Gouvernement des Lacédémoniens (Trad. Talbot)/05

Gouvernement des Lacédémoniens (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
Œuvres complètes de XénophonHachetteTome 2 (p. 465-466).


CHAPITRE V.


Repas communs[1] ; exercices qui s’y rattachent.


Voilà à peu près ce qui regarde les institutions établies par Lycurgue pour les différents âges : je vais essayer maintenant d’exposer le régime qu’il applique à tous.

Lycurgue ayant trouvé les Spartiates vivant, comme le reste des Grecs, chacun dans leur particulier, mais convaincu qu’il y avait là matière à une extrême mollesse, établit la coutume des repas au grand jour, sûr moyen, suivant lui, de prévenir la dés obéissance aux lois. Il a réglé leur nourriture, de manière à ce qu’il n’y eût ni trop ni trop peu. Cependant, en dehors de la ration, on peut ajouter beaucoup de mets provenant de la chasse, et parfois les citoyens riches apportent de leur côté un écot imprévu ; de sorte que la table n’est jamais dépourvue, pendant le repas, sans être pour cela somptueuse. Quant à la boisson, après avoir proscrit ces breuvages inutiles, qui affaiblissent le corps et l’âme, il a laissé à chacun la liberté de boire suivant sa soif ; persuadé que, de la sorte, la boisson offre, sans danger, le plus vif plaisir. Comment, chez des hommes qui vivent ainsi en commun, s’en trouverait-il un seul qui, par gourmandise ou par ivrognerie, se perdît lui-même et son bien ?

Dans les autres villes, les gens du même âge se recherchent communément, et l’on n’a pas ensemble la moindre réserve. À Sparte, au contraire, Lycurgue, par le mélange, a mis les jeunes à portée de profiter de l’expérience des vieillards. C’est, en effet, un usage national de raconter, aux repas publics, ce qui s’est fait de beau dans la ville ; et l’on n’y voit jamais d’insolence, jamais d’ivresse, jamais de propos ni d’actions indécentes. Un autre avantage de ces repas en plein air, c’est qu’on est forcé de faire une promenade en retournant à la maison, et de se mettre en garde contre l’excès du vin ; on sait qu’on ne doit pas rester où l’on a pris son repas, et qu’il faut marcher la nuit aussi bien que le jour : car, tant qu’on est au service, on n’a pas le droit d’éclairer sa marche d’un flambeau.

Lycurgue ayant encore remarqué que la même nourriture procure à ceux qui prennent beaucoup de pain, un bon teint, une belle carnation, de la vigueur, tandis que les indolents restent pâles, laids et faibles, il n’a point négligé cette observation ; mais, après avoir considéré qu’un homme qui est porté de sa nature à s’imposer quelque labeur à lui-même, se fait un corps qui suffit à tout, il a chargé le plus ancien dans chaque gymnase de veiller à ce que les gens de ce caractère n’eussent pas une nourriture plus restreinte que les autres : règlement fort sage à mon sens[2]. Aussi trouvait-on difficilement des hommes mieux constitués et plus souples de tout le corps que les Spartiates : ils s’exercent avec le même soin les jambes, las bras et le cou.



  1. Voyez la critique de ces repas en commun dans de Pauw, t. II, p. 357.
  2. Cette phrase est singulièrement tourmentée dans les différentes éditions. J’ai suivi de mon mieux celle de Fr. Haase.