Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Athos (mont)

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 3p. 863-864).

ATHOS (Mont), montagne et promontoiro de la Turquie d’Europe, à l’extrémité S^-E. de la presqu’île de Salonique, ancienne Çludridique entre les golfes de Monte-Santo et de Contessa. C’est PHagion-Oros des Grecs modernes ou Montagne sainte, appelée airiSi.a cause de ses dix-neuf couvents, où vivent six mille moines grecs de l’ordre de Saint-Basile, qui savent partager leur temps entre les intérêts du ciel et ceux de la terre. Le mont Athos proprement dit est un immense cône de calcaire blanc de 2,000 mètres d’altitude et de 115 kilom. de circonférence à la base : c’est ce bloc énorme que Dinocrate voulait tailler et auquel il se promettait de donner la figure d’un Alexandre gigantesque, qui, dans une de ses mains, aurait tenu une ville, et qui, de l’autre, aurait laissé couler un fleuve.

Cette montagne fait partie du promontoire rocheux qui porte le même nom et qui, dans son étroite enceinte (40 kilom. sur 6), vit naître et mourir cinq villes, dont l’histoire n’a conservé que les noms. L’isthme qui sépare ce petit promontoire du continent n’a que 2 kilom. d’étendue ; aussi, lorsque Xcrxcs, cuva- hissant la Grèce, fut arrivé avec sa flotte devant le mont Athos, le grand roi, pour éviter les dangers que ses vaisseaux auraient courus en doublant le cap, ht séparer le mont Athos de la terre ferme par un canal dont on a récemment reconnu les traces. Au centre de la presqu’île se trouve le bourg de Karyœ, résidence d’un conseil administratif financier et judiciaire, espèce de synode formé de représentants de tous les monastères. Là aussi se trouve un aga turc, qui exerce la police et perçoit le léger tribut que les moines payent a la Porte.

— La plupart des grands monastères de l’Athos furent fondés par des princes ou des princesses de l’empire de Byzance, Constantin, Théodose, Manuel et Alexis Comnène, Andronique II, Nicéphore ; les impératrices Pulchérie et Théophanie, etc. C'est là que les ambitieux mécontents de la cour de Byzance, les favoris en disgrâce, quelquefois de simples particuliers qu’une grande infortune avait frappés, venaient attendre, les uns la mort, les autres un retour de la faveur du maître. Respectés par la conquête musulmane, ces monastères, visités au XVIe siècle par le célèbre voyageur et naturaliste Belon, ’ sont restés les mêmes jusqu’à nos jours, et suivent la règle de saint Basile. La vie des religieux, distingués en pères et en novices, se partage entre les exercices de piété et différents travaux manuels, tels que la culture de la vigne et de l’olivier, l’élève des bestiaux, etc. • Entre tous les six mille caloyers, écrit Belon dans son vieux langage, à peine en pourroit-on trouver deux ou trois de chaque monastère qui sachent lire et écrire ; car les prélats de l’Église grecque et les patriarches, ennemis de la philosophie, excommunieroient tous les prêtres et religieux qui tiendroient livres et en écriroient ou liroient autres que en théologie, et donnoient à entendre aux autres hommes qu’il n’étoit licite aux chrestiens d’estudier en poésie et philosophie. » Un rapport récent, ajoute M. Uuicini, adressé au ministère de l’instruction publique, par un Grec même, confirme pleinement le témoignage de Belon. Néanmoins, chaque monastère possède une ou plusieurs bibliothèques, riches surtout en manuscrits anciens et du moyen âge, et plusieurs savants ont déjà été envoyés au mont Athos pour essayer de recueillir quelques-uns de ces précieux débris. Malheureusement, les Turcs, ayant occupé à plusieurs reprises les couvents de l’Athos, déchirèrent les manuscrits pour en fabriquer des cartouches, et dégradèrent les marbres, ainsi que la plupart des fresques qui décoraient les églises. D’un autre côté, il faut bien l’avouer, l’ignorance et la barbarie des moines le disputaient à celles des Turcs. Les Scolies d’Homère leur servaient à faire des amorces pour la pêche ; ils calfeutraient leurs portes et leurs fenêtres avec.les Vies des hommes illustres. Pouqueville parle, dans son voyage, d’un frère servant chargé de la boulangerie, qui avait brûlé, petit à petit, pour allumer son feu, une quantité considérable de manuscrits conservés dans une salle du monastère. Aujourd’hui encore, l’état d’abandon des bibliothèques de l’Athos, les volumes jetés pêle-mêle, couverts d’immondices, témoignent assez du peu de cas que font les caloyers des richesses qu’ils possèdent. Elles eussent péri entièrement, si l’attention du monde savant, excitée par les récits de quelques voyageurs, n’eût commencé à se porter vers les bibliothèques de l’Athos, Elles furent explorées à diverses reprises, mais imparfaitement, par les savants de France et d’Allemagne. En 1843, un Grec, M. Mynoïd-Mynas, fut chargé par M. Villemain, ministre de l’instruction publique, d’aller fouiller de nouveau les couvents du mont Athos, et il rapporta de cette expédition quarante ouvrages de littérature, d’histoire, de philosophie, de droit, de médecine, de liturgie. Parmi les découvertes importantes faites au mont Athos, nous citerons le précieux manuscrit des fables d’Ésope, mises en vers coliambiques par Babrius, qui servit à l’édition princeps de cet auteur par M. Boissonade ; le Guide de la peinture, d’après le manuscrit d’un moine agliorite du XVe ou du XVIe siècle ; les fresques du couvent de Sainte-Laure, d’après lesquelles Papety a exécuté de beaux dessins, etc. Le bruit que firent ces découvertes, en éclairant les moines Sur la valeur de leurs trésors, les a rendus soupçonneux, et ils se montrent aujourd’hui très-difficiles à permettre l’accès de leurs bibliothèques aux étrangers. Leur hospitalité même s’en est ressentie, et plus d’un voyageur, venu pour visiter en détail les monastères de l’Athos, a dû devancer l’époque de son départ, parce que Vhégoumène, trompé par quelque indiscrète question, avait cru reconnaître en lui un de ces missionnaires envoyés d’Angleterre et de France pour leur ravir leurs inutiles trésors et en doter le monde savant.