Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome II/VI/3
Nous avons démontré dans le livre précédent (chap. x ; — cf. I, x, xi) que la nutrition résulte de l’altération et de l’assimilation de l’aliment à l’être nourri, et que, dans chacune des parties de l’animal, il existe une faculté, qui, en raison de son action, est appelée en général altératrice, et, dans l’espèce, assimilatrice et nutritive. Il a été aussi démontré que la quantité suffisante de matière, dont la partie nourrie tire facilement sa nourriture, lui est fournie par une autre faculté destinée à attirer l’humeur convenable, et que l’humeur convenable pour chaque partie est celle qui s’approprie le mieux à l’assimilation, enfin que la faculté qui l’attire est appelée , en raison de son action , faculté attractive ou épispastique. Il a été démontré encore que l’assimilation (ὀμοιώσις) est précédée de l’agglutination (πρόσφυσις) qui est précédée elle-même de l’application (πρόσθεσις), laquelle est le but pour ainsi dire de l’action exercée par la faculté épispastique. Le transport même de la nourriture des veines dans chacune des parties résulte de la faculté attractive en activité. Ce transport et cette application sur la partie est le but même en vue duquel nous avions besoin d’une semblable faculté. En effet, l’attraction n’existe qu’en vue de l’application. En raison de cette opération, la nutrition de l’animal exige un temps plus considérable. L’attraction, en effet, s’exécute très-rapidement ; mais l’agglutination, l’altération et finalement l’assimilation, qui fait de l’aliment une partie de l’être nourri, ne peuvent s’opérer en un instant, il leur faut pour cela un temps plus considérable. Mais si l’humeur appliquée, au lieu de demeurer dans la partie passait dans une autre, s’écoulait continuellement, changeant sans cesse de place, il n’y aurait dans ce cas ni agglutination, ni assimilation. La nature a donc besoin ici encore d’une autre faculté pour le séjour durable de l’humeur appliquée sur la partie, faculté qui ne doit pas émaner du dehors, mais être fixée dans la partie elle-même où doit s’accomplir la nutrition, et qui, vu son action, a été forcément nommée faculté rétentive par nos prédécesseurs. Ce raisonnement suffit déjà à démontrer clairement la nécessité de la création d’une semblable faculté ; et quiconque réfléchit doit, après ce que nous avons dit, être intimement convaincu que, si l’on a admis en principe et prouvé que la nature est industrieuse et pleine de sollicitude pour l’animal, il est nécessaire qu’une semblable faculté existe en lui.
Pour nous qui habituellement, n’employons pas ce seul genre de démonstration (démonstration à priori), et qui y ajoutons les preuves convaincantes et irrésistibles tirées des faits évidents, nous allons passer actuellement à des preuves de cette espèce, et nous montrerons si manifestement la faculté rétentive dans certaines parties du corps, que son action sera perçue par les sens eux-mêmes ; moins évidente pour les sens dans quelques autres parties, elle pourra, là encore, être saisie par le raisonnement. Commençons donc notre démonstration par le premier point et choisissons méthodiquement certaines parties du corps qui nous permettent de vérifier exactement et de rechercher en quoi consiste la faculté rétentive. Pourrait-on mieux entreprendre cette recherche par un autre point que par les organes les plus considérables et les plus creux ? Je ne le crois pas. Il est probable, en effet, que la grandeur de ces organes manifestera plus évidemment leurs actions ; car, lors même que les petits organes posséderaient cette faculté à un degré très-énergique, son action ne serait pas facilement perçue par les sens. Les parties de l’animal les plus creuses et les plus considérables sont l’estomac, les matrices, qu’on appelle aussi utérus (ὑστέραι). Qui nous empêche de choisir ces organes et d’examiner leurs actions, en recherchant sur nous-mêmes celles qui sont visibles sans la dissection, et, pour celles qui sont obscures, en disséquant les animaux analogues à l’homme ? Ce n’est pas que même les animaux différents ne donnent généralement une idée suffisante de la faculté cherchée ; mais, outre la notion générale, nous aurons encore une notion spéciale sur nous-mêmes qui nous servira pour le diagnostic et le traitement des maladies. Il est impossible de parler en même temps de ces deux organes. Nous parlerons en particulier de l’un et de l’autre, en commençant par celui qui peut montrer plus clairement la faculté rétentive. Or l’estomac retient les aliments jusqu’à ce qu’il ait achevé de les cuire ; les matrices retiennent le fœtus jusqu’à ce qu’il soit arrive à terme. Mais le temps exigé pour l’achèvement du fœtus est bien plus considérable que pour la coction des aliments.
Il est donc probable que nous découvrirons plus nettement la faculté rétentive dans les matrices, son action s’y exerçant bien plus longtemps que dans l’estomac. En effet, chez la plupart des femmes le fœtus, enveloppé dans l’utérus qui est fermé par tout son col, et qui l’enveloppe de toute part avec le chorion, exige neuf mois pour être parfait. L’utilité de l’action sert de terme à l’occlusion de l’orifice utérin et au séjour du fœtus dans la matrice. En effet, ce n’est pas au hasard ni sans calcul que la nature a créé l’utérus assez large pour embrasser et retenir le fœtus, c’est pour qu’il y arrive à sa grandeur convenable. Quand donc le fœtus est à terme, l’utérus, qui pour lui avait mis en action sa faculté rétentive, la laisse tranquille et la ramène au repos. À la place de celle-ci, il emploie une autre faculté jusqu’alors oisive, la faculté propulsive. L’utilité était le terme du repos de cette faculté, et l’utilité l’est également de son action. Quand l’utilité la réclame, elle agit ; si elle ne l’appelle pas, elle reste dans le repos. Et ici il faut se rendre compte de l’art de la nature, qui n’a pas seulement déposé dans chacun des organes les facultés d’actions utiles, mais qui encore a pourvu à l’opportunité des repos et des mouvements. Ainsi, quand tout se comporte bien dans l’utérus, la faculté expulsive se repose complétement comme si elle n’existait pas. S’il survient quelque chose de fâcheux, soit au chorion, soit à quelque autre membrane, soit au fœtus, et que ce dernier ne puisse pas arriver à l’état parfait, l’utérus n’attend plus le terme du neuvième mois, à l’instant il met au repos la faculté rétentive ; et cette dernière cède la place à la faculté expulsive ou propulsive, oisive jusque-là, pour qu’elle entre alors en action et qu’elle agisse utilement. C’est ainsi qu’on l’a appelée propulsive ou expulsive en lui donnant, comme aux autres facultés, des noms tirés de ses actions.
