, un pouvoir quelconque qui ait fait table rase des institutions du passé avec autant de résolution. Royauté, féodalité, noblesse, magistrature, clergé, toutes ces formidables puissances sociales, ces colonnes de l’ordre ancien ont été renversées, par les mains de ce Samson, V. Assemblée nationale constituante.