Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Attila (tragédie de werner)

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 3p. 896).

Attila, tragédie romantique de Werner, le célèbre auteur du Vingt-quatre février. Cette tragédie est une des productions les plus parfaites et les plus originales de cet écrivain. Il « prend l’histoire du Fléau de Dieu au moment de son arrivée devant Rome. Le premier acte commence par les gémissements des femmes et des enfants qui s’échappent d’Aquilée en cendres ; et cette exposition, non-seulement excite l’intérêt dès les premiers vers, mais donne tout de suite une idée terrible de la puissance d’Attila. À ses côtés, marche une princesse de Bourgogne, Hildegonde, qui doit l’épouser et dont il Se croit aimé. Cette princesse nourrit un profond sentiment de vengeance contre lui, parce qu’il a tué son père et son amant. Elle ne veut s’unir à lui que pour l’assassiner ; et, par un singulier raffinement de haine, elle lui a prodigué ses soins lorsqu’il était blessé, de peur qu’il ne mourût de la mort glorieuse du soldat. Cette femme, sorte de furie, attachée sous des traits doux aux pas d’un tyran, produit un grand effet. Enfin paraît le terrible Attila ; il s’assied au milieu des débris fumants des palais qu’il vient de renverser, et semble à lui seul chargé d’accomplir en un jour l’œuvre vengeresse, du temps. « Il a, dit Mme de Staël, comme une sorte de superstition envers lui-même ; il est l’objet de son culte ; il croit en lui ; il se regarde comme l’instrument des décrets du ciel, et cette conviction mêle un certain système d’équité à ses violences. Il reproche à ses ennemis leurs crimes, comme s’il n’en avait pas commis plus qu’eux tous ; il est féroce, et néanmoins c’est un barbare généreux ; il est despote, et se montre pourtant fidèle à sa promesse ; enfin, au milieu des richesses, il vit comme un soldat. » Bientôt Attila constitue un tribunal sur la place publique et juge sommairement les délits qui sont portes devant lui. Il condamne son ami coupable de parjure, l’embrasse en pleurant, mais ordonne qu’il soit immédiatement livré aux exécuteurs. Enfin on amène & ses pieds un fratricide, et, comme lui-même a tué son frère, le remords le saisit, il détourne la tête-et n’ose condamner le coupable. Le second acte nous transporte à la cour de Valentinien, à Rome. L’auteur semble avoir emprunté le style de Tacite, pour peindre avec autant de sagacité que de profondeur là frivolité du jeune empereur, qui, au sein des plaisirs, oublie le danger qui menace son empire ; la violence et la vanité de l’impératrice mère, qui sacrifie l’État à ses rancunes particulières, et cependant se prête à toutes les bassesses aussitôt qu’un danger personnel vient la menacer ; et les courtisans, qui, à la veille de la ruine générale, intriguent encore pour se nuire mutuellement.

Au milieu de ces caractères frivoles ou bas, apparaît le pape Léon, une des grandes figures de l’histoire, ainsi que la princesse Honoria, à laquelle Attila veut rendre son héritage. Honoria est secrètement éprise du farouche conquérant, et son caractère, en opposition avec celui d’Hildegonde, indique suffisamment le rôle qu’elle doit jouer’auprès d’Attila. L’intérêt croît avec la marche des événements. Attila, après avoir défait les troupes de Valentinien, marche sur Rome, dont il va s’emparer, lorsque le pape Léon, dans tout l’éclat de la pompe sacerdotale, vient le sommer au nom de Dieu de ne pas pénétrer dans le siège de la chrétienté ; le discours de Léon est un hymne plein de grandeur et d’enthousiasme. Attila, frappé d’une terreur superstitieuse, rétrograde aussitôt avec son armée. < On voudrait que la tragédie finit là, de Staël, et il y aurait déjà initié peut-être dans la théorie mystique de l’amour, conduit la princesse Honoria dans le camp d’Attila, la’nuit même où Hildegonde l’épouse et l’assassine. Le pape, qui sait d’avance cet événement, le prédit sans l’empêcher, parce qu’il faut que le sort d’Attila s’accomplisse. Honoris et le pape Léon prient sur le théâtre pour Attila. La pièce finit par des actions de grâces, et, s’élevant vers le ciel comme un encens de poésie, elle s’évapore au lieu de se terminer. »

On ne saurait trop louer le talent poétique de Werner dans ce drame. Il y a déployé tous les secrets de l’harmonie, et toute la souplesse, tout le charme d’une diction qui n’a jamais été surpassée.