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39. Charles quitte Girart et la Bourgogne. Malgré tout le service qu’il avait eu du comte, il n’eut pas honte [de faire ce qu’il fit ]. Il s’en alla par la Lorraine à Cologne ; il manda ses Bavarois et ses Saxons, et dit, sans hésiter, à son conseil, qu’il ne prisait pas un œuf toute sa puissance s’il ne rognait à Girart sa terre, Provence, Auvergne et Gascogne. Jamais vous ne vîtes roi aussi irrité. |
Girarz nō eſt mos om ne ne tient fei
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40. Charles manda sa gent sans dire pourquoi, et commanda à chacun d’amener promptement avec soi ses chiens et ses lévriers et son harnais, simplement[1] un cheval et ses armes. Et Tibert demanda : « Des armes ! pourquoi ? » Le roi appela Thierri, et ils furent trois : « À vous deux je le dirai en qui j’ai le plus de confiance. Girart n’est pas mon homme et ne tient point fief de moi. En lui faisant du mal, si je le puis, je n’agirai pas déloyalement. J’irai à Roussillon prendre mon droit : la chasse en bois et en rivière et mon conroi[2] cela et plus encore, si j’en ai le loisir. — Ce n’est pas mon avis, » dit Tibert, « que vous fassiez mal au comte, ni qu’il vous guerroie. » |
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41. — Et vous, Thierri, » dit le roi, « que m’en direz-vous ? — Sire, les pères[3] sont mes ennemis ; je ne veux point vous donner le conseil d’un homme léger, pour que tes hommes et tes amis disent ensuite que je les ai jetés dans la guerre et dans la détresse : je les[4] sais si riches en terre et en avoir qu’ils seront malaisés à conquérir, je vous assure. — Je ne veux pas de sermon, » dit Charles : « que les vieux restent, et viennent les jeunes ! et je ferai riche le plus pauvre. — Sire, vous aurez besoin des vieux comme des plus jeunes, et je ne puis vous manquer au moment critique. » |
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42. Charles voit près d’un bois une centaine de comtes, tous jeunes et pleins de fierté. Il pique son cheval et les aborde : « Allons chasser en rivière et en bois : mieux vaut ainsi aller que de rester chez soi. Aidez-moi à me venger de celui qui me cause le plus de tourment. Je vous aime mieux qu’il[5] ne fait. — Sire, chevauche à bandon, et prends-nous avec toi. Conquier fiefs et terres, donne et reçois. Que tours ni donjon ne te défendent aucun trésor, et que pluie, ni tempête ne nous arrêtent ! — Vous me donnez le conseil que je demande ; il n’y a si pauvre, dès qu’il sera avec moi, à qui je ne donne tout ce qu’il pourra convoiter. » |
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43. Charles a corps vaillant et cœur fier ; il dit qu’il ne souffre point de pair en sa terre. Avec lui furent ses comtes et ses barons ; ils avaient leurs meutes et leurs chiens braques. Ils traversent l’Ardenne et la forêt d’Argonne[6], prenant abondance de venaison. La reine l’apprit et manda à Girart d’avoir à se garder de trahison. Mais le comte a le cœur si noble qu’il n’y crut pas jusqu’au moment où il se vit provoqué ; et pour cela il manda le comte Fouque, Boson et Seguin de Besançon. |
De quei pois furent mort tant cheualer
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44. Charles vient de chasser par un sentier. Ses compagnons lui conseillent tous de se rendre au moûtier de Saint Prezant (?). « Là on trouve de l’eau douce, du poisson en vivier ; nos destriers entreront dans les terrains bas ; mulets et bêtes de somme paîtront par les prés. » Voici que commencent le ressentiment et la querelle dont moururent par suite tant de chevaliers. Vous allez entendre ce que Charles réclamait à Girart. |
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45. Charles vient de la forêt d’Ardenne où il a chassé. Il avait en sa compagnie cent comtes tous jeunes, chacun menant enchaîné veautre[7] ou lévrier ; ils portent des alérions[8] à la penne vigoureuse. Suit le reste de la mesnie que le roi conduit. Jusqu’à Roussillon, il ne tira pas sa rêne. Ils se logent devant les murs, sur le sable, faisant courir leurs chevaux par la campagne ; les bêtes de somme paissent par la plaine, c’est la première étrenne de la guerre. Elle durera longtemps. Au temps où elle commença, la lune était en son plein. |
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46. Charles est envieux plus qu’aucun homme. Vous ne vîtes onques roi si orgueilleux. Ils se logent sous Roussillon, dans les prés herbus, et font tendre soixante deux[9] tentes, chacune est surmontée d’une pomme d’or resplendissante, les chevaux, au piquet, paissent l’herbe couverte de rosée. Le roi vit avec convoitise le château, et, jurant le nom de Dieu glorieux : « Si j’étais là-haut, » dit-il, « comme je suis ici-bas, Girart ne serait pas un comte puissant ! » Il y avait là un jeune damoiseau qui lui répondit un mot vif : « À moins, sire, d’y employer la trahison, votre tête noire deviendra rousse avant que vous lui ayez enlevé de terre un plein gant. Je sais Girart si habile à la guerre, qu’il se soucie de vos attaques comme d’un tronçon de lance. » |
E carles feiz orguel e galaubie
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47. Quand Charles Martel entendit qu’il ne pourrait avoir le château que par trahison, il appela un de ses damoiseaux, Bernart, le fils de Pons de Tabarie[10] : « Bernard » dit-il, « va de ma part auprès de Girart, et invite le moi à me rendre la seigneurie du château, je lui en laisserai la donzelia[11]. Et s’il n’y consent pas, s’il me refuse, avant quarante jours, je lui montrerai une ost où il y aura cent mille chevaliers de Lombardie[12], sans compter les Grecs, les Romains et ceux d’Hongrie, les Écossais, les Anglais, guidés par Amailes[13] de Ranchopie dont le père a été tué par Milon sous Quinquenie[14]. Là où la terre leur manquera, ils sauteront. Jamais par eux ne fut assaillie une cité dont les remparts aient pu les arrêter. Et quand ils auront mis Girart en mon pouvoir, que je cesse d’être roi si je ne le fais pendre ! » Le damoisel monte à cheval et se met en route. Charles fit un acte d’orgueil et de fanfaronade, quand il envoya un tel message. C’est le commencement d’une conduite orgueilleuse et folle dont on n’est pas près de voir la fin. |
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48. Par dehors, à la grande porte de Roussillon, à droite, quand on entre, il y a un perron. Tout autour règne une galerie dont les piliers et les colonnettes[15], et même les doubleaux [16] sont incrustés de sardoines ; les voûtes[17] sont de pur laiton. Là Girart gorge son faucon[18] ; autour de lui, un millier d’hommes de sa mesnie, vêtus de hoquetons bordés d’orfrois et de jupons de soie vermeille. Voici qu’entre Bernart le fils de Pons : il salua en homme bien appris : « Dieu protège le comte Girart, le puissant baron ! — Ami, » répond Girart, « Dieu te protége ! Vous me semblez un messager de la part de Charles. — Si Dieu m’aide, je le suis en effet. Je vais te dire de quoi je te semons : c’est de lui rendre le donjon et l’habitation ; et si vous dites non, vous ne verrez point passer la fête des Rogations sans que mon seigneur vous ait montré tant de riches barons, et là dehors, par ces prés, tant de pavillons, bleus, vermeils, jaunes, variés comme la queue du paon, qu’on n’aura jamais vu tant d’enseignes couvrir la campagne, ni tant de riches barons assemblés pour combattre. — Ami, » dit Girart, « laissez cela. Que le roi ne me cherche point querelle, mais qu’il prenne le mien comme le sien. » Alors sa mesnie entière s’écrie d’une voix : « Il ne faut point avoir affaire à un homme insensé ; car s’il peut te tirer d’ici par trahison, ou il te fera pendre comme larron, ou il te tiendra toute ta vie en prison. Jamais on ne vit roi si cruel : il a consenti à la mort des fils d’Yon[19].... » |
