Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes/Le Violon
CHAPITRE 2e.
INSTRUMENTS À ARCHET.
LE VIOLON.
Les quatre cordes du Violon sont ordinairement accordées par quintes comme il suit :
La corde haute, le Mi, s’appelle aussi du nom de chanterelle, généralement admis.
Ces cordes, lorsque les doigts de la main gauche n’en modifient pas le son en raccourcissant plus ou moins la portion que l’archet met en vibration, s’appellent cordes à vide. On indique les notes qui doivent être faites à vide par un o placé au dessus d’elles.
Quelques grands virtuoses et compositeurs n’ont pas cru devoir s’astreindre à cette manière d’accorder le Violon. Paganini, pour donner plus d’éclat à l’instrument haussait toutes les cordes d’un demi ton, et, transposant en conséquence la partie récitante, il jouait en Ré naturel quand l’orchestre était en Mi bémol, en La naturel quand l’orchestre était en Si bémol, &c., conservant ainsi la plupart de ses cordes à vide, dont la sonorité est plus grande que celles sur lesquelles les doigts sont appuyés, dans des tons où elles n’auraient pu figurer avec l’accord ordinaire.
De Bériot hausse souvent d’un ton le Sol seulement dans ses concertos.
Baillot, au contraire, baissait quelquefois le Sol d’un demi ton pour des effets doux et graves.
Winter a même employé, au lieu du Sol, le Fa naturel, dans la même intention.
Eu égard au point d’habileté où sont aujourd’hui parvenus nos jeunes violonistes, voici l’étendue qu’on peut donner au violon dans un orchestre bien composé :
Les grands virtuoses portent encore de quelques notes au delà l’étendue du Violon dans le haut, et on peut, même à l’orchestre, obtenir une beaucoup plus grande acuïté au moyen des sons harmoniques dont nous parlerons tout à l’heure.
Les trilles sont praticables sur tous les degrés de cette vaste échelle de trois octaves et demie ; mais il faut redouter l’extrême difficulté de ceux qu’on placerait sur les trois dernières notes suraigues La, Si, Ut, je crois même qu’à l’orchestre il serait prudent de ne pas les employer.
Il faut éviter aussi autant que possible le trille mineur sur la 4e corde, du Sol au La bémol, il est dur et d’un effet peu agréable.
Les accords de deux, trois et quatre notes qu’on peut frapper ou arpèger sur le Violon sont extrêmement nombreux, et les effets qu’ils produisent assez différents entre eux.
Les accords de deux notes, résultant de ce qu’on appelle la double-corde conviennent aux dessins mélodiques, aux phrases soutenues dans le forte ou dans le piano, comme aux accompagnements de toutes formes et au tremolo.
Les accords de trois et quatre notes au contraire, produisent un assez mauvais effet lorsqu’on les frappe, piano, ils ne paraissent riches et énergiques que dans la force, l’archet peut seulement alors attaquer les cordes avec assez d’ensemble pour les bien faire vibrer simultanément.
Il ne faut pas oublier que, sur ces trois ou quatre notes, deux au plus peuvent être soutenues, l’archet étant obligé d’abandonner les autres aussitôt après les avoir attaquées. Il est donc inutile dans un mouvement modéré ou lent, d’écrire ainsi :
Les deux notes supérieures sont seules susceptibles d’une tenue, et il vaut mieux, en ce cas, indiquer le passage de cette manière :
Tous les accords contenus entre le Sol et le Ré graves sont évidemment impossibles, puisqu’il n’y a qu’une seule corde (le Sol) pour faire entendre les deux notes. Lorsqu’on a besoin d’une harmonie dans ce point extrême de l’échelle on ne l’obtient à l’orchestre qu’en divisant les Violons ; on indique cette division par le mot italien divisi, ou les mots français divisés ou à deux écrits au dessus du passage.
