Grammaire de l ornement/Chap XX

Day & Son, Limited-Cagnon (p. 157-Image).

Chapitre XX. — Planches 91100.
FEUILLES ET FLEURS D’APRÈS NATURE.
Feuilles de maronnier d’Inde, de grandeur naturelle, calquées sur nature.

Feuilles de vigne, de grandeur naturelle, calquées sur nature.

1. Feuille de lierre palmé. 2, 3, 4, et 5. Feuilles de lierre ordinaire, de grandeur naturelle, calquées sur nature.

1. Feuille de Chêne rouge. 2. Feuille de Chêne blanc. 3. Feuille de Figuier. 4. Feuille d’Erable. 5. Feuille de Bryone blanche. 6. Feuille de Laurier. 7. Feuille de Laurier à baies ; toutes de grandeur naturelle, calquées sur nature.

1. Feuille de Vigne. 2. Feuille de Houx. 3. Feuille de Chêne. 4. Feuille de Chêne de Turquie. 5. Feuille de Laburnum ; toutes de grandeur naturelle, calquées sur nature.

1. Feuille de Rose sauvage. 2. Feuille de Lierre. 3. Feuille de Mûrier des haies ; toutes de grandeur naturelle, calquées sur nature.

1. Aubépine, If, Lierre, et Fraisier ; tous de grandeur naturelle, calquées sur nature.

Fleurs vues à plat et en élévation.
1. 
Iris.
2. 
Lis blanc.
3. 
Asphodèle.
4. 
Narcisse.
5. 
Ognon.
6. 
Églantine.
7. 
Myosotis.
8. 
Chèvrefeuille.
9. 
Mauve.
10. 
Cardamine.
11. 
Véronique.
12. 
Scille penchée.
13. 
Glossocomia clematidea.
14. 
Convolvulus.
15. 
Primevère.
16. 
Pervenche.
17. 
Clarkia.
18. 
Leycesteria formosa.

1. Chèvrefeuille. 2. Convolvulus — de grandeur naturelle.

Grenadilles, de grandeur naturelle.
FEUILLES ET FLEURS D’APRÈS NATURE.

Nous avons tâché de démontrer dans les chapitres précédents, que pendant les meilleures périodes de l’art, tout ornement était basé sur l’observance des principes qui règlent l’arrangement de la forme dans la nature, plutôt que sur la tentative d’imiter d’une manière fidèle et absolue les formes des objets naturels ; et que toutes les fois que dans un art quelconque, on dépassait ces limites, c’était un des indices les plus prononcés de décadence : — l’art véritable consiste dans l’idéalisation et non dans la représentation fidèle des formes de la nature.

Nous croyons devoir insister fortement sur ce point, car dans l’état actuel d’incertitude ou nous sommes, sous le rapport des arts, il commence à se développer une tendance générale de reproduire, aussi fidèlement que possible, la forme naturelle en guise d’ornement. On est fatigué de la répétition éternelle des mêmes formes conventionnelles qui, empruntées des styles passés, ne sauraient exciter en nous que peu de sympathie. Le cri universel de « Retournez à la nature, comme l’ont fait les anciens, » se fait entendre ; quant à nous, nous serions des premiers à répéter ce cri, mais avant tout, nous voudrions savoir ce que nous devons y chercher et jusqu’à quel point nous arriverons à un résultat satisfaisant. Si nous puisons à la nature comme l’ont fait les Égyptiens et les Grecs, nous pouvons espérer de réussir ; mais si nous le faisons comme les Chinois, ou même comme les artistes du quatorzième et du quinzième siècle, nous n’y gagnerons que bien peu. Les tapis floraux, les tapisseries florales, et les sculptures florales de notre époque, fournissent des preuves suffisantes qu’on ne peut arriver, par de tels moyens, à la production d’un art ; et que plus on imite fidèlement la nature, plus on est loin d’arriver à produire une œuvre d’art.

Quoique l’ornement ne soit, proprement parlant, que l’accessoire de l’architecture, et qu’il ne doive jamais usurper la place des parties architecturales, ni les surcharger ni les déguiser, il n’en est pas moins l’âme même d’un monument d’architecture.