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49. Girart entend le messager à la parole hautaine. Il s’est levé et à parlé : « Bernart, tu t’en iras à la tente de Charles, et tu lui demanderas pourquoi il me cherche querelle ? Car je tiens en aleu tout mon duché. Je n’irai pas à sa cour de tout l’été. Je ne me sens pas assez dépourvu de sens pour lui rendre aussi folement le château. Que mon âme n’aille point à Dieu, si d’abord mille hommes n’ont eu leur jugement en champ de bataille, si maint franc chevalier n’est renversé à terre ! Les champs seront humides de sang, et jamais roi n’aura été si courroucé. |
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50. — Que me direz-vous de ceci ? » reprend Bernart ; « le roi mandera tous ceux de Metz, les Français, les Anglais[20] et ceux d’Aix-la-Chapelle. Quand vous verrez cent mille guerriers d’élite, vous n’aurez si fort mur qui ne soit abattu ; si nombreux que vous soyez dessus il vous faudra descendre. — Bernart, » dit Girart, « entendez-moi : par le baptême auquel vous avez foi, je méprise vos menaces. Avant qu’il y ait dix hommes dans le fossé, vous en verrez tant mourir, et des meilleurs, qu’il n’y aura pas un prêtre pour chacun. Si vous venez, je serais bien étonné de ne vous point voir hébergés ici morts ou vaincus. — Et qu’en savez-vous ? » reprend Bernart. « Si vous persistez dans votre orgueil, dans votre tort, dans votre manque de foi, le roi sera bien faible et bien pacifique, si vous ne rétractez point cette parole. |
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51. — Que me direz-vous de ceci ? » dit Bernart ; « je sais Charles si habile à la guerre, si dur et si plein de ressources, qu’il mandera ses hommes depuis la mer jusqu’en bas[21]. Alors cent mille preux guerriers fondront sur vous : vous n’aurez si fort mur qui ne s’écroule ; si nombreux que vous soyez en haut, il vous faudra descendre. Mais faites une chose qui est grandement de votre intérêt : recevez céans l’empereur avec vous, livrez-lui ces clochers, ces murs, ces tours.... » Alors parla Fouque en preux damoiseau : « Bernart, j’en prends à témoin le Dieu le glorieux, Charles Martel a de si grands torts envers nous que s’il entre céans avec plus de deux hommes, vous verrez de bons heaumes brunis souillés de terre, et maint franc chevalier étendu sanglant sur ce perron. Jamais roi n’aura été si courroucé ! |
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52. — Bernart, » dit Girart, « pourquoi me dis-tu cela ? Je connais bien le roi et ses mauvaises intentions : s’il était dans cette tour, à l’endroit le plus sûr, il verrait mon château comme il est construit, comme il est cimenté depuis la base, il verrait mes étangs dans les bois fleuris, il verrait mes damoiseaux que j’ai élevés ; je craindrais qu’il me portât envie, et je demeurerais sot et ébahi. |
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53. « Je te dirai plus encore, Bernart, » dit Girart, « quand il verrait ma salle resplendissante, toute de pierres de taille habilement appareillées, et l’escarboucle étincelante qui fait qu’à minuit on se croirait à midi[22], je craindrais que Charles le convoitât. Mais il me tuerait avant que je le lui abandonne. Il m’assiégera, comme tu dis, mais il ne me prendra pas tant que je vivrai. Grand tort me fait le roi quand il m’attaque sous un prétexte aussi fou. » |
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54. Au dernier mot, Girart dit sa pensée : « Roussillon a toujours été l’aleu de mon père. Notre empereur[23] me l’a ainsi octroyé avec tout le reste de ma terre jusqu’à Saint-Faire : jamais le fils de ma mère ne lui en fera service ! Le château est fort, le mur en pierres de taille ; je ne le tiens pas de lui, et je ne lui manque pas de foi. Il ne saurait me retirer aucun de mes chevaliers. J’ai quatre vaillants neveux tous frères : le moindre d’entre eux est capable d’aller le honnir, si je le veux, à Laon, sa résidence. |
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55. « Bernart, » dit Girart, « maintenant va-t’en, et dis au roi qu’il agit très mal, car, de la Loire jusqu’ici, je tiens tout le pays en aleu. Je n’irai point à son jugement tant que je vivrai ; et puisse Dieu ne me point laisser voir le mois de mai, si avant ce temps je ne commence telle entreprise où je pourrai bien perdre du sang, plutôt que de rendre le château ou plein la main de ma terre ! — C’est bien, » dit Bernart, et il s’en retourne. |
A catrecent deſ ſeus quil ſen eſlit
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56. Bernart s’en retourne et se rend droit à la tente du roi. Et Charles lui demande en le voyant : « Dis-moi, Bernart, qu’as-tu entendu ? Malheur à toi si tu mens ! — Que Roussillon est véritablement un aleu : son père n’a jamais servi personne, et il ne vous servira pas non plus. » — À ces mots, Charles Martel se courrouça : de douleur et de rage, il devint tout noir. Il a mandé ses clercs, écrit ses brefs ; de France, d’Auvergne[24], de Berry, il réunit plus de barons qu’on en vit jamais pour marcher sur Girart le comte, le hardi guerrier. Ils tinrent le siége tout un été. Un matin, au point du jour, ils assaillirent Roussillon. Mais Girart ne s’oublia pas, et pas un de ses hommes ne lui fit défaut. Ils sortirent quatre cents, armés de hauberts et de heaumes, et aux grandes barrières[25] ils tuèrent tant de leurs adversaires que des ruisseaux de sang coulèrent par le camp, et si Charles avec les siens l’attaqua, cette première fois il n’eut pas à s’en féliciter. |
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57. Girart leur a tué maint franc damoiseau ; il rapporte son gonfanon rouge de sang, qui lui coule le long de la hampe jusqu’au pied[26]. Tous ses hommes en sont émerveillés. Il regarda à droite par les champs : il n’y a chevalier qui ait sur la tête autant de cheveux qu’il vit reluire de heaumes au soleil. Il entra au château, sous un tilleul ; fermant après lui toutes les portes, et réunit en conseil ses meilleurs amis : « Écoutez-moi, Armant de Monbresel[27] : Boson, Fouque et Seguin sont mes fidèles : ils vont parcourir ma terre, rassemblant mes amis. Si Charles me guerroie, je ne m’estimerai pas un grillon, si je ne le pousse l’épée à la main de telle sorte que son heaume aura de la peine à lui garantir la tête ; et si Dieu veut que je me rencontre face à face avec lui en bataille, jamais roi n’aura éprouvé douleur comparable à la sienne ! » |