Notre raisonnement, ce me semble, peut s’appliquer aux deux facultés sous le rapport de la démonstration. En effet, comme elles se succèdent l’une à l’autre, et que la première cède toujours la place à la seconde, autant que l’utilité l’exige, il n’est pas hors de propos de les réunir dans une démonstration commune. L’action de la faculté rétentive consiste, pendant la grossesse, à contracter la matrice en tous sens autour des fœtus, de façon que son orifice paraît à juste titre fermé aux accoucheuses (μαιευτρίαις) qui y portent le doigt. Dans les premiers jours de la grossesse, et surtout le jour même où la conception a eu lieu, la femme sent un mouvement et comme un retour de l’utérus sur lui-même ; quand ces deux circonstances se réunissent, quand l’orifice utérin se ferme sans être atteint d’une inflammation ou d’une autre affection, et quand ce fait est accompagné d’une sensation de mouvement dans l’utérus, les femmes croient dès lors qu’elles ont conçu et qu’elles retiennent le sperme. Ces faits, ce n’est pas nous qui les imaginons [pour répondre à l’opinion des femmes] : vérifiés par une longue expérience, ils sont reproduits par presque tous ceux qui ont écrit sur ces matières. Hérophile n’a pas hésité à écrire que le bout même d’une sonde ne pourrait être introduit dans l’orifice utérin avant que la femme accouche, qu’il ne s’y trouve pas le moindre écartement avant qu’elle commence à concevoir, et que l’ouverture s’élargit pour laisser passer le flux menstruel. Tous les autres écrivains qui ont traité ce sujet sont d’accord avec lui ; et le premier de tous les médecins et philosophes, Hippocrate (Aph. V, 51 et 54. Voy. aussi Util. des parties, XIV, iii et vii), a déclaré que l’orifice utérin est fermé pendant la grossesse et par suite d’une inflammation ; que dans la grossesse il ne s’écarte pas de son état naturel, tandis qu’une inflammation le rend dur. Quand vient le tour de la faculté opposée, c’est-à-dire de la faculté expulsive, l’orifice s’ouvre, tout le fond de la matrice descend le plus près possible de l’orifice en poussant au dehors le fœtus. En même temps que lui les parties adjacentes, qui sont comme la ceinture de tout l’organe, aidant à l’opération générale, pressent et poussent au dehors le fœtus. De violentes douleurs ont occasionné la chute complète de l’utérus chez des femmes qui usaient avec excès de cette faculté ; il leur arrive un accident semblable à ce qu’on voit souvent dans des luttes ou des querelles, lorsque dans notre empressement à jeter à bas, à renverser nos adversaires, nous tombons avec eux. C’est ainsi que la matrice, en poussant le fœtus, tombe parfois avec lui, surtout lorsque les ligaments qui la rattachent au rachis se trouvent être naturellement lâches.
Un autre artifice admirable inventé par la nature est celui-ci : quand le fœtus est vivant, l’orifice de la matrice est exactement fermé ; s’il vient à mourir, à l’instant l’orifice s’ouvre assez pour lui donner passage. C’est pourquoi les accoucheuses, au lieu de faire lever sur-le-champ les femmes en travail et de les faire asseoir sur la chaise, commencent par toucher du doigt l’orifice, qui s’ouvre peu à peu ; elles disent que la dilatation s’opère d’abord assez pour y introduire le petit doigt, puis qu’elle augmente davantage ; bientôt sur notre demande elles répondent que la dilatation devient considérable. Quand elle est suffisante pour donner passage au fœtus, elles font lever les femmes, les mettent sur la chaise, et les engagent à aider par leurs efforts à pousser l’enfant au dehors. Les femmes en travail emploient à cet effet, non pas l’utérus, mais les muscles de l’épigastre, qui nous servent dans l’acte de la défécation et quand nous urinons (voy. Utilité des parties, IV, ix ; t. I, p. 298). Ainsi apparaissent manifestement dans les matrices les deux facultés rétentive et expulsive.
Voici pour l’estomac : d’abord il s’y manifeste des gargouillements qui, pour les médecins, sont réputés, et avec raison, un symptôme de faiblesse de l’organe. Parfois ils n’ont pas lieu quand nous avons pris très-peu d’aliments, l’estomac se contractant exactement sur ces aliments et les pressant de tous côtés. Parfois l’estomac est rempli, et les gargouillements s’entendent comme s’il était vide. L’estomac, dans son état naturel et usant normalement de sa faculté péristaltique, ne contînt-il que peu d’aliments, il les embrasse tous et ne laisse aucune place vide. Mais s’il est dans un état de langueur, comme il ne peut les embrasser exactement, alors il s’opère en lui des vides ; en conséquence, les liquides qu’il renferme ballottent de côté et d’autre, selon la diversité des formes [de l’estomac] et produisent des gargouillements. Aussi les personnes qui se trouvent dans ce cas doivent s’attendre à ne pas digérer convenablement ; car il n’est pas possible qu’un estomac faible cuise bien ses aliments. Ces personnes sentent plus longtemps le poids des aliments séjournant sur l’estomac, parce que chez elles la coction s’opère plus lentement. Ce qu’on admirerait le plus chez ces personnes, c’est le long séjour dans l’estomac, non pas seulement des aliments solides, mais encore de la boisson. La cause réelle n’est pas, comme on pourrait le penser, l’étroitesse de l’orifice intérieur (pylore) qui ne livrerait passage qu’aux aliments exactement broyés. En effet, nous avons vu bien des personnes avaler un nombre considérable de gros noyaux de fruits ; une autre a avalé par mégarde un anneau d’or qu’elle tenait à la bouche, une autre une pièce d’argent, une autre un objet dur et incapable d’être digéré ; cependant toutes ces personnes ont rendu par la défécation ce qu’elles avaient avalé, sans qu’aucun accident s’ensuivît. Si l’étroitesse du conduit de l’estomac était la cause du séjour prolongé des aliments non broyés, aucun des objets dont il s’agit n’y eût passé. Mais le séjour si long des boissons dans l’estomac de ces mêmes personnes suffit pour éloigner le soupçon d’étroitesse du conduit. En somme, si la promptitude de la sortie dépendait de la chylification, les potages, le lait et le suc de tisane passeraient en un instant chez tout le monde. Il n’en est pas ainsi dans les estomacs faibles, ces liquides surnagent longtemps et provoquent des gargouillements, pressent et chargent l’estomac. Dans les estomacs forts, non-seulement aucun de ces accidents ne survient, mais encore une grande quantité de pain et de viande passe rapidement.
Ce n’est pas seulement la tension et la pesanteur de l’estomac et le changement de place des liquides, avec des gargouillements, qui peuvent faire supposer que chez les individus ainsi constitués les aliments séjournent davantage dans l’estomac, c’est encore l’action des vomissements. En effet, il y a des gens qui vomissent exactement tout ce qu’ils ont mangé, non pas au bout de trois ou quatre heures, mais au milieu de la nuit, après un long temps, écoulé depuis l’ingestion des aliments.
Saturez un animal quelconque d’aliments humides, comme j’en ai souvent fait l’épreuve sur des porcs, en leur donnant un mélange d’eau et de farine, une espèce de cycéon (voy. Oribase, t. I, p. 616), et en les ouvrant trois ou quatre heures après, vous trouverez, si vous agissez ainsi, les aliments encore contenus dans l’estomac. En effet, le terme de leur séjour dans l’estomac n’est pas la liquéfaction (χύλωσις) que l’on peut opérer quand ils sont encore au dehors, mais la coction qui diffère de la liquéfaction, comme la sanguification et la nutrition. De même que ces opérations, nous l’avons démontré (I, x, xi), résultent du changement des qualités, de la même façon la coction des aliments dans l’estomac consiste dans un changement de ces aliments en la qualité propre à l’être nourri. Quand la cootion est parfaite, alors s’ouvre l’orifice inférieur, et les aliments y descendent facilement, fussent-ils même accompagnés d’un grand nombre de pierres, d’os, de noyaux ou autres, , objets incapables d’être réduits en chyle. C’est ce que vous pouvez voir sur un animal, en calculant le moment de la descente des aliments. Quand vous vous tromperiez sur le moment et qu’aucun des aliments que l’estomac cuit encore n’aurait passé, dans ce cas même la dissection ne sera pas sans fruit pour vous. Vous verriez, en effet, comme nous le disions tout à l’heure, le pylore exactement fermé et tout l’estomac embrassant les aliments de la même façon que la matrice embrasse le foetus. Car il n’est pas possible de trouver une place vide ni dans l’utérus, ni dans l’estomac, ni dans les deux vessies, celle qu’on appelle cholédoque (vésicule biliaire) et l’autre (vessie urinaire). Mais que leur contenu soit en petite ou en grande quantité, les cavités paraissent toujours pleines ou remplies, les tuniques, embrassant toujours leur contenu quand l’animal est dans son état naturel.