C’est par l’ornement d’un édifice que nous pouvons juger le mieux de la puissance créatrice que l’artiste a déployée dans la production de son œuvre. Les proportions générales d’un bâtiment peuvent être bonnes, les moulures peuvent être copiées avec plus ou moins de fidélité, des modèles reconnus les meilleurs mais ce n’est que dans le traitement de l’ornement, qu’on peut reconnaître si l’architecte est en même temps, artiste. L’ornement fait connaître les soins et le goût plus ou moins raffinés qui ont été déployés dans la construction. Mettre l’ornement à la place convenable, n’est pas chose facile ; mais faire en sorte que l’ornement ajoute à la beauté et exprime l’intention de l’ensemble de l’ouvrage, c’est encore plus difficile.

Malheureusement ce n’a été que trop la pratique de notre époque d’abandonner la décoration des parties architecturales, et plus spécialement de l’intérieur des bâtiments, aux mains les moins capables d’en remplir la tâche.

La déplorable facilité de fabriquer l’ornement, produite par l’usage ravivé de la feuille d’acanthe, a contribué beaucoup à ce résultat, et a paralysé l’instinct créateur de l’artiste, qui a laissé aux soins d’un autre tout ce que cet autre pouvait faire sans difficulté ; abdiquant ainsi sa haute position, d’architecte, — tête et chef.

Comment, alors, arriver à satisfaire au désir universel pour le progrès, — comment, inventer ou développer un nouveau style d’ornement quelconque ? On nous dira probablement, qu’il faut d’abord inventer un nouveau style d’architecture, et que ce serait commencer à rebours que de commencer par l’ornement.

Telle n’est pas notre opinion. Nous avons dejà montrer que le désir pour les ouvrages d’ornement coexiste chez tous les peuples avec les premières tentatives dans la voie de la civilisation ; et que l’architecture adopte l’ornement, mais ne le crée pas.

L’ordre corinthien d’architecture a été suggéré, dit-on, par la vue d’une feuille d’acanthe qui, en croissant, s’était élancée autour d’un pot de terre ; mais on s’était servi de la feuille d’acanthe, comme ornement, bien longtemps auparavant, ou, du moins, on en avait suivi le principe de la croissance, dans les ornements conventionnels. Ce fut l’application particulière de cette feuille à la formation du chapiteau d’une colonne, qui amena pour résultat, la création de l’ordre corinthien.

Les principes de la foliation, et même la forme générale des feuilles, qui prédominent dans l’architecture du treizième siècle, existaient longtemps auparavant dans les manuscrits enluminés, lesquels, ayant tiré leur origine de l’Orient, ont imprimé aux ornements du style ogival un cachet presque oriental. Les architectes du treizième siècle étaient conséquemment, très familiers avec ce système d’ornementation ; et nous ne saurions douter qu’une des causes de l’adoption universelle de ce style pendant le treizième siècle, ne provînt de la grande familiarité qu’on avait eu déja de ses formes principales.

Le style floral en imitation directe de la nature, qui suivit, avait aussi été précédé par le même genre de style dans les ouvrages d’ornement. La facilité de peindre sur un missel des fleurs en imitation directe de la nature, amena la tentative d’en exécuter en pierre, sur les édifices de l’époque.

L’ornement architectural du temps d’Élisabeth est, pour la plupart, la reproduction des ouvrages du tisserand, du peintre, et du graveur. Il ne pourrait en être autrement, surtout, dans tout style d’emprunt. Les artistes du temps d’Élisabeth étaient nécessairement beaucoup plus familiers avec les peintures, les tentures, les meubles, les ouvrages en métaux, et autres objets de luxe que l’Angleterre recevait du continent de l’Europe, qu’avec les monuments architecturaux ; et c’est cette familiarité avec l’ornementation de l’époque, et cette connaissance imparfaite de son architecture qui conduisirent au développement des particularités, qui distinguent l’architecture du temps d’Élisabeth de l’architecture plus pure de la renaissance.

Nous pensons donc, que nous avons raison de croire, qu’on peut arriver à produire un nouveau style d’ornement, indépendamment d’un nouveau style d’architecture ; et de plus, que ce serait un des moyens les plus prompts d’arriver à un nouveau style architectural ; — si on pouvait, par exemple, trouver une nouvelle manière de terminer le sommet des moyens de support, on aurait résolu une des plus grandes difficultés.