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58. Les trois messagers s’apprêtent : Il ne veulent pour rien au monde, faillir à leur droit seigneur et ne pensent qu’à servir Girart à son gré. Ils sortirent par une petite porte, sans être vus de Charles, ni des siens, et vont chercher du secours. Mais, avant de le revoir, Girart aura lieu de soupirer. Il eut une idée folle : ce fut de faire occuper les murs par ses bourgeois. Il les pria de veiller comme s’il y allait de leur vie. « Et si Charles vient vous assaillir, jetez pierres et roches, avec telle violence que vous les faciez reculer loin en arrière. » Ils se soucient bien de ses recommandations ! Dieu les maudisse ! Ils les oublièrent dès qu’il se fut éloigné : qui a gentille femme va jouer avec, et qui n’en a pas, va trouver sa mie. Tous par le château, vont se coucher, vous n’auriez entendu parler ni sonner mot, ni sentinelle jouer de la flûte, ni cor retentir. On n’aura pas de peine désormais à les honnir. Le garçon se leva, celui qui devait les trahir et faire entrer Charles et les siens. |
Per ſon encantement lo mes en bau
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59. Girart fit une autre chose qui lui porta malheur. Il envoya à la tente du roi don Fouchier le maréchal[28]. Fouchier fit un tel enchantement qu’il ne reste plus ni pavillon ni tref[29], ni pomme d’or cuit d’Arabie ou de cristal[30]. Puis il vint sous le Mont Laçois[31], dans la plaine. Là paissent cent mulets et cent chevaux. Il les emmène tous, les fait charger de butin, passe sous Roussillon au premier chant du coq, et entre à Escarpion[32] par la grande porte. La vaisselle d’or qu’il y mit en sûreté, je ne saurais en évaluer seulement le poids. Girart cependant reçut un terrible échec, car il perdit Roussillon, le château souverain, par Richier de Sordane son sénéchal. |
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60. Ah Dieu ! qu’il est mal récompensé le bon guerrier qui de fils de vilain fait chevalier, et puis son sénéchal et son conseiller[33] ! comme fit le comte Girart de ce Richier, à qui il donna femme et grande terre ; puis celui-ci vendit Roussillon à Charles le fier. Dieu ! pourquoi fallut-il que le comte ne le sût point la veille ! il y aurait eu à la porte un meilleur portier. |
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61. Girart avait un ami, son homme de confiance (c’était bien mal employer ses soins), à qui il donna femme et fief. Ce garçon résolut un soir, étant couché, de trahir son seigneur pendant son sommeil ; il se chaussa et se vêtit sans tarder, vint au lit du comte, prit les clés, ouvrit précipitamment la porte, et vint courant à la tente de Charles. Arrivé à la porte, « Dites-moi votre pensée : celui qui vous rendrait Roussillon, en serait-il récompensé ? aurait-il en France aucun fief ? » Et Charles répondit aussitôt : « À sa volonté, ou Ravenne, ou Bénévent ; je lui laisse le choix ; et il ne l’aura pas si pauvrement qu’il n’en ait, s’il peut longuement tenir la terre, mille chevaliers sous ses ordres. — À cette condition, je me donne à toi et te rend le château, » Charles, tout le premier, s’apprête, ses hommes s’arment également, et avant que l’aube eût paru, ils occupaient les approches de Roussillon, et le garçon leur rendait les clés de la porte. Je ne sais ce que deviendra Girart : si Dieu ne le conseille, il est perdu. |
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62. Charles prit Roussillon sans qu’il y eût porte brisée, pierrière ni palissade dressée, ni donné coup de bâton ou de hache, sans qu’aucun chevalier ait reçu horion ni blessure (?). Les bourgeois firent cette nuit une folle garde. Ce fut eux qui y perdirent le plus ; toute la male honte retomba sur eux. Ah ! Girart, riche comte, que t’ont-t’ils fait là ! |
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63. Le comte Girart reposait dans une tour ; il n’y avait avec lui que trois comtors[34]. Ceux-ci s’étaient endormis au frais. Le comte se réveilla au bruit ; il entend le tumulte et la rumeur que font au dehors damoiseaux et vavasseurs, étrangers et hommes de la ville, grands et petits, qui appellent Girart leur droit seigneur : il revêt son haubert et met son heaume le plus fort ; il prend son écu et sa meilleure lance, et court où il savait qu’était son cheval. Déjà quatre vauriens l’entraînaient ; à chacun il fait voler la tête, puis il monte vitement et s’enfuit plein de tristesse par une petite porte, en appelant le roi traître parjure. Dieu ! quelle affliction pour un comte de perdre sa terre ! |
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64. La nuit était ténébreuse lorsque les hommes de Charles entrèrent par le mur. Ils occupèrent vigoureusement les rues, et parmi eux il n’en était pas un qui ne complotât ou ne jurât la mort de Girart. Le comte s’enfuit, malgré tout, par une petite porte peinte d’azur. Son cheval l’emporte d’une telle allure que je ne crois pas qu’aucune bête meilleure paisse l’herbe. Il jura par saint Martin le bon tafur[35], qu’il aimait mieux se battre que de fuir ; « dussé-je en mourir comme un parjure, je tuerai le roi, tôt ou tard, et jamais on n’aura vu guerre durer si longtemps. » |
Carles comence gerre caloin define
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65. Il y avait à Roussillon une tour de pierre cimentée dont l’appareil était de pierre alamandine[36] ; le porche, en dehors, avait été fait par les Sarrazins ; elle était munie d’un toit (?), le sol en était vert comme sabine[37]. C’est là que vont tous ceux qui veulent riche butin, ou couverture de martre, de gris ou d’hermine, coupe d’argent ou d’or : tel en a un setier, tel une émine. Les garçons, les gens de rien eurent plus de richesses qu’il n’y en a dans le trésor de Milon d’Aigline[38]. L’avoir de Girart est ainsi mis au pillage. Qui trouve sa parente ou sa cousine[39], lui fait violence sur place. Le comte s’enfuit la tête baissée, et Charles commence une guerre qui sera de longue durée. |
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66. Or s’en va Girart au galop, sur Ramont[40], un cheval si bon qu’en tout le monde on n’en trouverait pas un qui pût le vaincre à la course. Il gravit Saint-Flor[41], un pui arrondi, et passa sous..... [42] auprès d’une fontaine ; il entend la noise que les Royaux font dans son château, et les rires dans sa tour, et il sait bien pourquoi : c’est son trésor qu’on emporte ; il pousse des gémissements de douleur, des rugissements de colère, et dans son cœur il pense comment il pourra faire honte au roi. Il vint sous Roussillon, auprès du pont ; là il trouva Manecier le fils Raimon, avec lui deux fils de comtes : il les jeta morts dans le fossé profond. On poussa des cris par le château... et Girart se met aussitôt en route, jurant Dieu et saint Simon que s’il ne réussit pas à écraser Charles par les armes, au moins lui fera-t-il plus de mal qu’homme du monde. |
