Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Abd-ul-hamid ii (supplément)

Administration du grand dictionnaire universel (16, part. 1p. 14).

ABD-UL-HAMID II, sultan de Turquie, né le 22 septembre 1842. Il est le second fils d’Abd-ul-Medjid, qui l’eut d’une esclave circassienne. La seconde femme de son père l’adopta, l’éleva au harem et lui laissa en mourant tous ses biens. Le jeune prince reçut une éducation qui laissait beaucoup à désirer, et son oncle Abd-ul-Aziz, devenu sultan, refusa de l’envoyer à Paris pour y suivre les cours des écoles militaires ; toutefois, il l’emmena avec lui, ainsi que son frère Mourad, en France, puis à Londres, lors de l’Exposition universelle de Paris en 1867. D’un tempérament robuste, Abd-ul-Hamid se passionna pour l’équitation, l’escrime et les exercices du corps. Ce prince semblait destiné à vivre obscurément, lorsque l’imprévu des événements le porta au pouvoir. Le 30 mai 1878, son oncle Abd-ul-Aziz, forcé d’abdiquer, était remplacé, comme sultan, par le fils aîné d’Abd-ul-Medjid, Mourad V. Mais ce prince, épuisé par les excès, ne tarda pas à donner des preuves manifestes d’une aliénation mentale incurable, au moment même où la Turquie, en guerre avec la Serbie et le Monténégro, sans finances, sans crédit, en pleine décomposition, avait besoin d’avoir à sa tête un homme d’une haute capacité. Le ministère recula quelque temps devant une nouvelle révolution de palais, et Abd-ul-Hamid, frère de Mourad, fut appelé à faire partie d’une sorte de conseil de régence. Les ouvertures faites à la Porte par les grandes puissances en faveur de la conclusion d’un armistice avec la Serbie rendant l’intervention directe du sultan absolument nécessaire, le conseil des ministres s’adressa, selon l’usage, au cheik-ul-islam pour obtenir un fetva déclarant que Mourad, étant dans l’incapacité radicale de régner, pouvait être remplacé par son successeur légitime. Le cheik-ul-islam s’empressa de signer le fetva, et, le 31 août 1876, la déchéance du sultan ayant été prononcée, son frère Abd-ul-Hamid fut proclamé comme son successeur.

Le nouveau souverain maintint à peu près intégralement au pouvoir le ministère en exercice, présidé par le grand vizir Méhémet-Ruschi-Pacha, et ceignit solennellement le sabre d’Othman le 7 septembre 1876, dans la mosquée d’Eyoub, afin de montrer qu’il est un fervent adepte de l’islamisme. Les premiers actes de ce prince, arrivé ou souverain pouvoir à l’époque la plus critique peut-être qu’ait jamais traversée l’empire ottoman, ont montré qu’il était doué d’une volonté énergique, du désir de remplacer par des économies sévères le système de folles dépenses adopté par Abd-ul-Aziz, qu’il comprenait la nécessité d’introduire des réformes sérieuses et qu’il voulait enfin la paix. Il a commencé par réduire, dans des proportions considérables, les dépenses du palais et par réformer une foule d’abus dans l’organisation impériale. Ne voulant pas être un souverain inerte, il a exigé qu’on lui rendit compte de tout ce qui se passait et déclaré qu’il tenait à ce que tous ses iradés fussent appliqués strictement et exécutés conformément à l’esprit et à la lettre de ses décisions. Rompant avec les traditions de ses prédécesseurs, on le vit visiter des casernes et prendre part au repas commun, ce qui ne s’était jamais vu jusque-là. Le 10 septembre, il adressa k son grand vizir un hait ou message, dans lequel il n’hésita pas à déclarer hautement que l’empire était dans une situation critique et à exposer les causes réelles de sa décadence, à savoir le désordre dans l’administration, le manque de confiance dans les finances de l’État, l’insuffisance des tribunaux, la négligence qu’on a apportée dans le développement de l’agriculture, du commerce et de l’industrie. Signalant la stérilité des efforts tentés pour assurer la liberté individuelle et la sécurité de tous, il attribua cet insuccès à l’inobservation des lois et règlements. Pour mettre un terme à ce déplorable état de choses, il annonça la création d’un conseil général, sorte de parlement chargé d’assurer l’exécution des lois, de surveiller le budget, l’encaissement des recettes, la régularité des dépenses. Il signala la nécessité de ne donner des emplois publics qu’à des fonctionnaires capables de les remplir et responsables à tous les degrés de la hiérarchie. Citant l’exemple de l’Europe, dont les progrès accomplis sont dus au développement de l’instruction, à la diffusion des lumières et à l’application des procédés scientifiques, il prescrivit aux ministres d’apporter à cet objet les soins les plus vigilants. Il ordonna, en outre, qu’on procédât immédiatement à la réforme administrative, financière et judiciaire des provinces. Quant à la guerre, le sultan déclara qu’elle lui causait une vive affliction, et il ordonna à ses ministres de prendre des mesures pour qu’elle prit fin.

Comme on le voit, dans ce haît, Abd-ul-Hamid manifestait les plus louables intentions. Désireux de faire la paix, il consentit à une suspension d’armes de trois semaines, après les succès remportés par son armée sur les Serbes, et se montra disposé à accepter les conditions que lui proposeraient les grandes puissances pour mettre fin à une guerre dont les conséquences pouvaient être de la plus terrible gravité. Pendant que des négociations avaient lieu entre les gouvernements anglais, autrichien et russe, les Serbes recommencèrent les hostilités. Le gouvernement russe, proposa alors à l’Autriche une intervention armée commune dans les provinces du Nord de l’empire ottoman ; mais le cabinet de Vienne, par l’organe du comte Andrassy, repoussa ces ouvertures. Pendant que la Russie faisait des préparatifs de guerre, la diplomatie proposa de nouveau à la Turquie de signer une suspension d’armes de six semaines. Abd-ul-Hamid répondit par une contre-proposition demandant qu’on étendit ce délai à six mois, pendant lesquels on aurait le temps de négocier la paix. L’empereur de Russie, d’accord avec la Serbie, repoussa formellement cette contre-proposition et prit en main la direction des négociations, que le cabinet anglais avait eue jusque-là. Son ambassadeur, le général Ignatieff, revint à Constantinople pour remettre ses lettres de créance au nouveau sultan et pour lui faire connaître les intentions de son gouvernement. En recevant l’ambassadeur en audience publique le 28 octobre, Abd-ul-Hamid lui déclara qu’il déplorait les événements qui empêchaient l’exécution de ses projets de réformes, qu’il comptait sur l’appui de la Providence pour inaugurer une nouvelle ère de paix et de prospérité pour ses États et qu’il espérait que le czar contribuerait à lui faciliter cette tâche. Quelques jours auparavant, le sultan avait fait publier un projet de firman, réglant la formation et la constitution du nouveau parlement turc.