Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/ESTRÉES (Jean duc D’), vice-amiral, maréchal de France, duc et pair, fils du précédent

Administration du grand dictionnaire universel (7, part. 3p. 987).

ESTRÉES (Jean duc D’), vice-amiral, maréchal de France, duc et pair, fils du précédent, né en 1624, mort à Paris en 1707. Il servit d’abord comme volontaire dans l’armée de terre. Pourvu bientôt d’un brevet de colonel, la seconde année de l’avènement de Louis XIV, il montra la plus grande intrépidité au siège de Gravelines par Gaston d’Orléans, oncle du roi, et reçut même en cette circonstance deux blessures qui le laissèrent estropié de la main et du bras droits. D’Estrées assista ensuite à la grande victoire que Condé remporta, le 20 août 1648, à Lens sur les impériaux et les Espagnols. Élevé l’année suivante au grade de maréchal de camp, il prit part, en cette qualité, aux guerres civiles de la Fronde, et servit dans l’armée royale au blocus de Paris et à l’attaque du pont de Charenton. À Arras, dans la mémorable journée du 25 août 1654, il força l’un des premiers les lignes des impériaux et des Espagnols commandés par Condé, et contraignit celui-ci à lever le siège de la place. Nommé lieutenant général à la suite de cette affaire, il couvrit, en 1656, la retraite de Turenne, forcé à son tour par Condé de lever le siège de Valenciennes, et fut fait prisonnier avec le maréchal de La Ferté.

À la conclusion de la paix des Pyrénées (1659), d’Estrées revint en France et songea à entrer dans la marine, vers laquelle commençaient à se tourner les efforts sérieux de Louis XIV et de ses ministres. Toutefois, la guerre s’étant rallumée entre la France et l’Espagne, et l’Angleterre s’en étant mêlée, Jean d'Estrées servit encore quelque temps sur terre et accompagna Louis XIV et Turenne dans la glorieuse campagne de Flandre. Peu après, d’Estrées, quittant décidément les camps pour la mer, obtint d’être envoyé avec une escadre en Amérique pour s’y opposer aux tentatives des Anglais sur les colonies françaises. Mais il avait été prévenu par le commandeur de Sales, neveu de saint François de Sales, qui avait battu les ennemis dans l’île Saint-Christophe, et par le lieutenant général Lefèvre de La Barre, qui avait remporté, en 1667, une victoire signalée sur une escadre anglaise. Jean d’Estrées n’en fut pas moins, à son retour d’Amérique, en 1669, nommé vice-amiral. L’année suivante, il fut envoyé sur les côtes de l’Afrique occidentale avec le vieux Duquesne pour second. L’illustre amiral parut médiocrement satisfait de se voir placé, après ses longs services, sous les ordres d’un gentilhomme, brave sans doute, mais peu expérimenté, et d’Estrées eut plus d’une fois à supporter ses boutades.

La guerre ayant éclaté en 1671 entre Louis XIV et Charles II d’Angleterre d’une part, et la république des Provinces-Unies de l’autre, le vice-amiral d’Estrées fut chargé du commandement de l’escadre blanche de la flotte anglo-française. À la bataille navale de Southwold, le 7 juin 1672, il soutint avec valeur le choc de l’avant-garde hollandaise, commandée par le lieutenant-amiral Baukaert, ce qui n’empêcha pas les Anglais de l’accuser, ou plutôt d’accuser Louis XIV d’avoir donné des ordres pour laisser détruire la flotte anglaise, accusation qui ne paraît pas être entièrement dénuée de fondement ; car il est présumable que les intentions de Louis XIV étaient de ruiner l’une par l’autre les deux marines hollandaise et anglaise. Quoi qu’il en soit, la victoire resta incertaine, et la nuit sépara les deux flottes. En 1673, à la bataille de Walcheren, livrée à un an d’intervalle, jour pour jour, par les flottes confédérées de France et d’Angleterre aux Hollandais, d’Estrées, toujours à la tête de l’escadre blanche, mais placée alors au corps de bataille, eut affaire à Ruyter et à Corneille Tromp. Ce jour-là, on ne put plus l’accuser de mollesse ni d’indécision. Ce fut par son escadre que l’action commença et par elle aussi qu’elle finit. Le contre-amiral Spragg, à l’arrière-garde, aurait succombé sous les efforts de Tromp, si d’Estrées ne s’était joint au prince Rupert pour le dégager. Ruyter dut battre en retraite, ce qu’il fit en bon ordre, du reste. Sept jours plus tard, le 14 juin, eut lieu une troisième bataille, qui commença tard et que la nuit, qui survint bientôt, rendit fort indécise. Les Anglais, volontairement ou non, secondèrent fort mal à leur tour leurs alliés, et d’Estrées dut se dégager avec ses propres forces d’une position assez critique où l’avait mis l’abandon des Anglais. Il se plaignit vivement au prince Rupert et fit infliger un blâme sévère au contre—amiral Spragg. Enfin, le 11 août de la même année, une quatrième bataille fut livrée, indécise comme les trois précédentes. D’Estrées se trouva, avec l’avant-garde, opposé à Baukaert. Il soutint le choc victorieusement ; mais le prince Rupert et le contre-amiral Spragg, vivement pressés, le premier par Ruyter et le second par Tromp, étaient sur le point d’être battus si d’Estrées n’était enfin venu les dégager.

