Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LÉON X (Jean DE MÉDICIS), pape

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 370-371).

LEON X (Jean de Médicis), pape, né à Florence en 1475, mort en 1521. Il était fils de Laurent de Médicis, dit le Magnifique. C’est un des papes les plus célèbres, et l’on a donné le nom de siècle de Léon X à l’époque brillante où il a vécu. Nommé cardinal à l’âge de treize ans, il fut contraint de quitter Florence, par suite de l’invasion de Charles VIII en Italie (1494), et vint se fixer à Rome, où il s’attacha à Jules II, qui lui donna le commandement de Pérouse. Il perdit contre les Français la bataille de Ravenne (1512), fut fait prisonnier, et ne recouvra sa liberté qu’un an après. Il fut élu pape en 1513, et son règne est remarquable entre tous par les événements politiques ou religieux qui s’accomplirent et par le progrès des arts. Il fit la paix avec Louis XII, se déclara plus tard contre François Ier, mais traita avec lui après la bataille de Marignan (1515), Il est vrai qu’en 1521 il se montra de nouveau son ennemi en se liguant avec Charles-Quint. Il achevait à peine de rétablir sa famille à Florence, lorsque la grande hérésie de Luther éclata. On sait que la vente des indulgences en fut l’occasion (1517) [v. Luther] ; ni les anathèmes du saint-siége ni ses excommunications n’en purent arrêter les progrès, et Léon X mourut, pouvant pressentir que ce qu’il avait d’abord considéré comme une dispute de moines était une puissante révolution religieuse. On a reproché à ce pape son faste, sa passion pour la table, et même des habitudes de débauche. La postérité lui tient cependant compte de son goût pour les lettres, les sciences et les arts, et de la protection qu’il accorda aux savants et aux artistes qui illustrèrent son siècle et son règne. Il suffit de citer Raphaël, Michel-Ange, le Corrége, l’Arioste, etc., les magnifiques travaux qui s’exécutèrent à Saint-Pierre et au Vatican, et la fondation de la bibliothèque Laurentienne.

« Léon X, dit Avenel, avait l’humeur enjouée, l’esprit enclin à la bouffonnerie ; il passait, avec une extrême facilité et un plaisir assez visible, des entretiens les plus sérieux aux plaisanteries les plus frivoles, et faisait contraster avec la dignité de ses hautes fonctions les légèretés d’un caractère tout mondain. Il se plaisait aux festins splendides, mais il savait être sobre parmi les délices des tables plantureuses. Il avait montré de bonne heure un goût si violent pour la chasse que les vicissitudes de ce divertissement finirent par influer sur son humeur, et le pape était moins aimable les jours où le chasseur avait été moins adroit ou moins heureux. Aimant avec passion la société des hommes d’élite dont il s’entourait, il encourageait les lettres et les arts autant par l’affectueuse familiarité avec laquelle il accueillait les savants et les artistes que par les largesses dont il les comblait. » Il se délectait dans la lecture de la Mandragore, comédie licencieuse dans laquelle Machiavel a fait une vive peinture des mœurs dissolues des moines, et il avait un goût excessif pour le théâtre, pour les bouffons, auxquels il se mêlait sans scrupule et sans réserve. Comme pape, il chercha à réformer l’Église par les décrets du concile de Latran (1512-1517), remplaça en France la pragmatique sanction par le concordat (1516), et fit conclure à Cambrai en 1517 un traité d’alliance contre les Turcs par les quatre grandes puissances de l’Europe ; mais il commit une faute capitale en ordonnant la prédication des indulgences, dont le produit devait servir à terminer la basilique de Saint-Pierre. Les abus qui en résultèrent portèrent à la puissance des papes un tort irréparable en soulevant contre elle une partie de l’Europe, qui se jeta dans les bras de la Réforme. Comme politique, Léon X se conduisit avec habileté, mais d’une façon tortueuse et remplie d’artifices. Il s’attacha à diviser la France et l’Autriche, afin de chasser ces deux puissances de l’Italie. Son but apparent était l’affranchissement de son pays ; mais le but réel qu’il poursuivait était simplement l’élévation de sa famille. On prétend qu’il mourut de joie en apprenant que les Français avaient été chassés de la Lombardie. Raphaël nous a laissé un portrait de Léon X qui compte parmi ses chefs-d’œuvre.

