Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Pulchérie, tragédie de Corneille

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 2p. 409-410).

Pulchérie, tragédie de Corneille, une des dernières de notre grand tragique (Comédie-Française, 1672). Corneille a pris pour sujet la fin de la vie de l’impératrice d’Orient, son mariage avec Marcien.

Il est permis à un poète d’ennoblir ses personnages et de modifier l’histoire, surtout l’histoire de ces temps de confusion et de faiblesse. Corneille a usé de ce privilège, et voici la fable qu’il a tirée de ce canevas historique, en rajeunissant de beaucoup ses principaux personnages. Le sénat presse Pulchérie de se choisir un époux, et Léon, qui devait plus tard succéder à Marcien et que ses qualités firent surnommer Léon le Grand, Léon compte monter sur le trône avec elle, car il l’aime et en est aimé. Si Pulchérie n’écoutait que son cœur, tel serait son choix ; mais elle est ambitieuse, et la raison d’État (elle existait déjà à cette époque) lui fait préférer à celui qui lui plaît un vieux soldat, . qu’on nous pardonne le mot, une culotte de peau prétorienne. Léon épousera Justine, la fille de Marcien, et sera associé à l’empire.

Tel est le fond de cette tragédie bien dépourvue d’artifice et d’une simplicité tout à fait primitive. Corneille, appesanti par l’âge, n’était plus que l’ombre de lui-même. À peine quelques éclairs de sa verve passée brillaient-ils ça et là. Le début de la pièce, par exemple, est imposant :

PULCHÉRIE.

Je vous aime, Léon, et n’en fais point mystère ;
Des feux tels que les miens n’ont rien qu’il faille taire.
Je vous aime et non point de cette folle ardeur
Que les yeux éblouis font maîtresse du cœur,
Non d’un amour conçu par les sens en tumulte,
À qui l’âme applaudit sans qu’elle se consulte,
Et qui, ne concevant que d’aveugles désirs,
Languit dans les faveurs et meurt dans les plaisirs ;
Ma passion pour vous, généreuse et solide,
A la vertu pour âme et la raison pour guide,
La gloire pour objet, et veut sous votre loi
Mettre en ce jour illustre et l’univers et moi.

Tout bien faits qu’ils sont, ces vers annoncent une pièce froide. Si Pulchérie aime si tranquillement, son amour ne doit guère toucher. On s’aperçoit que c’est le poète qui parle, et non la princesse. En outre, on retrouve dans cette tragédie les mêmes défauts que dans celle d’Othon. Trois personnes se disputent la main de la nièce d’Othon, et ici on voit trois prétendants à celle de Pulchérie ; nulle grande intrigue, nul événement marquant, pas un seul personnage auquel on s’intéresse. Le seul qui pourrait émouvoir, c’est Justine, la fille de Marcien, et l’intérêt qu’elle inspire s’évanouit lorsqu’on la voit accepter l’hymen que Léon lui propose en ces termes :

J’obéis donc, madame, à cet ordre suprême,
Pour vous offrir un cœur qui n’est pas à lui-même ;
Mais enfin je ne sais quand je pourrai donner
Ce que je ne puis même offrir sans le gêner ;
Et cette offre d’un cœur entre les mains d’un autre
Ne peut faire un amour que mérite le vôtre.

En somme, le fond de la pièce est un mariage peu intéressant, retardé par des péripéties sans attrait ; le tout est traité en vers qui se rapprochent plus de la comédie que de la tragédie.