Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PHILIPPE (Lucius Marcius), un des plus grands orateurs et un des plus grands hommes politiques du temps de Cicéron

Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 3p. 808).

PHILIPPE (Lucius Marcius), un des plus grands orateurs et un des plus grands hommes politiques du temps de Cicéron. Il vivait au Ier siècle av. J.-C., fut consul en 91 et s’opposa avec la plus grande vivacité aux réformes proposées par le tribun Drusus. La plus grande partie des agitations si fréquentes qui troublèrent Rome à cette époque provint des lois agraires. Lois agraires proposées par les Gracques, qui commencèrent ce grand mouvement d’émancipation du peuple, lois agraires proposées par Drusus, lois agraires de Rullus, lois agraires de César, toutes attestent cette vague inquiétude qui travaillait Rome au moment des guerres civiles, et qui se manifesta par des luttes violentes sur la place publique. Dans ces luttes terribles, Philippe joua un grand rôle. Également ennemi de l’aristocratie et du peuple, il frayait surtout avec les chevaliers, et on pourrait dire qu’il était du parti de Cicéron, si le grand orateur n’avait pas plusieurs fois changé de parti. Philippe est resté célèbre surtout par un grand discours qu’il prononça contre Crassus dans le sénat, discours que Crassus réfuta avec une éloquence que Cicéron appelle divine, mais qu’il paya de sa vie. Cicéron a raconté avec une grande éloquence, dans le troisième livre de son Dialogue sur l’orateur, cette mort de son illustre prédécesseur. Après avoir plaint la triste fortune du sénat qui se voyait trahi par celui-là même qui aurait dû lui prêter son appui, comme Philippe, outré des vives attaques de son adversaire, songeait à user des moyens légaux dont il pouvait disposer contre un sénateur, Crassus s’écria : « Quand, pour gage de ton pouvoir, tu auras renversé l’autorité de l’ordre tout entier, lorsque tu l’auras détruite sous les yeux mêmes du peuple romain, penses-tu donc que de pareilles menaces puissent m’effrayer ? Ce n’est pas là ce qu’il te faut supprimer et détruire, si tu veux venir à bout de Crassus ; c’est cette langue qu’il te faudra couper ; et même, après que tu me l’auras arrachée, mon souffle sera encore assez indépendant pour repousser tes inutiles violences ! » Crassus répondait d’ailleurs à un adversaire digne de lui, comme nous le prouve Cicéron dans le Brutus. Voici, en effet, comment il juge l’éloquence de Philippe : « Si Crassus et Antoine occupent le premier rang, Philippe est celui qui en approche le plus ; mais il n’en approche pourtant que de très-loin. Ainsi, quoique personne ne vienne se placer entre lui et ces grands maîtres, je ne lui donnerai cependant pas la seconde, ni même la troisième place ; car je n’appellerai le second ou le troisième, ni dans une course de chars celui qui est encore tout près de la barrière quand le vainqueur a déjà reçu la palme, ni parmi les orateurs ceux qui sont si éloignés du premier, qu’à peine ils semblent courir dans la même lice. Cependant Philippe avait des qualités qui, jugées seules et sans comparaison, pouvaient paraître grandes : une extrême franchise, beaucoup de traits piquants, des idées abondantes et développées avec facilité. Il était surtout initié fort avant pour ce temps-là aux disputes de la Grèce. Dans la dispute, ses railleries avaient quelque chose de mordant et d’acéré. »

Philippe obtint l’annulation des lois qu’avait fait porter Drusus, devint censeur en 86, chassa du sénat son oncle Appius Claudius, garda la neutralité pendant la guerre civile entra Marius et Sylla et échappa complètement aux proscriptions. Par la suite, Philippe appuya Pompée, alors chef du parti des chevaliers, et contribua à lui faire donner le commandement de la guerre contre Sartorius en Espagne. Philippe avait une grande fortune et vivait au milieu d’un grand luxe. — Son fils, L. Marcius Philippe, consul en 53 av. J.-C, épousa Atia, nièce de César et veuve d’Octavius, père du futur empereur Auguste, resta neutre pendant les guerres civiles, se prononça, après la mort de César, pour un arrangement entre Octave et Antoine et vit son beau-fils devenir souverain des Romains. Il rebâtit le temple d’Hercule et des Muses, fréquemment désigné sous le nom de Portique de Philippe.