Les Violons se séparent alors pour exécuter les uns la partie haute, les autres la partie basse. À partir du Ré (3e corde) tous les intervalles de seconde, de tierce, de quarte, de quinte, de sixte, de septième, d’octave, sont praticables ils deviennent seulement de plus en plus difficiles, au fur et à mesure qu’on s’élève sur les deux cordes hautes.
Avec les intervalles Chromatiques. |
Avec les intervalles Chromatiques. |
Avec les intervalles Chromatiques. |
Avec les intervalles Chromatiques. |
Avec les intervalles Chromatiques. |
Avec les intervalles Chromatiques. |
Avec les intervalles Chromatiques. |
On emploie quelquefois l’unisson en double-corde, mais, bien qu’on puisse le faire sur beaucoup d’autres notes, on a raison de se borner aux trois suivantes : Ré, La, Mi, parce que celles là seules offrent, avec la facilité nécessaire à la bonne exécution, une variété de timbre et une force de sonorité qui résultent de ce que l’une des deux cordes est à vide.
Une corde basse peut croiser une corde supérieure à vide, en suivant une marche ascendante pendant que la corde à vide reste comme pédale :
EX. | Avec les intervalles Chromatiques. |
On voit que le Ré, ici, demeure à vide pendant que la gamme ascendante s’exécute toujours sur la 4e corde.
Les intervalles de neuvième et de dixième sont faisables mais beaucoup moins aisés que les précédents ; il vaut mieux ne les écrire, pour l’orchestre, que si la corde inférieure est à vide, ils ne présentent alors aucun danger.
EXEMPLE. | Avec les intervalles Chromatiques. |
On doit éviter, comme excessivement difficiles, pour ne pas dire impossibles, les sauts en double-corde qui exigent un énorme déplacement de la main.
En général, on ne doit écrire des sauts pareils que si les deux notes supérieures
appartiennent à un accord de quatre notes qui pourrait être frappé intégralement : Ceci est faisable parce qu’on pourrait frapper à la fois les quatre notes :Dans l’exemple suivant, toutefois, les quatre notes ne pourraient être frappées simultanément qu’avec assez de difficulté, (celles du dernier accord seules exceptées) et le saut du grave à l’aigu n’en est pas moins aisé ; les deux notes inférieures étant
prises à vide, et les deux autres avec le, 1er et le 3e doigt.Parmi les accords de trois et surtout de quatre notes les meilleurs et les plus sonores sont toujours ceux qui contiennent le plus de cordes à vide. Je crois même que si l’on ne peut avoir aucune de ces cordes, pour l’accord de quatre notes, il vaut mieux se contenter de l’accord de trois notes.
Voici les plus usités, les plus sonores et les moins difficiles :
Il vaut mieux pour tous les accords marqués du signe ∅ se contenter de trois notes et supprimer le son grave.
Tous ces accords enchaînés de cette manière ne sont pas difficiles.
Ils peuvent s’exécuter en arpèges, c’est-à-dire en faisant entendre leurs notes successivement, et il en résulte souvent des effets très heureux dans le pianissimo surtout.
Il y a cependant des dessins semblables aux précédente dont les quatre notes ne pourraient, sans une extrême difficulté, être frappées à la fois et qui sont très exécutables en arpèges, au moyen du premier et du second doigts passant de la 4e corde à la 1re pour produire la note grave et la note aiguë.
En supprimant la note haute ou la note grave des exemples précédents on obtient autant d’accords de trois notes ; il faut y ajouter encore ceux qui résultent des notes diverses produites par la chanterelle au dessus des deux cordes du milieu à vide. ou par la chanterelle, et le La au dessus du Ré à vide seulement.
S’il s’agit de frapper un accord isolé, en Ré mineur ou majeur, il ne faut pas employer la disposition de la lettre A trop difficile quand elle n’est pas amenée, il vaut beaucoup mieux prendre la
suivante, très aisée et plus sonore, par l’effet des deux cordes à vide.On peut voir par les exemples précédents que tous les accords de trois notes sont possibles sur le Violon, si l’on a soin, dans ceux qui n’offrent point de corde à vide, d’écarter assez les parties pour qu’il existe entre elles un intervalle de quinte et de sixte. La sixte peut se trouver en haut ou en bas, ou des deux côtés à la fois :
Certains accords de trois notes étant praticables de deux manières il vaut toujours mieux choisir celle qui présente une corde à vide :
EXEMPLE.
