Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BOURGOGNE (HÔTEL DE)

Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 3p. 1131).

BOURGOGNE (hôtel de). Cet hôtel, dont nous n’avons plus qu’un curieux reste, la tour dont nous parlerons tout à l’heure, s’élevait rue Pavée-Saint-Sauveur (aujourd’hui rue du Petit-Lion, n° 23). Originairement bâti pour les comtes d’Artois, il était situé non loin des murs de Philippe-Auguste, lesquels bornaient l’espace où il était renfermé. Lorsque cette enceinte fut reculée de ce côté, l’hôtel d’Artois s’étendit dans la rue Mauconseil jusque vis-à-vis Saint-Jacques de l’Hôpital. Marguerite, comtesse d’Artois et de Flandre, qui en était alors propriétaire, l’apporta en dot à Philippe le Hardi, fils du roi Jean, qui fut la tige de la nouvelle maison de Bourgogne, si fatale à la France. L’hôtel de Bourgogne devint bientôt l’habitation favorite du trop fameux Jean sans Peur, qui abandonna pour lui l’hôtel de Flandre. Ses successeurs l’imitèrent et s’y installèrent définitivement. Cet hôtel servit donc de séjour aux ducs de Bourgogne jusqu’à la chute et la mort de Charles le Téméraire (1477), époque où il devint l’habitation de certains particuliers privilégiés, que la faveur royale logeait dans les demeures de la couronne. Un édit de François Ier du 20 septembre 1543 en prescrivit la démolition pour cause de vétusté. Il n’en demeura debout qu’une grosse tour quadrangulaire. Quant au terrain, morcelé en diverses parts, un sieur Jean Rouvet en acquit la majeure partie, qu’il vendit à son tour aux confrères de la Passion, lesquels y construisirent aussitôt la salle connue sous le nom de Théâtre de l’hôtel de Bourgogne. (V. ci-après.)

La grosse tour quadrangulaire, qui a survécu à la destruction de l’hôtel proprement dit, subsiste encore. C’est un curieux document, un échantillon précieux de l’importance qu’avaient au xve siècle ces vieilles demeures princières. Elle est énorme, construite en pierres de taille solidement cimentées, soigneusement appareillées : l’édifice est percé de baies ogivales, et couronné de mâchicoulis. À l’intérieur, un large escalier à vis monte en serpentant, partant d’une haute salle voûtée en ogive, qui, aujourd’hui, se divise en étages. Sur cet escalier s’ouvrent des portes carrées, bordées de moulures, et des fenêtres de même forme y projettent la lumière. Les degrés tournent autour d’une colonne terminée par un chapiteau d’un ordre fort simple. Mais de ce chapiteau, servant de support, part une caisse ronde en pierre, cerclée d’un triple anneau double et sur laquelle s’élance et serpente un curieux travail de sculpture : ce sont les tiges d’un chêne vigoureux ; les branches en décrivent quatre travées d’ogives, et le feuillage couvre la voûte dans toute son étendue. C’est un monument unique dans l’art de l’ornementation, d’une élégance et d’une légèreté rares. Deux rabots et un fil à plomb, sculptés au milieu de fleurons gothiques dans le tympan ogival d’une baie extérieure, indiquent d’une manière à peu près certaine la date de la construction : Jean sans Peur, par opposition aux bâtons noueux du duc d’Orléans, avait en effet des rabots pour orgueilleux emblèmes. Si Jean sans Peur n’en a pas posé la première pierre, du moins est-il hors de doute qu’elle ne peut remonter plus haut qu’à son père, le duc Philippe le Hardi. C’était dans cette tour que Jean, le mal nommé, couchait, entouré d’un véritable arsenal d’armes, l’oreille au guet, éveillé et debout au moindre bruit ; c’est de cette tour, son repaire, qu’il dirigea les scènes sanglantes qui portèrent le désordre dans Paris sous le roi Charles VI, l’assassinat du duc d’Orléans, etc.

La rue du Petit-Lion, sur le parcours de laquelle on rencontre cette tour célèbre, derrière la halle aux cuirs, qui occupe aujourd’hui l’emplacement de l’ancien hôtel de Bourgogne, est tombée sous le marteau des démolisseurs pour le percement du prolongement de la rue Turbigo ; la tour de Jean sans Peur reste debout, et elle formera, dit-on, le centre d’un square analogue à celui de la tour Saint-Jacques-la-Boucherie.