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67. Jamais vous ne vîtes chasse pareille ! Voici d’abord venir Renier, un fidèle de Charles : il se met à menacer Girart aussitôt qu’il le voit, lui criant : « Sire vaincu, vous avez perdu la capitale de votre terre ; c’est aujourd’hui que vous ferez au roi un salut douloureux ! » Girart l’entend, et si cette parole lui fut cuisante, il le fit bien voir. Il fit tourner vivement son cheval et alla le férir sur l’écu de telle sorte qu’il le lui a brisé et fendu ; il lui fausse et découd le haubert et l’abat mort sur le pré herbu. « On ne vous entend plus faire le fanfaron, maintenant ! » lui dit-il ; « voilà ce qu’on gagne à m’attaquer, puisse Dieu me secourir ! » |
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68. Charles avait un damoiseau... au cœur fier et plein de rage qui frappa Girart au passage et lui perça son haubert ; et Girart à son tour le frappa si bien qu’il lui trancha le cœur dans la poitrine. Il l’abatit mort, puis lui dit : « Nous voilà quittes ! » et il prit le cheval par la bride. |
Qui premers de la gerre nen ſen aſaie
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69. Girart s’en va avec une grave blessure ; le sang lui coule à travers le haubert. Il ne s’en soucie guère : il a pris les chevaux[43] comme si de rien n’était, et dit une fière parole : « J’en prendrai encore ! Malheur à qui acceptera une trêve avant d’avoir encore tâté de la guerre ! » |
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70. Girart s’en va vers Avignon, sans vouloir s’arrêter à Dijon. Il y fut sept jours après avoir quitté Roussillon. Voici que vient au devant de lui le comte Boson, qui arrivait en hâte le secourir avec mille bons chevaliers. Lorsqu’il vit Girart blessé, il en fut tout dolent, mais quand il vit que la blessure pouvait se guérir, il ne s’en soucia pas plus que d’un bouton ; puis il lui demanda des nouvelles de Roussillon. — « L’autre soir Charles me l’a enlevé par trahison, grâce à un traître de ma maison. — Je m’en moque », dit Boson, « puisse Dieu me venir en aide ! Dès que Dieu vous a fait échapper à sa prison, je ne fais pas plus de cas de votre perte que d’un denier[44]. Vous avez trois cents châteaux en son royaume[45], trente cités seigneuriales y compris Avignon : faisons lui une telle guerre qu’il ait besoin, pour s’en tirer, de ses éperons. Faisons la guerre à ce roi, le mauvais félon ! — Voilà un conseil que j’approuve », dit Girart. |
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71. Voici Seguin le vicomte, de vers Béziers[46], il vint d’au-delà de Narbonne et....[47] ; avec lui furent deux mille damoiseaux vaillants qui ne sont pas chiches de montrer leurs armes. Devant eux ne dure acier ni fer. Les chevaux qu’ils montent sont....[48], courants et emportés plus que des cerfs. Ces hommes là feront à Girart grande joie : ils lui rendront Roussillon, si fort soit-il, et le roi en sera dolent, triste et sombre. |
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72. Fouque entre en Avignon du côté des jardins (?). Quand il descendit de cheval il n’avait pas l’air d’un garçon. Avec lui étaient dix mille Escobarts[49] preux, hardis, vaillants, nourris dans la montagne qui ferme la Lombardie, et qui s’étend depuis la Provence, du Pont du Gard (?)[50], jusqu’en Allemagne, en Beauregard[51], à l’endroit où Montbeliart forme la limite. Le marquis Amadieu[52], Pons et Ricart étaient leurs seigneurs, et Fouque était le quatrième. Girart est leur cousin germain ; c’est pourquoi ils arrivent au secours de tant de côtés. Fouque les conduira, et sans tarder Charles ne s’en retournera pas sans courir de grands dangers. |
Se iaz li cons girarz deuant un moine
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73. Girart est en Avignon sur le Rhône, en une chambre voûtée peinte en brun[53] ; les chapitaux sont de rouge sardoine, les piliers et les colonnes de liais ; les pierres d’angle (?) et les bases[54] sont de marbre bien entaillé à l’œuvre de Salomon[55]. Sur un feutre ouvré de Capadoine[56] gît le comte Girart ayant près de lui un moine : il n’y a tel médecin jusqu’en Babylone. Là entre Fouque et avec lui Coine, le marquis Amadieu, don Antoine. Girart va leur faire connaître son projet. Son ennemi même porterait témoignage que jamais comte n’eut meilleur conseiller (?). |
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74. La chambre est obscure ; tous gardent le silence, personne n’oserait parler. Les fenêtres sont closes et arrêtent le jour ; les rideaux bordés d’orfrois sont tendus, mais les pierres précieuses répandent plus de clarté que ne ferait un cierge[57]. Girart, étendu blessé sur un lit, pense à la guerre qu’il veut faire à Charles. Là entrent sept comtes et un marquis. Fouque parla le premier, comme il convenait : « Comte, voici ta mesnie qui vient à toi. » Girart en fut si heureux qu’il se dressa, et croyez bien qu’il n’oublia pas d’en baiser un seul[58]. Puis, les ayant fait asseoir autour de soi : « Vous êtes mes amis, mes hommes, mes parents en qui j’ai confiance. J’ai perdu Roussillon, par grande trahison : Charles me l’a, enlevé l’autre nuit, l’impudent ! Maintenant, que chacun se dispose à la guerre ! Où il trouvera son ennemi, qu’il le combatte ! Qu’il le fasse montrer au doigt mort ou vaincu ! Nous irons à Roussillon faire tournoi. Ma blessure, je m’en soucie comme d’un champignon ! » |
E il uos ſigrant ſempres a eſperon
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75. Girart prit don Fouque et don Boson et Seguin, le vicomte de Besançon ; il les tira à part en un coin : « Vous êtes mes amis et mes barons ; faites dire à ceux qui sont là dehors qu’ils campent dans les prés sous Avignon. Mais qu’ils ne dressent ni trefs ni pavillons : qu’ils attachent leurs chevaux comme chez eux. Faites crier dans la ville par un garçon qu’on leur fasse au dehors de grandes livraisons de pain, de vin, d’avoine ; de l’herbe ils en trouveront par la campagne. » Puis il appela don Fouchier le maréchal. « Cousin, vous m’en irez à Garignon ; dites au comte Gilbert qu’il se donne garde du côté de la forêt de Montargon : quand il verra s’élever une fumée, qu’il envoie une troupe à Roussillon : cent chevaliers avec une bannière qui frapperont de toutes leurs forces à la porte en criant que Charles est un traître félon[59]. Puis, tournez vers Escarpion[60]. Ils vous suivront au galop ; nous viendrons par derrière, par la rive (de la Seine ?), et nous prendrons des leurs autant qu’il nous plaira. » C’est ainsi que Girart leur expose son plan. |
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76. Fouchier monte à cheval et se met en route. Jamais il n’y eut si parfait larron, ni tel espion. Il a plus volé de richesses que Pavie[61] n’en possède ; et pourtant, à un homme de sa naissance cela ne convenait guère, car il n’y a meilleur comte jusqu’en Hongrie, mais il ne pouvait se tenir de faire le larron. Il emmena sept chevaliers avec lui ; au cinquième jour il fut à Garignon, et ce qu’il pria Gilbert de faire fut fait sans délai. Écoutez maintenant la prouesse de Girart. Ne croyez pas que sa blessure lui fasse rien ; il se ceint et se lie d’une bande de soie, se chausse et se vêt comme il avait accoutumé ; il monte sur un mulet de Bulgarie qui à l’amble allait plus vite qu’un cheval au galop. Vingt-cinq mille hommes le suivent, guidés par Fouque. |
