Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome II/X/6

Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (1856)
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (IIp. 665-705).
LIVRE SIXIÈME.


Chapitre premier. — Que le diagnostic des affections de la rate diffère peu de celui des affections du foie. — Symptômes et accidents qui se manifestent quand les fonctions de la rate sont frappées d’atonie. — Des ictères ou des hydropisies qui surviennent quand la rate et le foie sont affectés simultanément ou par suite d’une simple dyscrasie. (Cf. Facultés naturelles, II, viii, p. 267-268.) — Embarras de certains médecins pour expliquer ces faits.


D’après ce que je viens de dire sur le foie, il ne sera pas difficile de reconnaître les signes à l’aide desquels on diagnostique les affections de la rate ; il faut encore ajouter que les inflammations de ce dernier viscère sont faciles à constater au toucher à cause de la dureté qui les accompagne. Comme les maladies de la rate ont dans leurs symptômes beaucoup de rapports avec celles du foie, elles n’en diffèrent que par le plus ou le moins dans la possession de ces rapports. Si la rate est affectée d’atonie, la couleur de tout le corps tourne au noir, puisqu’elle a pour fonction naturelle d’attirer du foie dans son intérieur le sang chargé de bile noire, sang dont elle se nourrit, ainsi que cela a été démontré (cf. Util. des parties, IV, iv et xv) ; quand sa faculté attractive est frappée d’atonie, le sang venant du foie se distribue dans tout le corps sans être purifié ; en conséquence, la peau prend une couleur noire. Cependant la rate, comme fait aussi le foie, expulse souvent de son intérieur des superfluités, de sorte qu’on voit quelquefois un sang chargé de bile noire être rejeté par des vomissements accompagnés de nausées, et un sang de nature semblable être évacué par les selles. Il arrive aussi qu’en l’absence de semblables évacuations, il y a, soit des abattements, des tristesses mélancholiques et un désir très-violent des aliments, surtout si ce sont des superfluités très-acides qui se portent dans l’estomac, soit un renversement et un affaissement de ce viscère, si les superfluités ont une autre espèce de corruption.

On a dit plus haut (voy. V, viii, p. 653) comment la rate affectée de squirrhe fait naître une hydropisie lorsque le foie est affecté concurremment. Toutefois, quand il arrive que les deux viscères sont affectés simultanément, nous avons vu alors survenir des ictères, dont la couleur tirait plus sur le noir que de coutume, de façon qu’on pouvait croire que la bile jaune était mêlée à de la suie. Quelques médecins, estimant dans ce cas que le foie est exempt d’affection, ne s’expliquent pas comment il se fait que certains ictères soient sous la dépendance de la rate ; il en est de même de ceux qui pensent que les malades tombent en hydropisie, par suite de l’état squirrheux de la rate seule et sans que le foie soit affecté. Ces médecins sont dans le même embarras touchant les hydropisies qui surviennent dans les maladies aiguës, maladies à la suite desquelles, par intempérie chaude et souvent par intempérie froide, le foie est si fortement affecté qu’il ne peut plus hématoser l’aliment. En effet, ils ne pensent pas non plus que dans ce cas le foie est affecté, attendu qu’ils ont pris, avec Érasistrate, l’habitude de ne pas regarder comme affectée une partie où il ne se manifeste ni tumeur ni ulcération. On peut permettre une telle manière de voir à ces médecins, qui sont d’opinion qu’aucune maladie ne naît par dyscrasie ; mais les médecins qui s’en tiennent aux phénomènes apparents, et qui, par conséquent, sont d’avis que certains symptômes se manifestent, quand une partie est refroidie (cf. V, viii), ne faut-il pas les admirer quand ils pensent qu’une hydropisie ne peut se former sans qu’il y ait un lieu affecté[1] ? S’ils pensent, en effet, que le foie n’est nullement affecté lorsqu’il n’existe pas de tumeur contre nature dans ce viscère, il n’y aura non plus [ni le foie ni] aucun autre lieu affecté, quand on est pris d’hydropisie après avoir bu intempestivement et beaucoup à la fois de la mauvaise eau froide. De l’eau froide bue de cette façon lèse donc une des parties intérieures, tantôt l’une, tantôt l’autre, l’une plus fortement que les autres, l’une avant les autres, suivant qu’à ce moment il se trouve une partie plus faible. Nécessairement le froid passera dans le foie, s’il doit survenir une diathèse hydropique. De la même manière, la rate engendrera [par l’intermédiaire du foie] une hydropisie, qu’elle soit refroidie avec tuméfaction, comme dans le squirrhe, et sans tuméfaction, par exemple dans le cas où on boit avec abondance et à contre-temps de la mauvaise eau froide. Qu’il se manifeste des tristesses mélancholiques quand la rate envoie une superfluité mélancholique à l’orifice de l’estomac, cela a été dit quand nous traitions plus haut de cette partie (cf. V, vi), de sorte que nous n’avons rien à ajouter en ce qui concerne la rate, les affections organiques qui s’y développent ne réclamant pas un diagnostic fondé sur le raisonnement [attendu qu’on les constate par les sens]. Quant aux affections par dyscrasie, elles sont connues soit par ce qui vient d’être dit, soit par nos observations touchant les maladies du foie. En effet, certaines affections ont été décrites nominativement ; certaines, se formant de la même façon, sont aussi reconnues de la même manière.


Chapitre ii. — Communauté d’affections et par conséquent de symptômes entre l’estomac, les intestins et les parties voisines. — Diagnostic différentiel de la dyssenterie et du flux sanguin hépatique. — Circonstances qui permettent de reconnaître quelle partie de l’intestin est ulcérée dans la dyssenterie. — Du ténesme. — Diagnostic différentiel des affections des reins et du colon. — De l’iléus. — De la lienterie. — Galien, se fondant sur la similitude des symptômes que présentent les inflammations, les squirrhes, etc., quel que soit le lieu affecté, n’a pas traité de ces maladies en particulier pour les intestins.


J’ai déjà traité précédemment (voy. V, vi) des affections de l’estomac, et, à ce propos, j’ai divisé ce viscère en deux grandes parties, l’une supérieure (orifice de l’estomac), qui se continue avec l’œsophage, et qui offre un entrelacement de nerfs nombreux et sensibles ; l’autre qui lui fait suite, et qui s’étend sans interruption jusqu’au prolongement vers les intestins (duodénum. Cf. Utilité des parties, IY, vii). Comme dans les animaux une utilité propre est inhérente à chacune de ces deux parties, de même elles présentent [quand elles sont affectées] des symptômes différents, en rapport avec la diversité de leur utilité. Au contraire, toutes les affections qui sont communes aux parties homoïomères et aux parties organiques [de l’estomac] présentent les mêmes symptômes, non-seulement entre elles, mais par rapport à l’intestin tout entier. Cette similitude de symptômes n’existe pas seulement dans ces limites, mais encore pour les affections des parties voisines, par exemple, des reins par rapport au colon. Certains symptômes répondent cependant à un lieu affecté facile à reconnaître, comme par exemple les dyssenteries et les ténesmes. Dans le présent livre, nous devons entendre les dyssenteries proprement dites : cette dénomination signifiant ulcération de l’intestin ; car cette affection ne survient pas précipitamment, comme cette autre flux analogue, dans lequel nous avons dit (cf. V, ix, p. 656, l. 36) que le foie souffrait, et qui se reconnaît à des signes particuliers. En effet, dans la dyssenterie, il y a une évacuation de bile assez mordante, après laquelle sortent des raclures d’intestins ; puis avec ces raclures s’échappe un peu de sang ; alors la dyssenterie est caractérisée. Quand il n’y a encore que les raclures qui s’échappent, il faut considérer si ces raclures sont mélangées avec quelque chose de gras, car c’est le signe de l’ulcération des gros intestins. Lorsque le sang commence déjà à couler, on examinera si ce sang est exactement mélangé tout entier avec toutes les autres matières, ou s’il se trouve à la surface de quelques-unes d’entre elles ; en effet, si le sang est complétement mélangé, c’est la partie la plus élevée des intestins qui est ulcérée ; si le sang surnage, c’est la partie la plus inférieure. Ce diagnostic s’établit aussi par les raclures, mais moins clairement que par le sang. Ainsi, une fausse membrane (ἐφελκίς) qui est expulsée, indiquera de quel intestin elle provient, d’abord par sa substance propre, et encore par cette circonstance accidentelle d’être mélangée avec les autres matières, ou de se trouver à la surface de quelques-unes d’entre elles. Or, il n’importe pas peu pour la thérapeutique de savoir dans quelle partie des intestins siége l’ulcération ; on obtient du soulagement par les remèdes pris en boissons, quand c’est à la partie supérieure, et par les lavements médicamenteux quand c’est à la partie inférieure.

De telles dyssenteries sont distinguées des flux de sang qui proviennent du foie, d’abord par ce fait que dans ces flux l’ichor ténu du sang s’échappe au début, et qu’ensuite, le mal augmentant, l’humeur épaisse du sang, laquelle ressemble à de la lie, est rendue par les selles ; en second lieu, qu’il n’y a jamais expulsion concomitante de raclures ; de plus, dans le flux hépatique, il y a quelquefois des intervalles de deux ou trois jours, après quoi le mal revient, les évacuations ayant un caractère beaucoup plus mauvais qu’avant. Les choses ne se passent pas ainsi pour les ulcérations des intestins ; les évacuations sanguines ne se font ni subitement ni à de longs intervalles.

Les ulcérations des gros intestins, auxquelles on donne le nom de ténesmes, causent des tensions violentes et de fortes envies d’aller à la selle ; les évacuations sont peu abondantes ; au début, elles sont phlegmatiques et graisseuses ; avec le temps, on y voit des raclures. Pendant toute la durée de la maladie, ces matières ne se mélangent pas avec celles qui viennent de plus haut. Quelques médecins ont écrit qu’à la suite de ces violentes envies d’aller à la selle, envies précédées de fortes douleurs, les malades avaient rendu certaines pierres poreuses, semblables à celles qui se forment dans la vessie, ce que je n’ai jamais vu moi-même, ni entendu dire par un témoin oculaire.

J’ai souvent vu une forte douleur du colon être prise, non pour ce qu’elle était, mais pour une douleur des reins, ou, au contraire, une douleur des reins être rapportée au colon. Quelques médecins pensent aussi qu’il n’y a jamais de diathèse colique à gauche. De fait, au début, mais quand il n’y a pas grande différence dans les moyens à employer, le diagnostic de ces affections offre quelque difficulté. Toutefois, il faut faire attention, même à cette époque, aux symptômes distinctifs qui prédominent : en effet, les nausées avec vomissements sont beaucoup plus fortes et plus fréquentes dans les souffrances du colon ; les matières vomies sont plus phlegmatiques et plus corrompues ; les excréments sont plus opiniâtrement retenus, en même temps qu’il ne s’échappe point de vents, et qu’il n’y a point d’éructations. Souvent les malades éprouvent une douleur qui fait des circonvolutions et qui envahit un espace plus étendu ; quelquefois aussi elle paraît plus forte, suivant les parties qu’elle occupe, tandis que les douleurs néphrétiques sont toujours fixées au même point. Lorsque la douleur siége plus haut que les reins, le diagnostic de l’affection du colon est évident. Quand elle siége au niveau des reins, étant fixée en un seul point, on n’en peut rien conclure pour le diagnostic ; mais entre les autres signes que j’ai déjà indiqués, il faut encore considérer les urines. Au début, les néphrétiques rendent une urine aqueuse et pure ; dans les jours suivants, elle présente un dépôt hérissé et ensuite exactement sablonneux. Dans les affections du colon, s’il y a, par hasard, des évacuations, les matières sont, pour ainsi dire, remplies d’air ; souvent elles nagent à la surface du liquide, et, en se déposant, elles ressemblent à de la fiente de bœuf. Au milieu des paroxysmes des coliques, on est soulagé par les lavements relâchants, beaucoup plus que dans ceux des douleurs néphrétiques. Il arrive aussi que si une certaine humeur froide vient à s’échapper, les paroxysmes cessent aussitôt, cette évacuation étant comme un moyen palliatif ; ou plutôt elle n’est pas seulement telle, mais c’est un moyen thérapeutique et diagnostique. La sortie de la pierre, chez les néphrétiques, est précisément comme l’évacuation de cette humeur dans les coliques : l’expulsion de la pierre dissipe la douleur et fait découvrir en même temps le lieu affecté, de sorte qu’il ne reste plus qu’à prendre ses mesures pour mettre les malades à l’abri du retour des souffrances. En effet, comme au moment des douleurs la région des reins et celle des uretères réclament les mêmes médicaments, de même, les douleurs passées, ces régions en exigent de différents. Il faut donc penser qu’il ne résulte pas un grand dommage pour la thérapeutique si la première invasion des douleurs ne permet pas de distinguer facilement les deux espèces d’affections, car elles n’ont pas besoin de médicaments différents ni à l’extérieur ni à l’intérieur, mais il suffit d’employer des palliatifs.