Érasistrate, je ne sais comment, déclare que la pression de l’estomac est la cause de tout, du broiement des aliments, du départ des superfluités, de la distribution de ce qui est réduit en chyle. Pour moi, dans mille cas où j’ai incisé le péritoine d’animaux encore vivants, j’ai toujours trouvé tous les intestins pressant leur contenu ; pour l’estomac, sa pression n’est pas simple : immobile, il embrasse exactement les aliments en haut, en bas, dans tous les sens, de manière à paraître uni et adhérent à ces aliments. Dans ce cas, je trouvais toujours le pylore exactement clos et fermé comme l’orifice utérin chez les femmes enceintes. Quand la coction était parfaite, alors s’ouvrait le pylore, et l’estomac exerçait son mouvement péristaltique comme les intestins.
Tous ces faits concordants démontrent que dans l’estomac, l’utérus et les vessies, il existe certaines facultés innées rétentives des qualités propres, expulsives des qualités opposées. Il a été démontré précédemment (II, ii et viii) que la vessie du foie attire à elle la bile. Un fait évident aussi, c’est que journellement elle la rejette dans l’estomac. Or, si la faculté excrétoire suivait immédiatement la faculté attractive, et si la faculté rétentive ne venait s’interposer entre elles deux, on devrait dans tous les cas, en disséquant les animaux, trouver dans la vessie une égale quantité de bile. C’est ce qu’on ne voit pas : on la trouve parfois très-pleine, parfois très-vide, parfois plus ou moins remplie, comme l’autre vessie qui reçoit l’urine. Nous sentons, en effet, sans qu’il soit besoin de dissection, et avant même que la vessie soit fatiguée par la grande quantité de l’urine, on irritée par son âcreté mordante, que l’urine continue à s’accumuler, fait qui prouve que la vessie possède aussi une faculté rétentive. De même parfois l’estomac, irrité par l’âcreté des aliments, les rejette avant que leur coction soit complète ; parfois encore, surchargé par la quantité d’aliments, ou mal disposé par le concours de ces deux circonstances contraires, il est tourmenté par des diarrhees. En effet, pour la partie supérieure de l’estomac surchargée par la quantité d’aliments, ou ne pouvant supporter la qualité des aliments et des superfluités qu’elle renferme, le vomissement est une affection analogue à la diarrhée. Qu’une semblable affection se déclare à la partie inférieure de l’estomac tandis que le cardia va bien, elle aboutit à la diarrhée proprement dite. Si au contraire elle existe à l’orifice supérieur, les autres parties étant en bon état, elle se termine par des vomissements.
Souvent encore on peut voir manifestement cette disposition chez les personnes qui ont du dégoût pour les aliments. Si on les contraint à manger, elles n’ont pas la force d’avaler, ou, si elles ont fait cet effort, elles ne peuvent garder l’aliment, et le vomissent sur-le-champ. De même, dans le cas d’une répugnance pour un aliment quelconque, si elles se sont fait violence pour le prendre, elles le vomissent promptement ; si elles le retiennent avec grand effort, elles éprouvent des nausées, elles sentent leur estomac soulevé et pressé de rejeter un poids qui l’incommode. Ainsi tous les faits prouvent évidemment, comme nous le disions dans le principe, qu’il doit exister pour presque toutes les parties une inclination, et comme une appétence et un désir pour la qualité propre ; et, au contraire, une aversion et comme une haine pour la qualité contraire. Or, si elles désirent, il est raisonnable qu’elles attirent, et, si elles ont de l’aversion, qu’elles rejettent. De là résulte l’existence de la faculté attractive, comme aussi de la faculté propulsive. Mais, s’il y a désir et attraction, il doit y avoir aussi jouissance ; car aucun être n’attire dans le but seul d’attirer : c’est pour jouir de ce que l’attraction lui a fourni. Or il ne peut jouir s’il ne retient. L’existence nécessaire de la faculté rétentive est par là démontrée. L’estomac désire manifestement les qualités propres ; il écarte les qualités contraires. S’il désire et attire, et s’il jouit en retenant et en embrassant ce qu’il retient, cette jouissance même doit avoir un but, et, ce but obtenu, alors le moment arrive pour la faculté excrétoire de s’exercer.
Si l’estomac retient et s’il jouit, c’est pour le but en vue duquel il a été créé. Or il a été créé pour recueillir ce qui, par sa qualité, lui convient et lui est approprié (cf. Util. des parties, IV, vii, p. 287). Ainsi il attire sous forme de vapeur et successivement toute la partie la plus utile des aliments, et cette partie il la dépose et l’applique sur ses tuniques. Quand il en est suffisamment saturé, il rejette comme un fardeau le reste des aliments qui a pris des qualités utiles par ses rapports avec l’estomac. Il n’est pas possible que deux corps propres à exercer ou à subir une action, venant à se rencontrer, ne la subissent ou ne l’exercent en même temps, ou du moins que l’un des deux ne l’exerce, et que l’autre ne la subisse. Si leurs facultés sont égales, ils l’exerceront et la subiront également. Si le corps actif surpasse l’autre en force et le domine, il agira sur le corps passif ; son action sera donc grande et sensible. Pour celui-ci, l’action subie sera petite, insensible ou entièrement nulle. C’est là la différence capitale du poison et de l’aliment. L’un triomphe de la faculté du corps, tandis que l’autre est dompté par elle. Ainsi l’aliment ne saurait convenir à l’animal, quand il ne peut être dompté par les qualités du corps ; or, être dompté, signifie être altéré. Certaines parties du corps possédant des facultés plus puissantes et d’autres des facultés plus faibles, toutes dompteront l’aliment propre à l’animal, mais toutes ne le dompteront pas également. L’estomac domptera et altérera l’aliment, mais non pas de la même manière que le foie, les veines, les artères et le cœur. Examinons ici jusqu’à quel point il l’altère : il l’altère plus que la bouche, moins que le foie et les veines. En effet, l’altération subie dans ces derniers organes le transforme en la substance du sang ; celle de la bouche lui donne évidemment un autre aspect, mais ne le transforme pas complètement. C’est ce qu’on peut voir en examinant les parcelles d’aliments retenues dans les intervalles des dents et qui y ont séjourné toute une nuit. Le pain n’y est plus exactement du pain, ni la viande de la viande ; mais ces substances ont une odeur semblable à celle de la bouche. Du reste ils sont dissous, liquéfiés et présentent les qualités