Gouvernement des Lacédémoniens (Trad. Talbot)/03

Gouvernement des Lacédémoniens (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
Œuvres complètes de XénophonHachetteTome 2 (p. 463-464).



CHAPITRE III.


Éducation de la jeunesse.


Quand les enfants passent de l’enfance à l’adolescence[1] l’usage des autres Grecs est alors de les retirer des mains des pédagogues et des maîtres, de ne plus leur imposer aucune autorité, et de les laisser indépendants. Lycurgue a suivi une tout autre méthode. Persuadé qu’à cet âge on a une forte dose de vanité, d’insolence qui déborde, de passion désordonnée pour les plaisirs, il lui a imposé, pour ce moment même, de nombreux travaux, et il a imaginé mille moyens de l’occuper. De plus, en prescrivant que quiconque se dispenserait de ces exercices serait exclu des hautes fonctions, il a rendu nonseulement les magistrats, mais tous ceux qui prennent soin des jeunes gens, attentifs à prévenir en eux toute action lâche, qui les exposerait au mépris de tous leurs concitoyens.

En outre, voulant imprimer fortement la modestie dans les cœurs, il a ordonné qu’on marchât dans les rues les mains sous la robe, en silence, sans tourner la tête, les yeux devant les pieds[2]. En cela il a fait comprendre qu’en fait de modestie l’homme a encore plus de fermeté que la femme. Aussi l’on n’entend pas plus la voix des jeunes gens, que s’ils étaient de pierre ; ils ne détournent pas plus les yeux que des statues d’airain ; et ils ont plus de pudeur qu’il n’en règne dans les appartements les plus inaccessibles des vierges[3] ; puis, quand ils arrivent au repas commun, ils ont pour habitude d’attendre, en écoutant, qu’on les interroge. Tels sont les soins que Lycurgue a donnés à la jeunesse.



  1. À dix-huit ans
  2. Cf. Aristophane, Nuées, trad. de M. Artaud, p. 435, 436 et 437 de la deuxième édition.
  3. De Pauw se fonde sur ce passage, vivement critiqué par Longin, pour contester l’authenticité du traité de Xénophon ; mais Fr. Haase, dans sa préface, établit celle authenticité par des preuves qui nous semblent irrécusables. Voy., pour les éléments de cette discussion, de Pauw, Recherches philosoph. sur les Grecs, t. II, p. 344 ; Longin, Traité du Sublime, p. 151 de la trad. de Louis Vaucher, et la préface de Fr. Haase, p. 2 et suivantes. D’un autre côté, les éditeurs les plus récents de Longin s’étant accordés à lire dans la phrase critiquée θαλάμοις au lieu d’ὀφθαλμοῖς, la condamnation prononcée par l’auteur du Traité du sublime demeure sans effet.