C’est à la suite de cette rude campagne que d’Estrées, rondant hommage à l’admirable génie de son principal adversaire, écrivit à Colbert que Ruyter lui avait donné de belles leçons et qu’il payerait « volontiers de sa vie la gloire que ce grand maître dans l’art de la marine venait de s’acquérir. » L’alliance anglo-française ne pouvait durer, avec les soupçons qui régnaient des deux côtés. Aussi, en 1674, Charles II ayant fait la paix avec la Hollande, d’Estrées fut chargé d'aller dans les mers d’Amérique avec une escadre de six vaisseaux et trois frégates pour y continuer la lutte contre l’escadre du vice-amiral hollandais Binkes. Arrivé en Amérique en décembre 1676, d’Estrées débuta par reprendre, l’épée à la main, l’île de Cayenne, dont les Hollandais s’étaient emparés. Au mois de février de l’année suivante, il cingla vers l’île de Tabago, dans le port de laquelle se trouvait embossée l’escadre de Binkes. Il débarqua des troupes pour investir le fort de Tabago par terre, et lui-même força l’entrée du port pour aller offrir le combat aux Hollandais. Le Glorieux, vaisseau amiral français, arriva droit sur le vaisseau contre-amiral hollandais, l’aborda et l’enleva en moins d’un quart d’heure ; mais l’incendie causé par le feu épouvantable des batteries de la côte et de tous les vaisseaux des deux escadres, qui, rassemblés sur un étroit espace, se canonnaient à bout portant, ne tarda pas à se mettre sur le vaisseau contre-amiral d’où il se communiqua au Glorieux. Grièvement blessé à la tête en deux endroits, d’Estrées ne fut sauvé que par le dévouement d’un garde-marine nommé Bertier et d’un matelot, qui se jetèrent à la nage et allèrent enlever une chaloupe aux Hollandais jusque sous l’éperon d’un de leurs vaisseaux. La perte des Français fut grande dans cette journée, mais celle des Hollandais plus grande encore ; de leur escadre il ne resta que deux vaisseaux, entièrement désemparés. Toutefois, d’Estrées renonça pour cette année à conquérir Tabago. Il fit voile vers la Grenade, y établit un hôpital pour les blessés, y fit radouber son escadre, gagna la Martinique, puis revint en France au mois de juin 1677.

À la fin de cette même année, il se remit à la mer et cingla vers Tabago. En chemin, il enleva aux Hollandais, dans l’Afrique occidentale, les îles d’Arguin et de Gorée, ainsi que les comptoirs de Rufisque, de Portudal et de Jaal. Le 7 décembre, il mouilla devant Tabago, dont il s’empara sans rencontrer d’obstacle sérieux. La garnison se rendit prisonnière de guerre. Après ce premier succès, d’Estrées voulut enlever Curaçao, la dernière île que possédassent les Hollandais aux Antilles ; mais son opiniâtreté et son inexpérience maritime amenèrent une catastrophe épouvantable. Les dix-sept vaisseaux qui formaient son escadre touchèrent pendant la nuit, au mois de mai 1678, sur les rochers des îles d’Aves, Un seul vaisseau, une flûte de charge, deux brûlots et l’hôpital de l’armée échappèrent au naufrage. Ils servirent à recueillir les équipages, avec l’aide du célèbre flibustier Grammont, qui survint fort à propos. Toutefois, 300 hommes périrent dans ce naufrage. Malgré cette déplorable catastrophe, le vainqueur de Tabago fut nommé, trois ans après le glorieux traité de Nimègue, en 1681, maréchal de France. Il est le premier marin français qui ait été revêtu de cette dignité ; il n’en garda pas moins celle de vice-amiral du Ponant, dont il obtint même la survivance pour son fils, Victor-Marie d’Estrées.

En 1686, le maréchal d’Estrées reçut l’ordre de bombarder Tripoli de Barbarie, comme Duquesne l’avait fait d’Alger. Les Tripolitains demandèrent bientôt la paix. D’Estrées exigea d’eux qu’ils payassent les frais de la guerre et rendissent les esclaves chrétiens. Il alla ensuite menacer Tunis, qui demanda la paix et rendit aussi les chrétiens enlevés par les corsaires de cette ville. Enfin, en 1688, les Algériens ayant recommencé les hostilités, d’Estrées fut envoyé contre eux au mois de juin et bombarda la ville. Ce fut sa dernière expédition. Nommé chevalier du Saint-Esprit et vice-roi d’Amérique, titre, du reste, purement-honorifique, d’Estrées fut enfin chargé du gouvernement de Bretagne. Plusieurs lettres du duc d’Estrées ont été publiées par M. Monmerqué à la suite des Mémoires du marquis de Villette.