Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BOTHWELL (John HEPBURN, comte DE), seigneur écossais

Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 3p. 1037-1038).

BOTHWELL (John Hepburn, comte de), seigneur écossais, célèbre dans l’histoire de Marie Stuart, dont il fut le champion, le ravisseur, l’époux, et qui, enveloppé dans sa fatale destinée, alla mourir prisonnier dans un château isolé du Danemark en 1578. Fidèle partisan de Marie de Lorraine, il prit part à la guerre civile qui éclata sous sa régence (1559-1560) et contribua vaillamment au succès des troupes royales. Marie Stuart étant montée sur le trône, il embrassa énergiquement sa cause ; mais une querelle avec le comte Murray, frère naturel de la jeune reine, l’ayant obligé de quitter le royaume, il se rendit d’abord en France, puis en Norvège, où il épousa, à Bergen, Anna, fille de Christophe, de la maison de Benkestok. De retour avec elle en France, il dissipa follement sa dot et disparut laissant sa femme retourner dans sa famille.

Murray ayant pris les armes contre sa sœur (1565), Bothwell fut rappelé en Écosse, où, investi par la reine d’un grand commandement, il ne tarda pas à subjuguer ses ennemis. Nommé, en récompense de ses services, gouverneur du château de Dunbar, dans le voisinage duquel il possédait des domaines patrimoniaux considérables, il épousa, le 22 février 1566, sans se soucier du mariage qu’il avait déjà contracté en Norvège, mariage inconnu en Écosse, Jane Gordon, sœur du comte d’Huntly ; puis, sous les auspices de Marie, une sorte de réconciliation eut lieu entre lui et Murray.

Dans le courant de la même année (9 mars 1566) et au commencement de l’année suivante (9 février 1567), un double assassinat, celui de David Riccio et celui de Darnley, vint donner un nouvel aliment à la haine farouche des ennemis de la reine d’Écosse. Impliqué de complicité dans le second, Bothwell, accompagné d'une troupe nombreuse, se présenta devant le tribunal institué pour le juger et fut absous. Peu de temps après (24 avril), ayant enlevé de force Marie Stuart, il la conduisit au château de Dunbar, et son divorce avec Jane Gordon ayant été prononcé, il l’épousa solennellement à Édimbourg le 15 mai. Dès ce moment, la perte de Marie Stuart fut résolue ; en effet, le 24 juillet, l’infortunée reine, incarcérée dans le château de Lochleven, signait, contrainte par ses implacables ennemis, son acte d’abdication ; l’échafaud devait terminer, vingt ans plus tard, sa lugubre existence.

Quant à Bothwell, il se retira d’abord librement au château de Dunbar. Mais, bientôt, la tempête se déchaîna contre lui. Déclaré par les lords écossais déchu de son rang, titres et dignités, il vit, en outre, sa tête mise à prix. Il se réfugia alors aux Îles Orcades et Shetland, dont il avait été créé duc héréditaire peu avant son mariage avec la reine. Une escadre, envoyée d’Écosse à sa poursuite, le força de les abandonner. Il prit la mer avec deux vaisseaux et se dirigea vers le Danemark ; mais, capturé par un bâtiment de guerre danois, dont le capitaine Christian Aalborg ne voulut voir en lui, malgré toutes ses assurances, qu’un dangereux pirate, il fut amené à Bergen. Là il retrouva Anna Benkestok, qui lui intenta un procès en bigamie. Il lui céda, pour qu’elle retirât sa plainte, le plus petit de ses vaisseaux, y compris la cargaison, et lui promit une rente viagère de 100 dollars, que naturellement elle ne toucha jamais. Puis le gouverneur Erik Rosenkrandz le fit comparaître devant une commission de vingt-trois membres. Bothwell répondit aux questions qu’elle lui posa avec une certaine hauteur. Chose singulière ! on trouva parmi ses papiers l’acte du parlement qui mettait sa tête à prix. Sur les conclusions de la commission, il fut envoyé à Copenhague.

Le roi Frédéric II, se trouvant alors dans le Jutland, y fut informé de l’arrivée du prisonnier par les ministres qui, en attendant de nouveaux ordres, l’avaient fait enfermer au château. En même temps, Bothwell lui écrivit une lettre en français, dans laquelle il prétendait ne s’être mis en route pour le Danemark qu’à l’instigation de la reine d’Écosse et de ses principaux lords, dans le but d’y exposer au roi sa triste situation et d’implorer son secours, mais qu’une tempête, l’ayant jeté sur les côtes de Norvège, il y avait été arrêté et retenu captif deux mois et demi ; sur quoi, il priait le roi de lui faire connaître son avis et sa résolution. Il signa cette lettre : James, duc des Orcades.