BON. |
EXEMPLES
MEILLEURS. |
On peut faire les doubles trilles en tierces, à partir du premier Si bémol bas.
Mais, comme ils sont d’une exécution plus difficile que les trilles simples, et que le même effet s’obtient encore plus nettement au moyen de deux parties de Violon, il est mieux en général, de s’en abstenir à l’orchestre.
Le tremolo, simple ou double, des Violons en masse, produit plusieurs excellents effets ; il exprime le trouble, l’agitation, la terreur, dans les nuances du piano, du mezzo forte et du fortissimo, quand on le place sur une ou deux des trois cordes Sol, Ré, La, et qu’on ne le fait pas s’élever beaucoup au dessus du Si bémol du médium.
Il y a quelque chose d’orageux, de violent, dans le fortissimo, sur le médium de la chanterelle et de la 2e corde.
Il devient aérien, angélique, au contraire, si on l’emploie à plusieurs parties et pianissimo sur les notes aigues de la chanterelle.
C’est ici le cas de dire que l’usage est de diviser à l’orchestre les Violons en deux bandes, mais qu’il n’y a aucune raison de ne pas les subdiviser en deux ou en trois parties, selon le but que le compositeur se propose. Quelquefois même on peut avec succès porter le nombre des parties de Violons jusqu’à huit, soit qu’il s’agisse d’isoler de la grande masse huit Violons seuls (jouant à huit parties,) soit qu’on divise la totalité des premiers et des seconds Violons en quatre petites masses égales.
Je reviens au tremolo. L’important, pour que son effet existe complètement, c’est que le mouvement de l’archet soit assez rapide pour produire un véritable tremblement ou frémissement. Il faut donc que le compositeur l’écrive avec précision, en tenant compte de la nature du mouvement établi dans le morceau ou le tremolo se trouve ; car les exécutants, heureux d’éviter un mode d’exécution qui les fatigue ne manqueraient pas de profiter de toute la latitude qui leur serait laissée à cet égard.
Ainsi dans le mouvement Allo assai si l’on écrit pour un tremolo qui produirail n’y a rien à dire, le tremblement existera ; mais si on se contente d’indiquer aussi par des croches doubles le tremolo d’un Adagio, les exécutants ne feront que des doubles croches rigoureusement, et il en résultera, au lieu d’un tremblement, un effet d’une lourdeur
et d’une platitude détestables. Il faut écrire en ce cas : et même quelquefois, si le mouvement est encore plus lent que l’Adagio :Le tremolo du bas et du médium de la troisième et de la quatrième corde, est bien plus caractérise dans le fortissimo, si l’archet attaque les cordes près du chevalet. Dans les grands orchestres et lorsque les exécutants veulent se donner la peine de le bien rendre, il produit alors un bruit assez semblable à celui d’une rapide et puissante cascade. Il faut indiquer le mode d’exécution par ces mots : près du chevalet.
Une magnifique application de cette espèce de tremolo a été faite dans la scène de l’oracle, au premier acte de l’Alceste de Gluck.
L’effet du tremblement des 2ds Violons et Altos est là encore redouble par la progression grandiose et menaçante des Basses, le coup frappé de temps en temps par les premiers Violons, les entrées successives des instruments à vent, et enfin par le sublime Récitatif que ce bouillonnement d’orchestre accompagne. Je ne connais rien en ce genre, de plus dramatique ni de plus terrible.
Seulement, l’idée du tremolo près du chevalet, n’ayant point été exprimée par Gluck dans sa partition, ne saurait lui être attribuée. L’honneur en revient entièrement à Mr Habeneck, qui, en dirigeant au Conservatoire les études de cette étonnante scène, exigea des Violons ce mode énergique d’exécution, dont l’avantage, en pareil cas est incontestable.
