Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/DUGAZON (Jean-Baptiste-Henri GOURGAUD, dit), célèbre comédien français

Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 4p. 1357).

DUGAZON (Jean-Baptiste-Henri Gourgaud, dit), célèbre comédien français, né à Paris en 1746, mort en 1S09. Il était fils d’un acteur de province, qui s’était produit sans succès à la Comédie-Française. Ses sœurs, M’io Dugazon et Mme Vestris, parurent sur la même scène avant qu’il n’y débutât le 29 avril 1771 par les rôles de Crispin dans le Légataire universel et de lord Houzey dans le Français à Londres. 11 fut reçu définitivement l’année suivante. Les vieux habitués accueillirent avec faveur le nouveau venu, quoique Préville occupât à cette époque 1 emploi dans lequel il débutait.

« Dugazon, dit Lemazurier, fut incontestablement, après la mort de Préville, le valet le plus comique de notre théâtre. Le talent d’acteur, inné chez lui et comme comprimé dans son ûmo, semblait & chaque instant faire explosion au dehors, et l’on ne devait pas s’étonner qu’un acteur entraîné par une verve aussi brûlante ne fût pas constamment en état d’en modérer les élans et de s’arrêter aux bornes posées par le goût, plus excusable du moins quand il les dépassait que tant d’acteurs qui, ne pouvant les atteindre, préfèrent souvent le talent de frapper fort à l’art difficile de frapper juste.... Naturel au suprême degré, Dugazon manquait de distinction, qualité, du reste, superflue chez les véritables comiques. Lors de la formation de l’école de-déclamation, en 1786, il fut attaché à cet établissement en même temps que Mole et Fleury. Il obtint la même place au Conservatoire, lors de sa première organisation, et compta parmi ses élèves Ta]ma et Lafon. Dugazon quitta, en 1791, le théâtre du faubourg Saint-Germain pour entrer rue de Richelieu. Six ans plus tard, il suivit ses anciens camarades au théâtre Feydeau. On ne tarda pas à oublier le zèle un peu excessif que Dugazon avait témoigné pour les idées révolutionnaires, et tous les partis s’unirent pour acclamer le grand artiste sans se préoccuper des opinions du citoyen. Le 24 avril 1809, il joua Figaro du Barbier de Séoille, et ce fut la’ dernière fois qu’il parut sur le théâtre, terminant sa carrière par le rôle où il se montra le plus faible. Depuis quelques années, sa santé déclinait, sa’ constitution avait été altérée par un goût immodéré des plaisirs. Vers cette époque, il donna des marques visibles d’aliénation : -on le vit faire des dépenses inutiles et ridicules, s’entourer d’orseaux de toutes les espèces, et consacrer tout son temps, toute son intelligence au bien-être de cette famille emplumée. Vers la fin du mois de septembre 1809, Dugazon voulut, malgré les vives instances de ses amis, aller habiter quelques jours une ferme qu’il possédait à Sandillon, village situé près d’Orléans. Une courte maladie l’emporta dés son arrivée à la ferme.

Cet acteur était tellement l’enfant gâté du public qu’il pouvait se permettre avec lui les mystifications les plus excentriques. En 1793, un soir que l’on jouait Othello et qu’il se trouvait dans les coulisses, il paria avec ses camarades que lui, le Crispin de profession, il se faisait fort de remplir le rôle d’Othello et de s’y faire applaudir. Naturellement le pari fut tenu. C’était entre

le deuxième et le troisième acte. Il revêt le manteau rouge d’Othello et fait lever la toile ; alors il s’avance en capitan jusque sur le bord de la scène. Les spectateurs se taisent ; les yeux hagards et fixés sur la rampe, Dugazon fait entendre d’une voix caverneuse les mots suivants : « Un quinquet ! deux quinquets ! trois quinquets !... » et ainsi jusqu’à « dix quinquets ! » en marchant et en imprimant à chaque exclamation une vigueur ascendante si bien accentuée, si sérieuse, qu’il tient l’auditoire stupéfait et comme enchaîné sob.s la pression d’une puissance magnétique. La scène jouée, Dugazon se drape avec fierté et s’éloigne en héros qu’agiterait la passion la plus fougueuse ; Alors un tonnerre d’applaudissements l’accompagne.

Dugazon était aussi auteur ; on lui doit les pièces suivantes : VAvènement de Mustapha au trône ou le Bonnet de vérité, comédie en un acte et en vers, représentée sur le théâtre de la République le 11 octobre 1792 (Dugazon n’en avait fait, dit-on, que les couplets : le reste était de M. R....) ; l’Èmigranle ou le Père jacobin, comédie en trois actes et en

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vers (théâtre de la République, 25 octobre 1792) ; le Modéré, comédie en un acte et en vers (théâtre de la République, 30 octobre 1793). Il a ajouté deux scènes bouffonnes à la comédie de Fagan, intitulée : les Originaux, celle du maître de langue italienne et celle du maître de danse, scènes dont le principal mérite consistait à servir de canevas aux fantaisies de l’acteur.

Donnons maintenant la liste des principaux rôles créés par Dugazon l la Jeunesse, dans 1er Barbier de Sévitle ; Lafleur, dans le Célibataire, comédie de Dorât ; le précepteur, dans VÉgoïsme ; le notaire, dans 1 impatient ; M. Germain, dans le Flatteur ; Sophanès, dans le Séducteur ; M. de Crac, dans la pièce de ce nom ; Fougères, dans VIntrigue épistolaire ; le Régent, dans les Amis de collège ; Sans-Quartier, dans le Chanoine de Milan ; Antoine Kerlobon, dans les Héritiers : Frontin, dans Caroline ou le Tableau, etc. Reprises importantes : Mascarille, de l’Etourdi ; Scapin, des Fourberies de Scapin ; Sganarelle, du Festin de Pierre ; Frontin, dans le Muet ; Turcaret ; Desmazures, de InFausse Agnès ; le baron de La Garouffière, dans l’Homme singulier ; le rôle à travestissement, dans lo Mercure galant ; M. Jourdain, dans le Bourgeois gentilhomme ; Dubois, dans les Fausses confidences ; Jodelet, dans Jodelet maître et valet ; Crispin, du Légataire universel ; le Ménechme bourru, dans les Ménechmes ; Crispin, dans les Folies amoureuses ; Pasquin, dans le Triple mariage ; Crispin, dans le Chevalier à la mode, etc.