Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/GRANIER DE CASSAGNAC (Paul), publiciste, fils du précédent

Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 4p. 1456).

GRANIER DE CASSAGNAC (Paul), publiciste, fils du précédent, né à la Guadeloupe le 2 décembre 1842. Il vint très-jeune en France, commença ses études à Paris et les acheva en province, fit une première année de droit à Toulouse, et fut reçu licencié à Paris. Malgré le désir de son père, il ne voulut ni se faire inscrire au tableau des avocats ni entrer dans l’administration ; sa vocation le poussait vers le journalisme, et il ne tarda pas à s’y faire une bruyante notoriété par les emportements de sa plume et par de nombreux duels. En 1862, il fonda l’Indépendance parisienne ; l’année suivante, il entra à la Nation, dont son père était le rédacteur en chef, mais il était relégué aux comptes rendus bibliographiques et tenu loin de la polémique journalière ; ainsi l’exigeait la volonté paternelle. Il ne pouvait se résigner à ce rôle obscur, et il entra au Diogène, feuille satirique, avec les rédacteurs de laquelle il avait failli avoir une affaire. Il y montra un talent incisif et gouailleur qui était tout à fait à sa place, et ses attitudes provocantes montraient qu’il devait étudier l’escrime aussi bien ou mieux encore que les lois du style. Dans un duel qu’il eut avec Aurélien Scholl, rédacteur du Nain jaune, à propos de l’affaire du marquis de Harlay-Coëtquen, il le blessa grièvement. C’était le premier de ces grands coups d’épée qui lui ont fait une renommée toute spéciale. À la suite de cette campagne, M. Granier de Cassagnac essaya encore une fois de retirer son fils du journalisme, et le fit attacher au ministère de l’intérieur ; mais appelé, en 1866, à la direction du Pays, et désespérant d’arrêter une vocation si bien caractérisée, il se l’adjoignit comme chroniqueur quotidien. L’année suivante, éclata à la Chambre la dénonciation Kervéguen, et M. Paul de Cassagnac s’en donna à cœur joie dans son journal. Même après que le jury d’honneur, convoqué de l’assentiment de toutes les parties, eut statué et déclaré que l’accusation de vénalité, portée contre MM. Havin, Guéroult, Bertin, Buloz et autres, était dénuée de preuves sérieuses, il n’en continua pas moins la polémique. Cité en police correctionnelle, comme diffamateur, par M. Guéroult, il se vit condamner, par M. Delesvaux lui-même, à quatre mois de prison, et se plaignit hautement alors de ces lois qui ne permettent pas de faire la preuve des faits ; mais quoi ! M. de Cassagnac père n’a-t-il pas toujours invoqué le bénéfice de ces mêmes lois ? S’en est-il une seule fois rapporté à la décision d’un jury d’honneur devant lequel ses adversaires eussent pu fournir, eux aussi, la preuve de leurs accusations ? Il n’appartenait donc pas à M. Paul de Cassagnac de tomber à bras raccourci sur des gens qui, du moins, en s’en référant à un jury et en permettant la publication des pièces, s’il y en avait, ont fait pour leur justification ce que M. Granier de Cassagnac n’a jamais tait pour la sienne. L’empereur, du reste, lui fit remise de ses quatre mois de prison, au nom de l’égalité de tous devant la loi.

Son père ayant été chargé, comme délégué de la Chambre, d’une enquête agricole dans le Midi, M. Paul de Cassagnac l’accompagna en qualité de secrétaire, et publia une relation édifiante de cette tournée. Nous y lisons le passage suivant : « Dans la bonne ville d’Auch se trouve un certain personnage que je ne nommerai pas, quoiqu’il ait une certaine parenté, de nom du moins, avec un des sept sages de la Grèce. (C’était un M. Solon, magistrat respecté.) Ce personnage ayant commis une insolence vis-à-vis de votre serviteur, je lui ai interdit, sous des peines sévères, le séjour de sa ville natale, pendant tout le temps que je daignerais y rester. Inutile de vous dire qu’il a obtempéré à mon désir avec une prudence parfaite et digne de son homonyme, le sage de la Grèce. » Ainsi voyageaient ces proconsuls impériaux, certains de l’impunité, quoi qu’ils pussent faire. C’était alors le bon temps, le temps si amèrement regretté depuis.