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77. Girart chevauche comme pour une courte expédition. Il n’a point convoqué son host, ni envoyé au loin ses messagers, et pourtant sa chevauchée ne comptait pas moins de vingt-cinq mille hommes bien armés. À Lyon, ils traversent le Rhône, et à Macon, la Saône. Ils campèrent la nuit dans la prairie jusqu’au lendemain à l’ajournée ; ils passent Chalon pendant le jour, logent à Montaigu[62], par la campagne, et prennent le conroi[63] au milieu de la route. De là à Dijon, il n’y eut rêne tirée[64]. Ils se logent hors des murs, près de la brèche[65], et donnent aux chevaux de l’herbe et de l’avoine. Guillaume d’Autun et sa troupe exercée gardent les passages du bois, ne laissant passer âme qui vive, de peur que Charles soit informé[66]. Avant que le roi ni sa mesnie sachent ce qui se prépare, sa gent aura subi un rude échec. |
Jren a roſſilun aſſaut baſtir
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78. Pendant le jour, ils se reposent : ils pansent les chevaux et vont dormir jusqu’à tant que la nuit vienne avec la fraîcheur. Alors Fouque les conduit selon sa volonté. On ne tira pas les rênes jusqu’à la Seine. Ils mettent pied à terre sous Châtillon, dans le bois, pour dormir jusqu’à l’aube. Alors ils font allumer un feu à Montargon. Gilbert de Senesgart reconnut le signal ; il encourage sa mesnie : « Armez-vous, chevaliers ; nous allons livrer assaut à Roussillon. Nous donnerons à Charles des nouvelles de Girart, et je pense lui faire telle chose dont il aura lieu de s’affliger. » Ils n’étaient pas plus de cent ceux qui allèrent s’apprêter ; ils sortent par une petite porte. |
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79. Gilbert guida les siens par une vallée ; ils n’étaient pas plus de cent cavaliers. Ils vont livrer assaut à Roussillon. Gilbert frappe de sa lance à la grande porte, et appelle Charles traître et mauvais, envieux et déloyal. Charles fut rempli de colère, toutefois il s’écria à haute voix : « Armez-vous, chevaliers ! » Lui-même, tout le premier, saute sur son cheval, prend son écu et sa lance, sans vouloir rien de plus[67]. Ils sortent ensemble par la porte ; ils n’étaient que dix mille royaux. Le roi galoppait en avant, criant : « Gilbert ! Que sert de fuir ? » Charles le frappa, mais sans l’atteindre grièvement. Girart cependant vient par la rive de la Seine ; ils sont vingt-cinq mille qui se jettent sur les traces du roi et l’atteignent sous Belfau[68]. Là furent frappés tant de coups mortels, que le roi éprouva un échec comme il n’en avait jamais éprouvé. |
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80. Sous Belfau ils les[69] atteignent, en une plaine. Là Girart et ses hommes poussèrent leur cri. Au premier engagement il n’y eut lance qui ne fût brisée. Le comte leur montrera de quoi il est capable. À l’épée les deux partis se poussent vigoureusement. Le roi vit sa perte, qui fut si grande ; il cria aux siens : « Cessons la lutte. Gilbert nous a pris en traître ! » Et il se mit en retraite près d’un marais. Mais Gilbert tourna sur lui près de la montagne et courut l’attaquer dans la plaine. |
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81. Fouque vint, le premier, par une petite plaine, sur un cheval rapide, à la crinière fauve, le visage coloré par l’ardeur de la lutte. Il va frapper Bernart de Rochemaure ; du coup, il lui perce l’écu, lui rompt le haubert, en arrache les clous, et retire son enseigne bleue toute rouge de sang. Girart eut lieu de se louer de cette journée, tandis qu’en ce jour l’enseigne de Charles Martel fut enrouée[70]. |
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82. Charles vient au secours des siens par la plaine ; il a pris le heaume et le haubert d’un soudoyer et poussa son cri... « Frappez-les, chevaliers... » Là vous auriez vu donner tant de bons coups, que tels mille tombèrent par le pré, dont pas un n’avait le cœur ni la tête intacts, ni n’était en état de distinguer la clarté d’avec l’obscurité. Aucun de ceux-là ne revit plus sa demeure. |
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83. Charles voit que les hommes de Girart ont le dessus. Il aperçut Fouque le comte qui s’avançait, portant une enseigne toute sanglante : il leur avait tué Bernart le fils Armant. Le roi vit Boson qui rangeait les siens, le marquis Amadieu, chevauchant après eux. Alors Charles n’eut pas envie de chanter : « Frappez sur eux, chevaliers, je vous le commande : nos enfants n’y perdront de leur terre, ni un demi pied, ni plein la main, ni plein un gant ! » Et les siens, à ces mots, s’élancent pleins de fureur, et la lutte[71] s’étend. |
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84. Du côté de Charles, il ne fut pas question de former les lignes, mais chacun joue de l’éperon et se porte en avant le plus qu’il peut. Voici au premier rang Charles et Hugues de Broyes[72], Galeran de Senlis et Godefroi. Le roi fut bien aise de les voir autour de lui. Mais une autre chose le met en grand effroi : c’est qu’il voit venir Fouque, le long d’une aunaie. Il déploya son enseigne, pour la faire flotter au vent ; les pans et les plis en étaient pleins de sang. Avec lui vinrent trois ou quatre comtes, Pons, Ricart et Coine et les Desertois[73]. Chacun cria son enseigne, et là où ils se heurtèrent il y eut grand fracas. Il n’y a si bon écu qui ne se brise, raide lance qui ne vole en éclats ou ne se courbe. La maille du haubert ne valut pas plus qu’un morceau de cuir. Fouque se mesure avec Arbert[74], Girart avec le roi. Voici Arbert renversé du cheval noir, et Girart abattu de Ramon près d’un..... Mais à leurs secours, il y eut un tel tumulte, que celui qui fut frappé et ne tomba pas, eut certes la protection de Dieu et de saint Remi. Fouque fit prisonnier Arbert sous les yeux du roi. Trois mille restèrent morts sur le champ de bataille ; Girart fit beaucoup de prisonniers. C’est pour son malheur que Charles se laissa entraîner à l’orgueil, qu’il crut un traître, un trompeur, pour s’emparer de Roussillon par des moyens déloyaux. |
Aſſaz aura li cons don les ſeus pait
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85. Girart le comte est à pied dans un guéret : il fallait que Charles fut bon chevalier pour l’avoir abattu ; il lui eût fait pis, s’il lui était venu du secours. Là vous auriez vu tant de beaux coups, de çà et de là tant d’écus brisés, tant de vassaux blessés dont le sang s’échappe à flots ! Girart eut gain de cause ; de ceux de Charles il en resta tant sur le champ de bataille qu’il ne s’en échappa pas un millier. Le comte aura de quoi payer ses hommes. |
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86. Amadieu et Antelme, celui de Verdun, le comte Boson et Guillaume d’Autun, entrent dans la bataille précipitamment. Du choc des épées, ils firent jaillir du feu sans fumée, répandirent le sang..., couchèrent sur la terre tant de corps privés d’âme, dont aucun ne vint puis à la rescousse du roi Charles. Le roi eût mieux aimé être à Mont-Laon. |