de la chair de l’animal. On peut mesurer l’étendue de l’altération des aliments dans la bouche, si l’on met du blé mâché sur des furoncles qui ne sont pas mûrs ; bientôt on verra ce blé changer les furoncles, les mûrir, résultat qu’on n’eût pas obtenu en le trempant simplement dans l’eau. Il ne faut pas s’en étonner ; en effet, l’humeur de la bouche (salive) sert de remède contre les dartres ; elle tue immédiatement les scorpions, et, quant aux nombreux animaux venimeux, il en est qui sont tués rapidement par cette humeur ; d’autres ne succombent que plus tard. Tous en sont gravement incommodés. Pour les aliments mâchés, d’abord ils ont été humectés et imbibés par cette humeur, puis ils ont été en communication avec la chair de la bouche. Ils ont donc éprouvé un plus grand changement que ceux qui ont pénétré dans le creux des dents. Mais autant les aliments mâchés ont été plus altérés que ceux-ci, autant les aliments avalés sont plus altérés que les aliments mâchés. En effet, on ne saurait comparer le degré de l’altération, quand on songe que dans l’estomac se trouvent le phlegme, la bile, le pneuma, la chaleur et toute la substance de l’estomac. Si l’on réfléchit encore que près de lui sont situés des viscères semblables à de nombreux foyers sous un grand chaudron[1], à droite le foie, à gauche la rate, en haut le cœur, et, avec lui, le diaphragme suspendu et toujours en mouvement, et, par-dessus tout cela, l’épiploon servant d’enveloppe, vous serez convaincus que l’altération des aliments descendus dans l’estomac est considérable. Comment pourraient-ils aisément se transformer en sang, s’ils n’y étaient préparés par un semblable changement ? En effet, nous avons démontré précédemment (I, x, xi) qu’aucune chose ne se change tout d’un coup en la qualité opposée. Or comment verrait-on se transformer en sang le pain, la bette, la fève ou quelqu’un des autres aliments, s’ils n’avaient d’abord éprouvé une altération différente ? Et comment l’excrément se formera-t-il immédiatement dans l’intestin grêle ? Qu’y voit-on en effet, de plus puissant pour l’altération que ce qu’on voit dans l’estomac ? Est-ce le nombre des tuniques, le voisinage des autres viscères qui l’entourent, ou la durée du séjour, ou une chaleur naturelle des organes ? Les intestins ne sont supérieurs à l’estomac par aucune de ces circonstances. Pourquoi veut-on donc que le pain, qui souvent a séjourné une nuit entière dans l’estomac, se conserve en gardant ses propriétés primitives, et qu’une fois descendu dans les intestins il devienne aussitôt excrément ? En effet, si un temps aussi long ne peut l’altérer, un temps court ne l’altérera pas non plus. Si ce temps suffit, comment un long temps ne suffirait-il pas bien plus encore ? L’aliment subit-il une altération dans l’estomac, mais une altération autre que celle qui résulte de la nature de l’organe altérateur ? Ou bien subit-il cette altération même, et non pas une altération qui est propre au corps de l’animal ? Cela est encore bien plus impossible. Et cependant la coction n’était que l’altération en la qualité propre à l’être nourri (cf. Util. des parties, l. l.). Si donc la coction consiste en cela, et si nous avons démontré que l’aliment reçoit dans l’estomac la qualité convenable à l’animal qui doit être nourri par lui, il est suffisamment prouvé que la coction de l’aliment s’opère dans l’estomac.
Asclépiade est ridicule en prétendant que ni les éructations, ni les vomissements, ni la dissection ne manifestent la qualité des aliments cuits dans l’estomac, quand il suffit de l’odeur exhalée par ce viscère pour indiquer que la coction est opérée. Il pousse l’absurdité à un point tel que, si les anciens ont dit que les aliments se transforment en chyle utile dans l’estomac, il veut qu’on juge de l’utilité de ce chyle, non par la puissance, mais par le goût, comme si dans l’estomac la pomme devenait plus pomme, ou le miel plus miel qu’auparavant ; car c’est ainsi qu’il faut raisonner avec lui.
Érasistrate est bien plus absurde et plus ridicule encore, soit qu’il ne songe pas que la coction est analogue à la cuisson dans un liquide, comme les anciens ont dit, soit qu’il se trompe lui-même volontairement. Il prétend donc qu’il n’est pas juste d’assimiler la coction produite par une chaleur modérée à la cuisson dans un liquide, comme s’il fallait placer sous l’estomac les feux de l’Etna, ou comme si sans cela ce viscère ne pouvait altérer les aliments, ou encore comme s’il pouvait les altérer, mais non par sa chaleur innée, qui est humide, et par laquelle, en conséquence, on dit que les aliments sont bouillis et non pas qu’ils sont rôtis. Il eût fallu, s’il voulait discuter sur le fond des choses, qu’il s’efforçât de démontrer d’abord et avant tout que l’estomac n’exerce aucun changement, que les aliments ne sont pas altérés par l’estomac dans leur qualité ; en second lieu, s’il ne pouvait prouver cela, il devait établir que l’altération de ces aliments est inutile à l’animal. S’il ne pouvait risquer cette accusation, il devait attaquer le système des principes actifs et démontrer que les fonctions existent dans les parties, non par un certain mélange du chaud, du froid, du sec et de l’humide, mais par quelque autre cause. S’il n’osait pas non plus hasarder cette critique, il devait prétendre que le chaud n’est pas, chez les êtres qui sont régis par la nature, le plus actif de tous les principes. Ou s’il ne pouvait démontrer ni ce point, ni aucun des précédents, il aurait dû s’abstenir de plaisanter inutilement en s’attaquant à une expression, comme si Aristote n’avait pas démontré clairement dans beaucoup de passages et dans le quatrième livre de sa Météorologie (chap. ii et iii) comment la coction est réputée analogue à la cuisson dans l’eau, et que ce n’est ni dans le sens primitif ni dans le sien propre. Mais, comme nous l’avons déjà dit précédemment (I, iii), le principe unique de toutes ces questions réside dans les considérations sur le chaud et le froid, le sec et l’humide, ainsi qu’Aristote l’a établi dans le deuxième livre Sur la génération et la corruption (chap. ii et iii) en montrant que tous les changements, toutes les altérations sont opérés par ces quatre éléments dans le corps. Mais Érasistrate, ne réfutant ni cette assertion, ni aucune des autres propositions énoncées, s’en est pris seulement au mot de cuisson ; omettant toutes les autres considérations, il s’est efforcé de démontrer que la coction opérée dans les animaux diffère de la cuisson à ciel ouvert.