Léon X (VIE ET PONTIFICAT DE), par Roscoë, traduit en français par P.-F. Henry, traduction rééditée en 1813 (Paris, 4 vol. in-8o). C’est un vrai monument d’érudition, un peu sec peut-être, mais plein de renseignements utiles et d’aperçus judicieux. Il a été traduit dans toutes les langues de l’Europe. Dans une belle préface, l’auteur énumère les sources où il a puisé, et apprécie les ouvrages composés avant lui sur Léon X, entre autres la Vie de Léon X par Paul Jove. À la fin de chacun des volumes se trouve une série de pièces justificatives. Des planches intercalées dans le texte donnent la représentation des médailles qui furent frappées sous le pontificat de l’illustre païen qui porta le nom de Léon X, et qui rendit aux lettres et aux arts des services si éminents. Quant à l’étendue un peu excessive du livre, l’auteur s’en explique dans les termes suivants : « Quoique j’aie donné le titre de Vie et pontificat de Léon X à cet ouvrage, j’ai jugé que, si je ne comprenais dans mon sujet l’histoire générale du temps où a vécu ce souverain pontife célèbre, il serait impossible qu’on eût de lui une idée aussi juste et aussi complète que je le désirais. J’ai saisi avec plaisir l’occasion d’examiner plus particulièrement qu’on ne l’a fait jusqu’à présent un siècle plein de grands événements, et dans lequel la nature semble avoir pris plaisir à former une extrême variété de caractères. Quant à l’union de l’histoire particulière et de l’histoire générale, je n’ignore pas que des littérateurs d’un grand mérite en ont mis en question la convenance. Il est incontestable qu’il existe une ligne de démarcation entre ces deux genres ; mais comme ils ont également pour objet des êtres de notre espèce, ils ne peuvent manquer d’empiéter en de certaines occasions sur les droits l’un de l’autre. »

Telle est la méthode de Roscoë. Son livre n’est pas philosophique comme ceux de Hume ; c’est un livre écrit par un observateur plutôt que par un penseur, par un témoin bien plus que par un juge. Le style en est irréprochable ; la narration est limpide, les réflexions sont rares et circonspectes. Le premier volume va de la naissance du pape aux dissensions entre les rois de France et d’Espagne ; le second poursuit jusqu’aux rapports de François Ier et de Léon X ; le troisième va de François Ier jusqu’aux réformes luthériennes, qui occupent le commencement du quatrième. Une bonne partie du quatrième volume est consacrée à l’étude des arts, des sciences et des lettres en Italie.

Roscoë discute longuement les accusations d’impiété et d’immoralité dirigées contre Léon X par ses contemporains, et il conclut au rejet de ces accusations, mal fondées selon lui. En fin de compte, il estime que Léon X a été un grand pape, et son règne une grande époque. « Il est universellement reconnu, dit-il, qu’il se fit durant le pontificat de Léon X des progrès étonnants dans le perfectionnement des connaissances humaines. Peut-être ne niera-t-on plus désormais qu’ils doivent être attribués principalement aux efforts de ce souverain pontife. Les annales du monde fourmillent de nombreux exemples de l’influence que peut exercer sur son siècle un homme ou revêtu d’une grande autorité, ou doué de beaucoup de perfection, ou enfin extrêmement favorisé par la fortune. » Ces dernières appréciations montrent sur le vif l’état d’esprit dans lequel le livre a été écrit : épris de son héros, Roscoë a écrit son panégyrique plus encore que son histoire, disposition extrêmement utile à l’intérêt d’un livre, mais nuisible à la vérité historique. Quoi qu’en dise l’auteur, il n’était pas besoin de réhabiliter Léon X comme artiste ; il était impossible de le justifier complètement comme homme et comme pape.

Léon X (portrait de), chef-d’œuvre de Raphaël, au palais Pitti, à Florence. Le pontife, en robe de damas blanc, camail et toque de velours pourpre, est assis dans un fauteuil, devant une table recouverte d’un tapis rouge et sur laquelle sont posés une sonnette d’argent richement ciselé et un bréviaire orné de miniatures. Il a la main droite posée sur ce livre et tient de la main gauche la loupe qu’il portait constamment avec lui et qui lui était indispensable pour reconnaître les objets. À sa droite est debout le cardinal Jules de Médicis (depuis Clément VII), son neveu ; à sa gauche, le cardinal Louis de Rossi, son autre neveu, qui pose les mains sur le dossier du fauteuil. Le fond est formé par un morceau d’architecture avec une arcade ouverte à droite.