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88. Onques vous ne vîtes un combat où l’on ait si bien frappé : vous auriez vu tant de bons vassaux étendus morts, tant de têtes séparées du tronc à coup d’épée ? Le gonfanon du roi fut abattu, mis en pièces au fort de la mêlée, Arbert le comte de Troyes fut pris ; Charles a perdu mille barons faits prisonniers, sans compter les morts. Charles voit que les siens ont cessé de crier son enseigne ; il se retire au loin en arrière, sur Pui-aigu. Gace[77] et le comte Joffroi[78] sont venus l’y rejoindre et lui crient : « Fuis d’ici ! de dix mille hommes il ne te reste pas sept cents écus. Point de salut du côté de Roussillon ; ils nous ont enlevé les passages et les voies, les bois, les entrées, les terrains bas. — Suis-je donc perdu ? » dit Charles. — « Non, sire, si tu es habile. Va à Saint-Remi[79], sous l’église voûtée, et là mande tes hommes, appelle-les à ton aide. » Là-dessus le roi s’en va, plein de dépit ; Gace et le comte Joffroi l’accompagnent. |
E girarz eſcridet ſeige nouel
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89. Or, s’en va le roi sur Carbonel[80], avec Gace et le comte Joffroi, sous la ramée. Cependant Girart et les siens font le massacre[81]. Ils ont gardé entre les vivants, deux cent quatre vingts hommes possesseurs de châteaux, qu’ils ont mis à part. Puis Girart dit aux siens une parole qui leur plut : « Puisque Dieu et saint Michel nous ont accordé la victoire sur Charles Martel, nous ne devons plus désormais continuer la chasse. Retournons ensemble au château [de Roussillon]. Don Richier de Sordane[82] en a la garde, à qui le roi a donné la terre d’outre Verdel[83]. — Je m’embarrasse peu de ce misérable[84] », dit Fouque, « je lui mettrai au cou un tel carcan qu’il donnera à faire au gibet de Montsorel ! » Il place l’écu devant lui, en chanteau[85] ; ils vont ensemble, comme un vol d’étourneaux[86], jusqu’à Roussillon, sous l’orme. Girart s’écria : « Nouveau siège ! mais je ne veux pas qu’on descelle une seule pierre du mur ! » Là sont descendus [de cheval] mille jeunes guerriers qui se mettent à trancher les barrières et le fléau[87], mais ils ne trouvent personne qui du dedans leur résiste ; chacun s’en va fuyant en bateau[88], ils sont venus se réfugier auprès de Charles Martel. |
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90. Girart fit une chose dont je me réjouis. Il a gagné la bataille, repris son château : chevalier ni personne ne le lui défend. Fouque descend vers la rivière, ayant bien sept cents combattants à sa suite, tous hommes preux et vaillants de sa mesnie. Ils ne rencontrent pas un des hommes de Charles sans l’étendre mort. Le traître[89] s’en allait, cherchant à s’échapper. Fouque le rencontra à la descente d’une colline, comme il arrivait à une pêcherie de la Seine. Le batelier qui menait le mécréant, et que celui-ci avait battu et fait sanglant, quand il reconnut Fouque, eut le cœur joyeux : il vira de bord à dessein, et heurta le bateau contre terre si violemment qu’il le rompit[90]. Et Fouque, à cette vue, accourut au galop ; il ne laisse pas au traître le temps de parler ni de le défendre, mais il le saisit furieusement par les cheveux, et le tenant au long de son cheval, il le mène en haut au vent[91], et le conduit à un gibet élevé. Là il branlera à tout jamais. Voilà vengeance prise du traître qui a causé la mort de tant jeunes hommes ! |
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- ↑ E pur cheval ; c’est-à-dire un cheval de guerre, non pas un palefroi.
- ↑ Mon conrei ; c’est une variété du droit de gîte ou de procuration ; voy. Du Cange au mot conredium. Dans les anciens textes, conroi est l’hospitalité offerte à titre gracieux ; voir, par exemple, Aye d’Avignon, v. 2386 et 2439. Un homme que sab gent conrear (Gir. de Rouss., éd. Hofm., v. 3466) est un homme qui reçoit bien ses hôtes. C’est à tort que Raynouard fait deux mots distincts de conrei et de conre (Lex. rom., II, 48-9).
- ↑ Drogon, et Odilon, le père et l’oncle de Girart ; cette inimitié, dont la cause n’est nulle part expliquée, est dans le poëme l’objet de fréquentes allusions.
- ↑ Girart et les siens.
- ↑ Girart ; le sens n’est pas très-assuré ; le vers manque dans P.
- ↑ On a vu plus haut que Charles, en quittant Girart, s’était rendu à Cologne.
- ↑ C’est le terme de l’ancien français ; ital. veltro, sorte de grand chien de chasse.
- ↑ Voir § 21 et la note.
- ↑ « Deux » est là pour la rime.
- ↑ Nom qui ne peut être qu’un souvenir des croisades ; voy., sur les princes de Tabarie et de Galilée, les Familles d’Outre-mer, de Du Cange, p. 443 (dans les Documents inédits).
- ↑ C’est à-dire la jouissance avec le titre de « donzel », en français « damoisel ». Le titre de damoiseau était attaché à certaines seigneuries ; voy. le P. Daniel, Histoire de la milice françoise, I, 130 (l. III, ch. vi.)
- ↑ On sait que ce nom désigne très-souvent au moyen âge toute l’Italie.
- ↑ Sic dans Oxf. ; Aracles, dans P. (v. 139), est peut-être préférable. Au temps où a été rédigé le poëme, le nom d’Eracle était bien connu.
- ↑ Allusion à un récit qui d’ailleurs nous est complètement inconnu.
- ↑ Li pirar e l’estelon, Oxf., lhi pilar e li stilo, P. (v. 154). Raynouard, Lex. rom., V, 179 traduit stilo par « les péristyles », ce qui est évidemment erroné. Je crois qu’il s’agit des bases des piliers, des stylobates, et je rattache ce mot par l’intermédiaire du bas-latin (voy. Du Cange, stillus), au grec στύλος. Cette interprétation, qui reste conjecturale, convient assez au v. 555 du ms. de Paris (ci-après § 73) où sont mentionnées li estel, à côté des piliers et des colonnes.
- ↑ Mot à mot « les chevrons », ce qui ne peut trouver son application ici. Ce mot termine le vers, et peut avoir été appelé par la rime.
- ↑ Mot à mot « les cryptes et les voûtes. »
- ↑ Cf. la mort de Garin, éd. du Méril, p. 124 ;
Fromondin trove sor le pont torneïs,
Desor son poin ot un espervier mis,
Gorge li fait d’une aile de pocin. - ↑ Eion Oxf., Yo P. (v. 183). Allusion fort obscure à un récit, d’ailleurs inconnu, où se trouve mêlé le roi Yon, peut-être cet Yon de Gascogne que nous connaissons par divers poëmes, Renaut de Montauban, par exemple, Aiol, Girart de Vienne, et qui a récemment été identifié avec le duc d’Aquitaine Eudo, voy. Longnon, Revue des Questions historiques, 1er janv. 1879, p. 185 et suiv. Voici l’une des façons dont on pourrait traduire le texte, probablement corrompu dans les deux mss., qui est remplacé ci-dessus par des points : « ... des fils d’Yon qui ne purent obtenir un accord à Dueon (sic Oxf., Dijon : Doro dans P.), passèrent la mer pour se rendre auprès du roi Oton ; ne pouvant rien faire de plus à celui-ci, il l’empêcha de leur donner asile dans Avalon. »
- ↑ Selon P. (v. 202) : les Normands et les Français.
- ↑ Depuis le Nord jusqu’à la limite méridionale de ses possessions.
- ↑ C’était une croyance généralement répandue que l’escarboucle possédait par elle-même un pouvoir éclairant. Ainsi, le palais qui est décrit à la fin de la célèbre lettre du Prêtre Jean était illuminé par des escarboucles : « Nec foramina nec fenestre sunt in palatio, quia satis videmus intus ex claritate carbunculorum et aliorum lapidum », édit. Zarnke, dans les comptes-rendus de la Société royale de Saxe. 1877, p. 153. Cf. encore Floire et Blancheflor, édit. Du Méril, p. 24.
- ↑ Charles Martel lui-même, voy. § 33.
- ↑ D’Allemagne, selon P. (v. 289).
- ↑ Il s’agit probablement de retranchements du camp de Charles.
