Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/Gargantua/54

Texte établi par Charles Marty-LaveauxAlphonse Lemerre (Tome Ip. 195-198).

Inscription mise sur la grande porte de Theleme.

Chapitre LIIII.


CY n’entrez pas, hypocrites, bigotz,
Vieulx matagotz, marmiteux, borsouflez,
Torcoulx, badaux, plus que n’estoient les Gotz,
Ny Ostrogotz, precurseurs des magotz
Haires, cagotz, caffars empantouflez,
Gueux mitouflez, frapars escorniflez,
Befflez, enflez, fagoteurs de tabus ;
Tirez ailleurs pour vendre vos abus.

Vos abus meschans
Rempliroient mes camps
De meschanceté ;
Et par faulseté
Troubleroient mes chants
Vos abus meschans.

Cy n’entrez pas, maschefains practiciens,
Clers basauchiens mangeurs du populaire.
Officiaux, scribes et pharisiens,
Juges anciens, qui les bons parroiciens
Ainsi que chiens mettez au capulaire ;
Vostre salaire est au patibulaire
Allez y braire, icy n’est faict exces
Dont en voz cours on deust mouvoir proces.


Proces et debatz
Peu font cy d’esbatz,
Où l’on vient s’esbatre.
À vous, pour debatre
Soient en pleins cabatz
 Proces et debatz.

Cy n’entrez pas, vous, usuriers chichars,
Briffaulx, leschars, qui tousjours amassez,
Grippeminaulx, avalleurs de frimars,
Courbez, camars, qui en vos coquemars
De mille marcs jà n’auriez assez.
Poinct esgassez n’estes, quand cabassez
Et entassez, poiltrons à chiche face :
La maIe mort en ce pas vous deface.

Face non humaine
De telz gens, qu’on maine
Raire ailleurs : céans
Ne seroit séans ;
Vuidez ce dommaine,
Face non humaine.

Cy n’entrez pas, vous rassotez mastins,
Soirs ny matins, vieux chagrins, et jaloux ;
Ny vous aussi, seditieux mutins,
Larves, lutins, de Dangier palatins,
Grecs ou Latins, plus à craindre que loups ;
Ny vous gualous verollez jusqu’à l’ous ;
Portez vos loups ailleurs paistre en bonheur,
Croustelevez, remplis de deshonneur.

Honneur, los, deduict,
Ceans est deduict
Par joyeux acords ;
Tous sont sains au corps ;
Par ce, bien leur dict
Honneur, los, deduict.


Cy entrez, vous, et bien soyez venus
Et parvenuz, tous nobles chevaliers !
Cy est le lieu où sont les revenuz
Bien advenuz ; affin que entretenuz
Grands et menuz, tous soyez à milliers.
Mes familiers serez et peculiers :
Frisques, gualliers, joyeux, plaisans, mignons
En general tous gentilz compaignons.

Compaignons gentilz,
Serains et subtilz,
Hors de vilité,
De civilité
Cy sont les oustilz,
Compaignons gentilz.

Cy entrez, vous, qui le sainct Evangile
En sens agile annoncez, quoy qu’on gronde :
Ceans aurez un refuge et bastille
Contre l’hostile erreur, qui tant postille
Par son faulx stile empoizonner le monde :
Entrez, qu’on fonde ici la foy profonde,
Puis, qu’on confonde, et par voix et par rolle,
Les ennemys de la saincte parolle.

La parolle saincte
Jà ne soit extainte
En ce lieu très sainct ;
Chascun en soit ceinct ;
Chascune ayt enceincte
La parolle saincte.

Cy entrez, vous, dames de hault paraige !
En franc couraige entrez y en bon heur,
Fleurs de beaulté, à celeste visaige,
À droit corsaige, à maintien prude et saige.
En ce passaige est le sejour d’honneur.
Le hault seigneur, qui du lieu fut donneur

Et guerdonneur, pour vous l’a ordonné,
Et pour frayer à tout prou or donné.

Or donné par don
Ordonne pardon
À cil qui le donne,
Et très bien guerdonne
Tout mortel preud’hom
Or donné par don.