Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Prague (CONFÉRENCES DE) (juillet 1813)

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 1p. 29).

Prague (CONFÉRENCES DE). L’armistice de Pleswitz, conclu le 4 juin 1813 entre Napoléon et les alliés, avait pour but apparent de permettre l’ouverture de négociations qui devaient amener la paix générale. L’Autriche, qui s’était posée en puissance médiatrice, demanda que les conférences se tinssent à Prague, où se rendrait en personne l’empereur François, afin d’être tout près du théâtre de la guerre et sur le lieu même des négociations. Pour préparer les voies à un accommodement, le souverain de l’Autriche avait écrit à son gendre une lettre pleine d’affection et de sentiments humains, lettre que M. de Bubna avait remise à Napoléon et qui avait paru faire sur le cœur de celui-ci une assez vive impression. Il promit d’envoyer des négociateurs à Prague ; malheureusement, le congrès n’allait être pour lui qu’un moyen de traîner les choses en longueur, afin de pouvoir compléter ses armements et poursuivre la guerre avec plus d’acharnement que jamais.

Le 11 juillet 1813, les plénipotentiaires de la Prusse et de la Russie arrivèrent à Prague, M. de Humboldt pour la première, le baron d’Anstett pour la seconde. Napoléon devait être représenté par MM. de Narbonne et de Caulaincourt. M. de Narbonne partit la premier ; mais, dès le principe, Napoléon souleva des difficultés qui durent éclairer les moins clairvoyants sur sa duplicité ; nous le répétons, il ne voulait que gagner du temps et, dans cette circonstance, le jeu de sa diplomatie n’était pour lui qu’un moyen d’atteindre ce but. L’empereur d’Autriche fut profondément blessé de ces tergiversations, et Metternich déclara à M. de Narbonne que si, le 10 août, jour où expirait l’armistice de Pleswitz, la paix n’était pas définitivement conclue, l’Autriche abandonnerait son rôle conciliateur pour entrer dans les rangs de la coalition.

M. de Narbonne fut effrayé de cette froide déclaration et il en donna aussitôt avis à M. de Bassano, en lui affirmant qu’il fallait ou traiter immédiatement ou se résigner à une guerre universelle avec toute l’Europe. À cette dépêche sérieuse, M. de Bassano ne répondit que par une lettre légère et insignifiante. Le ministre subissait aveuglément l’influence de Napoléon, qui ne pouvait se décider à prendre au sérieux la menace de l’Autriche et ne voyait dans les paroles de son négociateur qu’un moyen de faire payer plus cher ses services officieux. D’ailleurs, il élevait des prétentions telles qu’on n’eût jamais pensé qu’il venait d’essuyer la plus épouvantable catastrophe qui ait jamais frappé un conquérant, et on eût pu croire qu’il dictait ses conditions après Austerlitz ou Friedland. Les temps étaient cependant bien changés.

M. de Caulaincourt arriva à Prague dans les derniers jours de juillet et s’empressa de s’aboucher avec Metternich, qui lui lut la déclaration suivante, émanant de l’empereur François lui-même, et que M. de Caulaincourt fut autorisé à transcrire sur-le-champ :

« M. de Metternich demandera au duc de Vicence (M. de Caulaincourt), sous sa parole d’honneur, l’engagement que son gouvernement gardera le secret le plus absolu sur l’objet dont il est question.

« Connaissant, par des explications confidentielles préalables, les conditions que les cours de Russie et de Prusse paraissent mettre à des arrangements pacifiques et me réunissant à leurs points de vue, parce que je regarde ces conditions comme nécessaires au bien-être de mes États et des autres puissances et comme les seules qui puissent réellement mener à la paix générale, je ne balance point à énoncer les articles qui renferment mon ultimatum.

« J’attends un oui ou un non dans la journée du 10.

« Je suis décidé à déclarer dans la journée du 11, ainsi que cela se fera de la part de la Russie et de la Prusse, que le congrès est dissous et que je joins mes forces à celles des alliés pour conquérir une paix compatible avec les intérêts de toutes les puissances, et que je ferai dès lors abstraction des conditions actuelles, dont le sort des armes décidera pour l’avenir. »

Voici qu’elles étaient les conditions posées par l’Autriche :

« Dissolution du duché de Varsovie et sa répartition entre l’Autriche, la Russie et la Prusse.

« Rétablissement de Hambourg et de Lubeck comme villes libres hanséatiques et arrangement éventuel et lié à la paix générale sur la renonciation au protectorat de la Confédération du Rhin, afin que l’indépendance de tous les souverains actuels de l’Allemagne se trouve placée sous la garantie de toutes les grandes puissances.

« Reconstruction de la Prusse avec une frontière tenable sur l’Elbe.

« Cession des provinces illyriennes à l’Autriche.

« Garantie réciproque que l’état de possession des puissances, grandes et petites, tel qu’il se trouvera fixé par la paix, ne pourra être changé ni lésé par aucune d’elles. »

Qu’y avait-il dans ces conditions qui pût froisser l’orgueil le plus exigeant, le plus intraitable ? M. de Caulaincourt les transmit à Napoléon, en les accompagnant de ces réflexions touchantes, sorties de son âme honnête et patriotique :

« Sire, cette paix coûtera peut-être quelque chose à votre amour-propre, mais rien à votre gloire, car elle ne coûtera rien à la vraie grandeur de la France. Accordez, je vous en conjure, cette paix à la France, à ses souffrances, à son noble dévouement pour vous, aux circonstances impérieuses où vous vous trouvez. Laissez passer cette fièvre d’irritation contre nous qui s’est emparée de l’Europe entière et que les victoires, même les plus décisives, exciteraient encore au lieu de calmer. Je vous le demande, non pour le vain honneur de la signer, mais parce que je suis certain que vous ne pouvez rien faire de plus utile pour notre patrie, de plus digne de vous et de votre grand caractère. »

C’était là une noble prière, le cri éloquent d’un cœur généreux et dévoué à la patrie. Napoléon y resta sourd : il ne connaissait que la voix de son orgueil et de son ambition.

Le 11 août, au matin, Metternich annonça à MM. de Caulaincourt et de Narbonne que le délai fatal était expiré et que l’Autriche allait faire cause commune avec nos ennemis. Le congrès de Prague était dissous et Napoléon se mettait de gaieté de cœur 300,000 Autrichiens sur les bras, comme s’il n’avait pas eu assez des soldats de la Prusse et de la Russie. À cet orgueil indomptable, il fallait Leipzig et Waterloo.