Les caractères principaux et fondamentaux d’un bâtiment qui servent à en constituer le style, sont : premièrement, les moyens de support ; secondement, les moyens d’attache entre les supports ; et troisièmement, la formation du toit. C’est la décoration de ces parties architecturales qui donne au style, son cachet particulier ; et ces parties s’écoulent si naturellement l’une de l’autre, que l’invention de l’une en amènera nécessairement les autres.

Il semblerait, au premier coup d’œil, que les moyens de varier ces parties architecturales, ont été épuisées, et qu’il ne nous reste plus qu’à faire usage de l’un ou de l’autre des systèmes qui ont déjà fourni leur carrière.

Si nous rejetons l’emploi de la colonne et de la poutre horizontale des Grecs et des Égyptiens, l’arc arrondi des Romains, la voute et l’arc pointus du moyen-âge, et les dômes des Mahométans, — Que nous reste-t-il, nous demandera-t-on ? On nous dira peut-être que tous les moyens possibles d’attache entre les supports, ont été épuisés, et que ce serait vain que de chercher à trouver de nouvelles formes. Mais est-ce qu’on n’aurait pu, de tout temps, faire valoir la même impossibilité ? Les Égyptiens auraient-ils jamais supposé qu’on pût jamais découvrir un moyen d’attache autre que leurs immenses blocs de pierre ? L’architecte du moyen-âge aurait-il jamais songé qu’on pût arriver à surpasser ses voutes aériennes, et à traverser les abîmes par des tubes creux en fer ? Ne désespérons de rien ; le monde n’a pas encore vu, le dernier système architectural. Il est vrai que nous vivons dans un siècle où l’on se contente de copier, et où l’architecture décèle une absence complète de vitalité, mais le monde a passé déjà par de semblables périodes avant notre époque. Du chaos qui existe actuellement sortira, sans aucun doute, — peut-être pas de notre temps, — un système d’architecture qui sera digne des vastes progrès que l’homme a faits dans toutes les autres directions vers la possession de l’arbre de la science.

