Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/France (Histoire de), par l’abbé Velly


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France (Histoire de), par l’abbé Velly (1762, 7 vol. in-12). Cette Histoire de France, très-prônée à son apparition par les jésuites, amis de l’auteur, et destinée à remplacer celles de Mézeray et du P. Daniel, a essuyé les plus vertes critiques de l’abbé Lebeuf, des journalistes de Trévoux et de Nounotte. Voltaire, si peu ménager d’éloges envers ceux qui n’étaient pas ses ennemis, tout en louant quelques morceaux bien faits, trouve que le style de Velly n’est pas toujours à la hauteur de son sujet et qu’il n’a pas assez profité des sources précieuses inconnues à ses devanciers. Dans son Année littéraire de 1760, Fréron loue l’abbé Velly « d’avoir débrouillé le chaos des commencements de notre monarchie. » — « L’histoire des deux premières races de nos rois, dit-il, était d’une confusion et d’une sécheresse qui rebutaient le lecteur le plus patient. L’abbé Velly a su répandre, sur ces siècles obscurs de la lumière, de l’ordre et de l’intérêt ; c’est sans contredit le morceau le plus brillant et le plus utile de son travail, parce que c’était le plus nécessaire et le plus difficile. » Notre siècle n’a pas ratifié ces éloges, et il est inutile de dire que les travaux d’Augustin Thierry, de Michelet et de Henri Martin ont mis, dans les premiers siècles de notre histoire, incomparablement plus d’ordre et de clarté. L’abbé Velly manque entièrement de la véritable compréhension historique de ces temps. Dominé par les préjugés et les mœurs de son époque, non-seulement il se refuse à. voir l’élection maîtresse du trône, sous les mérovingiens, et voit dans Clodion et dans Chilpéric des princes «qui montent sur le trône de leurs pères ;» dans les rudes guerriers chevelus qui les entourent « des seigneurs françois ; » mais il profite à peine des sources historiques qu’il avait sous la main, Grégoire de Tours, Frédégaire, Sidoine Apollinaire, et nullement des vastes travaux d’érudition de dom Bouquet : Hecueil de relations et de pièces originales, parus de 1738 à 1752, et qui ont été pour les historiens de nos jours des mines si fécondes. Voici, par exemple, comment il raconte le règne de Pharamond, dont l’histoire véritable ne peut rien nous dire. « Honorius régnait en Occident, Théodose le Jeune en Orient, lorsque les Français passèrent le Rhin et pillèrent la ville de Trêves sous la conduite de Pharamond. C’est inutilement que quelques historiens ont eu recours à la fable pour relever l’éclat de la naissance de ce prince. Il était roi d’un peuple qui n’a jamais obéi qu’aux descendants de ses premiers maîtres ; ce titre auguste prouve invinciblement l’antiquité de la race. Ce fut vers l’an 420 qu’il fut élevé sur un bouclier, montré à toute l’armée et reconnu chef de la nation : c’était toute l’inauguration de nos anciens rois. C’est aussi tout ce qu’on sait de certain sur son règne ; on ignore ses autres exploits, le temps de sa mort, le lieu de sa sépulture et le nom de la reine son épouse. »

C’est avec la même inintelligence historique qu’est expliquée l’invasion du roi Clodion, que les Romains surprirent « au milieu des fêtes par lesquelles il célébrait le mariage d’un grand seigneur de son armée. » Mais le chef-d’œuvre est l’histoire de Chilpéric. « Chilpéric fut un prince à grandes aventures… Une conspiration générale le renverse du trône de ses pères ; il y remonte glorieusement, rappelé par les vœux et les respects de toute la nation. C’était l’homme le mieux fait de tout son royaume. Il avait de l’esprit et du courage ; mais, né avec un cœur tendre, il s’abandonnait trop à l’amour. Ce fut la cause de sa perte. Les seigneurs fançais, aussi sensibles à l’outrage que leurs femmes l’avaient été aux charmes de ce prince, se liguèrent pour le détrôner. » Tout cela pour dire, comme le remarque Aug. Thierry, qu’il avait insulté les filles des Francs. Poursuivant cette « histoire si romanesque, » l’auteur nous montre Chilpéric à la cour du roi de Thuringe, épris des charmes de Basine, « qui était belle et avait de l’esprit ; trop sensible à ce double avantage de la nature, il l’épousa, au grand scandale des gens qui réclamaient les droits sacrés de l’hyménée et les liens inviolables de l’amitié. »

Ah ! qu’en termes galants ces choses-là sont mises !

C’est l’histoire d’un Louis XIV du ve siècle avec une La Vallière de son temps, écrite par quelque Grégoire de Tours bel esprit. En outre, les proportions sont mal gardées. Les règnes de la première race et ceux de Pépin et de Charlemagne n’occupent qu’un petit in-12, ce qui est bien peu ; le deuxième va de Charlemagne à Philippe Ier, et le troisième poursuit jusqu’à la mort de Philippe-Auguste. Une pareille rapidité est plus digne d’un sommaire que d’une histoire complète. L’auteur fut arrêté par la mort au septième volume, à la fin du règne de Philippe de Valois.

La partie vraiment neuve de l’Histoire de France de l’abbé Velly est l’étude, jusque-là négligée, des institutions et de l’ancienne législation de la France. Mézeray et le P. Daniel, le premier plus pittoresque, le second plus studieux pour tout ce qui se rapporte aux choses de la guerre, avaient presque entièrement laissé de côté cette partie vraiment intéressante de notre histoire. Les travaux de l’abbé Velly, bien surpassés maintenant, restent les premiers en date et sont toujours bons à consulter, au moins comme ensemble. On y rencontre sans doute bien des remarques qui, aujourd’hui, paraîtraient bizarres ; par exemple, l’historien constate que, sous Clovis, on ne connaissait ni les fraises ni les collets, et que les dames françaises d’alors ne paraissent pas avoir porté de dentelles. Cependant, il serait injuste de ne pas reconnaître chez lui une préoccupation véritable des textes, des lois, dos monuments archéologiques et iconographiques, des médailles et monnaies, sources précieuses d’où l’on a tiré depuis tant de renseignements, et dont on soupçonnait à peine la valeur au xviie et au xviiie siècle.

L’ouvrage de l’abbé Velly a été continué par Villaret, qui l’a poussé de 1329 (Philippe de Valois) à 1469 (Louis XI) ; surpris par la mort, il eut lui-même pour continuateur Garnier, qui s’arrêta à la moitié du règne de Charles IX (1564). Il écrivait en pleine Révolution et ne voulut pas, dit-on, contribuer à la ruine de la royauté en publiant les faits odieux que lui révélaient ses recherches.

Sous la Restauration, Dufau continua Garnier et poussa cette histoire de France jusqu’à la mort de Henri IV ; c’est un travail estimable (1810, 6 vol. in-12) ; enfin, Fantin des Odoarts, compilateur que l’on rencontre dans toutes les spéculations de librairie dé ce temps, rédigea 26 volumes destinés à compléter tous ces historiens (Histoire de France depuis la mort de Henri IV jusqu’à celle de Louis XVI). L’œuvre primitive de Velly et de ses deux premiers continuateurs, Villaret et Garnier, auxquels on joint ordinairement l’Avant-Clavis de Laureau, une collection de portraits en 8 volumes, un atlas géographique et les Tables de Rondonneau, forme un ensemble de 35 volumes.


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