On fait quelquefois usage avec succès pour certains accompagnements dramatiques d’un caractère très agité, du tremolo brisé, tantôt sur une corde :
tantôt sur deux cordes
Il y a enfin une dernière espèce de tremolo qu’on n’emploie jamais aujourd’hui, mais dont Gluck a tiré un parti admirable dans ses récitatifs, je l’appellerai tremolo ondulé. Il consiste dans l’émission peu rapide de notes liées entre elles sur le même son et sans que l’archet quitte la corde.
Pour ces accompagnements non mesurés les exécutants ne peuvent pas se rencontrer exactement dans le nombre de notes qu’ils font entendre à chaque mesure ; les uns en font plus, les autres moins, et il résulte de ces différences une sorte de fluctuation, d’indécision dans l’orchestre, parfaitement propres à rendre l’inquiétude et l’anxiété de certaines scènes. Gluck l’écrivait ainsi ou
Les coups d’archets sont d’une grande importance et influent singulièrement sur la sonorité et l’expression des traits et des mélodies. Il faut donc les indiquer avec soin, selon la nature de l’idée qu’il s’agit de rendre, avec les signes suivants :
Pour le staccato ou détaché léger, simple ou double, qui s’exécute pendant la durée d’une seule longueur d’archet, au moyen d’une succession de petits coups qui le font avancer le moins possible :
Pour le grand détaché porté, qui a pour but de donner à la corde autant de sonorité que possible, en lui permettant de vibrer seule après que l’archet l’a fortement attaquée, et qui convient surtout aux morceaux d’un caractère fier, grandiose et d’un mouvement modère :
Les notes répercutées deux, trois et quatre fois (selon la rapidité du mouvement) donnent plus de force et d’agitation au son des Violons et conviennent à beaucoup d’effets d’orchestre, dans toutes les nuances.
Cependant dans une phrase d’un mouvement large et d’un caractère vigoureux, les simples notes en grand détaché, sont d’un bien meilleur effet, quand on ne veut pas employer un vrai tremolo sur chaque note. Et le passage suivant :
sera, eu égard à la lenteur du mouvement, d’une sonorité incomparablement plus noble et plus forte que celui-ci
Les compositeurs seraient par trop minutieux, je crois, d’indiquer les mouvements de l’archet dans leurs partitions, en mettant des signes pour Tirer et Pousser, ainsi que cela se pratique dans les études et concertos de violon ; mais il est bon quand un passage exige impérieusement la légèreté, l’extrême énergie ou l’ampleur du son, de désigner le mode d’exécution par ces mots : « À la pointe de l’archet. » ou « Avec le talon de l’archet, » ou encore « Toute la longueur de l’archet sur chaque note. » Les mots « Sur le chevalet, » et « Sur la touche » indiquant la place plus ou moins rapprochée du chevalet sur laquelle l’archet doit attaquer les cordes, sont dans le même cas. Les sons métalliques un peu âpres, que tire l’archet quand on le rapproche du chevalet, différent beaucoup des sons doux, effacés, qui naissent quand on le promène sur la touche.
Dans un morceau symphonique ou l’horrible se mêle au grotesque, on a employé le bois des archets pour frapper sur les cordes. L’usage de ce moyen bizarre doit être fort rare et parfaitement motivé ; il n’a d’ailleurs de résultats sensibles que dans un grand orchestre. La multitude d’archets tombant alors précipitamment sur les cordes, produit une sorte de pétillement qu’on remarquerait à peine si les Violons étaient peu nombreux, tant est faible et courte la sonorité obtenue en pareil cas.
Les Sons harmoniques sont ceux qui naissent quand on effleure les cordes avec les doigts de la main gauche, de manière à les diviser dans leur longueur, sans que la pression des doigts soit assez forte pour les mettre en contact avec la touche, comme pour les sons ordinaires.