Érasistrate n’en dit pas si long au sujet de la déglutition. Que dit-il ? « Il ne paraît y avoir dans l’estomac aucune attraction. » Cependant l’estomac possède deux tuniques créées, à coup sûr, dans quelque but ; ces tuniques se prolongent jusqu’à la bouche, la tunique interne demeurant telle qu’elle est dans l’estomac, l’autre devenant plus charnue dans l’œsophage. Ces tuniques ont, il suffit de les regarder pour s’en convaincre, leurs insertions de fibres opposées les unes aux autres. Dans quel but ont-elles été ainsi créées ? Érasistrate n’a pas cherché à l’expliquer ; nous allons le faire : la tunique interne a les fibres droites, car elle est destinée à attirer ; la tunique externe a les fibres transversales pour jouir du mouvement péristaltique. En effet, dans chacun des organes du corps qui se meuvent, c’est la direction des fibres qui détermine les mouvements. Examinez d’abord, si vous voulez, cette proposition sur les muscles, dont les fibres sont très-évidentes et dont les mouvements se voient très-bien à cause de leur vigueur. Après les muscles, regardez les organes physiques, et vous verrez qu’ils se meuvent exactement dans le sens des fibres. C’est pour cela que dans chaque intestin chacune des tuniques a des fibres circulaires, car elles opèrent seulement un mouvement péristaltique, elles n’exercent aucune traction. L’estomac a ses fibres droites pour attirer, ses fibres transverses pour embrasser. En effet, de même que dans les muscles, les mouvements ont lieu quand chacune des fibres est tendue et tirée vers son extrémité, de la même façon dans l’estomac, quand les fibres transverses sont tendues, nécessairement la largeur de la cavité comprise entre elles se rétrécit, et quand les fibres droites sont tirées et ramenées sur elles-mêmes, il n’est pas possible que la longueur ne soit pas diminuée. Or, dans la déglutition, le larynx paraît évidemment se resserrer et remonter à proportion que l’œsophage est tiré en bas. Et quand l’acte de la déglutition étant accompli, l’œsophage est délivré de la tension, alors le larynx paraît évidemment redescendu. En effet, la tunique interne de l’estomac, dont les fibres sont droites et qui tapisse l’œsophage et la bouche, s’étend sur les parties internes du larynx. Il n’est donc pas possible, quand elles sont tirées en bas par l’estomac, que le larynx ne soit aussi tiré en bas. Que les fibres circulaires par lesquelles se contractent les autres parties et l’estomac, n’en diminuent pas la longueur, mais en rétrécissent et en resserrent la largeur, c’est un fait dont on peut trouver la confirmation dans les œuvres d’Érasistrate lui-même. En effet l’estomac, dit-il, se contracte en tout sens sur les aliments pendant tout le temps de la coction. Or, s’il se contracte sans rien enlever de sa longueur à la cavité, c’est qu’il n’appartient pas au mouvement péristaltique de tirer en bas l’œsophage. L’effet indiqué par Érasistrate se produira seul : c’est que la partie supérieure étant contractée, la partie inférieure se dilatera. Ce fait même se produit, personne ne l’ignore, si l’on verse de l’eau dans l’œsophage d’un mort. C’est la conséquence du trajet d’une matière quelconque à travers un canal étroit. Il serait surprenant que, traversé par un corps volumineux, il ne se dilatât pas. Ainsi la dilatation des parties inférieures, par suite de la contraction des parties supérieures, est un fait commun aux corps inanimés traversés par quelque substance, et aux canaux vivants, qu’ils soient resserrés circulairement sur les substances qui les parcourent, ou qu’ils les attirent. Mais diminuer de longueur est le privilége des organes pourvus de fibres droites destinées à attirer. Or il a été démontré que l’œsophage était tiré en bas ; autrement il ne tirerait pas à son tour le larynx. Il est donc évident que l’estomac attire les aliments par l’œsophage, tandis que dans le vomissement, les matières sont transportées jusqu’à la bouche. Ce transport tient absolument béantes les parties de l’œsophage, distendues par ce retour des aliments, la présence d’un objet quelconque commençant à dilater la partie antérieure (supérieure), tandis qu’elle laisse dans un état de contraction la partie postérieure (inférieure), de sorte que l’état de l’œsophage ressemble exactement (sauf l’inversion des mouvements de dilatation et de contraction) à celui qu’il présente dans la déglutition ; mais l’attraction n’existant pas, la longueur se maintient entièrement la même dans des cas semblables. Aussi est-il plus facile d’avaler que de vomir, parce que la déglutition s’effectue par l’action des deux tuniques de l’estomac, la tunique interne tirant et la tunique externe se contractant et poussant en avant ; quand on vomit, au contraire, la tunique externe agit seule, aucune n’attirant dans la bouche. En effet, il n’en est pas ici comme dans l’estomac, où l’appétence précède la déglutition des aliments ; dans le vomissement, aucune des parties, de la bouche ne désire l’effet qui se produit ; il y a opposition dans les deux états de l’estomac qui, dans un cas, désire et accueille les choses utiles et propres, et dans l’autre, rejette avec répugnance les choses contraires. Aussi, chez ceux qui désirent avidement les aliments propres à l’estomac, la déglutition s’opère très-rapidement : ces aliments sont manifestement attirés et entraînés avant qu’ils soient mâchés. Chez ceux qui boivent par nécessité une potion ou qui prennent quelque aliment en guise de médicament, la déglutition est pénible, lente et s’opère difficilement.
Évidemment donc, d’après ce que nous avons dit, la tunique interne de l’estomac pourvue de fibres droites est créée pour attirer de la bouche dans l’estomac, et en conséquence agit dans la déglutition seulement. La tunique externe qui a les fibres transverses est créée telle pour se contracter sur le contenu et le pousser en avant, et n’agit pas moins dans le vomissement que dans la déglutition. Un fait qu’on observe chez les serrans (espèce de perches de mer) et les dentés, prouve la vérité de cette assertion. Parfois, en effet, chez ces animaux on trouve l’estomac dans la bouche, comme Aristote l’a écrit dans son Histoire des animaux (VIII, ii), et il en donne la cause en disant que cela est produit par leur voracité. Les choses se passent ainsi : chez tous les animaux l’estomac remonte par l’effet d’un appétit violent, et des gens éprouvant une sensation bien nette de ce mouvement, disent que l’estomac leur remonte à la gorge ; d’autres prétendent que malgré eux l’estomac entraîne positivement les aliments qu’ils sont occupés à mâcher et qui n’ont pas encore été convenablement broyés dans la bouche. Donc chez les animaux naturellement voraces, lorsque la dimension de la bouche est énorme et que l’estomac est tout proche, par exemple chez les dentés et le serran, il n’est pas étonnant qu’au moment où, pressés par une faim violente, ils poursuivent quelques animaux plus petits qu’eux et sont sur le point de les saisir, l’estomac, stimulé par son désir, remonte dans la bouche. Or cela ne peut arriver d’autre façon que si l’estomac attire à lui les aliments par l’œsophage comme par une main. En effet, de même que parfois la vivacité de notre désir fait qu’en même temps que nous tendons la main, nous penchons nous-mêmes le corps tout entier pour saisir plus promptement l’objet désiré, de même l’estomac s’incline avec l’œsophage comme avec sa main. C’est pourquoi chez les animaux où se rencontrent à la fois ces trois circonstances : violent besoin de nourriture, œsophage petit, vaste étendue de la bouche, un léger mouvement en avant fait remonter tout l’estomac dans la bouche.
Peut-être à un homme qui a étudié la nature, suffirait-il de la disposition seule des organes pour déduire la preuve de leur action. En effet, la nature n’aurait pas formé l’œsophage de deux tuniques disposées en sens contraires, si l’une et l’autre ne devaient pas agir différemment. Mais puisque les partisans d’Érasistrate sont capables de tout plutôt que d’étudier les œuvres de la nature, eh bien, montrons-leur aussi, par la dissection des animaux, que l’une et l’autre tunique exercent l’action indiquée. Prenez un animal, et après avoir mis à nu les corps situés sur l’œsophage sans couper aucun des nerfs, ni aucune des artères ou des veines situées en cet endroit, partagez par une incision droite, à partir du menton jusqu’au thorax, la tunique externe pourvue de fibres transverses, puis donnez de la nourriture à l’animal, vous le verrez avaler, bien que l’action péristaltique soit abolie. Si chez un autre animal vous coupez les deux tuniques par des sections transversales, vous le verrez aussi avaler sans que la tunique intérieure agisse, ce qui démontre qu’avec l’une d’elles il est capable d’avaler, quoique moins aisément qu’avec toutes les deux. En effet, outre les autres points, il est encore une chose à considérer nettement dans la dissection indiquée, c’est que dans la déglutition, l’œsophage se remplit d’air avalé avec les aliments, lequel est facilement poussé avec les aliments dans l’estomac par la contraction de la tunique extérieure, tandis que si cet air séjourne dans l’œsophage, il entrave la marche des aliments, en distendant la tunique et en gênant son action. Érasistrate n’a rien dit de tout cela ; il n’a pas dit non plus que la direction courbe de l’œsophage réfute clairement l’opinion de ceux qui supposent que dans la déglutition, les aliments poussés par l’impulsion supérieure descendent directement dans l’estomac. Une seule remarque juste de lui, c’est que parmi les animaux à long cou, un grand nombre avalent en penchant la tête. Il résulte de là qu’il démontre, non pas comment nous avalons, mais comment nous n’avalons pas. Il est clair, en effet, que la seule impulsion supérieure ne suffit pas. Mais est-ce l’estomac qui attire les aliments ou l’œsophage qui les amène, cela n’est pas encore évident. Pour nous, en énonçant tous les raisonnements tirés de la disposition des organes et des autres faits qui apparaissent, disions-nous tout à l’heure, avant qu’on dénude l’œsophage et quand il est dénudé, nous avons suffisamment démontré que la tunique interne a été créée pour tirer et la tunique externe pour pousser en avant. Notre but primitif était de prouver l’existence de la faculté rétentive dans chacun des organes, comme nous l’avions fait dans le livre précédent pour la faculté attractive et aussi pour la faculté altératrice. La suite du raisonnement nous a conduit à démontrer l’existence dans l’estomac des quatre facultés, attractive dans la déglutition, rétentive dans la coction, expulsive dans les vomissements et dans le départ pour l’intestin grêle des aliments après la coction ; la coction même constitue l’altération.