Tous les intestins se suivent régulièrement, à partir de l’estomac : le jéjunum est le plus élevé ; puis vient l’intestin appelé grêle ; après lui se trouve le cœcum qui a un prolongement vers les parties inférieures ; vient ensuite le colon qui se dirige d’abord à la région supérieure pour s’accoler le plus souvent au foie et à la rate ; aussi ai-je été surpris de voir comment non-seulement presque tous les médecins, mais encore les gens du monde, avaient su rapporter au colon les douleurs les plus violentes, dans quelques parties [du ventre] qu’elles se trouvent. Certes, cette manière de voir me paraît très-vraisemblable, mais je ne l’ai admise qu’après avoir cherché la cause de la douleur violente et fixe, et ne me fiant pas simplement aux affirmations des autres. En effet, il ne serait pas conforme à la raison de croire que les vents froids et les humeurs froides contenus dans les intestins grêles causent, dans leur marche, des douleurs analogues aux douleurs violentes qui se manifestent, soit dans les reins, soit dans les uretères où des pierres sont enclavées, quand une de ces pierres [se détache et] descend. La substance du corps des tuniques des intestins grêles est poreuse et ténue, de telle sorte qu’ils ne peuvent retenir longtemps dans leur intérieur des causes semblables (c’est-à-dire : des vents et des humeurs). Il est donc naturel que si dans un corps dense et épais il s’amasse, soit une humeur froide, épaisse et visqueuse, soit un pneuma flatulent, qui n’ont point d’issue, il survienne de la douleur, et même une douleur violente, pour deux raisons, savoir, la dyscrasie et la tension des corps dans lesquels ces matières sont resserrées, enfin une douleur prolongée, attendu que ces matières ne peuvent pas être facilement évacuées, puisqu’elles sont retenues par l’épaisseur et la densité des corps qui les renferment.

Il se produit aussi des douleurs très-fortes à la partie la plus élevée des intestins, douleurs qui torturent tellement les malades par les vomissements dont elles sont accompagnées qu’ils vont à la fin jusqu’à vomir des excréments ; c’est à peine si une personne réchappe de cette affection. Quelques médecins l’appellent iléus, d’autres chordapsus quand apparaît une tumeur à la région des intestins grêles, comme s’il semblait que les intestins soient noués à l’instar d’une corde (volvulus par invagination ou rotation). Il a paru rationnel aux médecins qui m’ont précédé d attribuer une pareille affection des intestins grêles, soit à une inflammation, soit à l’enclavement d’excréments secs.

Il y a d’autres symptômes qu’on croit, avec raison, survenir quand tout le canal digestif, estomac et intestins, est affecté ; par exemple, les diathèses lientériques et cœliaques, lesquelles ne sont point accompagnées de mordication. En effet les diathèses mordicantes excitent tout l’intestin à l’évacuation, par cela seul qu’elles sont mordicantes ; celles qui n’ont pas cette qualité sont une conséquence de l’atonie des intestins qui, ne pouvant, même pendant peu de temps, retenir leur contenu, le rejettent à l’instant, et comme s’ils secouaient un fardeau qui leur pèse, ainsi que cela a lieu dans la strangurie. On voit, en effet, survenir la strangurie, tantôt parce que la vessie rejette continuellement les liquides qui y affluent, à cause de leur âcreté et de leur qualité mordante, tantôt parce qu’elle ne peut en supporter le poids, bien que la quantité soit petite.

Vous trouverez décrites ailleurs, chacune en particulier, les causes qui produisent l’affection lientérique, outre ce qui a été dit dans mes traités Sur la méthode thérapeutique, Sur les facultés naturelles et Sur les causes des symptômes. Ici, en effet, il ne s’agit pas d’étudier les causes des maladies, mais de rechercher les lieux affectés qui échappent au toucher et à la vue. Comme il arrive quelquefois qu’on est forcé de parler des diathèses pour arriver au diagnostic exact, j’ai dû, par cette raison, rappeler les causes. Il convient donc de m’arrêter ici pour ce qui regarde les intestins, car toutes les affections faciles à reconnaître qui s’y développent ont des signes diagnostiques communs avec celles [des autres parties] qui ont été déjà décrites. En effet, les signes caractéristiques des apostèmes, des phlegmasies, des squirrhes, des pneumatoses sont accessibles à tous, lorsqu’on les observe dans la région du ventre ; ils conduisent au diagnostic de l’affection et du lieu affecté ; et il en a été suffisamment question dans les livres précédents.


Chapitre iii. — Des calculs, des abcès, de l’ulcération des reins, des matières excrétées avec les urines dans ces différentes affections. — Du diabète. — Longue discussion sur les rapports de cette maladie avec la lientérie et autres états pathologiques du canal intestinal. — Origine et symptômes du diabète.


Si la néphrite se déclare brusquement par suite de l’enclavement d’un calcul volumineux dans les reins ou dans les uretères, la douleur est semblable à celles que produisent les affections coliques ; mais ces dernières affections se distinguent par la fréquence et l’abondance des nausées, et par ce fait, que les matières vomies sont bilieuses, phlegmatiques, et qu’elles sont mélangées de quelques matières alimentaires (Voy. p. 670-1).

Il arrive aussi quelquefois que la douleur ne se borne pas à une seule partie, mais qu’elle fait des circonvolutions et s’étend au loin ; il ne s’échappe pas non plus de vents. Tous ces symptômes, les uns plus, les autres moins, sont propres aux affections coliques. Quand la maladie est nettement dessinée, soit par la nature du dépôt des urines, soit par l’émission de quelque calcul, alors il ne reste plus d’autre examen à faire. Beaucoup de malades, au début, éprouvent seulement une douleur modérée et profonde dans la région des flancs, mais ne rendent aucun gravier manifeste. Dans ce cas, comme vous le savez, il faut administrer des médicaments doués de la puissance de briser les pierres qui sont dans les reins (lithonthriptes), car, en même temps que ces médicaments conduisent avec sûreté au diagnostic de l’affection et du lieu affecte, ils constituent le commencement du traitement. Si, après l’administration du médicament, il se trouve quelque chose de sablonneux dans les urines, je reconnais que j’ai affaire à une affection néphrétique ; je prescris alors de continuer le médicament en y joignant les autres moyens de traitement. Quand le mal est ainsi reconnu, s’il survient des douleurs accompagnées de frissons qui reparaissent à des intervalles inégaux, s’il existe une certaine fièvre irrégulière, après avoir fait coucher le malade, tantôt sur le ventre, et tantôt sur l’un des côtés, voyez s’il ne lui semble pas qu’une espèce de poids pend du rein où siége la douleur. S’il en est ainsi, il faut conjecturer qu’un abcès s’est formé. Quand cet abcès est mûr, le pus qui s’échappe au dehors soulage la douleur, mais il y a danger d’ulcération des reins ; aussi faut-il par tous les moyens possibles essayer d’amener la cicatrisation ; mais si on n’obtient pas promptement ce résultat, l’affection devient très-difficile à guérir.

On reconnaît aisément les signes d’une ulcération persistante par l’inspection des matières urinées et parce que le malade éprouve souvent une sensation douloureuse à la région du rein affecté. Quelquefois il s’échappe un peu de pus comme d’un ulcère, ou semblablement, une fausse membrane (ἐφελκίς), et quelquefois du sang, ce qui est le signe d’un ulcère avec érosion. Il arrive aussi qu’un vaisseau s’étant rompu par plénitude, ou par une chute, ou par un coup violent, on urine du sang en abondance ; cela se voit aussi quand un orifice veineux s’est ouvert dans ces régions. Les indices de l’ulcération même des reins sont très-certains : ce sont de petits morceaux de chair qui sortent avec les urines, et sont des parties mêmes de la substance du rein arrachées par suite de l’étendue de l’érosion qui accompagne l’ulcération. Ces morceaux de chairs, semblables à des cheveux (gravelle pileuse ?), Hippocrate les a vus sortir avec les urines, comme lui-même l’écrit dans ses Aphorismes (IV, 76). J’ai vu moi-même de ces morceaux de chair, quelquefois longs d’une coudée, quelquefois plus longs, quelquefois enfin si longs[2], que je me demandais avec étonnement si de tels corps pouvaient être contenus dans la cavité des reins. Il me semblait à cause de cela plus probable que ces morceaux de chair prenaient naissance dans les veines, de la même façon que, dans certaines contrées de l’Arabie, se forment les dragons dans les jambes, productions d’une nature nerveuse, mais semblables aux vers par la couleur et par l’épaisseur (vers ou veine de Médine). J’ai entendu plusieurs personnes raconter qu’elles avaient constaté des faits de ce genre. Quant à moi, n’en ayant jamais vu, je ne puis faire aucune conjecture exacte ni sur l’origine, ni sur la nature de ces productions ; mais quand j’ai examiné les substances piliformes rendues avec les urines, je suis tombé d’accord avec ceux qui, vu la couleur et la consistance de ces substances, pensent qu’elles proviennent d’une humeur épaisse et visqueuse laquelle en s’échauffant se coagule et se sèche dans les veines, mais je ne m’explique pas leur longueur. La première fois que j’observai ces faits, j’espérai obtenir la guérison par les médicaments diurétiques ; ma prévision fut réalisée.

Chez presque tous les malades qui furent pris de ces accidents, il n’y avait eu antécédemment aucune affection néphrétique ; il n’en survint non plus aucun symptôme après qu’ils eurent été guéris par les diurétiques. Quand une autre partie mauvaise des humeurs est expulsée des veines avec les urines, je n’ai jamais vu ni les reins, ni la vessie, ni les uretères être concurremment affectés ; il en est de même quand du pus est rejeté en abondance avec les urines. Les choses se passent ici comme pour les intestins : ils ne souffrent en aucune façon par les diathèses hépatiques, bien qu’ils soient lésés lorsqu’ils sont en contact avec la bile pure. De même la vessie est ulcérée par le passage prolongé d’urines irritantes.

Il existe aussi une autre affection des reins, laquelle consiste en l’émission avec les urines de l’ichor ténu du sang, ichor semblable aux matières excrémentitielles qui se montrent au début des maladies du foie, si ce n’est que cet ichor est un peu plus sanguinolent. Cette affection tient à une certaine diathèse des reins, semblable à celle que dans le foie nous avons appelée atonie (cf. V, ix), et à la dilatation des corps ou des canaux (donnez-leur le nom que vous voudrez) qui filtrent l’urine de la veine cave dans les reins.