Ils ont un caractère singulier de douceur mystérieuse, et l’extrême acuïté de quelques uns donne au violon, dans le haut, une étendue immense. Ils sont naturels ou artificiels. Les sons harmoniques naturels se font entendre si on effleure certains points des cordes à vide. Voilà ceux qui naissent le plus sûrement et avec la meilleure sonorité sur chaque corde.
Les notes noires représentent les sons réels Harmoniques, les blanches indiquent les notes effleurées sur la corde à vide.
1re Corde
MI.
LA.
RÉ.
SOL.
Les sons harmoniques artificiels s’obtiennent très distinctement sur toute l’étendue de la gamme, au moyen du premier doigt qui, fortement appuyé sur la corde pendant que les autres doigts l’effleurent, sert de sillet mobile.
Voici le tableau des intervalles effleurés et du son réel qu’ils produisent.
L’octave effleurée donne son unisson
Avec les intervalles chromatiques.
On ne se sert guère de ce doigté que pour la 4e Corde à cause de son incommodité.
La quinte effleurée donne son octave haute.
Ce doigté est plus facile que le précédent et moins que le suivant.
La quarte effleurée donne sa douzième haute.
Ce doigté est le plus facile et c’est celui qu’on doit préférer pour l’orchestre, quand il ne s’agit pas d’obtenir en son
réel la douzième d’une corde à vide, car dans ce cas le doigté par quinte est préférable. Ainsi pour faire entendre isolément
quinte (si) effleurée fait entendre son octave supérieure, et qui est plus sonore qu’une corde sur laquelle il faudrait appuyer
le premier doigt ; comme par Exemple qui donne égalementLes doigtés, de la tierce majeure, et de la tierce mineure effleurées, sont très peu usités ; les sons harmoniques sortant ainsi beaucoup moins bien.
La tierce majeure effleurée donne sa double octave supérieure.
La tierce mineure effleurée donne sa dix-septième majeure supérieure.
La Sixte majeure effleurée donne sa douzième supérieure. Ce doigté est moins usité que celui de la quarte, il est néanmoins assez bon et souvent utile.
Je le répète, les positions de quarte et de quinte effleurées sont de beaucoup les plus avantageuses.
Quelques virtuoses font entendre des double cordes en sons harmoniques, mais cet effet est si difficile à obtenir et, par conséquent, si dangereux qu’on ne saurait engager les auteurs à le jamais écrire.
Les sons harmoniques de la 4eme corde ont quelque chose du timbre de la Flûte ; ils sont préférables pour chanter une mélodie lente. Ce sont eux que Paganini employait avec un si prodigieux succès dans la prière de Moïse. Les sons des autres cordes acquièrent d’autant plus de finesse et de ténuité qu’ils sont plus aigus ; ce caractère même et leur timbre cristallin les rendent propres aux accords que j’appellerai Féeriques, c’est-à-dire à ces effets d’harmonie qui font naître de brillantes rêveries et emportent l’imagination vers les plus gracieuses fictions du monde poétique et surnaturel. Bien qu’ils soient aujourd’hui devenus familiers à nos jeunes violonistes, il ne faut pas les employer dans un mouvement vif ou du moins il faut se garder de leur donner des successions de notes rapides, si l’on veut être certain de leur bonne exécution.
Il est loisible au compositeur de les écrire à deux, à trois, et même à quatre parties, selon le nombre des parties de violons. L’effet de pareils accords soutenus est fort remarquable, s’il est motivé par le sujet du morceau et bien fondu avec le reste de l’orchestration. Je les ai employés pour la première fois, à trois parties, dans le scherzo d’une symphonie au dessus d’une quatrième partie de Violon non harmonique qui trille continuellement la note la moins aigüe. La finesse excessive des sons harmoniques est encore augmentée, dans ce passage, par l’emploi des sourdines, et, ainsi affaiblis, ils sortent dans les hauteurs perdues de l’échelle musicale, où il serait à peine possible d’atteindre avec les sons ordinaires.