Nous ne devons donc plus douter, ni touchant la rate, si elle attire ce qui lui est propre, rejette ce qui lui est contraire, altère et retient ce qu’elle est destinée à attirer, ni touchant le foie, ou la veine, ou l’artère, ou le cœur, ou quelque autre organe. Car nous avons démontré que ces quatre facultés existent nécessairement dans toute partie qui doit être nourrie ; c’est pourquoi nous les avons appelées les servantes de la nutrition. De même, en effet, que les excréments humains ont quelque appas pour les chiens, de même les superfluités du foie sont naturellement destinées en partie à la rate, en partie à la vésicule biliaire, en partie aux reins.
Je ne voudrais pas parler de la génération de ces superfluités après Hippocrate, Platon, Aristote, Dioclès, Proxagore, Philotime. Je n’aurais même pas parlé des facultés, si quelqu’un de nos devanciers en eût traité convenablement et complétement. Mais les anciens, qui ont laissé sur ce sujet d’excellentes dissertations, ont omis de discuter bien des points, ne soupçonnant pas que certains sophistes effrontés arriveraient à s’efforcer de contredire l’évidence. Parmi les modernes, il en est qui, subjugués par les sophistes, y ont ajouté foi ; d’autres ont cherché à les réfuter, mais ils sont bien loin, à mon avis, de la puissante critique des anciens. C’est pourquoi, dans la pensée que si quelqu’un de ces anciens vivait encore, il lutterait contre ceux qui renversent les plus belles doctrines de l’art, je me suis efforcé moi-même de rassembler, comme l’eût fait un ancien, des arguments péremptoires.
Le résultat que j’obtiendrai sera nul ou très-médiocre, je ne l’ignore pas. Je trouve, en effet, que beaucoup de questions très-bien démontrées par les anciens ne sont pas comprises d’un grand nombre de nos contemporains par suite de leur ignorance ; que ceux-ci même, dans leur indifférence, ne cherchent pas à les étudier, ou que, si l’un d’eux les connaît, il ne les juge pas avec impartialité. En effet, quiconque veut avoir des connaissances plus étendues que le vulgaire doit être supérieur, non-seulement par l’intelligence naturelle, mais encore par l’instruction première. Devenu jeune homme et comme inspiré par le ciel, il s’éprendra d’un violent amour de la vérité ; nuit et jour il entretiendra son ardeur et son zèle à étudier les écrits des anciens les plus illustres. Ces écrits connus, il vérifiera, par une longue expérience, les observations qui y sont contenues, considérant celles qui s’accordent avec les faits évidents, celles qui s’en écartent ; et alors il adoptera les unes et rejettera les autres. À un tel homme, cet écrit sera, je l’espère, extrêmement utile. Pour les autres, il sera aussi superflu qu’une fable racontée à un âne.
Terminons ce livre, pour ceux qui recherchent la vérité, en y ajoutant tout ce qui lui manque. De même que l’estomac, chez les personnes très-affamées, attire manifestement et entraîne les aliments avant qu’ils soient exactement triturés dans la bouche, tandis que chez les personnes dégoûtées et qui mangent par nécessité, il les repousse et les rejette (voy. chap. viii) ; de même, chacun des autres organes possède les deux facultés attractive des choses propres et expulsive des choses contraires. Aussi, quand un organe est formé d’une seule tunique, comme les deux vessies (vésico-biliaire et vessie), les matrices et les veines, il possède néanmoins les deux espèces de fibres droites et transverses. Il existe une troisième espèce de fibres, les fibres obliques, qui sont bien moins nombreuses que les espèces précédentes. On la trouve dans les organes composés de deux tuniques, mêlée dans une seule de ces tuniques aux fibres droites, et dans ceux formés d’une seule tunique, on la trouve mêlée aux deux autres espèces. Elles aident considérablement à l’action de la faculté dite rétentive. En effet, tant que dure l’action, la partie a besoin d’être pressée et contractée en tous sens sur son contenu, l’estomac pendant la coction, les matrices pendant toute la durée de la gestation. Ainsi, la tunique des veines qui est unique a été composée de fibres de plusieurs espèces ; au contraire, des deux tuniques de l’artère, la tunique externe est formée de fibres circulaires, la tunique interne de fibres la plupart droites et de quelques-unes obliques ; en sorte que les veines ressemblent aux matrices et aux vessies par la disposition des fibres, bien qu’elles manquent d’épaisseur, tandis que les artères ressemblent à l’estomac. Seuls de tous les organes, les intestins sont formés de deux tuniques, ayant toutes deux des fibres transverses. Pourquoi est-il préférable que la nature de chacun des organes soit telle qu’elle est actuellement et que les intestins soient composés de deux tuniques semblables, ce sujet appartient au traité Sur l’utilité des parties (cf. particul. IV, viii). Il ne faut donc pas attendre de nous maintenant d’explication sur de semblables sujets, pas plus que sur la raison pour laquelle les anatomistes ne sont pas d’accord touchant le nombre de tuniques de chacun des organes. Nous en avons assez dit touchant ce sujet dans notre livre Sur le désaccord en anatomie (ouvrage perdu). Quant à la raison pour laquelle chacun des organes a été créé tel, elle sera donnée dans le traité Sur l’utilité des parties.
Notre but maintenant n’est pas de traiter l’une et l’autre question, mais de démontrer que les quatre facultés naturelles existent dans chacun des organes. Revenons donc à notre sujet, et, après avoir rappelé ce que nous avons dit précédemment, couronnons cet ouvrage en y ajoutant ce qui manque encore. Maintenant que nous avons démontré que chacune des parties de l’animal attire à elle le suc qui lui est propre, et que cette attraction est presque la première des facultés naturelles, il faut savoir que chacun d’eux ayant attiré une substance, n’en rejette la totalité ou la partie superflue qu’après que l’organe lui-même, ou la plus grande partie de ce qu’il renferme, sont parvenus à une disposition opposée à celle qu’ils avaient. Ainsi l’estomac, après s’être suffisamment rassasié d’aliments, après en avoir sucé et déposé dans ses tuniques la partie la plus utile, rejette le reste comme un fardeau étranger. C’est ainsi qu’agissent les vessies quand l’une des substances attirées devient incommode, soit en les distendant par son abondance, soit en les attaquant par une qualité mordante.
