Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BOTHWELL (BATAILLE DE)

Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 3p. 1037).

BOTHWELL (bataille de). On connaît les troubles politiques et religieux qui agitèrent l’Écosse longtemps encore après la mort de Charles Ier, et sous le règne même de son fils, Charles II. Le duc de Monmouth, fils naturel de ce dernier, fut envoyé dans ce pays avec le titre de gouverneur ; mais sa présence ne parvint point à calmer l’irritation croissante des covenantaires ou presbytériens, qui, poussés à bout par l’excès de l’oppression, assassinèrent le primat d’Écosse et s’insurgèrent contre le gouvernement qui pesait sur eux. À cette nouvelle, le duc de Monmouth marcha contre eux à la tête de quelques troupes anglaises, et alla camper dans la plaine de Bothwell-Moor, près de la Clyde, rivière au delà de laquelle était assis le camp des covenantaires, qui avaient placé une forte garde à la tête du pont de Bothwell. Rien de plus curieux que le récit des incidents, aujourd’hui tragicomiques, qui précédèrent la bataille ; il faut les lire surtout dans Walter Scott, l’historien le plus coloré et le plus fidèle peut-être, sous sa forme romanesque, de ces temps d’exaltation furibonde et de fanatisme échevelé, où toutes les dénominations se puisaient dans la Bible, comme, sous notre République, on sacrifiait à la fièvre patriotique en s’appelant Brutus, Caton, Mucius Scaevola, Curtius, Decius, e tutti quanti ; tant il est vrai que les révolutions les plus terribles ont leur côté ridicule ; aussi les noms d’Habacuc, d’Achab, d’Athalie, de Babylone, retentissaient tumultueusement dans le camp des presbytériens, tandis que, chez les Anglais, une froide discipline réglait tous les mouvements. Chez les premiers, néanmoins, quelques chefs intelligents, bien convaincus qu’il ne suffisait pas d’appeler l’ennemi Satan ou Bélial pour l’engloutir dans les abîmes qui avaient dévoré Coré, Dathan et Abiron, avaient fait quelques préparatifs de défense au pont de Bothwell, par lequel les Anglais devaient venir à eux. Bientôt, en effet, les presbytériens virent l’infanterie ennemie se déployer en bon ordre, flanquée à droite et à gauche d’une cavalerie redoutable, et des artilleurs établir une batterie de canons pour foudroyer le camp de l’autre rive de la Clyde. Aux bruyantes clameurs bibliques qui venaient de se faire entendre succéda alors un profond silence ; tous ces énergumènes semblaient frappés de terreur et se regardaient les uns les autres, puis reportaient les yeux sur leurs chefs, avec cet air d’abattement qu’on remarque chez un malade qui sort d’un accès de frénésie.

Les Anglais attaquent enfin le pont avec vigueur. Deux régiments des gardes à pied, se formant en colonne serrée, marchèrent sur la Clyde ; l’un, se déployant sur la rive droite, commença un feu meurtrier sur les défenseurs du passage, tandis que l’autre cherchait à occuper le pont. Les presbytériens, malgré le découragement qu’ils venaient de manifester, soutinrent vigoureusement cette attaque, et répondirent au feu des assaillants par des décharges continuelles, qui firent essuyer de grandes pertes aux troupes royalistes et les contraignirent par deux fois à reculer. Monté sur un superbe cheval blanc, Monmouth, de l’autre côté de la rivière, pressait, encourageait ses soldats. Les canons, qui avaient été jusqu’alors employés à inquiéter le camp principal des covenantaires, furent tournés contre le pont et ses défenseurs ; mais les rebelles, abrités par un taillis ou protégés par des maisons, combattaient à couvert, pendant que les royalistes étaient exposés de toutes parts. Monmouth, voyant l’ardeur de ses troupes se refroidir, descendit alors de cheval, rallia ses gardes et les conduisit à un nouvel assaut, pendant qu’un de ses généraux, s’élançant à la tête d un corps de montagnards du clan de Lennox, se précipitait sur le pont en faisant retentir son cri de guerre. Malheureusement pour les défenseurs du pont, les munitions commencèrent à leur manquer ; après en avoir inutilement envoyé demander au principal corps des presbytériens, qui restait inactif dans la plaine, ils durent ralentir leur feu, au moment même où celui des Anglais devenait plus nourri et plus meurtrier. Ceux-ci parvinrent enfin à s’établir au milieu du pont, et écartèrent tout ce qui s’opposait à leur marche, arrachant et jetant dans la rivière les poutres, les troncs d’arbre et les autres matériaux que les rebelles y avaient accumulés en forme de barricade. Ils restèrent alors maîtres du pont, et l’armée anglaise tout entière put le traverser pour se déployer en ordre de bataille dans la plaine. La cavalerie royale commença alors à charger les covenantaires, tandis que deux divisions d’infanterie menaçaient leurs flancs. Les rebelles se trouvaient dans cette situation où l’imminence d’une attaque suffit pour imprimer une terreur panique ; le découragement les rendit incapables de soutenir cette charge de cavalerie exécutée avec l’appareil le plus terrible des combats. la rapidité des chevaux, l’ébranlement de la terre sous leurs pas, les éclats des sabres, le balancement des panaches et les clameurs des cavaliers. Le premier rang fit à peine une décharge de mousqueterie, et, dès ce moment, le champ de bataille n’offrit plus qu’une scène d’horreur et de confusion. Les presbytériens, enfoncés de toutes parts, ne songèrent même plus à se défendre et jetèrent leurs armes pour rendre leur fuite plus facile et plus rapide : un corps de douze cents rebelles jeta ses armes à l’approche de Monmouth et se rendit à discrétion ; le duc leur fit grâce de la vie, puis il parcourut le champ de bataille et ordonna de cesser le carnage (1679). La journée de Bothwell fut pour les presbytériens un coup dont ils ne se relevèrent jamais.