Je crois qu’il ne faut pas négliger en écrivant de semblables accords de sons harmoniques de désigner en notes de forme et de grosseur différentes, placées les unes au dessus des autres, la note du doigt effleurant la corde et celle du son réel (quand on effleure une corde à vide) et la note du doigt appuyé, celle du doigt effleurant la corde et celle du son réel, dans les autres cas. Il est donc nécessaire quelquefois d’employer ensemble trois signes pour un son unique sans cette précaution, l’exécution pourrait devenir un gâchis inextricable où l’auteur lui même aurait de la peine à se reconnaître.
Les sourdines sont de petites machines en bois qu’on place sur le chevalet des instruments à cordes pour affaiblir leur sonorité, et qui leur donnent en même temps un accent triste, mystérieux et doux, dont l’application est fréquemment heureuse dans tous les genres de musique. On se sert en général des sourdines pour les morceaux lents principalement ; elles ne font pas moins bien toutefois, quand le sujet du morceau l’indique, pour les dessins rapides et légers, ou pour des accompagnements d’un rhythme précipité. Gluck l’a bien prouvé dans son sublime monologue de l’Alceste Italienne Chi mi parla.
L’usage est, quand on les emploie, de les faire prendre par toute la masse des instruments à cordes ; il est pourtant certaines circonstances, plus fréquentes qu’on ne croit, où les sourdines mises à une seule partie (aux premiers Violons par exemple,) coloreront l’Instrumentation d’une façon particulière, par le mélange des sons clairs et des sons voilés. Il en est d’autres aussi où le caractère de la mélodie est assez dissemblable de celui des accompagnements pour qu’on doive en tenir compte dans l’emploi de la sourdine.
Le compositeur en introduisant l’usage des sourdines au milieu d’un morceau (ce qu’il indique par ces mots : Con sordini) ne doit pas oublier de donner aux éxécutans le temps de les prendre et de les placer ; il aura soin en conséquence de ménager dans les parties de violon un silence équivalant à peu près à la durée de deux mesures à quatre temps, (moderato)
Un silence aussi long n’est pas nécessaire quand les mots senza sordini indiquent qu’il faut les enlever, ce mouvement pouvant s’opérer en beaucoup moins de temps. Le passage subit des sons ainsi affaiblis d’une masse de Violons aux sons clairs, naturels, (sans sourdines) est quelquefois d’un effet prodigieux.
Le Pizzicato (Pincé) est encore, pour les instruments à archet, d’un usage général. Les sons obtenus en pinçant les cordes produisent des accompagnements aimés des chanteurs, dont ils ne couvrent pas la voix ; ils figurent très bien aussi comme effets symphoniques, même dans les élans vigoureux de l’orchestre, soit dans la totalité des instruments à cordes, soit dans une partie, ou deux parties seulement.
Voici un Exemple charmant de l’emploi du Pizzicato dans les seconds Violons, Altos et Basses pendant que les 1ers Violons jouent avec l’archet. Ces sonorités contrastantes se marient, dans ce passage, d’une façon vraiment merveilleuse avec les soupirs mélodiques de la Clarinette dont ils augmentent l’expression.
Si on emploie le pizzicato dans un forte il devient nécessaire de ne l’écrire en général ni trop haut ni trop bas, les notes de l’extrême aigu étant grêles et sèches, celles du bas trop sourdes. Ainsi dans un tutti vigoureux des instruments à vent, il résultera un effet très sensible d’un pizzicato comme celui-ci, donné à tous les instruments à cordes.