Pour la beauté à la puissance de la couleur, comme pour le naturel et la force de l’expression, ce tableau peut être considéré comme un des chefs-d’œuvre de l’art du portrait. « Quand on l’a vu, dit M. Marius Chaumelin, on ne s’explique guère que certains auteurs aient pu prétendre que Raphaël n’était pas coloriste. Les tons rouges des vêtements et du tapis, les blancs si habilement variés de la robe de Damas, la lumière qui éclaire les objets posés sur la table, ont une vigueur et une richesse extrêmes et se fondent dans une harmonie merveilleuse. » Les trois figures sont vivantes. Le pontife est bien l’homme de goût, d’esprit et de plaisir, le robuste et énorme personnage que nous ont fait connaître les biographes ; sa physionomie pleine de finesse, de mobilité, contraste avec la lourdeur du corps. Les deux cardinaux ont l’air de moines respectueux et béats, attendant les ordres de leur chef spirituel. Jules de Médicis a dans les yeux, dans le mouvement des lèvres entr’ouvertes, quelque chose de souple, d’insinuant, d’astucieux. Rossi a l’air moins courtisan et moins intrigant. Les deux neveux sont d’ailleurs traités d’une manière moins minutieuse que la figure du pape. « La tête de Jules de Médicis, dit Passavant, est d’une exécution plus rapide, quoiqu’elle soit aussi étudiée et parfaite de caractère ; le cardinal de Rossi paraît avoir été gêné lorsqu’il posait pour son portrait, car sa contenance est un peu embarrassée. » Le même écrivain ajoute : « Raphaël s’est en quelque sorte surpassé lui-même dans cette œuvre qui, sous tous les rapports, occupe une place unique. Les figures y vivent, la lumière y joue, tout semble s’y mouvoir. Grandeur, vérité, style, couleur, exécution, tout y est porté à une perfection sans pareille. » On raconte que ce portrait ayant été placé, pendant qu’on le vernissait, sur une terrasse au soleil, les passants s’inclinaient croyant saluer le pape. On dit aussi que le président de la chancellerie, Baldassare Turini, fut tellement illusionné par la peinture, qu’il s’agenouilla devant elle en présentant une plume et de l’encre à l’image de Léon X pour lui faire signer quelques bulles.

Cette peinture de Raphaël, enlevée au Pitti en 1797, fut transportée à Paris où on la nettoya, non sans quelque dommage pour son intégrité. Elle fut rendue à Florence en 1815. Elle a été gravée par Dom. Picchianti, F. Morel, F. Lignon, S. Jesi, Chataigner, etc.

Vasari, dans la vie d’Andréa del Sarto, rapporte que le duc Federico de Mantoue, étant venu à Florence en 1525, y admira tellement le portrait de Léon X et de ses neveux, que l’un de ceux-ci, qui était alors pape sous le nom de Clément VII, fit la promesse de le lui envoyer. Ottaviano de Médicis, chargé par le pontife de faire cet envoi au duc, retint le tableau quelque temps encore, sous prétexte de faire exécuter un nouveau cadre, et fit peindre par Andréa del Sarto une copie du chef-d’œuvre de Raphaël. Cette copie fut adressée au duc de Mantoue qui la reçut avec une joie extrême, la prenant pour l’original, et en vérité elle était si fidèle, que Jules Romain lui-même y fut trompé. Plus tard Vasari, qui avait fait son apprentissage dans l’atelier d’Andréa del Sarto et qui l’avait vu travailler à cette reproduction, vint k Mantoue où Jules Romain la lui fit voir, en la lui désignant comme une des plus belles œuvres du Sanzio. « Cet ouvrage est de la plus grande beauté, mais il n’est pas de la main de Raphaël. — Comment ! il n’est pas de la main de Raphaël ! s’écria Jules ; est-ce que je ne le sais pas mieux que vous, et ne reconnais-je pas moi-même les coups de pinceau que j’y ai donnés ? — Vous êtes dans l’erreur, répliqua Vasari, il est de la main d’Andréa del Sarto, et vous pouvez voir la marque qu’on a mise derrière le tableau afin de le faire reconnaître au besoin. » Jules Romain, ayant constaté la présence de cette marque, fit un mouvement d’épaules en disant : « Je ne l’estime pas moins que s’il était de la main de Raphaël, et même je l’estime encore plus, car il y a peu d’exemples qu’un grand maître puisse en imiter un autre aussi fidèlement. » Cette admirable copie passa plus tard dans la galerie Farnèse, à Parme, et par héritage ensuite au roi de Naples. Elle se trouve actuellement au musée des Études.

Une autre copie très-belle, mais qui a poussé au noir, existe en Angleterre. Passavant pense que ce pourrait bien être celle que Vasari exécuta, comme il nous l’apprend lui-même, pour Ottaviano de Médicis.

Une excellente copie, exécutée il y a quelques années par Steuben, fait partie de la collection publique récemment fondée (1873) à Paris sous le titre de Musée Européen.