Devenu rédacteur en chef du Pays, M. Paul da Cassagnac se fit de nouveau condamner comme diffamateur, cette fois vis-à-vis de M. Malespine, de l’Opinion nationale (janvier 1867), à deux mois d’emprisonnement, peine qu’il ne subit pas plus que la précédente. Cette même année, il entreprit la tâche si difficile de défendre son père, vigoureusement attaqué par le Courrier français. Ce journal, que dirigeait alors Vermorel, publiait chaque jour une pièce authentique à l’appui des accusations qu’il portait contre le député du Gers. C’était le cas de convoquer un jury d’honneur, qui eût décidé de la validité de ces documents ; M. de Cassagnac père n’en fit rien ; il se retrancha derrière les lois sur la diffamation, qui défendent la preuve des faits allégués, et fit condamner ses adversaires par la police correctionnelle, tandis que M. Paul de Cassagnac essayait vainement de leur imposer silence en les appelant sur le terrain. N’y pouvant parvenir, il recourut contre Vermorel à des voies de fait indignes, qui n’eurent d’autre résultat que de l’amener encore devant la police correctionnelle. Nous ne dirons rien du duel du rédacteur du Pays avec Rochefort, si ce n’est qu’il eut lieu à propos de Jeanne Darc et que Rochefort fut blessé. Dans toutes ces affaires, M. Paul de Cassagnac avait été le provocateur ; provoqué à son tour par le lieutenant de vaisseau Lullier, ce fut lui cette fois qui subit les voies de fait, et il refusa de se battre. Trois mois après, il se battait avec M. Lissagaray, son cousin germain, qui reçut un coup d’épée en pleine poitrine, et, en juillet 1869, il eut avec Gustave Flourens un duel dans lequel celui-ci reçut trois blessures, dont l’une mit ses jours en danger. Peu de temps après, comme il assistait à une représentation de Lucrèce Borgia, à la Porte-Saint-Martin, sa présence occasionna, pendant les entr’actes, un tumulte indescriptible ; il raconta gravement dans le Pays du lendemain que la salle avait été spécialement composée, triée pour lui. Vers cette époque, il refusa encore un duel exceptionnel avec M. Gaillard père, qui lui proposait de se battre au pistolet, à bout portant, avec une seule arme chargée. M. Paul de Cassagnac a, du reste, toujours refusé les duels dans lesquels son adresse à l’escrime aurait pu être annulée.

Au 15 août 1868, M. Paul de Cassagnac avait été décoré de la Légion d’honneur ; il se déclara le chevalier de l’impératrice : Moriamur pro rege uostro Maria-Eugenia, écrivit-il sur son drapeau, en parodiant une devise célèbre. Comme publiciste politique, il montra quelle était la profondeur de ses vues en prêchant l’annexion de la Belgique à la France, en réclamant la frontière du Rhin, en poussant à la guerre contre la Prusse avec une extrême violence, d’abord à propos de la question du Luxembourg, puis à propos de la question espagnole. À la suite des premiers revers, en août 1870, il déposa la plume et s’engagea dans un régiment de zouaves. Fait prisonnier à Sedan, il fut interné dans la forteresse de Cosel, sur la frontière de Pologne. Ce fut de là qu’il écrivit, le 2 février 1871, au Messager du midi, une lettre dont nous extrayons ce passage : « Le rôle de l’empereur est irrévocablement fini ; le rôle du prince impérial ne saurait commencer. La France n’a besoin ni d’un vieillard ni d’un enfant. Au milieu des ruines de mon pays, je n’ai plus de passion dynastique, je n’ai que la passion patriotique et française… J’ignore si la France rappellera les Bonaparte ; mais ce rappel, je ne le souhaite pas, le jugeant fatal peut-être, et tout au moins prématuré, pour cette dynastie que j’aimerai toujours. »

En reprenant la rédaction en chef du Pays, il a totalement changé d’idée à ce sujet, et la restauration de l’Empire, par un appel au peuple, n’a cessé d’être l’objet de ses vœux les plus ardents. Demandant au gouvernement actuel, dans un de ses premiers articles, le droit de défendre ses opinions, « ne nous forcez pas, s’écria-t-il, à nous jeter dans les maquis, la plume au poing. » Ces hommes de l’Empire sont toujours stupéfaits de voir qu’un gouvernement ne bâillonne pas ses adversaires. En toute occasion, il n’a cessé de débiter sur les hommes du 4 septembre les extravagances les plus bouffonnes, tout en ayant recours à l’occasion, lui ou les siens, aux bons offices de ces hommes. Ainsi, tout dernièrement, il parlait du brigand Gambetta, « roulant sur la France son œil de cyclope, » et du bourreau Testelin, qui attend le moment de nous étrangler tous. C’est cependant de ce même brigand et de ce même bourreau que son frère, simple brigadier évadé de Sedan, allait fort poliment solliciter les passe-ports sans lesquels il n’eût pu circuler. « Monsieur de Cassagnac, lui répondit M. Testelin, nous ne faisons pas de politique ici, mais simplement du patriotisme. Je ne vois en vous qu’un Français qui demande à se battre pour la France. Voilà votre permis, vous pouvez partir, et que Dieu vous garde ! » À Tours, Gambetta lui tint à peu près le même langage et le nomma sur-le-champ sous-lieutenant de cavalerie. Pour une fois qu’un Cassagnac s’est adressé aux républicains, on voit s’il a eu trop à s’en plaindre. Le journaliste du Pays leur a témoigné depuis sa reconnaissance. À une séance du conseil général du Gers, dont il fait partie depuis 1869, il dit aux membres républicains ces propres paroles : « Vous êtes un tas de c...ll... de ne pas nous avoir envoyés tous à Cayenne ; si jamais nous redevenons les maîtres, nous ne vous manquerons pas. » Il a lui-même raconté la chose et cité la phrase dans le Pays.