Les reins me paraissent aussi affectés dans la maladie que les uns appellent hydropisie dans le pot de chambre, les autres diarrhée d’urine, ceux-ci diabète, ceux-là soif ardente (διψακός) ; maladie, du reste, fort rare. Quant à moi, je ne l’ai vue que deux fois jusqu’à présent ; les malades avaient une soif inextinguible ; ils buvaient démesurément et rendaient par les urines le liquide ingéré tel qu’ils l’avaient bu. Cette maladie est, pour les reins et la vessie, l’analogue de la lientérie pour l’estomac et les intestins. J’ai ailleurs traité particulièrement de la lientérie[3], et j’ai démontré que dans cette affection, non-seulement l’estomac, mais le canal intestinal tout entier, sont trop promptement excités à expulser les aliments et les boissons qu’ils ne peuvent supporter paisiblement, même pour un peu de temps, soit à cause du poids des substances ingérées, soit à cause de leur qualité. Pour le passage rapide et subit des urines par la vessie, il est impossible d’en rendre responsable l’atonie de l’estomac, du jéjunum ou des intestins grêles. En effet, si ces organes ne peuvent supporter les boissons et s’ils tendent à les expulser aussitôt, qui empêcherait que cette boisson s’échappât par le siége, comme cela se voit dans la lientérie ? Car, dans ce cas, ce ne sont pas seulement les aliments qui traversent rapidement les circonvolutions si compliquées des intestins, mais aussi les boissons. Nous avons appris que la distribution de l’aliment qui s’opère de toutes les régions du canal intestinal dans le foie, ne se produit pas par l’atonie ni du foie, ni des veines qui se trouvent au mésentère, ni de celles qui se trouvent à l’estomac, ni enfin de celles qui vont du foie aux reins [ par l’intermédiaire de la veine cave][4] ; nous avons, en effet, démontré dans notre traité Sur les facultés naturelles que le foie attire l’aliment de l’estomac en lui-même, à l’aide des veines mésaraïques, comme les arbres l’attirent de la terre par leurs racines ; que les reins attirent la partie aqueuse du sang, mais que la vessie n’attire pas du foie, pas plus que les intestins n’attirent de l’estomac ; les reins envoient à la vessie, à travers les uretères, ce qu’ils ont sécrété ; l’estomac envoie dans le jéjunum à travers le prolongement vers l’intestin (Utilité des parties, IV, vii et les notes), prolongement qu’Hérophile a appelé duodénum, lui imposant cette dénomination parce qu’il lui a trouvé une longueur de douze travers de doigt. Ainsi, on pourrait mettre en cause l’atonie des reins, quand ils ne peuvent pas retenir l’urine dans leur intérieur, mais non pas celle des autres parties à travers lesquelles passe la boisson. D’un autre côté, si on accuse les reins d’atonie, comment expliquer qu’ils attirent en eux l’urine si rapidement ? On peut répondre : De même que chez certains individus affectés de lientérie, il se manifeste un appétit violent, de même aussi dans les reins naît un désir violent, par suite duquel ces organes attirant [fortement] en eux l’urine à travers la veine cave, sont précisément accablés sous le poids de l’abondance du liquide. Nous voyons également les individus affectés de faim canine se remplir d’un seul coup, puis vomir peu après, ou être pris de diarrhée ; et cela s’observe, non-seulement dans un état contre nature, mais aussi chez certains animaux qui jouissent d’une parfaite santé, par exemple chez certains oiseaux qu’en Asie nous nommons Séleucides : pendant tout le jour ils mangent à satiété des sauterelles et les rejettent aussitôt. Ce phénomène naturel s’observe encore chez d’autres animaux. De même donc que, la faim canine se déclarant à l’orifice de l’estomac, en même temps qu’il y a impossibilité de supporter le poids des aliments ingérés, l’estomac est forcé d’engloutir avidement une grande quantité de substances et de les rejeter aussitôt ; de la même manière encore, un appétit violent naissant dans les reins pour le liquide séreux, en même temps que leur faculté rétentrice est frappée d’atonie, ils se trouvent dans la nécessité d’attirer une grande quantité d’urine à la fois et de l’envoyer aussitôt à la vessie ; mais pourquoi, dira-t-on peut-être, la diarrhée d’urine survient-elle immédiatement tandis qu’il n’en est pas ainsi ni de la lientérie, ni de la faim canine, et que ces affections mettent plusieurs jours à se constituer, car le début se distingue de l’augment et l’augment du summum ? Cela s’explique parce que l’appétence pour les aliments est une œuvre psychique de l’estomac qui ne se produit jamais sans que nous en ayons conscience, tandis que l’appétence éprouvée par les reins se produit sans que nous nous en apercevions, de telle façon que quand l’affection arrive à son summum, il ne s’est produit aucune sensation, comme cela a lieu dans la faim canine. Il est donc naturel que cette appétence des reins se développe peu à peu, et qu’en devenant plus intense, il y ait d’abord, sans que nous le sentions, attraction du liquide séreux contenu dans les veines ; puis, quand tout a été attiré et que le sang paraît entièrement dépouillé de cette humidité, il est également naturel que les vaisseaux desséchés attirent l’humidité du foie, et qu’à son tour le foie en attire des intestins et de l’estomac. Lorsque les veines de l’orifice de l’estomac sont desséchées, on est pris d’un violent désir pour les boissons, attendu qu’on ressent alors la diathèse ; ensuite, quand la boisson est ingérée, les veines qui vont du foie à l’estomac, se trouvant dans un état de sécheresse, s’en saisissent aussitôt en totalité, et de là le liquide passe dans celles qui se succèdent jusqu’à ce que la transmission arrive aux reins. Il a été, en effet, démontré dans notre traité Sur les facultés naturelles (I, x, xi ; II, vii), que non-seulement la boisson, mais que l’aliment solide étaient portés de tous côtés dans le corps en vertu d’une transmission suite de l’attraction. Ainsi donc, eu égard à la rapidité du passage, le diabète ressemble à la lientérie, autant qu’une affection des reins est identique à une affection de l’estomac ; mais ces deux affections diffèrent par ce fait que tout le travail du transport, avant que le liquide arrive aux reins, est une succession d’opérations naturelles, la faculté attractive s’exerçant. Toutefois, il y a encore entre elles cette analogie : l’attraction [des liquides] de la veine cave vers les reins est analogue à l’ingestion première dans l’estomac des aliments qui viennent de la bouche (c’est-à-dire qu’il y a attraction dans les deux cas) ; mais les fonctions qui s’accomplissent avant sont propres à la diarrhée d’urine. — Quelques médecins pensent, mais sans raison, que le diabète est, comme la faim canine, une affection de l’estomac ; erreur rendue manifeste par cette considération que ceux qui, par suite d’une soif violente, remplissent leur estomac, gardent longtemps le liquide. En effet, on peut constater les quatre symptômes suivants quand on a bu pour assouvir une soif violente : le premier c’est le vomissement ; le second, c’est la rapide évacuation à travers l’intestin par la diarrhée ou la lientérie ; le troisième, c’est le séjour prolongé dans l’estomac ; le quatrième est précisément celui dont nous parlons maintenant, qu’on l’appelle diabète, soif intense, ou diarrhée d’urine. Car nous ne donnons pas ces noms comme convenables, mais nous nous efforçons de trouver par le lieu affecté et par la diathèse elle-même la voie qui conduit heureusement à la thérapeutique.

Il y a une autre affection exactement semblable au diabète ; elle se manifeste quand des aliments abondants ne sont ni mal cuits, ni expulsés par les selles, ne produisent pas de pléthore, et ne nourrissent pas bien, mais sont manifestement dissipés promptement par la perspiration. Cette affection n’est ni aussi rare, ni aussi rebelle que le diabète ; car si on la reconnaît avant qu’elle soit arrivée à son plus haut développement, il n’est pas difficile de la guérir. Lorsqu’un individu va jusqu’à manger plus du double qu’à l’ordinaire, et que son corps s’atrophie sans diarrhée, la maladie dont nous parlons est reconnue, non-seulement par les médecins, mais même par les gens du monde ; si on va jusqu’à manger le triple, il faut hâter le traitement avant qu’on arrive jusqu’au quadruple ou au quintuple. Il est donc rationnel de dire que cette maladie tient à une diaphorèse rapide, en même temps que toutes les parties conservent la faculté attractive, et avec elle celle qu’on appelle proprement appétitive. La cause de la soif violente qui n’est pas accompagnée de diabète, réside d’abord dans l’estomac, et surtout dans son orifice, ce viscère étant en proie à une dyscrasie chaude ou sèche, ou à toutes les deux à la fois ; après l’estomac, dans le foie, surtout dans sa partie concave, quand le mésentère, le jéjunum, l’estomac lui-même, l’œsophage et le poumon sont pris de chaleur brûlante en même temps que cette partie concave. La première origine de cette soif ardente tient quelquefois à ce que ces organes sont brûlés par un état érysipélateux, état qui traîne généralement à sa suite diverses espèces de marasmes, comme je l’ai dit dans le livre qui traite de ce sujet (Sur le marasme ; voy. Dissert. sur la pathol.). À cause de la communauté des symptômes, j’ai parlé de cette affection en même temps que de celles des reins. Le diabète est une maladie propre aux reins, analogue à la faim canine qui a son siége à l’orifice de l’estomac et qui est accompagnée d’une atonie de la faculté rétentive. En effet, si nous disions que le diabète existe sans une violente appétence [pour les boissons], il ne se produirait pas une quantité notable d’urine dans les reins ; ou sans l’atonie de la faculté rétentive, on ne verrait pas survenir une miction rapide.


Chapitre iv. — Des causes de l’ischurie et de la dysurie ; que ces causes tiennent tantôt à la vessie même, tantôt à d’autres parties. — Digression sur la question de savoir jusqu’à quel point la miction et la défécation sont volontaires ou non. — Observations très-importantes, tirées de la propre pratique de Galien. — Règles générales pour le diagnostic des affections des reins. — Comment on reconnaît si le pus provient des reins ou de la vessie quand il est rendu avec l’urine. — Diagnostic de l’ulcération des reins et de la vessie. — Des différentes formes que le pus produit dans les viscères prend pour s’échapper au dehors.


Il survient à la vessie des symptômes communs aux autres parties, par exemple toutes les tumeurs contre nature, les douleurs et les affections qui les produisent. Les symptômes qui lui sont exclusivement propres sont l’ischurie, la strangurie, et, de quelque façon qu’elles se présentent, les émissions d’urine démesurées. Mais ces émissions mêmes peuvent se servir de la vessie comme d’un lieu de passage sans que cette partie même soit affectée. Quant à la strangurie causée par des humeurs âcres, c’est un symptôme, mais non une affection de la vessie. Celle, au contraire, qui dépend d’ulcération ou d’atonie est liée à une affection de la vessie, de même que celle qui tient à l’âcreté est liée, tantôt à une affection des reins, et tantôt à celle d’autres parties qui peuvent faire passer dans l’urine soit leurs humeurs viciées, soit du pus, quand elles sont le síége d’abcès. L’ischurie est également causée par les humeurs contenues dans les veines, et dont les veines se déchargent au moyen des reins et de la vessie. Quand la vessie est malade par dyscrasie, il y a lésion de sa fonction propre, laquelle consiste à expulser les urines, fonction que l’animal est excité à remplir lorsque la vessie est surchargée par l’abondance du liquide qui la remplit, ou qu’elle est tourmentée par la qualité mordicante de ce liquide. Dans ces deux cas, les gens débiles souffrent plus que les gens robustes. La faiblesse de la vessie survient quelquefois par les affections organiques et aussi par les autres dyscrasies, surtout celles qui se déclarent chez un grand nombre quand ils se refroidissent ; alors la vessie paraît manifestement surchargée bien qu’elle contienne peu de liquide. Le symptôme ischurie survient dans la vessie comme organe de la miction, quelquefois parce qu’elle ne peut pas se contracter fortement sur l’urine qu’elle contient pour l’expulser, quelquefois parce que l’orifice inférieur est obstrué par des humeurs épaisses ou par un calcul qui est enclavé dans le canal. Il arrive aussi que cette affection tient, soit à l’inflammation, soit à une autre tumeur, qui rétrécit le canal ou l’obstrue complétement.