Il en est de même des matrices. En effet, quand elles ne peuvent plus supporter leur état de distension, ou quand elles sont irritées par la qualité des humeurs déversées dans leur cavité, alors elles se hâtent de rejeter le fardeau qui les incommode. Ces deux circonstances se produisent parfois violemment, et alors l’avortement a lieu ; le plus souvent elles arrivent d’une façon régulière, et alors a lieu non pas l’avortement, mais ce qu’on appelle la délivrance et l’enfantement. L’avortement est consécutif soit à l’emploi des médicaments abortifs, soit à certaines dispositions qui tuent le fœtus ou qui déchirent quelques-unes des membranes ; il survient encore lorsque la matrice se relâche parce qu’elle souffre d’une trop grande distension. Les enfantements sont effectués par les mouvements très-violents des fœtus eux-mêmes, comme le fait a été bien constaté par Hippocrate. Un sentiment de gêne accompagne toutes ces situations, et cette gêne est produite par une triple cause, la masse excessive du fœtus, un poids trop lourd, ou une mordication : la masse, quand la matrice ne peut plus supporter son état de distension ; le poids, quand son contenu est au-dessus de ses forces ; la mordication, quand les humeurs, d’abord renfermées dans les membranes, viennent, par la rupture de ces membranes, à s’épancher dans les matrices elles-mêmes, ou encore quand le fœtus, corrompu, pourri, réduit en liquides malfaisants, irrite et mord la tunique de l’utérus.
Ainsi, dans tous les organes, les diverses actions naturelles et aussi les affections, les maladies paraissent se produire d’une façon analogue et les unes si évidemment et si clairement qu’elles n’ont aucun besoin de démonstration, les autres moins nettement, mais cependant de manière à être saisies par les esprits attentifs.
Dans l’estomac, les mordications évidentes, parce que l’estomac est très-sensible, et les autres affections, celles qui provoquent les nausées et celles qu’on appelle tiraillements d’estomac, indiquent clairement la faculté excrétoire et expulsive des choses contraires. Il en est de même dans l’utérus et dans la vessie qui reçoit l’urine. En effet, celle-ci paraît évidemment aussi recueillir et amasser l’humeur jusqu’au moment où, soit distendue par son abondance, soit irritée par sa qualité mordicante, elle ne peut plus supporter la gêne. Car chacune des superfluités se corrompt en séjournant dans le corps, celle-ci plus lentement, celle-là plus vite, et par là deviennent mordantes, âcres et incommodes pour les viscères qui les contiennent. Il n’en est cependant pas de même dans la vésicule du foie, d’où l’on peut conclure qu’elle n’a que très-peu de nerfs (voy. Utilité des parties, V, viii, t. I, p. 359). Mais l’investigateur de la nature doit ici encore trouver un équivalent. En effet, si la vésicule attire, nous l’avons démontré (II, viii. — Cf. Utilité des parties, IV, xii, xiii), l’humeur qui lui est propre, de manière à en paraître souvent remplie, et à rejeter cette même humeur sans tarder longtemps, il est nécessaire que la vésicule désire l’excrétion, quand elle en est abondamment surchargée ou que la qualité de l’humeur tourne à l’âcre et au mordant. En effet, les aliments ne dépouillent pas si vite leur qualité primitive qu’en tombant dans les intestins grêles, ils deviennent tout de suite excréments ; quant à la bile, une fois échappée des veines, elle ne tarde guère plus que l’urine à dépouiller sa qualité par une transformation et une corruption rapides. Or si dans l’utérus, l’estomac, les intestins, ou encore dans la vessie qui reçoit l’urine, se manifeste évidemment une distension, une mordication ou une pesanteur qui stimule l’excrétion de chacun des organes, il n’y a aucune difficulté à supposer le même fait dans la vésicule biliaire, ou dans tous les autres organes dont font partie évidemment les veines et les artères.
Maintenant il n’est plus difficile de comprendre que l’attraction et l’excrétion s’effectuent par le même canal dans des temps différents, puisqu’on voit évidemment le conduit de l’estomac (œsophage) non-seulement lui transmettre les aliments et les boissons, mais encore lui rendre un service tout contraire dans les vomissements. De même le col de la vésicule du foie, tout unique qu’il est, sert à la fois à remplir la vessie et à l’évacuer. De même encore le canal de la motrice laisse entrer le sperme et sortir l’enfant. Là aussi la faculté excrétoire est évidente ; mais la faculté attractive ne l’est pas également pour la plupart des médecins. Hippocrate, accusant d’inertie le col de la matrice, dit[2] : « Son canal ne peut attirer la semence intérieurement. » Érasistrate et Asclépiade sont si éclairés à cet égard, qu’ils dépouillent de cette faculté non pas seulement la matrice et l’estomac, mais encore la vésicule du foie et aussi les reins. Pourtant on ne peut assigner un autre principe à la sécrétion de l’urine et de la bile, nous l’avons démontré dans le premier livre (chap. xiii et suiv. ; II, ii, viii). Lors donc que nous voyons la matrice, l’estomac et la vésicule biliaire opérer l’attraction et l’excrétion par un seul et même conduit, ne nous étonnons plus si parfois la nature déverse aussi, par les veines, les superfluités dans l’estomac. Il faut encore moins s’étonner, si l’aliment distribué par les veines de l’estomac dans le foie, peut, en cas d’abstinence prolongée, être rapporté par celles-ci à l’estomac (cf. Util. des parties, IV, xix).
Douter de pareils faits, c’est la même chose que refuser de croire que les médicaments purgatifs attirent de tout le corps dans le canal intestinal les humeurs convenables, par les mêmes orifices qui tout à l’heure servaient à la distribution de l’aliment ; c’est vouloir trouver des conduits pour la distribution et d’autres pour la purgation. Cependant si un seul et même conduit sert aux deux facultés, accomplissant l’attraction en sens inverse à des époques différentes, d’abord à la faculté attractive du foie, puis, au moment de la purgation, à celle du médicament, comment s’étonner que les veines situées entre le foie et la région de l’estomac possèdent une fonction et une utilité doubles, en sorte que si l’estomac renferme une quantité surabondante d’aliment, une partie est déversée par les veines susdites dans le foie, et que si au contraire l’estomac est vide et a besoin de nourriture, cet aliment est attiré et ramené par les mêmes veines du foie à l’estomac (cf. Util. des parties, IV, xix).
Toute partie paraît exercer son attraction sur toute partie et lui céder quelque chose en échange : de là communauté de flux et de souffle (cf. I, xii, à la fin) dans toutes les parties ; et comme l’a dit admirablement Hippocrate : la partie plus forte attire, la partie plus faible se vide. Or, une partie est plus forte ou plus faible qu’une autre, soit d’une manière absolue, naturelle et commune à tous les êtres (cf. Utilité des parties, XIV, vii, p. 109), soit par une condition spéciale à cette partie. Chez tous les hommes comme chez tous les animaux, naturellement, le cœur a plus de force que le foie, le foie que les intestins et l’estomac, les artères que les veines pour attirer ce qui est utile et expulser ce qui ne l’est pas. Chez chacun de nous en particulier, dans un moment c’est le foie qui a plus de force pour attirer ; dans un autre c’est l’estomac. En effet, si l’estomac renferme une nourriture abondante et que le foie éprouve une appétence vive et un besoin pressant, ce viscère attirera certainement avec une force plus grande. Si, au contraire, il est saturé et distendu, tandis que l’estomac est dans un état d’appétence et de vacuité, alors la force de l’attraction passe dans ce dernier (cf. Util. des parties, IV, xix).
