Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CÉSAR (LES) ou le Banquet, satire de l’empereur Julien

Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 3p. 808).

Césars (les) ou le Banquet, satire de l’empereur Julien, composée sans doute à Antioche, en 363. Si l’on en croit quelques auteurs, cet ouvrage n’est pas le même que celui dont Julien semble faire mention dans le quatrième discours en l’honneur du Soleil roi. Suidas, en effet, cite un passage qui ne se trouve pas dans la satire des Césars telle que nous la possédons ; mais il est probable que le texte actuel présente des lacunes. Comment, s’il n’en était pas ainsi, Julien, qui cite tous les empereurs, même Vindex, Galba, Othon, Vitellius, aurait-il passé sous silence les huit princes qui ont régné avant Claude II ?

Voici le cadre choisi par l’écrivain : Pendant les saturnales, Romulus fait un festin auquel il invite les dieux et les Césars. Les lits des immortels sont placés dans l’Olympe, au plus haut des cieux ; ceux des empereurs, un peu au-dessous de la lune, dans la région supérieure de l’air. Les anciens maîtres du monde passent successivement devant l’assemblée des dieux, sous le feu des plaisanteries de Silène, qui joue ici le rôle de la critique indépendante et railleuse. Le joyeux précepteur de Bacchus met à nu, d’un seul trait vif et piquant, les travers, les vices et les crimes de chacun d’eux. L’ambition sans frein de Jules César, l’hypocrisie d’Auguste, les débauches de Tibère, les folies et la cruauté de Catigula, l’imbécile nullité de Claude, les ridicules parades et les forfaits de Néron, sont tour à tour stigmatisés. Silène flétrit l’avarice de Vespasien, les dérèglements de la jeunesse de Titus, les honteuses amours de Trajan et d’Adrien ; il blâme sans ménagement la funeste condescendance de Mare-Aurèle envers son fils et son épouse, et la faiblesse d’Alexandre Sévère pour une mère avide d’or et de pouvoir. Commode, Caracalla, Héliogabale, ces monstres couronnés qui regardaient le monde comme une proie à dévorer, sont livrés au fouet. Rien n’échappe à la censure ; à peine Julien fait-il grâce à Claude II, ce barbare dont il se glorifie d’être le descendant, et à Dioclétien, l’auteur de la fortune de sa famille. Philosophe et empereur, il juge surtout en philosophe les princes auxquels il a succédé, et presque toujours ses jugements sont équitables et conformes aux arrêts de l’histoire.

Dès que les Césars ont pris place au festin, Quirinus propose d’admettre au rang des dieux celui d’entre eux qui sera jugé le plus digne de cette faveur. Jupiter y consent ; mais, à la demande d’Hercule, il décide qu’Alexandre sera aussi admis à faire valoir ses droits. Chacun des concurrents plaide sa cause avec chaleur ; le roi de Macédoine dispute au premier des Césars la légitimité de ses titres à la renommée ; Auguste, Trajan, Marc-Aurèle et Constantin prétendent aussi aux honneurs de la divinité ; chacun d’eux fait valoir ses titres et s’efforce de rabaisser la gloire de ses rivaux. Le débat est admirablement conduit ; les caractères y sont dessinés avec une sûreté et une délicatesse qui décèlent un goût exquis et un esprit des plus cultivés ; les plus hautes réputations y sont posées et discutées avec une liberté d’esprit et une hauteur de vues qui étonnent chez un empereur. L’austère philosophe dissipe d’un souffle cette fumée des grandeurs humaines auxquelles tant d’ombres illustres ont attaché leur gloire ; la fastueuse renommée de Pompée s’évanouit comme un songe ; le vainqueur de Pharsale, maître du monde, n’est pas assez puissant pour conquérir l’affection des Romains ; le héros macédonien devient un homme ordinaire, qu’une blessure peut mettre hors de combat, qu’une coupe de vin rend insensé et furieux. Des faiblesses vulgaires, des crimes odieux, des débauches sans nom ternissent la gloire de ces puissants monarques que Rome avait déifiés. Après avoir entendu César, Alexandre et leurs concurrents réclamer une place dans l’Olympe, on se demande s’il y en a un seul parmi eux dont la vie justifie les prétentions. L’auteur a jugé en faveur de Marc-Aurèle. On ne peut nier que ce stoïcien n’ait des droits à la préférence ; mais Julien, dans son admiration exclusive, l’a fait plus grand que les dieux eux-mêmes. En revanche, Constantin n’y est pas flatté ; mais cet homme sanguinaire, hypocrite, efféminé, couvert de crimes, méritait peut-être moins de ménagements encore que ne lui en a accordé une de ses victimes, celui dont il avait fait massacrer toute la famille par ses soldats.

Ce livre suffirait à prouver, ce qu’on sait d’ailleurs, que Julien fut un des esprits de son temps les plus brillants, les plus élevés et les plus éminemment philosophiques. Ce prince avait fait de solides études à Athènes, en compagnie de saint Basile et de saint Grégoire. de Nazianze. Voici le jugement qu’en porte M. Ph. Chasles : « Julien, dit-il, doué d’une âme haute, d’un esprit noble et du talent le plus brillant, combine dans son style, sur lequel se joue un reflet oriental, la manière de Lucien et de Xénophon. Sa lutte contre un siècle entraîné vers le christianisme a nui à son talent, que l’on a trop oublié, et qui s’est comme englouti dans le torrent de la civilisation nouvelle qui triomphait. »

Les Césars de l’empereur Julien ont été publiés pour la première fois par Cantoclarus, en grec et en latin (Paris, 1577). Les éditions les plus recherchées sont celles de Heusinger (Gotha, 1736), et deHarless (Erlangen, 1785).