L’atonie de la vessie, d’où résulte une suppression d’urine, ne se produit pas à la suite des affections des nerfs de la moelle ou de la moelle elle-même, comme le conçoivent certains médecins qui sont d’opinion que l’action de la vessie est une opération volontaire puisque nous retenons l’urine aussi longtemps que nous voulons et que nous la laissons s’échapper au gré de notre désir. Il eût été plus convenable de savoir que ce n’est pas l’action de la vessie, mais l’action de la miction qui est volontaire, comme l’action de la défécation est volontaire, mais non celle des intestins. En effet, la vessie n’a qu’une fonction, la fonction péristaltique ; le muscle qui environne circulairement le canal urinaire, muscle placé à l’origine du col de la vessie, est un organe volontaire, ayant pour office de serrer si exactement le col de la vessie qu’il n’en laisse échapper aucune goutte d’urine. Le muscle qui est placé à l’extrémité du gros intestin a la même fonction et la même utilité eu égard aux excréments. Aussi, quand ces muscles sont paralysés, ni l’urine, ni les excréments ne sont retenus dans la vessie et dans le rectum, mais ils s’échappent peu à peu sans que nous le voulions. Ainsi, comme l’effet produit involontairement sur les autres muscles par la paralysie, est produit ici volontairement en vertu de notre détermination, de la même façon nous cessons de faire agir les muscles du col de la vessie et du fondement quand nous voulons expulser les excréments ou l’urine. De même que quelques personnes mal instruites ont regardé comme tout volontaire l’acte de la miction et de la défécation, de même d’autres, également dans l’erreur, ont pensé au contraire que cet acte est entièrement physique (involontaire)[5]. La propulsion de l’aliment par l’estomac dans le jéjunum est un acte tout physique, l’extension et la flexion de l’un ou l’autre membre et de chacun des doigts est un acte tout volontaire. Le transport des matières de l’estomac dans le jéjunum, et du jéjunum dans l’intestin grêle, résulte de la seule faculté physique, tandis que la miction et la défécation s’accomplissent par l’action des deux facultés : eu égard au rectum et à la vessie, par les facultés physiques ; eu égard aux muscles par celles qu’on nomme psychiques et volontaires. En effet, les muscles situés aux orifices cessent d’agir ; au contraire, ceux de l’hypogastre et surtout les médians entrent en action. Quelques individus qui vont difficilement à la selle pressent ces muscles avec les mains ; ceux qui urinent difficilement ou qui n’urinent pas du tout ont coutume d’en faire autant. Lors donc que souffrent les nerfs par lesquels la faculté psychique arrive aux susdits muscles, ou que la moelle elle-même est affectée, la fonction de ces muscles étant paralysée, il y a émission involontaire de l’urine et des excréments. Mais quand le corps même de la vessie est en proie à une pareille affection, de sorte qu’elle ne peut plus presser le liquide qu’elle contient, il y a suppression d’urine et ce symptôme s’appelle ischurie. Il arrive aussi qu’il y a suppression d’urine sans lésion de la faculté excrétoire, parce que la sensibilité de la vessie devient obtuse, si les nerfs propres de cet organe sont affectés, tandis que ceux du muscle qui ferme le col, conservant la faculté intacte, continuent d’agir. De sorte que s’ils sont paralysés, le signe propre de la paralysie de ce muscle est l’émission involontaire des urines. Quand cette affection se manifeste et qu’en même temps le canal est obstrué, il est difficile de distinguer les deux diathèses. Du reste, pour arriver au diagnostic exact de ces diathèses, et aussi de toutes les autres qui surviennent dans la vessie, il est tout à fait nécessaire de connaître d’abord les causes extérieures qui précèdent immédiatement (prochaines), causes que les médecins appellent proprement causes procatarctiques, mais surtout les affections qui se développent antécédemment dans le corps même de l’animal.

Ainsi, chez un de mes clients, le rachis étant infléchi par suite d’une chute, il survint une suppression d’urine, laquelle arrive comme Hippocrate l’a dit (Articul., § 48). Toutefois cette suppression ne survint pas immédiatement, mais vers le troisième jour, la vessie ayant été enflammée par suite du mouvement de déplacement des vertèbres en avant. Cet individu eut donc des douleurs à la région de la vessie, sans même qu’on y touchât, et à plus forte raison quand on pressait avec les mains. Nous le traitâmes comme on fait pour les inflammations. — Un autre individu, chez qui les vertèbres étaient déviées en arrière, rendait les urines involontairement et sans douleur de la vessie. Nous conjecturâmes, dans ce cas, que le muscle constricteur du col de la vessie était affecté ; aussi nous dirigeâmes la thérapeutique du côté de la moelle épinière. — Chez un autre malade, affecté de la même manière que le précédent, il survint une rétention d’urine ; la sensibilité de la vessie étant émoussée à cause de la souffrance des nerfs, le malade ne sentant rien pendant le sommeil, la vessie se remplissant et se distendant outre mesure, elle ne laissait pas une goutte d’urine s’échapper. Cette dernière espèce de rétention d’urine n’est pas très-rare ; ainsi on l’observe, entre autres, chez les gens bien portants qui, soit à cause de l’urgence des affaires, soit dans les réunions, soit au sénat, soit dans les tribunaux, soit dans les repas conservent longtemps leur urine ; la vessie étant alors distendue outre mesure, il s’ensuit une ischurie, la faculté péristaltique de la vessie étant affectée par suite de la tension excessive. — Un autre individu, à la suite d’une chute, le rachis n’ayant aucunement souffert, rendit une grande quantité de sang avec l’urine, et, après cela, il y eut ischurie complète. Nous conjecturâmes que chez cet individu il s’était forme un caillot ; nous introduisîmes le cathéter et le malade urina un peu ; quand nous retirâmes le cathéter nous reconnûmes à son extrémité les traces d’un caillot. Chez d’autres, à la suite de douleurs chroniques, survenues avec les symptômes des abcès, quand ces symptômes disparurent, un pus ténu s’échappa avec les urines ; puis il survint une rétention d’urine d’où on peut conjecturer qu’un pus épais obstruait l’urèthre. Nous avons souvent vu l’ischurie survenir chez les enfants atteints de la pierre ; en les étendant dans une position déclive et en les secouant, nous avons éloigné la pierre de l’entrée du canal.

Quand vous aurez vu par vous-mêmes ce que je vais vous dire, je pense que vous vous en souviendrez toujours : toutes les fois qu’il existe un caillot (thrombus), non-seulement dans la vessie, mais encore dans les intestins et dans l’estomac ou dans la poitrine, on observe des défaillances et une teinte pâle de la peau ; le pouls est petit, faible et fréquent, il y a de l’agitation et résolution des forces. Les mêmes phénomènes s’observent souvent dans les plaies des grands muscles. On s’étonnera peut-être, en voyant ces faits que, le sang qui, de toutes les humeurs, est la plus familière, soit la cause de tant de maux quand il sort des vaisseaux qui lui sont propres, car il en résulte pourriture et mortification des parties. Dans un cas de thrombus siégeant à la vessie, ayant observé les mêmes symptômes, je conjecturai que j’avais affaire à un thrombus, parce que le malade avait rendu beaucoup de sang avec les urines ; je lui fis boire un médicament à l’oxymel propre à briser les pierres, et l’oxymel lui-même pur. Néanmoins la plupart de ces malades périrent, un seul fut sauvé, attendu que les caillots parvinrent à se dissoudre et furent rendus peu à peu.

Que les symptômes présents ne suffisent pas toujours pour diagnostiquer le lieu affecté, mais que souvent il faille recourir aux symptômes passés, vous saurez cela si vous vous rappelez ce que vous avez vu. Ainsi, chez plusieurs individus qui urinaient souvent du sang, le souvenir des symptômes antérieurs m’indiqua le lieu affecté et me révéla la diathèse qui s’y était développée. Par exemple, un malade avait fréquemment souffert à la région des reins, il avait été pris de frissonnements irréguliers et même de petits frissons avec fièvre ; un autre avait ressenti des douleurs à la région de la vessie avec frissonnements et fièvre ; chez d’autres ce sont des douleurs au diaphragme et au thorax, ou des douleurs à l’hypochondre droit qui se sont manifestées. Chez tous nous avons reconnu qu’une collection purulente s’étant formée antérieurement dans la région douloureuse, le pus avait été purgé par les reins.

Outre les signes énumérés plus haut, la quantité du pus, le fait d’être mélangé entièrement avec les urines, et de former pour ainsi dire un liquide trouble, ou de ne pas être ainsi mélangé, concourent aussi au diagnostic, comme je l’ai dit plus haut à propos des intestins (ch. ii, p. 667-8). Ainsi, pour les intestins, si quelque matière provient de la partie supérieure, cette matière est mêlée aux résidus des aliments et comme pétrie avec eux ; si c’est de la partie inférieure, cette matière est expulsée isolément ; de la même façon, ou bien toute l’urine est troublée par le pus qui s’échappe avec elle, ou ce pus est inégalement et partiellement suspendu, ou encore il arrive souvent qu’il s’échappe seul et sans l’urine. Cette dernière circonstance prouve manifestement que la suppuration s’est formée dans la vessie elle-même ; quand il est entièrement mélangé, il vient de plus haut ; s’il présente un état intermédiaire, il descend des reins.

Semblablement si, lorsque la collection purulente s’est rompue, il se révèle un signe d’ulcération, et en même temps un moyen de reconnaître le lieu affecté, la matière qui constitue ce signe apparaît ou exactement, ou à moitié, ou nullement mélangée, ou suspendue, ou rejetée seule. Le signe propre de l’ulcération, c’est l’expulsion d’une fausse membrane (ἐφελκίςcroûte d'ulcère) ; le signe de l’ulcération de chaque partie considérée en elle-même se tire de la substance même de la matière qui s’échappe[6]. Si cette matière est lamellée, elle a été détachée de la vessie ; si elle est en forme de chair, elle provient des reins. Si quelque partie plus élevée encore est affectée, il faut examiner ce qui s’échappe avec les urines, et comparer la substance de ces matières avec celle des parties dont on soupçonne l’affection. Ainsi, des fragments de la partie convexe du foie et de tous les autres organes situés plus haut, sont rendus avec les urines, tandis que les fragments des parties concaves du foie, des intestins, de l’estomac et de la rate sont expulsés par le fondement. Il est rare que pareille chose s’observe pour les autres organes, par exemple, que des parties de la cavité du thorax et du poumon s’échappent par les intestins, ou que des portions d’organes situés au-dessous du diaphragme soient. rendues avec les urines. Beaucoup de médecins ignorent la cause de ces faits, soit qu’ils ne les aient pas observés sur les malades, soit qu’ils n’y croient pas quand ils les ont observés, par exemple, qu’il soit possible qu’un abcès s’étant formé dans le poumon, le pus s’échappe par les reins ; mais nous, nous avons vu un abcès du poumon se vider par les urines, et un abcès du thorax par les intestins et le siége. Au fond, le transport aux reins du pus contenu dans le poumon, ne présente, d’après la véritable doctrine, aucune difficulté, car il y a vers les reins des prolongements de la grande artère (aorte) aussi bien que de la veine cave. Puisqu’Érasistrate pense que du pneuma seulement est contenu dans les artères, c’est à ses sectateurs, et non à nous, qu’il incombe de rechercher [la voie par où arrive le pus ; selon nous], l’artère lisse du poumon (veine pulmon.) peut conduire dans le ventricule gauche du cœur tout le pus qu’elle reçoit de l’abcès rompu du poumon, et ce pus tomber de là dans l’aorte, d’où il passe dans les reins pour descendre à la vessie. Mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent le plus souvent, le transport du pus s’opérant ordinairement par la trachée-artère. On a donc indiqué la cause en vertu de laquelle le pus, dans les suppurations du poumon, peut, bien que cela arrive rarement, être purgé par les urines. Une autre cause plus rare du passage à travers les intestins est révélée par la dissection ; on trouve, en effet, quelquefois un certain vaisseau qui rattache la veine cave à celle qu’on appelle caudicale (στελεχιαίαveine porte) (voy. Dissert. sur l’anatomie). De sorte qu’il n’est ni extraordinaire, ni impossible, que les parties situées au-dessus du diaphragme vident leur pus dans l’estomac, ni que celui des parties sous-jacentes se rende par les reins dans la vessie. Il est naturel, en effet, que dans des cas rares de constitutions particulières du corps il se manifeste des symptômes rares.


Chapitre v. — De la suffocation utérine et de ses causes. — Cette affection est due principalement à la rétention du sperme de la femme. — Observations propres à Galien, et faits (empoisonnements ou rage) qui prouvent qu’une petite quantité de matière nuisible peut produire de grands désordres (voy. III, xi). — Explication des prétendus mouvements de l’utérus à travers le corps (Ailleurs Galien paraît croire qu’ils existent réellement. — Voy. Dissertation sur la phys. et la pathologie). — De quelques autres affections propres aux femmes.