Si l’on remarque qu’à l’époque dont il s’agit (1567) et longtemps encore après, le Danemark ne cessa de revendiquer les Îles Orcades et Shetland, non aliénées, mais à l’occasion du mariage de Jacques III avec la fille de Christian 1er livrées à l’Écosse, en garantie de la dot de cette princesse (1469), on conçoit l’effet qu’une telle lettre produisit sur Frédéric II, et le prix qu’il dut attacher à un prisonnier de l’importance de celui qui était tombé entre ses mains. N’avait-il pas là nn moyen d’exercer au profit de sa couronne une sérieuse influence sur les affaires d’Écosse ? Cette considération suffirait seule pour expliquer sa résistance opiniâtre aux demandes d’extradition dont il fut assiégé par les gouvernements d’Écosse et d’Angleterre ; elle expliquerait aussi sa conduite à l’égard du comte de Bothwell.

Par une mesure prise le 28 décembre 1567, le roi lui assigna pour prison le château de Malmœ en Scanie ; mais, loin d’y être traité avec rigueur, il y était entretenu d’une manière conforme a son rang. En outre, il y avait la facilité de correspondre avec ses anus et ses parents d’Écosse et d’Angleterre, et si l’on en croit un document récemment publié, il entretenait des relations suivies avec Marie Stuart elle-même, relations dans lesquelles s’agitaient des questions politiques de la plus haute importance et où figurait, entre autres, un projet de rétrocession au Danemark des îles Orcades et Shetland, en retour du secours qu’il aurait fourni. Les ministres danois favorisèrent activement ces relations en en protégeant le secret. Ceci se passait dans le temps où la cause de Marie Stuart n’était pas encore désespérée ; Bothwell pouvait être regardé comme un instrument utile. Mais, dès que cette cause sembla irrévocablement perdue, le sort de Bothwell changea tout à coup. Frédéric II se refroidit à son égard ; un instant même, il se montra disposé à consentir à son extradition. Dans tous les cas, il l’enleva de la commode prison de Malmœ pour le transporter dans l’austère château de Dragsholm, aujourd’hui Adelersborg (16 juin 1573). Le chevalier Dautray, ministre de France à Copenhague, frappé de cette mesure, en fit part à la cour (28 juin) dans les termes suivants : « Le roi de Danemark avait jusqu’ici bien traité le comte do Bothwell ; mais il l’a fait enfermer, il y a quelques jours, dans une étroite et misérable prison. » Une fois là, le roi chercha à l’oublier et à le faire oublier.

Bothwell demeura à Dragsholm jusqu’à sa mort, qui eut lieu le 14 avril 1578. Cette dernière période de sa captivité a été l’occasion de bien des récits tenant plutôt de la légende que de l’histoire. On a raconté, par exemple, que, jeté dans une cave profonde, enchaîné à un anneau de fer fixé au mur, il était devenu fou. Plusieurs écrivains, ignorant son changement de prison, le font mourir à Malmœ, entre 1575 et 1576, ajoutant qu’au moment de sa mort, il formula, en présence de témoins, une déclaration dans laquelle il s’accusa du meurtre de Darnley, nomma ses complices et innocenta complètement Marie Stuart. L’auteur d’un récent et remarquable ouvrage (Marie Stuart et le comte de Bothwell, par L. Wiesener, 1863), consacré à la justification de la reine d’Écosse, attache une grande importance à cette déclaration, dont il cite la double analyse française et anglaise. Toutefois, son authenticité est loin, ce nous semble, d’être suffisamment établie. D’abord, on la date de Malmœ et du moment de la mort de Bothwell dans ce château, entre 1575 et 1576 ; or Bothwell est mort au château de Dragsholm en 1578. Ensuite, parmi les témoins, il en est un, sinon plus, savoir Otto Braw ou Brahe, dont on doit récuser le témoignage, Otto Brahe étant mort le 9 mai 1571, c’est-à-dire quatre ans avant la déclaration à laquelle il aurait soi-disant assisté. La cause de Marie Stuart peut heureusement s’étayer d’arguments plus solides.

Bothwell fut inhumé, suivant l’usage observé alors pour les grands personnages, dans l’intérieur de l’église de Faareveile, voisine du château de Dragsholm. Il eût été peu équitable, en effet, de lui refuser après sa mort cette sorte d’honneur ; car, bien que prisonnier d’État, Bothwell n’en était pas moins l’époux d’une reine encore vivante ; d’ailleurs, sa captivité en Danemark n’avait été, en aucune façon, provoquée par la justice du pays. Le 31 mai 1858, à la demande de la légation anglaise à Copenhague, son tombeau fut ouvert ; on y trouva un simple cercueil de sapin sans nom, sans inscription, avec un cadavre momifié, enseveli aristocratiquement, mais dans lequel il serait impossible de reconnaître celui du comte de Bothwell, si une tradition conservée de génération en génération parmi les habitants de Faareveile n’aidait à constater l’identité.