Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/ARTAGNAN (famille D’) (Supplément 2)

Administration du grand dictionnaire universel (17, part. 1p. 359).

ARTAGNAN (famille D’). Les d’Artagnan, ou mieux d’Artaignan, sont une branche de la maison gasconne de Montesquiou-Fezenzac. En 1608, Françoise de Montesquiou, fille de Jean de Montesquiou, seigneur d’Artaignan, épousa Bertrand de Baatz, seigneur de Castelmoron ou Castelmore. De cette union naquirent deux fils : 1° Paul de Baatz, qui mourut en 1712, âgé de plus de cent ans, et qui fut gouverneur de Navarreins ; 2° Charles de Baatz, qui prit, ainsi que son frère, le nom maternel de d’Artagnan pour se distinguer de son père, appelé communément le comte de Castelmore. C’est ce dernier qui figure au premier plan dans le célèbre roman des Trois Mousquetaires. Notons que d’Artagnan est le nom d’une localité des environs de Vic-en-Bigorre, voisine d’Athos et d’Aramitz ; on sait que Dumas désigne ainsi deux des inséparables compagnons de son héros ; quant au troisième, Porthos, il avait un fils de ce nom, châtelain béarnais d’Autevielle.

Charles de Baatz de Castelmore, comte d’Artagnan, naquit en 1611 ou 1612. Sans fortune, il vint de bonne heure à Paris, où il se fit remarquer, malgré les édits, par son attitude courageuse dans de nombreux duels. Entré comme cadet dans la compagnie des gardes, il débuta dans la carrière des armes en assistant au siège d’Arras, en 1640 ; de là, il suivit en Angleterre le comte d’Harcourt, chargé de négocier une transaction entre Charles Ier et les parlementaires. Envoyé au siège de Gravelines (1644), il endossa à son retour la casaque de mousquetaire et se distingua au siège de Bourbourg (1645). En 1646, Mazarin, qui était avec le roi à Amiens, demanda à M. de Troisville deux mousquetaires sûrs, qu’il pourrait attacher à sa personne : d’Artagnan, désigné par son chef, entra donc au service du cardinal. Celui-ci, qui voulait donner à son neveu, le duc de Nevers, la charge de Troisville, mais qui ne pouvait décider celui-ci à la résigner, prit le parti de supprimer les mousquetaires ; il indemnisa le capitaine-lieutenant en lui donnant le gouvernement de Foix. Mazarin, qui avait remarqué la finesse du jeune Béarnais, l’employa à diverses missions secrètes et le récompensa en le nommant lieutenant aux gardes. D’Artagnan, croyant avoir à se plaindre de l’avarice du cardinal, feignit de vouloir le quitter et mit sa lieutenance en vente ; pour le retenir, Mazarin consentit à lui donner, moyennant 20.000 livres, un brevet de capitaine aux gardes (1654). Il le chargea alors d’aller en Angleterre pour s’y renseigner de visu sur la situation du Protecteur, dont le fils aurait été un parti très sortable pour Hortense Mancini ; mais, avant d’offrir sa nièce, le cardinal voulait être certain que la puissance du Protecteur était solidement établie. La république d’Angleterre ayant sombré, d’Artagnan fut choisi encore par le cardinal pour proposer la malheureuse Hortense à Charles II, avec une dot considérable. Inutile d’ajouter qu’il échoua dans ces deux négociations, quelque habileté qu’il y eût déployée.

Entre chacune de ces missions, le capitaine aux gardes avait assisté à différents sièges, à de nombreux combats, et s’y était distingué par son brillant courage. En 1657, les mousquetaires ayant été rétablis, d’Artagnan en fut nommé le sous-lieutenant, et comme le duc de Nevers, capitaine-lieutenant, ne s’occupait point de sa compagnie, il en fut le véritable chef. Aussi, quelque temps après la mort de Mazarin, Louis XIV lui donna-t-il la charge de l’incapable neveu du cardinal (1667). Moins de quatre mois après, au moment de partir pour la campagne de Flandres, il fut promu au grade de brigadier. Enfin, en 1672, lors de la déclaration de guerre à la Hollande, d’Artagnan devint maréchal de camp. À Maëstricht, au mois de juin 1673, il tombait pour ne plus se relever. « Pendant qu’on travaillait à la descente du fossé, le roi commanda pour cette action ses mousquetaires qu’il fit soutenir par un détachement de divers corps, le tout sous les ordres de M. de Monmouth, fils naturel du roi d’Angleterre et lieutenant général de jour. M. d’Artagnan était à leur tête : tout plia si fort devant lui qu’en moins d’une demi-heure il se vit maître de l’ouvrage. » (Quincy, Histoire militaire du règne de Louis le Grand). Bientôt, les assiégés reprirent le dessus ; ce voyant, d’Artagnan s’élança avec une telle fougue qu’il ne s’arrêta que lorsque les balles l’eurent renversé.

Pour achever la biographie de d’Artagnan, il est indispensable d’ajouter que nul n’eut autant d’intrigues nobles ou vulgaires, faciles ou dangereuses, immorales presque toujours. Galant et querelleur jusqu’au jour où Mazarin l’attacha à sa personne, il devint alors un ambitieux ; sous Louis XIV, il fut le type du gentilhomme et du courtisan du temps. Volage autant qu’homme du monde, il se maria pourtant, ayant passé la cinquantaine, avec « demoiselle Anne-Charlotte de Chaulay », qui, jalouse à l’excès, le quitta au bout de quelque temps pour se retirer dans un couvent. Louis XIV et la reine, le dauphin et Mlle de Montpensier tinrent sur les fonts baptismaux les deux enfants issus de cette union tardive : par cette marque d’honneur, le roi entendait récompenser le courage vraiment extraordinaire du Gascon. C’est d’Artagnan qui avait procédé à l’arrestation de Fouquet.

Deux cousins germains de d’Artagnan ont acquis quelque notoriété. Le premier est Pierre de Montesquiou, maréchal d’Artagnan (1640(?)-1725), qui commanda à Malplaquet, comme lieutenant général, une partie de l’infanterie et reçut son bâton de maréchal à la suite de cette malheureuse journée ; le second est Joseph de Montesquiou, comte d’Artagnan (1650-1729), capitaine-lieutenant des mousquetaires, lieutenant général des armées du roi, gouverneur des ville et château de Nîmes.