Il ne faut point traîner en longueur pour savoir si nous devons appeler ὑστέρα ou μήτρα (utérus ou matrice) la partie donnée aux femmes par la nature pour la conception, ni si nous nous servirons soit du pluriel ὑστέραι ou μήτραι ou du singulier ὑστέρα ou μήτρα. Il vaut mieux, en effet, passer notre temps aux choses utiles, dont nous retirerons des fruits pour le diagnostic, le pronostic ou la thérapeutique, par exemple dans l’affection appelée par les uns suffocation utérine (ὑστερικὴ πνίξ), par d’autres apnée utérine (ἀπνοία ὑστερική) ; car on peut entendre les médecins se servir de ces deux dénominations pour une seule maladie. Ayant vu beaucoup de femmes hystériques (ὑστερικαί), car c’est ainsi qu’elles s’appellent elles-mêmes, et que les ont appelées d’abord les sages-femmes (ἰατρίναι), auprès de qui, vraisemblablement, elles ont appris ce nom, ayant vu, dis-je, de ces femmes, les unes privées en même temps de sentiment et de mouvement, offrant un pouls très-faible et très-petit et paraissant même sans pouls, les autres sentant, se mouvant et saines de raison, mais tombant en faiblesse et respirant à peine, d’autres enfin dont les membres étaient contractés, je compris qu’il y avait de nombreuses variétés dans les affections utérines différant les unes des autres, soit par la grandeur de la cause qui les produit, soit eu égard à certaines espèces de causes. La première variété décrite dans le livre composé par Héraclide de Pont, offre beaucoup de difficultés pour reconnaître son origine. Il est dit, en effet, que la femme était sans respiration et sans pouls, différant seulement d’un mort par ce seul fait qu’à la région moyenne du corps, elle présentait une certaine petite chaleur. Le livre est intitulé : La femme sans respiration d’Héraclide (ἄπνους Ἡρακλείδου) ; l’auteur ajoute que les médecins présents demandaient si elle n’était pas déjà morte. Quelques médecins venus après Héraclide, voulant se persuader que quelque chose de la respiration avait été conservé, bien qu’elle ne parût plus, prescrivirent de placer au-devant des narines des flocons de laine cardée, afin de reconnaître exactement si un peu d’air entrait ou sortait pendant la respiration. D’autres ordonnèrent de placer sur le creux de l’estomac un vase plein d’eau, car l’eau devait rester parfaitement immobile, s’il ne restait absolument rien de la respiration.

Si donc les femmes qui se trouvent dans cette situation mouraient toutes, la question serait simple ; mais comme quelques-unes réchappent, il se présente à résoudre un double problème : nous devons rechercher la diathèse en vertu de laquelle l’acte de la respiration est perdu et surtout comment peuvent vivre encore celles qui ne respirent plus du tout. On se persuade en effet que la vie est inséparable de la respiration et que la respiration est inséparable de la vie et que celui qui respire vit absolument. Ce problème est-il le plus difficile ? En réalité il n’est pas plus difficile, il est même plus facile à résoudre que le premier, puisque les animaux qui hivernent ressemblent à des morts quand ils sont tapis dans leurs trous, et paraissent être entièrement privés de respiration. Lorsqu’on connaît ce fait, qu’on a constaté que ces animaux sont froids, et qu’il a été démontré que la plus grande utilité de la respiration consiste à conserver la chaleur innée, conservation qui s’effectue par la réfrigération et la ventilation, il n’est plus difficile de concevoir que la petite quantité de chaleur qui reste dans ces animaux est conservée par l’office des artères et par le cœur, office appelé perspiration (διαπνοή) par quelques médecins, comme celui du thorax et du poumon est nommé respiration (ἀναπνοή). Il arrive donc dans certaines apnées utérines, parce que le corps est entièrement refroidi (ce refroidissement est manifeste), qu’il ne se fait par la bouche aucune respiration, mais qu’elle s’accomplit par les artères ; elle peut même être si faible qu’elle échappe aux sens.

Pour qu’il ne reste rien d’obscur touchant cette maladie, nous allons rechercher la cause pour laquelle le corps se refroidit. Nous le trouverons facilement pour peu que nous rappelions les causes antécédentes et qui sont telles : il est reconnu que cette affection survient particulièrement chez les veuves, et surtout lorsque étant bien réglées avant le veuvage, fécondes, et usant volontiers des approches de l’homme, elles ont été privées de tout cela. De ces circonstances quelle conjecture plus probable peut-on tirer, sinon que ces diathèses utérines surviennent aux femmes à cause de la suppression des règles ou de l’écoulement de la semence, que ces affections soient ou des suspensions de la respiration (ἄπνοιαι), ou des suffocations (πνίγες), ou des contractions (συνολκαί) ? Peut-être ces états dépendent surtout de l’absence de l’écoulement de la semence, parce que la semence a une grande puissance, qu’elle est plus humide et plus froide chez les femmes que chez les hommes, et que, comme chez les hommes aussi, les femmes qui ont beaucoup de sperme ont besoin de le répandre. Pour les hommes on constate aussi des différences non petites : les uns, aussitôt la puberté, sont affaiblis par les rapports sexuels ; d’autres, au contraire, s’ils n’en usent pas fréquemment, ont la tête lourde, de l’anxiété et de la fièvre, une perversion de l’appétit et de mauvaises digestions. Platon (Timée, p. 86 c) comparait leur corps à des arbres surchargés de fruits. J’ai connu des individus doués d’une semblable nature qui, par pudeur, s’abstenant des plaisirs vénériens, tombèrent dans la torpeur ; d’autres, semblables aux mélancholiques, étaient pris d’une tristesse sans raison et de désespoir, de dégoût pour les aliments et avaient de mauvaises digestions. J’ai connu aussi un individu qui, par suite de la douleur que lui causait la mort de sa femme, s’abstint des rapprochements sexuels, dont il usait fréquemment auparavant ; il avait perdu l’appétit, et ne digérait même pas le peu qu’il prenait ; s’il se forçait pour prendre davantage il le vomissait aussitôt ; il s’attristait non-seulement pour ces raisons, mais aussi sans cause évidente, comme il arrive aux mélancholiques. Tous les désordres disparurent aussitôt qu’il eut repris ses anciennes habitudes. En réfléchissant, à part moi, sur ces faits, il me parut que la rétention du sperme avait sur le corps une influence nuisible beaucoup plus grande que la rétention des menstrues, chez les personnes qui ont naturellement le sperme plus imprégné d’humeurs mauvaises et plus abondant, qui mènent une vie oisive, et qui, se livrant d’abord assez fréquemment aux rapprochements sexuels, en suspendent brusquement l’usage. J’ai pensé aussi que chez ces individus le désir naturel de l’émission du sperme était une des causes [de ces désordres], car le sperme, quand il est tel et abondant, pousse tous les hommes à l’éjaculation. Diogène le Cynique passe pour avoir été le plus ferme de tous les hommes pour toute espèce d’œuvre qui réclamait de la continence et de la constance ; cependant il usait des plaisirs vénériens, voulant se débarrasser de l’incommodité que produit le sperme retenu et non rechercher le plaisir que cause son émission. On raconte de lui qu’un jour, ayant demandé à une courtisane de venir le trouver, comme elle se faisait attendre, il donna lui-même avec la main un libre cours à la semence ; quand la courtisane arriva il la renvoya, lui disant : « ma main t’a devancée en célébrant l’hyménée ». Il est tout à fait évident que les hommes chastes n’usent pas des plaisirs vénériens pour la jouissance qui y est attachée, mais pour guérir une incommodité, comme si en réalité il n’y avait aucune jouissance. En conséquence je pense que les autres animaux sont poussés à la cohabitation, non parce qu’ils ont l’opinion que la jouissance est une bonne chose, mais en vue d’expulser le sperme qui les fatigue, de la même manière qu’ils sont naturellement poussés à expulser soit les excréments, soit les urines.

Au milieu de ces réflexions, des phénomènes semblables à ceux que j’ai décrits se présentèrent à mon observation chez une femme veuve depuis longtemps, Elle était en proie, entre autres maux, à des distensions des nerfs ; la sage-femme ayant dit que la matrice était rétractée, lui prescrivit les moyens auxquels on a coutume de recourir en pareil cas. La malade usant de ces remèdes, il arriva que, partie par suite de la chaleur de ces remèdes, et partie par les attouchements que la médication nécessitait aux organes génitaux, il survint des tiraillements accompagnés à la fois de douleur et de plaisir, semblables aux sensations qu’on éprouve pendant le coït, et à la suite desquels elle rendit un sperme épais et abondant ; elle fut dès lors délivrée des maux qu’elle ressentait. De tout cela, il me parut donc résulter que la rétention du sperme imprégné de mauvaises humeurs, avait, pour produire du dommage dans tout le corps, une plus grande puissance que la rétention des règles ; de telle sorte que, les veuves, si les règles coulent quelquefois, mais qu’il y ait rétention du sperme, éprouvent de la gêne et en même temps des incommodités. Ceux qui regardent comme invraisemblable, quand il survient dans tout le corps des symptômes considérables, d’en accuser une petite quantité d’humeur contenue dans une partie, me paraissent trop perdre de vue ce qu’on observe chaque jour. Ainsi, à la suite d’une morsure de quelque araignée venimeuse, on voit tout le corps devenir malade bien qu’une petite quantité de venin ait pénétré par une très-petite ouverture. L’effet produit par le scorpion est encore plus étonnant, car les symptômes les plus violents se déclarent sur-le-champ ; cependant ce qu’il lance quand il pique est ou très-peu de chose, ou même n’est rien du tout, l’aiguillon ne paraissant pas percé. Toutefois il est nécessaire de supposer que ce n’est pas pour avoir été piqué simplement comme par une aiguille que le corps semble aussitôt frappé par la grêle et qu’on tombe en lipothymie, mais il est plus raisonnable d’admettre que ces accidents sont causés par l’introduction d’un certain pneuma ou d’une certaine humeur ténue. Quelques médecins pensent que le simple contact de certaines substances peut, par la seule puissance de leur qualité, altérer les corps touchés. Une telle nature se rencontre chez les torpilles de mer ; elles ont une si forte puissance, que l’altération est transmise à la main du pêcheur à travers son trident, de sorte que cette main devient sur-le-champ engourdie. Ce sont là des preuves qui témoignent suffisamment qu’une petite quantité de substance peut produire de grandes altérations par le seul contact ; cela ne s’observe pas moins aussi dans la pierre d’Héraclée qu’on appelle encore magnétis (cf. Oribase, t. II, p. 798) : le fer qu’elle touche reste suspendu après elle, sans qu’aucun lien 1’attache ; un deuxième morceau approché de celui qui vient d’être ainsi accroché s’attache à lui et pend comme le premier ; le même phénomène se répète avec un troisième morceau de fer.

Puisque certaines substances jouissent manifestement d’une très-grande force, il nous faut rechercher si dans les animaux il peut se former une corruption d’une nature telle qu’elle ait une qualité et une puissance semblables au venin des animaux, ou bien cela n’est-il pas décidé par les médecins qui se sont posé ce problème : y a-t-il ou non des caractères propres au poison. Ceux qui paraissent avoir le mieux parlé accordent que les mêmes symptômes se révèlent après l’administration d’une substance vénéneuse et à la suite d’une corruption développée dans notre propre corps ; cependant on peut distinguer ceux qui sont malades pour avoir pris du poison de ceux qui le sont quoique n’en ayant pas pris. En effet, si un individu qui a naturellement des humeurs saines, et qui a, de toute manière vécu conformément aux règles de l’hygiène, meurt tout à coup, comme on meurt après avoir ingéré un poison violent ; s’il prend ensuite une couleur livide, ou noire ou rosée ; si enfin son corps tombe en déliquium, ou exhale une odeur insupportable de pourriture, on dit qu’il a pris du poison (cf. III, xi). Si donc on concède que des affections telles que celles qui suivent l’administration d’un poison, s’emparent de nous en prenant naissance dans notre propre corps, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un sperme vicié, ou que le sang des règles également vicié, retenu et corrompu, produisent des symptômes fâcheux dans des corps prédisposés à être atteints, de maladies. On peut, en effet, apprendre en considérant les chiens combien a de puissance une prédisposition à être affecté d’une manière quelconque : aucun autre animal n’est en proie à la rage, le chien seul en est atteint ; la corruption des humeurs est telle chez lui, que sa salive seule mise en contact avec le corps de l’homme développe la rage. Il arrive donc que la diathèse, prenant son point de départ d’un principe très-petit, c’est-à-dire de la qualité de la salive, et augmentant dans le corps, se manifeste, quand elle est arrivée à un développement considérable, après six mois ; quelquefois elle ne donne aucun signe avant ce temps. De la même façon, si par suite de la corruption d’une certaine humeur, corruption engendrée dans le corps, quelqu’une des parties principales est peu à peu attaquée, tous le reste du corps en est promptement altéré.