Les accords pincés à deux, trois et quatre notes, sont également utiles dans le fortissimo, le doigt unique, dont les violonistes se servent parcourt alors si rapidement les cordes qu’elles semblent attaquées toutes à la fois et vibrent presque simultanément. Les dessins d’accompagnement en pizzicato piano sont toujours d’un effet gracieux, ils reposent l’auditeur et donnent, quand on n’en abuse pas, de la variété à l’aspect de l’orchestre. On obtiendra plus tard, sans doute, du pizzicato des effets bien plus originaux et plus piquants qu’on ne fait aujourd’hui. Les violonistes ne considérant pas le pizzicato comme une partie intégrante de l’art du Violon l’ont à peine étudié. Ils ne se sont encore à cette heure, appliqués à pincer qu’avec le pouce et, l’index, d’où il résulte qu’ils ne peinent faire ni traits ni arpèges plus rapides que les doubles croches d’une mesure à quatre temps, dans un mouvement très modéré. Au lieu que si, déposant leur archet, ils se servaient du pouce et de trois doigts, la main droite étant soutenue par le petit doigt appuyé sur le corps du violon, comme on fait pour pincer la guitare, ils obtiendraient bien vite la facilité d’exécuter en pinçant des passages tels que les suivants, impossibles aujourd’hui.
Le martellement double et triple des notes supérieures, dans les deux derniers exemples devient extrêmement facile par l’emploi successif de l’index et du troisième doigt sur la même corde.
Les petites notes liées ne sont pas impraticables non plus dans le Pizzicato. La phrase suivante du Scherzo de la symphonie en ut mineur de Beethoven, qui en contient, est toujours fort bien exécutée.
Quelques uns de nos jeunes violonistes ont appris de Paganini les gammes descendantes pincées rapidement, en arrachant les cordes avec les doigts de la main gauche posée sur le manche, et les traits pincés (toujours de la main gauche) avec des mélanges de coups d’archets ou même servant d’accompagnement à un chant joué par l’archet. Ces divers procédés deviendront sans doute avec le temps familiers à tous les éxécutans, il sera possible alors d’en tirer parti en composition.
Les Violons exécutent aujourd’hui avec l’archet à peu près tout ce que l’on veut. Ils jouent à l’extrême aigu presque aussi aisément que dans le médium ; les traits les plus rapides, les dessins les plus bizarres ne les arrêtent pas. Dans un orchestre où ils sont en nombre suffisant, ce que l’un d’eux manque est fait par les autres et, en somme, le résultat obtenu, sans que les fautes soient apparentes, est la phrase écrite par l’auteur. Dans le cas cependant où la rapidité, la complication et l’élévation d’un trait le rendraient trop dangereux, ou seulement pour obtenir dans son exécution plus d’assurance et de netteté, il faut le morceler, c’est-à-dire, en divisant la masse des Violons, donner un fragment du trait aux uns et un fragment aux autres. De cette façon le trait de chaque partie est semé de petits silences que l’auditeur ne remarque pas, qui permettent, pour ainsi dire, aux Violonistes de respirer et leur donnent le temps de bien prendre les positions difficiles et par suite l’aplomb nécessaire pour attaquer les cordes vigoureusement.
Si l’on veut faire exécuter un trait pareil à celui-ci ou plus difficile encore à toute la masse des Violons, il vaut toujours mieux, comme dans l’exemple précédent, diviser les premiers violons en 1er et seconds et les deuxièmes également en faisant doubler à ceux-ci les deux parties des premiers Violons, que de laisser tous les 1er violons jouer un fragment et tous les seconds un autre ; car l’éloignement des deux points de départ des sons, romprait l’unité du trait et rendrait les sutures des fragments trop apparentes. Au lieu que la même division s’opérant des deux côtés chez les deux masses des Violons, et sur les deux éxécutans qui lisent ensemble sur le même pupitre, l’un jouant la première partie et l’autre la seconde, il s’en suit que les parties divisées sont si près l’une de l’autre qu’il est impossible de s’apercevoir du morcellement du trait, et que l’auditeur doit croire qu’il est exécuté intégralement par tous les violons. On écrit donc ainsi :
Ce procédé du reste est applicable à toutes les parties de l’orchestre qui offrent entre-elles des analogies de timbre ou de légèreté, et on doit en user toutes les fois qu’une phrase est trop difficile pour pouvoir être bien exécutée par un seul instrument ou un seul groupe.