- ↑ Il portail sans doute la lance appuyée sur le pied.
- ↑ Ou « de Mon Espel », dans P. Ce personnage qui ne reparait plus dans la suite, a probablement été inventé pour le besoin de la rime.
- ↑ Ce personnage, qui est ici représenté comme un enchanteur, comme Maugis dans Renaut de Montauban, est peut-être à rapprocher du Folcers lo laire qui figure au v. 1251 des fragments d’Aigar et Maurin, publiés récemment par M. Scheler.
- ↑ Sorte de tente. Il faut conserver ce mot.
- ↑ Les boules qui surmontaient les tentes.
- ↑ Mont Lascon, Oxf., Mon Leo dans P. (v. 351). Le mont Laçois, connu maintenant sous le nom de montagne de Vix (Vix est un village voisin), est situé entre Pothières et Châtillon-sur-Seine. Il tirait son nom de l’ancienne ville de Latisco, détruit à l’époque des invasions barbares. Sur les limites du pagus Latiscensis, voy. d’Arbois de Jubainville, Bibliothèque de l’école des Chartes, 4e série, IV, 349-54.
- ↑ Ici et plus loin (§ 75) Carpion dans Oxf., mais Escarpion au § 91, Escorpio, dans P. (v. 356) ; ce lieu, d’où Boson, l’un des cousins de Girart, tirait son surnom, a résisté à toutes mes recherches.
- ↑ Cette défiance à l’égard des vilains est constante au moyen âge et
se manifeste dans des écrits de nature très-différente, et même dans des
compositions (par exemple Baudouin de Sebourg), qui se distinguent
par une grande liberté d’idées. Dans le Couronnement de Louis, Charlemagne,
conseillant son fils, lui dit (édit. Jonckbloet, v. 206-10) :
Et autre chose te veill, fiz, accointier
Que, se tu veus, il t’aura grant mestier :
Que de vilain ne faces conseillier.
Fill à prevost ne de fill a voier :
Il boiseroient à petit por loier.Dans le Roman d’Alexandre, Aristote donne des conseils, tout semblables à son royal élève (voy. édit. Michelant, p. 8, v. 35, et p. 251, v. 4 et suiv.) On lit dans Cleomadès (édit. Van Hasselt, v. 161-4) :
Li haus homs moult folement œuvre
Qui grant conseil vilain descuevre,
Car qui par vilain veut ouvrer
De s’onnour bien doit meserrer.Dans Baudouin de Sebourg. (I, 120, v. 759) :
Qui d’un serf fait signour il a malvais loier.
Adam de la Halle (éd. Coussemaker, p. 45) dit de même :
Car qui de serf fait signour
Ses anemis mouteplie.La même idée a été exprimée avec concision en latin : « Non exaltabis servum », est l’un des conseils qu’un chevalier français, sur le point de mourir, donne à son fils, selon Gautier Mape, De nugis curialium, p. 106.
- ↑ Voy. p. 11, n. 1.
- ↑ Tafur, ce mot est ici bien détourné de son acception primitive et même de l’acception dérivée qu’il recevait au moyen âge. C’est un mot qui est sûrement d’origine arabe bien qu’il y ait doute sur l’étymologie (voy. Diez, Etymologisches Wœrterbuch, I, tafuro). Il apparaît pour la première fois dans les Gesta Dei per Francos de Guibert de Nogent. Cet historien nous apprend qu’un chevalier normand s’étant mis à la tête d’une troupe de gens sans aveu qui faisaient partie de la première croisade, fut dès lors appelé « le roi Tafur ». Guibert donne de ce surnom l’explication que voici : « Tafur autem apud Gentiles dicuntur quos nos, ut minus litteraliter loquar, Trudennes (= truands) vocamus. » (VII, xxiii de l’édition des Historiens occidentaux des croisades ; VII, xx des éditions de d’Achery et de Bongars.) Le « roi Tafur », qui paraît être une sorte de roi des ribauds, figure à la cour de Charlemagne dans Huon de Bordeaux, v. 38. Tafur est employé dans le sens de ribaud, truant, dans maints textes, voy. par ex. Alexandre, éd. Michelant, p. 167. v. 17 et p. 467, v. 24 (l’éditeur lit à tort cafur), la chanson des Albigeois, vv. 863 et 1590, Aspremont, dans Bekker, Ferabras, p. lxv, v. 1180, Rambaut d’Orange, dans Mahn, Gedichte der Troubadours, nos 626-7, couplet 6 ; pour d’autres exemples, en français et en provençal, voy. Gachet, Glossaire du Chevalier au cygne, et Raynouard, Lexique roman, V, 294. Ici, Tafur paraît signifier « guerrier », et ce que ce nom comporte de défavorable est corrigé par l’épithète « bon ».
- ↑ Du Cange, sous alamandinæ, a plusieurs exemples d’alamandina ou de gemma alamandina ou alavandina qu’il interprète, d’après d’anciens glossaires, par pierre précieuse venant d’Alabanda, en Asie mineure (Carie). Alabandicus « genus marmoris », également dans Du Cange, est sans doute une autre forme du même mot.
- ↑ Sorte de genevrier.
- ↑ Aigline peut bien être une forme arrangée en vue de la rime. Milon d’Aiglent est mentionné dans le fragment de Maurin, publié par M. Scheler, v. 96, dans Gui de Nanteuil, v. 1213, etc. ; Milon d’Aiglant ou d’Anglé, selon la rime, paraît dans Renaut de Montauban, éd. Michelant, p. 45. v. 17, p. 146, v. 25, etc.
- ↑ Il faut entendre même ou fût-ce sa parente...
- ↑ Ce cheval sera nommé de nouveau au § 84.
- ↑ Leçon de P. (v. 457) ; raus et flors (roseaux et fleurs) dans Oxford. Il n’y a pas de colline qui porte actuellement le nom de Saint-Flour ou aucun nom approchant dans les environs de la montagne de Vix, où était bâti le château de Roussillon.
- ↑ La leçon d’Oxf., soz un ni, cache probablement un nom de lieu ; la leçon de Paris, escotet sot si (v. 458), paraît refaite.
- ↑ Des chevaliers qu’il vient d’abattre ; il pouvait y en avoir trois ou quatre.
- ↑ P. moissato (v. 520), un denier de Moissac ? moisserun, Oxf., m’est encore plus obscur.
- ↑ Le royaume de Charles.
- ↑ Beers dans Oxf., ce pourrait être le Béarn ; « au-delà de Narbonne » qui vient ensuite, s’expliquerait mieux dans cette hypothèse. Ce Séguin est le Séguin de Besançon mentionné §§ 43 et 57, et qui paraîtra fréquemment par la suite.
- ↑ De lamers Oxf., et da nivers (ou vivers) P. (v. 528), me sont également obscurs. Viviers, et surtout Nevers, ne sauraient convenir ici.
- ↑ De vaumers Oxf., tan evers P. (V. 352) ?
- ↑ Nation que je n’ai jamais vu figurer en aucun autre texte ; peut-être y a-t-il ici un souvenir des Ascoparts ou Azoparts, qui figurent dans plusieurs anciens poëmes ? voy. Romania, VII, 440, note 5.
- ↑ Oxf. des pons des jarz, P. dels poinh desartz (v. 542), la leçon serait donc corrompue de part et d’autre.
- ↑ Ou Belesgart P. (v. 543), lieu que je ne saurais déterminer.