Que les symptômes dits hystériques passent à juste titre dans l’antiquité pour avoir leur racine dans l’utérus, cela est prouvé d’une manière non douteuse par ce fait que de tels symptômes se manifestent exclusivement chez les veuves et chez les femmes dont les règles sont supprimées. Que le sperme retenu ait une grande puissance pour produire l’hystérie, tandis que la suppression des règles en a peu, cela est également prouvé par les phénomènes qu’on observe chez les femmes mariées, mais dont les règles sont supprimées. Elles éprouvent à la vérité certains symptômes que je ferai connaître plus loin ; mais elles ne sont néanmoins prises ni de suffocations, ni de fortes défaillances, ni des autres symptômes que j’ai décrits plus haut. Ce fait est également prouvé par cette circonstance que des veuves réglées d’une façon irréprochable, ou seulement un peu moins abondamment réglées qu’avant leur veuvage, sont en proie aux mêmes symptômes. Les signes que constatent les sages-femmes en touchant l’utérus avec soin concourent encore à cette démonstration. En effet, la matrice tout entière remontant ou se portant de côté, son col paraît incliné quand on le touche. On a comparé 7la matrice à un animal avide de procréation, et on a dit que, s’il est privé de ce qu’il désire si ardemment, il cause du dommage dans tout le corps. Platon (Timée, p. 91 b) s’est exprimé ainsi à ce sujet : « La partie qu’on appelle chez la femme matrices et utérus (μήτραι καὶ ὑστέραι) étant, pour ces mêmes causes (l’amour et l’excitation produite par le sperme), un animal avide de procréation, si elle est pendant longtemps, quand la saison est venue, privée de porter des fruits, souffrant gravement et errant à travers tout le corps, elle obstrue les conduits du pneuma, empêche de respirer, jette dans la plus extrême anxiété, et cause d’autres maladies de toute espèce. » Aux paroles de Platon, quelques-uns ont ajouté que si la matrice, dans ses voyages à travers le corps, touche au diaphragme, elle empêche la respiration ; d’autres ne disent pas qu’elle erre comme un animal, mais ils prétendent que, desséchée par la suppression des règles, elle monte vers les viscères dans son désir d’être humectée, qu’en remontant elle rencontre quelquefois le diaphragme, et qu’alors l’animal est privé de respiration.

Ceux qui ignorent ce que révèlent les dissections, qui n’ont jamais considéré les facultés naturelles ou volontaires, bien qu’ils n’aient entendu aucune démonstration de ce que je viens de dire, pensent néanmoins qu’il y a du vrai dans ces opinions ; ceux, au contraire, qui se sont exercés dans l’anatomie et qui se sont livrés à l’étude des facultés, reconnaîtront, même sans moi, le côté faible du raisonnement. En effet, si quelque partie de la matrice semblait prise de spasmes, cette partie est peu considérable et ne suffit pas à prouver que toute sa cavité remonte vers l’estomac, et encore moins que, franchissant ce viscère, elle arrive jamais à toucher le diaphragme. Et, lors même qu’elle le toucherait, quelle influence ce contact aurait-il pour produire l’absence de respiration, les défaillances, la tension des membres ou un carus complet ? Chez les individus surchargés d’aliments, la masse de l’estomac paraît manifestement comprimer le diaphragme, et il en résulte précisément que la respiration est accélérée ; l’animal n’en éprouve aucun autre symptôme. De même le développement de l’utérus produit par la grossesse rend la respiration plus fréquente et ne cause aucun autre dommage. Supposer que la matrice desséchée et avide d’humidité se tourne vers les viscères, est tout à fait absurde ; car s’il arrivait qu’elle eût simplement besoin d’humidité, elle en trouverait par son voisinage avec la vessie et avec toute la partie inférieure du gros intestin ; si elle a besoin non d’une humidité simple, mais d’une humidité sanguine, ce n’est pas vers le diaphragme mais vers le foie qu’elle devrait se porter. À quoi bon, du reste, pour la matrice, se porter vers les autres parties puisqu’elle a comme épais tégument une membrane qui l’environne ? En effet toutes les parties qui attirent dans leur intérieur les liquides des intestins, le font à l’aide d’orifices ; beaucoup d’orifices de veines parviennent dans la matrice, orifices par lesquels elle peut attirer le sang contenu dans la veine cave vers laquelle se dirige un courant sanguin venu du foie. Trouverez-vous un autre conduit de sang plus considérable que celui-là et qui se porte à la matrice ? Par quel autre, en un mot, pourrait-elle attirer quelque chose du foie, si le très-grand conduit que constitue la veine cave n’existait pas ? Certes il n’y en a aucun autre ; car cette veine seule charrie le sang du foie aux parties situées au-dessous du diaphragme. Donc il faut tenir pour tout à fait absurde l’opinion de ceux qui par ce raisonnement font de la matrice un animal. Lors même qu’on accorderait cela, la matrice souffrira si elle ne peut satisfaire ses propres désirs ; peut-être aussi elle s’atrophiera, comme on dit que deviennent les palmiers amoureux (voy. Ach. Tatius, I, xvii) ; mais pour cela elle ne voyagera ni vers le diaphragme, ni vers nulle autre région. En effet, sans parler des autres arguments, le diaphragme est très-sec par nature ; or dans la pensée de ceux qui disent que la matrice se dessèche, elle a besoin du voisinage des parties humides.

Peut-être donc on nous demandera pourquoi la matrice paraît souvent remontée ou déviée ; car les sages-femmes (μαιεύτριαι) disent qu’il en est ainsi, comme elles disent aussi que souvent, bien que la matrice conserve sa position naturelle, les femmes n’en sont pas moins prises de symptômes hystériques. J’essayerai d’en faire connaître la cause en m’en tenant aux paroles d’Hippocrate. Je soutiens en conséquence que la tension de l’utérus est la cause pour laquelle le col paraît remonté ou dévié aux sages-femmes qui touchent cette partie, car le col est nécessairement rétracté en même temps que le corps même de l’utérus. Mais qu’est-ce qui produit le mouvement d’élévation ou d’inclinaison latérale, car il me reste encore à le dire ? la réplétion des vaisseaux qui y aboutissent et de ses ligaments. En effet, dans notre Commentaire sur les Aphorismes, là où Hippocrate dit (Aph., VI, 39) « que les spasmes viennent de plénitude ou de vacuité », nous avons démontré que les corps remplis s’étendent en largeur et en profondeur, et qu’ils diminuent dans le sens de la longueur ; or, plus ils se raccourcissent, plus ils sont rétractés vers leur principe. Ainsi Érasistrate a dit que les muscles remplis de pneuma s’étendent en largeur, mais diminuent de longueur, et par cette raison se rétractent. D’où vient donc la plénitude des artères et des veines de l’utérus ? Évidemment de la rétention des règles. Le sang arrive bien jusqu’à la matrice, mais il ne peut pas s’introduire dans son intérieur, tantôt parce qu’il est trop épais pour pénétrer à travers les orifices des vaisseaux, tantôt parce que ces orifices sont fermés, de sorte qu’il engorge les veines et les distend et qu’il imbibe les ligaments qui sont proches ; par suite de leur tension la matrice, vu son rapport de continuité avec eux, est attirée en même temps ; si la traction s’opère de tous les côtés par des forces égales, le déplacement de l’utérus s’effectue sans aucune déviation ; si, au contraire, les forces sont inégales, cet organe se porte là où la traction est la plus puissante. Donc ce n’est pas en qualité d’animal errant que, chez les femmes, la matrice se porte tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, mais parce qu’elle remonte en vertu de la tension. Si quelqu’un disait que le corps même de l’utérus est dans ce cas exempt d’affection, mais que tiré de côté et d’autre, l’utérus éprouve une distorsion, il parlerait convenablement. En effet d’autres parties du corps sont également sujettes à ces apparences d’affection, de sorte que souvent les médecins, induits en erreur, pensent que ce qui est contourné est affecté, attendu qu’il ne peut plus ni se plier ni s’étendre. C’est ce qu’Hippocrate nous a appris dans son livre Sur les articulations (§ 57, t. IV, p. 244), lorsqu’il rappelait en ces termes ce qu’on nomme les voyages de la matrice : « Quand la tête de l’humérus se luxe en arrière, mais cette luxation est rare, le blessé ne peut étendre le membre, ni dans l’articulation luxée ni même exactement au niveau du genou. De toutes les luxations de la cuisse c’est celle où il est le moins facile d’étendre l’articulation de la hanche et, celle du genou. » — Dans ce passage Hippocrate dit que l’articulation du genou, bien qu’elle ne soit pas affectée, ne peut être étendue en raison de ses rapports avec la hanche. Puis il ajoute ce qui suit : « Il importe en effet de savoir aussi (c’est une notion très-utile, d’un grand intérêt, et qui échappe à beaucoup de gens) que, même dans l’état de santé, on ne peut pas étendre le jarret, si on n’étend pas en même temps l’articulation de la hanche, à moins qu’on n’élève le pied très-haut, car alors on peut étendre le jarret ; on ne peut pas non plus fléchir l’articulation du genou (ce mouvement est du moins beaucoup plus difficile que le premier) si on ne fléchit en même temps la hanche. » — Après avoir dit cela Hippocrate continue : « Beaucoup d’autres parties du corps ont également de telles fraternités (affinités), eu égard soit à la tension des nerfs, soit à la figure des muscles, et beaucoup d’autres plus importantes à connaître qu’on ne le pense, eu égard à la nature de l’intestin, au ventre tout entier, ou aux voyages et tension de l’utérus. » Dans ce passage Hippocrate se proposait de parler de l’articulation du genou qui ne peut pas se mouvoir naturellement, bien qu’il ne souffre d’aucune affection propre, mais par le seul fait de ses rapports avec l’articulation de la hanche ; et à ce propos il a rappelé les tensions de la matrice, quand cette partie ne se déplace pas par un mouvement propre, mais tirée par d’autres parties, elle se laisse entraîner par ce qui la tire.

Les distorsions de la matrice sont donc, de la manière que j’ai indiquée, la suite de la rétention des règles ; elles ne sont pas elles-mêmes la cause des symptômes qui se produisent dans le corps de l’animal, mais elles ont avec ces symptômes une cause commune : la plénitude par suite de la rétention du flux menstruel. Quant aux malaises qu’éprouvent les femmes veuves, sans distorsion de la matrice ou sans rétention des règles, elles tiennent à la rétention du sperme. Les symptômes varient suivant la quantité et la qualité du sang menstruel et du sperme. Ainsi quand la matière nuisible peut refroidir tout le corps, les malades sont fortement refroidis, de sorte qu’il n’y a plus ni respiration ni pulsation sensibles ; si au contraire la matière est épaisse ou âcre, il se manifeste des spasmes ; ce sont des tristesses quand l’humeur est plutôt mélancholique. De même des défaillances sont la conséquence de la violence des tensions, des refroidissements et des dépravations de l’orifice de l’estomac (στόμαχος) ; or, il est évident que dans ce livre nous avons coutume d’appeler στόμαχος l’orifice de l’estomac (στόμα τῆς γαστρός), de même que tous les médecins ont coutume de se servir d’un dérivé de cette expression pour désigner les syncopes stomachales (στομαχικαὶ συγκοπαί).