Je crois qu’on pourrait, à l’orchestre, tirer plus de parti qu’on ne la fait jusqu’ici des phrases sur la 4eme corde et, pour certaines mélodies, des notes hautes de la 3eme. Quand on veut user ainsi d’une corde spéciale il faut indiquer avec précision jusqu’où elle doit être employée exclusivement, sans quoi les exécutants ne manqueraient pas de céder à l’habitude et à la facilité qui résulte du passage d’une corde à l’autre pour jouer la phrase comme à l’ordinaire.
Il arrive assez souvent, pour donner à un trait une grande énergie, qu’on double à l’octave inférieure les premiers Violons par les seconds ; mais, si le trait n’est pas écrit excessivement haut, il vaut beaucoup mieux les doubler à l’unisson. L’effet est alors incomparablement plus fort et plus beau. Le foudroyant éclat de la péroraison du premier morceau de la Symphonie en Ut mineur de Beethoven est dû à un unisson de Violons. Il arrive même en pareille occasion que si, les Violons étant unis de la sorte, on veut en augmenter encore la force en leur adjoignant les altos à l’octave au-dessous, ce redoublement inférieur trop faible, en raison de la disproportion de la partie supérieure, produit un bourdonnement inutile, dont la vibration des notes aigues des Violons est plutôt obscurcie qu’augmentée. Il est préférable, si la partie d’alto ne peut être dessinée d’une manière saillante, de l’employer alors à grossir le son des Violoncelles, en ayant soin de les mettre ensemble (autant que l’étendue au grave de l’instrument le permet) à l’unisson et non à l’octave. C’est ce qu’a fait Beethoven dans le passage suivant :
Les Violons sont plus brillants et jouent plus aisément dans les tons qui leur laissent l’usage des cordes à vide. Le ton d’UT seulement semble faire exception à cette règle pour sa sonorité, qui est moindre évidemment que celle des tons de LA et de MI, bien qu’il garde quatre notes à vide, tandis qu’on n’en conserve que trois en LA et deux seulement en MI.
On peut, je crois caractériser ainsi le timbre des divers tons, pour le violon, en indiquant les plus ou moins grandes facilités d’exécution.
Les instruments à archet, dont la réunion forme ce qu’on appelle assez improprement le quatuor, sont la base, l’élément constitutif de tout orchestre. À eux se trouvent dévolues la plus grande puissance expressive, et une incontestable variété de timbres. Les Violons surtout peuvent se prêter à une foule de nuances en apparence inconciliables. Ils ont (en masse) la force, la légèreté, la grace, les accents sombres et joyeux, la rêverie et la passion. Il ne s’agit que de savoir les faire parler. On n’est pas obligé d’ailleurs de calculer pour eux, comme pour les instruments à vent, la durée d’une tenue, de leur ménager de temps en temps des silences ; on est bien sûr que la respiration ne leur manquera pas. Les violons sont des serviteurs fidèles, intelligens, actifs et infatigables.
Les mélodies tendres et lentes, confiées trop souvent aujourd’hui à des instruments à vent, ne sont pourtant jamais mieux rendues que par une masse de violons. Rien n’égale la douceur pénétrante d’une vingtaine de chanterelles mises en vibration par vingt archets bien exercés. C’est là la vraie voix féminine de l’orchestre, voix passionnée et chaste en même temps, déchirante et douce, qui pleure et crie et se lamente, ou chante et prie et rêve, ou éclate en accents joyeux, comme nulle autre ne le pourrait faire. Un imperceptible mouvement du bras, un sentiment inaperçu de celui qui l’éprouve, qui ne produirait rien d’apparent dans l’exécution d’un seul violon, multiplié par le nombre des unissons, donne des nuances magnifiques, d’irrésistibles élans, des accents qui pénètrent jusqu’au fond du cœur.