- ↑ Le même personnage est appelé plus loin, § 145, « le marquis Amadieu del val de Cluis » (de Clus, P. v. 1806) et « le marquis Amadieu à qui fut Turin » (P. 1809). Le nom d’Amadieu (Amédée) a été porté dès le xie siècle par plusieurs comtes de Maurienne et de Savoie. L’auteur de Renaut de Montauban, peut-être par une réminiscence de Gir. de Roussillon, fait paraître « Amadex » à côté de Girart et de Fouque ; voy. éd. Michelant, p. 36, v. 10, p. 37, v. 3, 37.
- ↑ A lioine, peut-être cette expression signifie-t-elle que des lions étaient peints sur les murs, mais dans un exemple qui, à la vérité, n’est que du xvie siècle (Du Cange, leonatus), on voit « color castaneus » ayant pour synonyme « leonatus ».
- ↑ Cf. ci-dessus, p. 22, n. 2.
- ↑ A l’obre de Salemoine. Je conserve l’expression devenue proverbiale en ancien français, et qui exprime la perfection du travail. On en trouvera de nombreux exemples dans Depping et Fr. Michel, Véland le Forgeron (Paris, 1833, in-8), p. 80-1.
- ↑ Probablement Cappadoce, altéré en vue de la rime. Dans Rolant, v. 1571, Capadoce figure dans une laisse féminine en o ouvert, comme ici.
- ↑ Cf. § 53.
- ↑ L’usage de baiser les amis qu’on recevait est constaté par un grand nombre de textes ; voy. Huon de Bordeaux, v. 345 ; Flamenca, v. 7273, etc. Cet usage se conservait encore au xvie siècle en Angleterre, et était pratiqué par les deux sexes ; Erasme le constate avec une satisfaction non dissimulée dans une de ses lettres, éd. de Bâle, 1558, p. 223, cf. la préface de M. Furnivall, à la nouvelle édition de Harrison. Description of England (New Shakespere Society), p. lxj.
- ↑ C’est une forme de défi.
- ↑ Dans P. (v. 608), Scorpio (en d’autres passages Escorpio, voy. § 59). Je ne puis identifier les diverses localités mentionnées dans ce passage, bien qu’elles ne paraissent pas imaginaires.
- ↑ « Por tout l’or de Pavie », Raoul de Cambrai, p. 168, etc. Pavie au moyen âge est surtout célèbre par ses heaumes ; voy. Fr. Michel, Guerre de Navarre, p. 535.
- ↑ P.-ê. le château de Montaigu, dont les ruines existent encore sur le territoire de Touches, à 12 kil. N. O. de Châlon.
- ↑ Voy. p. 19, n. 1.
- ↑ C’est-à-dire « on ne s’arrêta point. »
- ↑ Lonc la taillade ?
- ↑ Cela est notable : il est rare qu’on voie, dans les récits du moyen âge, une troupe prendre soin de cacher ses mouvements.
- ↑ Probablement sans prendre le temps de revêtir le haubert.
- ↑ Lieu que je ne puis déterminer.
- ↑ Le roi et les siens.
- ↑ C. à d., si je comprends bien, le cri de guerre du roi ne se fit pas longtemps entendre. Le cri et l’enseigne sont, comme on sait, très-fréquemment associés.
- ↑ Dois Oxf. que je n’entends pas ; reis P. (v. 725) n’a pas de sens ici. P.-ê. doils ?
- ↑ Broyes était au moyen âge une baronnie relevant du comté de Champagne. Dans la maison de Broyes, dont l’histoire a été écrite par Du Chesne, le nom de Hugues paraît avoir été héréditaire. Ce personnage et les deux qui suivent paraissent encore ensemble plus loin, § 106.
- ↑ Desertei (rime), Desertes, v. 1282 (rime). Desertan 2068, Desertenc v. 2173, 4380 (rime), mêmes leçons dans O. et P., Desertanz del Pui de Trez, 1796, sont autant de variantes d’un nom qui désigne assurément les habitants d’une contrée déserte : du Berry peut-être (il faudrait trouver dans cette région le Pui de Trez) qui paraît avoir porté le nom de « Terre déserte ». On lit dans Lancelot du Lac : « Li rois [Bans] avoit .j. sien voisin qui marchissoit a lui par devers Berri, qui lors estoit apellée la Terre deserte. Icil voisins avoit a nom Claudas, et estoit sires de Beorges (Bourges) et del païs tot environ... La terre de son regne estoit apelée deserte porce que tote fu adesertée par Uter Pandragon » (Bibl, nat., fr. 844, fol. 184 b). Il se peut qu’en effet le Berri ait porté ce nom ; toutefois il n’est pas impossible qu’il y ait là un essai d’étymologie populaire du nom Berri ; on sait qu’en ancien fr. berrie désigne une plaine déserte, voy. Du Cange, beria, Raynouard, Lex. rom., II, 213, berja (lisez beria). Il semble toutefois difficile que le Berry ait été tenu de Girart.
- ↑ Arbert de Troyes, comme on va le voir. Ici il est appelé Albert, mais plus loin Arbert. Ce n’est pas un personnage inventé. Deux Herberts, comtes de Champagne, ayant aussi porté le titre de comtes de Troyes, figurent dans l’histoire au xe siècle ; voy. d’Arbois de Jubainville, Hist. des ducs et des comtes de Champagne, I, 75 et suiv., 158, note 1, etc.
- ↑ Au printemps.
- ↑ Peiranausa, P.
- ↑ Gace de Dreux, qui reparaîtra plus loin.
- ↑ Joffroi d’Angers (cf. v. 2015). Quatre comtes d’Angers ont porté ce nom aux xe et xie siècles. « Gefreiz d’Anjou » paraît dans la Chanson de Rolant, 106, 2883, etc. ; « Jofroi l’Angevin » est père de Gaidon, dans ce poëme consacré à ce dernier personnage.
- ↑ Saint-Remi de Reims.
- ↑ Son cheval.
- ↑ Le massacre des blessés ou des prisonniers, après la victoire.
- ↑ Voy. §§ 60, 61.
- ↑ D’otra Vezel, P.
- ↑ Fradel (P. v. 809, cf. v. 8132) est vraisemblablement analogue pour le sens au fr. frarin, l’un et l’autre étant également dérivés de frater.
- ↑ Je conserve cette expression du moyen âge, qui naturellement n’a pas de correspondant en français moderne, puisque l’idée même n’existe plus, les boucliers étant hors d’usage ; « en chanteau » exprime la même chose, avec plus de précision, que « devant soi », c’est-à-dire, comme l’explique avec raison Gachet (Glossaire du Chevalier au Cygne, cantiel), la surface extérieure du bouclier, le chanteau ou cantel (le même mot s’employait pour désigner le dos de la main), faisant face à l’ennemi.
- ↑ On sait que les étourneaux vivent en bandes qui se plaisent à
tourbillonner en l’air :
E come gli stornei ne portan l’ali,
Nel freddo tempo, a schiera larga e piena.
(Inferno, v. 40-1.) - ↑ La barre de bois ou de fer qui tient fermée les deux ventaux d’une porte.
- ↑ Roussillon était sur une hauteur, à quelque distance de la Seine ; on verra plus loin le traître Richier chercher à fuir en bateau.
- ↑ Richier de Sordane, qui avait livré Roussillon à Charles.
- ↑ La scène est contée d’une façon concise et par suite obscure ; sans doute Richier était monté dans le bateau et allait s’échapper en passant le fleuve, lorsque le marinier manœuvra de façon à se rapprocher de la rive qu’il venait de quitter.
- ↑ Sur la colline.