Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Prague (BATAILLE DE), gagnée par Frédéric II sur les Autrichiens, le 6 mai 1757

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 1p. 28-29).

Prague (bataille de), gagnée par Frédéric II sur les Autrichiens, le 6 mai 1757, et l’une des plus sanglantes du XVIIIe siècle. Le roi de Prusse commença la campagne de 1757 avec sa rapidité accoutumée, dans l’intention d’attaquer l’armée autrichienne avant qu’elle eût été renforcée par ses alliés. Il divisa ses troupes en cinq colonnes, qui toutes mirent le pied en Bohême le même jour. Lui-même, à la tête de ses principales forces, marcha contre le prince Charles de Lorraine et le maréchal Brown, qui s’étaient solidement établis derrière Prague et la Moldau en attendant les renforts que leur amenait le maréchal Daun. Mais c’était précisément cette jonction que Frédéric voulait empêcher à tout prix. En conséquence, il fit aussitôt construire un pont sur la Moldau, près de Podbaba, franchit cette rivière et fut alors rejoint par le maréchal de Schwerin, ce qui portait le total des forces prussiennes à 68,000 hommes, qui allaient en combattre 80,000.

La gauche des Autrichiens occupait une position presque inexpugnable ; elle était appuyée par la montagne de Ziska et protégée par tous les ouvrages de Prague. Un ravin de plus de 100 pieds de profondeur couvrait leur front et leur droite se terminait sur une hauteur, au pied de laquelle s’étend le village de Serboholis.

Frédéric, trouvant que l’attaque du front de Brown présentait de graves difficultés, tourna la droite des ennemis afin de trouver un terrain plus favorable pour un engagement. Pour rendre la partie plus égale, il fallait contraindre le maréchal Brown d’abandonner une partie de ces montagnes et de longer la plaine. Pour y parvenir, Frédéric changea son ordre de bataille. Son armée avait défilé par colonnes rompues : il la mit sur deux lignes et la fit marcher par la gauche en suivant le chemin de Postchernitz. Dès que Brown aperçut ce mouvement, il prit sa réserve de grenadiers, sa cavalerie de la gauche et sa seconde ligne d’infanterie, avec lesquelles il côtoya les Prussiens, tenant une ligne parallèle. C’était justement ce qu’attendait le roi de Prusse. Son armée s’avança jusqu’à Bischowitz, à travers des défilés et des marais qui disjoignirent les bataillons. Presque toutes les pièces des régiments durent rester en arrière, ce qui permit à l’ennemi de garnir son front d’une formidable artillerie. Enfin, cette vaillante infanterie parvint à se former après mille efforts. Elle aborde vigoureusement la cavalerie autrichienne, l’enfonce et la met en déroute malgré un terrible feu de mitraille. Frédéric avait ordonné de culbuter l’ennemi à la baïonnette, sans prendre le temps à tirer ; on obéit ; mais bientôt la canonnade devient si meurtrière que les grenadiers prussiens fléchissent et perdent du terrain, entraînant les régiments qui les appuyaient. Celui de Fouquet perdit 4 pièces de bataillon et quelques drapeaux.

Cependant, la cavalerie prussienne de l’aile gauche a attaqué de son côté : 65 escadrons chargent à la fois sous les ordres du prince de Schoneich ; mais, décimés par la mitraille, ils reviennent précipitamment en arrière. Une seconde charge n’obtient pas plus de succès. Pendant ce temps-là, le vieux maréchal de Schwerin s’efforce de reformer l’infanterie et de la rejeter en avant. Broyée par les canons autrichiens, cette infanterie plie ; le régiment de Schwerin cède lui-même à l’entraînement général. L’héroïque vieillard, mettant alors pied à terre, saisit un drapeau et ramène ses soldats à la charge. Mais, au même instant, il est frappé mortellement ; du moins, en tombant, il a la consolation de voir son régiment et tout le reste de l’infanterie, électrisés par son exemple, s’élancer avec enthousiasme contre les Autrichiens.

Jaloux d’imiter un si glorieux modèle, plusieurs généraux prussiens conduisent leurs brigades à pied ; l’ennemi est bientôt en pleine déroute. Malheureusement, les hussards et les dragons de Prusse arrivèrent trop tard pour convertir la défaite en désastre ; sans quoi, l’infanterie autrichienne eût été entièrement prise ou passée au fil de l’épée. Néanmoins, la gauche des Autrichiens se trouva complètement séparée de sa droite. La droite des Prussiens n’était point destinée à prendre part à la lutte, à cause du ravin profond qui se trouvait devant elle et du désavantage que lui présentait le terrain. Elle se trouva engagée par l’imprudence de Mannstein, son commandant, qui attaqua sans en avoir reçu l’ordre. Quoique le prince Henri de Prusse, frère du roi, et le prince de Bevern désapprouvassent sa conduite, ils crurent néanmoins devoir le soutenir. L’infanterie prussienne gravit donc des rochers escarpés, défendus par une nombreuse artillerie et par toute la droite des Autrichiens. Le prince Ferdinand, voyant le combat s’engager de ce côté, au moment où il ne se trouvait plus d’ennemis devant lui, prit les Autrichiens à dos et en flanc. Alors les deux ailes des Prussiens se rejoignent et coupent la ligne ennemie, dont la droite se retire en désordre à Beneschau avec la cavalerie, tandis que la gauche est réduite à faire feu sur ses derrières.

Ainsi, l’armée vaincue était coupée en deux : une moitié se jeta dans Prague avec le prince Charles ; l’autre, entièrement dispersée, alla rallier ses débris à 30 lieues du champ de bataille. Le maréchal Brown était mortellement blessé.

La bataille de Prague fait époque dans les annales militaires ; elle dura depuis neuf heures du matin jusqu’à huit heures du soir et coûta 24,000 hommes aux Autrichiens, tant tués que blessés ou prisonniers ; les Prussiens en perdirent 18,000. Ces chiffres disent assez, dans leur triste éloquence, quel fut l’acharnement de la lutte. Là tombèrent les colonnes de l’armée prussienne et une foule d’intrépides officiers ou soldats qu’une guerre sanglante et continuelle ne permit pas à Frédéric de remplacer ; sans parler de l’illustre Schwerin, qui, à lui seul, valait 10,000 hommes : c’est son roi qui lui a fait cette glorieuse oraison funèbre.