Je vais parler maintenant de tous les symptômes qui surviennent chez les femmes par suite de la suppression des règles, car j’ai promis d’en dire quelque chose, et mon point de départ sera ce qu’Hippocrate avance dans ses Aphorismes (V, 39) : « Quand une femme qui n’est ni enceinte, ni nouvellement accouchée, a du lait, c’est que ses règles sont supprimées. » Quand le lait ne monte pas aux mamelles, bien que les règles soient supprimées, on observe les symptômes suivants : sentiment de pesanteur dans tout le corps, nausées, défaut d’appétit, frissonnements irréguliers ; s’il y a quelque irrégularité sans frisson, des nausées, un appétit déréglé, il faut que la sage-femme touche le col de la matrice, car s’il est fermé sans être dur, c’est un signe de grossesse, certaines femmes vomissent les aliments, mangent de la terre ou des charbons éteints, ou telles autres substances. L’occlusion de l’orifice du col avec dureté montre qu’il y a une affection de la matrice ; il faut alors que la sage-femme s’assure par le toucher vers quelle partie elle incline ou remonte, car c’est de ce côté que la matrice est affectée. Chez quelques femmes, il y a comme signe dans cette partie une douleur avec pesanteur ; la douleur gagne aussi la hanche, et la jambe elle-même correspondante cloche dans la marche. Quand la suppression dure depuis longtemps et que le médecin n’a procuré aucune évacuation, il se forme quelquefois une tumeur dans les flancs, indiquant qu’il y a une certaine inflammation dans les parties profondes. Chez d’autres il s’élève à l’extrémité inférieure des flancs (à l’aine) une tumeur de la nature des abcès, comme il s’en forme chez les hommes dans cette partie ; quelquefois cette tumeur suppure et réclame une incision (phlegmons péri-utérins ?). Nous avons vu aussi dans cette partie le colon suppurant et ouvert tantôt par des médecins inexpérimentés qui ne savaient pas ce qu’ils coupaient, tantôt par des médecins qui le savaient. Le colon qui suppure ainsi guérit toujours facilement (cf. I, i, p. 470) ; mais les plaies de la matrice arrivent difficilement à se réunir. Ces symptômes suivent la suppression des règles, et de plus il y a des douleurs aux lombes, au cou, au sinciput, à la base des yeux ; il y a aussi des fièvres ardentes, des urines noirâtres, avec une sanie rougeâtre, comme si on avait mêlé de la suie à de la lavure de chairs saignantes. Quelques femmes ont de la dysurie ou de l’ischurie.

Lors donc que vous verrez une femme en proie à de tels symptômes, croyez que la matrice en est comme la racine. S’il survient sur quelque autre partie du corps, ou une hémorrhagie, ou une phlegmasie, ou un érysipèle, on doit porter son attention du côté de l’évacuation menstruelle, car rien de tout cela ne se manifeste quand la menstruation est irréprochable. Donc, à la suite de la rétention des règles, ces symptômes se manifestent généralement. Quand les règles sont trop abondantes, la peau se décolore, les pieds enflent, tout le corps est un peu gonflé ; la coction des aliments s’accomplit mal, l’appétit est déréglé ; en un mot surviennent tous les accidents qui d’habitude accompagnent les pertes excessives de sang, que ce soit par des hémorrhoïdes ou par toute autre évacuation sanguine. Sans que la matrice soit affectée, la femme est quelquefois prise d’un flux appelé sanguin, tout le corps se purgeant et se vidant par la matrice, comme il se purge quelquefois par les reins. Ce flux se montre surtout chez les femmes qui ont la chair molle et qui sont phlegmatiques ; nous pouvons les guérir, sans toucher la matrice, par des remèdes qui s’adressent à tout le corps. Le liquide évacué est tantôt une sanie rouge et tantôt une humeur aqueuse et jaunâtre. Si le sang s’échappe pur comme dans une saignée, il faut examiner avec soin s’il n’y a pas une érosion de la matrice. Il arrive assez souvent qu’une érosion se forme, soit surtout au col, soit dans une autre partie. On reconnaît qu’elle est profonde par la sanie qui s’échappe, et qu’elle siége au col, non-seulement par cette circonstance, mais aussi en touchant. Le sang s’échappe aussi chez les femmes enceintes, les veines du col venant à s’ouvrir à leur extrémité (cf. Hippocrate, Aph., V, 60). Si chez une femme enceinte les seins s’affaissent tout à coup, attendez-vous à un avortement. Si la femme porte deux jumeaux, et qu’un de ses seins s’affaisse, cela signifie qu’elle avortera d’un des deux enfants (cf. Hippocr., ibid., V, 37, 38) ; ordinairement le mâle si c’est le sein droit, et la femelle si c’est le sein gauche ; en effet, généralement, chez les femmes les mâles sont à droite dans la matrice, et les femelles à gauche ; le contraire est rare, comme cela s’observe aussi chez les autres animaux qui naturellement mettent au monde deux petits ; par exemple beaucoup de chèvres, les brebis, et d’autres quadrupèdes en assez grand nombre. Si la femme conçoit facilement, mais si au deuxième, au troisième, ou au quatrième mois, elle perd son fruit, une humeur phlegmatique s’est accumulée autour des cotylédons de la matrice ; il en résulte que les veines et les artères qui se développent dans le chorion pour s’aboucher avec celles qui existent dans la matrice manquent tellement de force, qu’elles ne peuvent plus soutenir le poids du fœtus, et qu’elles le laissent s’échapper facilement (cf. Hippocr., Aph., V, 45, et Utilité des parties, XIV, iv).


Chapitre vi. — Des ulcérations du pénis. — De la gonorrhée et du priapisme. — À ce propos Galien examine comment se produisent l’érection et l’émission du sperme. — Exemples qui prouvent combien les facultés des animaux sont instinctives et innées.


De même que parmi les matières excrétées par l’anus, peu indiquent l’affection des lieux avoisinants, et que la plupart dénotent les affections des intestins, de l’estomac, de la rate, du foie, parfois même l’état des humeurs contenues dans le corps entier, de même il est peu de matières excrétées par le pénis qui marquent une affection propre à cette partie ; le plus souvent elles révèlent un état de la vessie et des reins, du foie et de la rate, du poumon et du thorax, et la diathèse des humeurs contenues dans le corps entier. La distinction se tire des autres caractères attachés, disions-nous, à l’affection de chaque partie. Ainsi l’affection du pénis lui-même se reconnaît à ces signes : la douleur qui s’y manifeste indique clairement l’ulcération, outre que les urines entraînent avec elles quelqu’une des matières inhérentes à l’ulcère. Ces matières se distinguent de celles qui viennent de la vessie parce qu’elles apparaissent au premier jet de l’urine, tandis que celles qui arrivent de la vessie sont mêlées aux urines. De plus, pendant qu’on urine, les ulcères de la verge font éprouver constamment[7] une sensation mordicante, surtout lorsqu’ils sont à vif, la croûte d’ulcère (ἐφελκίς), ou la sanie s’étant détachées. Les inflammations et aussi les autres affections semblables se distinguent sans signe beaucoup plus aisément encore ; il est préférable d’exposer plus longuement ce qui regarde la gonorrhée et le priapisme.

La gonorrhée est une excrétion involontaire (ἀκούσιος) du sperme ; pour parler plus clairement, il vaut mieux l’appeler une excrétion fréquente du sperme, dont on n’a pas conscience (ἀπροαίρετος) et qui s’accomplit sans érection de la verge. Le priapisme est une augmentation de la verge entière, en longueur et eu égard à sa circonférence, sans excitation vénérienne, ni accroissement de chaleur naturelle, comme cela a lieu chez les personnes couchées sur le dos. C’est ainsi que le priapisme a été défini. On peut dire plus brièvement : que c’est une augmentation permanente de la verge, ou un gonflement permanent. Il a été désigné ainsi par comparaison avec Priape ; car les sculpteurs et les peintres représentent ce dieu doué naturellement d’un tel pénis. L’expression de gonorrhée est composée évidemment de γονή (semence) et de ῥεῖν (couler) ; car le sperme se nomme aussi γονή et γόνος. Il en est du sperme comme de toutes les matières évacuées de notre corps : leur expulsion a lieu de deux façons ; tantôt elles sont excrétées par les corps qui les renferment ; tantôt elles coulent spontanément, n’étant plus retenues par suite de la débilité des corps eux-mêmes. En effet à l’égard de toutes ces matières, l’œuvre de la nature est aussi bien de les retenir que de les excréter dans les occasions convenables. Or l’excrétion a lieu quand le méat destiné à l’écoulement est ouvert et que le reste de la cavité se contractant pousse vers le méat ouvert tout ce qui est renfermé dans la cavité. La rétention a lieu lorsque le méat demeure fermé, et qu’aucune pression n’est opérée par le contenant sur le contenu, lequel tout au contraire est embrassé et retenu. C’est ainsi que, dans l’état naturel, ont lieu les excrétions et les rétentions des liquides renfermés dans les organes creux. Dans l’état contre nature, les rétentions ont lieu par faiblesse de la faculté excrétoire, et les excrétions par impuissance de la faculté rétentive ou par quelque diathèse qui excite les parties de la même manière que la faculté excrétoire naturelle, comme cela arrive aux vaisseaux spermatiques dans les épilepsies et les autres convulsions qui se produisent violemment.

Nous voyons encore que dans d’autres parties, par exemple les bras, les pieds ou les doigts, les convulsions ont lieu tantôt en même temps que le corps est ébranlé, tantôt quand ces organes seuls sont affectés. Il n’y a donc rien d’étonnant que parfois, dans les seuls vaisseaux spermatiques, ait lieu une diathèse semblable à celle de la gonorrhée, analogue aux excrétions involontaires de l’urine, quand la faculté rétentive même se trouve paralysée. Ainsi la gonorrhée est une affection des organes spermatiques, non du pénis, lequel sert de voie à l’écoulement du sperme. — Le priapisme paraît évidemment un symptôme du pénis. Il peut cependant, le pénis n’éprouvant aucune affection propre spéciale, appartenir aux artères seulement, lesquelles subissent parfois une diathèse contre nature, telle qu’elle se produit chez elles quand a lieu naturellement l’érection de tout le pénis. Que le pénis soit enflé par le pneuma, cela est évident pour ceux qui calculent la rapidité de son gonflement et de son érection. Car aucune humeur n’est capable de produire un changement aussi rapide dans l’un ou l’autre sens (voy. Util. des parties, XIV, x ; XV, iii).

La chose étant ainsi, et quand on voit dans les dissections de grandes artères pénétrant dans une aussi petite partie que le pénis ; quand on voit la substance qui le compose et que ne possède aucune autre partie (car le pénis est un corps nerveux tout rempli de cavernes, à l’exception de ce qu’on nomme le gland), que pourrait-on supposer d’autre, sinon que c’est en se remplissant d’un pneuma vaporeux qu’il se gonfle dans les érections, et que le gland conserve toujours une dimension égale, parce qu’en lui n’existe pas un nerf caverneux (voy. Util. des parties, XV, i) ? Quelle est donc la cause de l’érection du pénis dans les désirs vénériens, ou dans le décubitus, lorsque étant couché sur le dos, la chaleur pénètre dans les lombes ? Cette cause trouvée, il y a espoir que nous trouverons aussi la cause du priapisme.