Mais revenons à notre sujet. Quelle voie suivre, nous demandera-t-on pour arriver, ou même pour tenter d’arriver à un nouveau style de l’art ou à un nouveau style d’ornementation ? Nous répondrons tout d’abord, que nous avons peu d’espoir qu’il nous sera donné de voir plus, que le commencement d’un changement ; car les architectes actuels sont d’un côté, beaucoup trop sous l’influence d’une éducation passée, et d’un autre côté ils subissent trop le contrôle d’un public mal informé ; mais la génération qui se forme est née, sous l’un et l’autre rapport, sous des auspices plus heureux, et c’est en elle que nous devons concentrer notre espoir pour l’avenir. C’est pour son usage que nous avons recueilli cette collection des ouvrages du passé, non pour qu’elle les copiât servilement, mais pour que les artistes, par suite d’un examen attentif des principes qui existent dans tous les ouvrages du passé et qui ont excité l’admiration universelle, pussent être conduits à la création de nouvelles formes également belles. Nous croyons que si un artiste ardent à la recherche de la science, veut secouer toute tentation à l’indolence, examiner par lui-même les ouvrages du passé, les comparer avec les ouvrages de la nature, et faire tous ses efforts pour arriver à une parfaite appréciation des principes qui existent dans les uns et les autres, il ne peut manquer de devenir créateur à son tour et d’individualiser de nouvelles formes, au lieu de reproduire les formes du passé. Nous croyons qu’un artiste entièrement pénétré de la loi de l’accord universel des choses dans la nature, et de l’étonnante variété de leurs formes, lesquelles cependant n’ont pour base qu’un petit nombre de lois fixes : — la distribution proportionnée des aires, les courbures tangentes des lignes et la radiation d’une tige-mère, — quelque soit le type qu’il emprunte à la nature, n’a qu’à renoncer au désir de l’imiter et à suivre la voie qu’elle lui indique si clairement, pour arriver à la création de nouvelles formes de beauté beaucoup plus facilement, qu’en suivant la mode actuelle de s’appuyer sur les ouvrages du passé pour trouver les inspirations du présent. On n’aurait besoin que de quelques pionniers pour donner la première impulsion : la voie une fois indiquée, d’autres la suivraient, améliorant et perfectionnant l’idée première jusqu’à ce que, entièrement développée, elle atteigne à un nouveau point culminant de l’art, pour tomber ensuite en décadence et finir par dégénérer en confusion à son tour. Pour le moment, cependant, nous sommes assez éloignés de l’une et de l’autre de ces phases. Nous sommes désireux de contribuer de tout notre pouvoir, à l’accomplissement de ce but ; et nous avons recueilli sur les dix planches de feuilles et de fleurs, qui accompagnent ce chapitre, plusieurs des types naturels qui, selon nous, sont les mieux adaptés à conduire à la reconnaissance des lois naturelles qui prévalent dans la distribution de la forme. Mais le fait est que ces lois sont si universelles, qu’on verra qu’on peut les apercevoir dans une feuille aussi bien que dans mille. Le seul exemple de la feuille de châtaignier, planche XCI., renferme toutes les lois qui existent dans la nature : nul art ne peut rivaliser avec la grace parfaite de sa forme, la distribution proportionnelle de ses aires, la radiation de la tige-mère, les courbures tangentes de ses lignes, et la distribution égale de la décoration de surface. Tel est l’enseignement que nous présente une seule feuille, mais si nous portons plus loin nos études sur la croissance des feuilles, nous verrons dans un assemblage de feuilles de vigne ou de lierre, que les mêmes lois qui existent dans la formation d’une seule feuille, existent aussi dans un assemblage de feuilles. De même que sur la feuille de châtaignier, planche XCI., l’aire de chaque lobe diminue en proportion égale à mesure qu’elle approche de la tige, ainsi dans toute combinaison de feuilles, chaque feuille est partout en harmonie avec le groupe. Si sur une feuille, les aires sont si parfaitement distribuées que le repos de l’œil est maintenu, il en est de même dans le groupe ; on ne voit jamais une feuille disproportionnée venir détruire le repos du groupe. Cette loi universelle de l’équilibre est partout visible sur les planches XCVIII., XCIX., C. Les mêmes lois existent dans la distribution des lignes sur la surface des fleurs ; il n’existe pas une seule ligne sur les surfaces qui ne tende à développer d’avantage la forme, — on ne pourrait en ôter une sans endommager la perfection de la forme ; et pourquoi cela ? parce que la beauté provient naturellement de la loi de la croissance de chaque plante. Le sang vivifiant, la sève, en quittant la tige, prend la voie la plus prompte pour arriver aux confins de la surface, quelque variée que soit cette surface ; plus la distance qu’elle a à parcourir, est grande, ou plus le poids qu’elle a à supporter, est lourd, plus, sa substance sera épaisse (Voyez Convolvulus, XCVIII., XCIX.) Nous avons donné sur la planche XCVIII., plusieurs variétés de fleurs, à plat et en élévation ; d’après ces exemples on verra que la géométrie est la base de toute forme : l’impulsion qui forme la surface, s’élançant du centre avec une force égale, s’arrête nécessairement à des distances égales ; — la symétrie et la régularité en sont le résultat.

Qui donc, maintenant, osera dire qu’il ne nous reste rien autre chose qu’à copier les fleurs à cinq ou à sept lobes du treizième siècle, le chèvrefeuille des Grecs ou l’acanthe des Romains, et que ces types seuls puissent produire l’art ; — la nature est-elle ainsi liée ? Voyez l’immense variété des formes, et l’invariabilité des principes. Nous avons la conviction qu’un autre avenir nous est encore ouvert ; nous n’avons, pour y atteindre, qu’à nous réveiller de notre assoupissement. Le Créateur n’a pas fait toutes les choses si belles, pour que nous missions une limite à notre admiration ; bien au contraire, et ses œuvres nous sont offertes non seulement pour que nous en jouissions, mais aussi pour que nous les étudiions. Elles nous sont données pour réveiller cet instinct naturel qui est implanté en nous : le désir d’imiter dans les ouvrages de nos mains, l’ordre, la symétrie, la grâce, la convenance, que le Créateur a semé à pleines mains sur la terre.