Il faut que la cause première, c’est-à-dire la réplétion, provienne des artères ou du nerf caverneux, ou des deux organes ayant subi un changement dans leur constitution antérieure, cela est de toute évidence. Examinons immédiatement lequel des deux organes produit plutôt ce résultat ou s’il est produit par les deux à la fois, en faisant précéder cet examen de la considération suivante :

La nature qui a conformé et achevé les parties du corps, les a créées capables sans instruction d’accomplir leur fonction propre (voy. Util. des parties, I, ii, iii). Je fis de cette aptitude une expérience très-importante en élevant un chevreau qui n’avait jamais vu sa mère. Je disséquais des chèvres pleines, en vue des recherches faites par les anatomistes sur l’économie du fœtus ; ayant trouvé un petit vigoureux, je le détachai de la mère comme d’habitude. Je l’enlevai avant qu’il eût vu sa mère, et le portant dans une maison, je le déposai au milieu de vases nombreux pleins, l’un de vin, l’autre d’huile, celui-ci de miel, celui-là de lait, d’autres d’un liquide quelconque ; il y en avait même plusieurs qui étaient remplis de céréales et de fruits. Nous vîmes d’abord ce petit chevreau marcher comme s’il eût appris qu’il avait des pattes pour marcher. Nous le vîmes ensuite secouer l’humidité qu’il tenait de sa mère, puis se gratter le côté avec une patte ; flairer chacun des vases placés dans la chambre, et après les avoir tous flairés, avaler le lait ; à ce moment nous poussâmes tous un cri, voyant réalisé le mot d’Hippocrate (De l’aliment, p. 382, l. 35, éd. Foës) ; « les natures d’animaux sont sans enseignements. » En élevant ce chevreau nous constatâmes donc plus tard qu’il se nourrissait non-seulement de lait, mais encore d’autres substances disposées sur le sol. Comme l’époque où le chevreau fut enlevé à sa mère était rapprochée de l’équinoxe du printemps, au bout de deux mois je lui portai des pousses tendres de branches et de plantes, et les ayant toutes flairées, il s’éloigna immédiatement de quelques-unes et se mit à en goûter d’autres, et après les avoir goûtées, il s’adressa à celles qui font habituellement la nourriture des chèvres adultes. Ce fait a peu de signification peut-être ; cet autre en a beaucoup. Après avoir brouté les feuilles et les jeunes pousses il but, et un peu plus tard, commença à ruminer. Cette vue fit pousser un cri à tous les assistants, émerveillés des facultés naturelles des animaux. Certes, c’était une grande chose de voir l’animal ayant faim, prendre la nourriture avec la bouche et les dents, mais le voir d’abord ramener à sa bouche les aliments descendus dans l’estomac pour les mâcher longuement et les triturer, puis les porter non plus dans l’estomac même, mais dans une autre cavité, cela nous parut un spectacle bien admirable. Le vulgaire dédaigne de pareilles œuvres de la nature, n’admirant que les spectacles étranges. Pourtant n’est-il pas étonnant que les médecins les plus habiles en anatomie recherchent par quel muscle est étendue telle articulation, par exemple celle de l’ischion, par quel muscle elle est fléchie, quels sont les muscles qui la meuvent obliquement dans les deux sens, quels sont ceux qui la meuvent circulairement des deux côtés, tandis que le chevreau exécute immédiatement le mouvement qu’il veut dans chaque articulation, comme les hommes eux-mêmes, bien qu’hommes et chevreaux ignorent par quel muscle chaque mouvement est opéré ? Et le mouvement de la langue, pour le citer comme exemple, comment ne pas s’étonner qu’on trouve les anatomistes en désaccord entre eux non pas seulement sur le nombre des muscles, mais encore sur leurs fonctions, tandis qu’on voit la nature enseigner aux enfants comment ils imiteront cette voix ou cette autre, comment ils remueront la langue, et par quels muscles ils produisent le son même ? De même pour toute voix ou respiration des autres animaux, et pour parler brièvement, pour les fonctions volontaires, qui ne s’étonnerait en voyant ces organes spontanément instruits, tandis que des dissentiments assez graves existent entre les anatomistes au sujet de ces fonctions, et qu’ils discutent comment elles s’opèrent et par quels organes, comment tous les animaux respirent et émettent des sons aussitôt après leur naissance ? Il n’est donc pas singulier que les parties génitales connaissent dès le principe les fonctions en vue desquelles elles ont été créées par la nature, puisque la matrice, après avoir reçu le sperme, se clôt exactement jusqu’à ce que le fœtus soit achevé, et que, ce fœtus étant parfait, elle se rouvre considérablement à l’effet de lui donner passage. L’habitude de voir ces choses fait qu’on les dédaigne et qu’elles sont méprisées par beaucoup de gens accoutumés à admirer non pas les choses réellement admirables, mais celles dont le spectacle s’offre rarement à leurs yeux. Qu’y a-t-il dans la nature de plus étonnant que cet orifice si exactement fermé pendant neuf mois entiers, que le bout d’une sonde n’y pénètre pas, et qui, lorsque le fœtus est parfait, subit une dilatation telle que l’animal tout entier le traverse ? On ne doutera donc pas que la faculté du pénis ne soit spontanée, en sorte que ce corps caverneux, de substance nerveuse, se dilate immédiatement quand l’animal est excité au coït, possédant, comme l’artère et le cœur, la faculté naturelle qui le dilate, avec la seule différence que ceux-ci se meuvent constamment, parce que nous avons toujours besoin de leur fonction, tandis que le nerf caverneux ne se meut pas constamment, mais quand le besoin l’exige. Lorsqu’il se dilate, le pneuma arrive des artères, comme le poumon se dilate dans le thorax pour remplir le vide opéré. Quelqu’un pourrait peut-être rapporter aux artères la faculté du pneuma qui remplit le nerf caverneux, quand l’animal est poussé au coït ; mais il vaut beaucoup mieux dire que cette fonction appartient au corps nerveux, non aux artères, si la raison veut que les fonctions dérivent de la substance propre des parties et non de leur position, et s’il est vrai que le cœur, fût-il placé ailleurs, aurait la même fonction, aussi bien que le foie, la rate et tous les autres viscères[8]. Il est naturel que les artères, dans toute partie du corps, aient la même fonction, comme elles paraissent l’avoir, car dans le même temps les artères de l’animal entier se dilatent de la même façon. Il n’est donc pas vraisemblable que les artères qui pénètrent dans le pénis aient quelque autre faculté ajoutée à celle que possèdent les artères du corps entier, mais il est naturel qu’elles aient des orifices plus larges que les autres artères et disposés pour le prompt remplacement de ce qui a été évacué (car toujours la nature paraît accomplir de tous points ce qui est utile pour chacune des fonctions), et que du reste elles n’aient aucune faculté spéciale de fonctions, quand elles ont pénétré dans le pénis. D’un autre côté, les lombes étant échauffées, il est encore naturel que les artères deviennent plus chaudes et que leurs orifices s’élargissent, de sorte qu’en ce moment elles versent dans le nerf caverneux une quantité de pneuma assez grande, qui remplit peu à peu le pénis et provoque son érection, toute sa substance consistant dans le nerf caverneux. Ces faits connus, arrivons à la diathèse nommée priapisme.

Il est évident, d’après ce que nous savons déjà, que l’affection provient soit des orifices dilatés des artères, soit de la production d’un pneuma vaporeux dans le nerf. Cherchons laquelle des deux parties il faut accuser de préférence. Il me semble que toutes deux contribuent à produire cette affection, mais qu’elle tient plus souvent à la dilatation des orifices artériels ; car ces orifices se dilatent plus aisément que le pneuma vaporeux n’est engendré facilement dans le nerf caverneux. Je crois n’avoir vu qu’une fois la diathèse du nerf, tandis que j’ai vu souvent celle des artères. C’est ce que je conjecturai par les symptômes précurseurs et par le traitement. En effet, chez un individu qui, dans l’origine, éprouvait des palpitations continuelles du pénis, le pneuma flatulent était le principe de la diathèse, et en dirigeant contre lui tout le traitement, je guéris le malade. Les individus affectés d’une dilatation des orifices des artères n’avaient éprouvé antérieurement aucun symptôme semblable ; l’un, contre son usage, s’était abstenu de coït pendant un longtemps ; l’autre s’était nourri de mets malsains et âcres ; celui-ci, pendant un voyage de deux mois, avait porté une ceinture, n’en ayant pas l’habitude. Je pensai donc que la dilatation des artères provenait chez les uns de l’âcreté des humeurs, et chez les autres de la production d’un pneuma flatulent mû d’une manière déréglée et violente. En effet les médicaments qui provoquent la tension du pénis, soit pris en potion, soit appliqués au périnée ou sur les lombes, sont tous chauds et flatulents. À l’inverse, les médicaments doués d’une vertu contraire dissipent tous les flatuosités et refroidissent plutôt qu’ils n’échauffent. Mais remarquez mes paroles et ne passez pas sans les peser : j’ai dit médicaments et non pas aliments ; car il est des médicaments qui engendrent beaucoup de sperme, et par conséquent qui excitent à la lubricité. Ces faits confirment ce que je disais tout à l’heure, savoir, que ceux qui s’abstiennent du coït sont pris parfois de priapisme. Cela arrive aux gens qui ont beaucoup de sperme et qui en même temps s’abstiennent du coït, contre leur habitude, s’ils ne dissipent pas dans des occupations nombreuses le superflu de leur sang ; cela arrive surtout à ceux qui n’écartent pas l’idée des plaisirs vénériens, comme le font les personnes naturellement chastes et ayant pratiqué longtemps une pareille continence, mais qui arrivent au contraire à se représenter ces plaisirs à la suite de spectacles capables de les exciter ou parce qu’ils se les rappellent. La diathèse qui affecte le pénis chez ces individus est tout à fait contraire de celle qui se déclare chez les gens dont l’esprit n’a pas même conçu l’idée des plaisirs vénériens. — Un de mes amis qui avait pris la résolution, contre ses habitudes antérieures, de s’abstenir complétement du coït, éprouva un tel gonflement du pénis qu’il fut forcé de me faire connaître l’état dans lequel il se trouvait. Il s’étonnait, disait-il, que, chez les athlètes, le pénis étant ridé et flasque par suite de la continence, le contraire arrivât chez lui depuis qu’il avait adopté ce régime. Alors je lui conseillai d’éjaculer le sperme accumulé, et dorénavant de s’abstenir complétement de spectacles, de pensées et de souvenirs capables d’exciter les désirs vénériens. Chez ceux qui dès le principe, athlètes ou chanteurs, ont vécu étrangers aux plaisirs vénériens, et qui se sont gardés de toute idée, de toute pensée de ce genre, le pénis devient grêle et ridé comme chez les vieillards. Car, outre les autres conséquences, il arrive encore à ceux qui dès le premier temps de leur jeunesse s’abandonnent aux excès vénériens, que, par suite de la dilatation des vaisseaux de cette région, le sang afflue davantage au pénis et accroît la faculté appétitive du coït ; cela s’explique par une raison commune à toutes les facultés, raison ainsi exprimée par Platon (cf. Lois VII, passim ; Érast., p. 183 d, suiv.) : « Le repos énerve la vigueur du corps, tandis que l’exercice des fonctions qui lui sont propres l’augmente. » C’est ainsi que chez les femmes qui n’ont jamais enfanté, les mamelles demeurent affaissées, tandis que chez celles qui, après avoir enfanté, allaitent leurs enfants, elles se développent considérablement et continuent à donner du lait tant que dure l’allaitement ; mais, quand les mères cessent d’allaiter leurs enfants, bientôt s’arrête la production du lait.

L’étude préalable de toutes ces considérations fournira des principes pour le traitement et des moyens de distinguer les causes qui ont produit l’affection dans chacune des parties affectées. Le moment d’aborder cette étude n’est pas encore venu, et le traité que je me suis proposé d’écrire étant arrivé actuellement à son terme, je mets fin ici au présent livre.





  1. Les médecins dont parle Galien en dernier lieu, tout en ne partageant pas les opinions d’Érasistrate, ne se rendaient cependant pas compte des maladies par dyscrasie ; par conséquent ils se trouvaient dans un grand embarras pour expliquer les hydropisies dans lesquelles le foie ne présente aucune affection organique et n’offre qu’un changement de tempérament.
  2. Le ms. a μακρά. Les éditions ont σμικρά. — Voy. Dissert. sur la pathol.
  3. Voy. Dissertation sur la pathologie.
  4. De ce que la lientérie arrive quand il y a atonie du canal intestinal, il ne faudrait pas en conclure ni que la distribution de l’aliment se fait d’autant plus vite que le foie, les veines mésentériques, etc., sont plus frappés d’atonie, ni, par conséquent, que le diabète tient à l’atonie de ces organes.
  5. Voy. Mouvement des muscles, II, viii.
  6. Ἐφελκίς, espèce de peau, propre, suivant Galien, à toute ulcération, est pour ainsi dire un produit de nouvelle formation. Les autres matières solides qui proviennent des ulcères sont toujours, suivant Galien, des débris de la substance même de l’organe ulcéré.
  7. Συνεχῶς vulg. ; ἐναργῶς, manifestement, manuscrit.
  8. C’est-à-dire, quelle que soit la partie où se trouvent les artères, elles accomplissent les mêmes fonctions ; de telle sorte que leur présence dans le pénis n’entraîne pas pour elles une fonction différente de celles que la nature leur a accordées partout ailleurs.