Supposez des gens qui tiennent à la main des aliments et cherchent mutuellement à se les ravir : si leur besoin est égal, naturellement le plus fort l’emportera, mais si ce dernier est rassasié et tient négligemment des aliments superflus pour lui, ou désire les céder à un autre, tandis que le plus faible les souhaite ardemment, rien n’empêchera ce dernier de prendre tout. De même l’estomac attire aisément du foie l’aliment quand il éprouve un vif désir de nourriture, tandis que ce viscère est saturé. Parfois l’animal ne souffre pas de la faim, grâce à l’aliment abondant contenu dans le foie. L’estomac ayant une nourriture meilleure et plus à portée, n’a aucun besoin d’aliments étrangers ; mais s’il vient à éprouver un besoin de nourriture et que le foie en soit dépourvu, il se remplit de superfluités. Ces superfluités sont des humeurs bilieuses, phlegmatiques et séreuses, les seules que le foie envoie à l’estomac, quand ce dernier le sollicite, ayant besoin d’aliment. De même donc que les parties attirent les unes des autres leur nourriture, de même aussi elles déposent parfois leur superflu les unes chez les autres ; et de même encore que dans la lutte d’attraction, c’était la plus forte qui l’emportait, il en est de même pour celles qui déposent leur superflu, et c’est là la cause de ce qu’on appelle fluxion. En effet, chacune des parties a une force de tension innée pour expulser son superflu. Quand donc une de ces parties devient plus faible par suite d’une certaine diathèse, les superfluités s’y déversent nécessairement de toutes les autres parties. En effet, la partie la plus forte dépose dans toutes celles qui l’avoisinent, chacune de celles-ci dépose à son tour dans d’autres qui sont plus faibles qu’elles, puis chacune de ces dernières dépose dans d’autres, et cela se continue jusqu’à ce que la superfluité, éliminée de toutes les parties, s’arrête dans une des plus faibles de toutes. Cette superfluité, en effet, ne peut s’écouler dans une autre partie, aucune des parties plus fortes ne l’accueillant, et celle qui en souffre ne pouvant la rejeter. Du reste, quand nous traiterons de la production et de la guérison des maladies, on pourra trouver là de nombreuses preuves de ce que nous avons convenablement démontré dans tout ce livre. Mais reprenons l’objet actuel de notre démonstration : qu’il n’y a rien d’étonnant que du foie il vienne de la nourriture aux intestins et à l’estomac par les mêmes veines qui naguère en transportaient de ceux-ci au foie (cf. Util. des parties, IV, xix). Chez beaucoup de gens qui ont abandonné brusquement et complètement de violents exercices, ou qui ont eu un membre coupé, a lieu à certaines époques, par les intestins, une évacuation subite de sang, comme l’a dit Hippocrate (Des articul., § 69 ; t. IV, p. 288) ; évacuation qui ne cause aucune incommodité, mais qui purge instantanément tout le corps et le débarrasse des superfluités, le départ de ces superfluités étant accompli par les mêmes veines qui opéraient naguère la distribution. Souvent encore, dans les maladies, la nature purge tout l’animal par ces mêmes veines. Ce n’est pas [dans tous les cas] une évacuation de sang ; l’évacuation se produit suivant l’humeur qui incommode. Ainsi dans le choléra[3] tout le corps est purgé par les veines qui aboutissent aux intestins et à l’estomac.
Croire que le mode de transport est unique pour les substances du corps, c’est ignorer complétement les facultés naturelles, les autres facultés aussi bien que la faculté excrétoire, qui est l’opposé de la faculté attractive. Car des facultés contraires ont nécessairement pour conséquence des mouvements et des transports contraires de matières. En effet, chacune des parties, quand elle a attiré le suc qui lui est propre, qu’elle l’a retenu et qu’elle en a joui, se hâte de déposer tout le superflu le plus vite et le plus commodément possible, d’après la pente de ce superflu. C’est ainsi que l’estomac se débarrasse, par des vomissements, des superfluités qui surnagent, et par des diarrhées de celles qui descendent au fond. Dans ce cas, nous disons que l’animal a des nausées, ce qui signifie que l’animal fait effort pour évacuer en vomissant. Et telle est l’énergie et la violence de la faculté expulsive, que si dans l’iléus la voie des intestins est complètement fermée, l’excrément même est vomi. Pourtant, à moins de traverser tout l’intestin grêle, le jéjunum, le pylore, l’estomac et l’œsophage, une superfluité de ce genre ne saurait, chez personne, s’échapper par la bouche.
Qu’y a-t-il d’étonnant si de l’extrême surface de la peau jusqu’aux intestins et à l’estomac, quelque chose arrive par translation, ainsi que nous l’a enseigné Hippocrate (De l’alim., éd. Foës, p. 381), en disant que non-seulement le pneuma ou la superfluité, mais encore que la nourriture même revient de l’extrême surface à la source d’où elle était sortie. En effet, les plus légères variations de mouvements régissent cette faculté expulsive, attendu qu’elle s’exerce par les fibres transverses, et se transmet très-rapidement du principe qui l’a mise en mouvement jusqu’aux extrémités opposées. Il n’est donc pas extraordinaire ni impossible qu’une partie de la peau, soudainement durcie par un froid inusité, devenant ainsi plus faible, et considérant plutôt comme un fardeau que comme un aliment préparé pour elle l’humeur qui naguère la baignait sans l’incommoder, elle s’empresse en conséquence de l’expulser, et que trouvant fermée par la condensation la voie extérieure, elle se tourne vers l’autre voie et rejette la superfluité violemment repoussée vers la partie voisine, laquelle à son tour l’éloigne du côté de la suivante, et que ce rejet ne cesse pas de se produire jusqu’à ce que la translation s’arrête aux extrémités internes des veines. De pareils mouvements cessent assez vite. Ceux qui ont pour principes des irritations internes, telles qu’en provoquent les médicaments purgatifs et le choléra, ceux-là sont plus énergiques, plus persistants, et ils durent autant que dure la diathèse des orifices des vaisseaux, lorsqu’ils attirent ce qui est proche. En effet, cette diathèse évacue dans la partie contiguë, celle-ci à son tour dans la suivante, et cela ne s’arrête qu’à l’extrême surface, de sorte que les parties voisines se transmettant sans interruption l’une à l’autre, l’affection primitive passe très-rapidement jusqu’à l’extrémité.
Il en est de même dans les cas d’iléus. L’intestin souffrant d’une phlegmasie ne supporte ni le poids, ni l’âcreté des superfluités, et, en conséquence, se hâte de les écarter et de les repousser le plus loin possible. S’il trouve obstacle à poursuivre par le bas cette expulsion, quand à cet endroit la phlegmasie est le plus intense, alors il les repousse dans les intestins supérieurs les plus proches, et dès lors, la faculté excrétoire dirigeant en haut son mouvement dans la continuité des parties, les superfluités remontent jusqu’à la bouche. C’est un point que nous développerons dans nos considérations sur les maladies (cf. Lieux affectés, VI, ii).
Je crois avoir, dès à présent, démontré clairement que toute partie cède et prend alternativement quelque chose à toute partie, et que cela produit une communauté de flux et de souffle entre toutes les parties, comme disait Hippocrate (De l’alim., p. 381, éd. Foës) ; je crois que pas une personne, son intelligence fût-elle même un peu lente, n’aura de doute dorénavant sur la façon dont se nourrissent l’estomac et les intestins, et sur la répercussion qui s’opère de la surface extrême dans l’intérieur du corps. En effet, toutes les parties ayant la faculté d’attirer ce qui est convenable et bon pour elles, et d’expulser ce qui les incommode par son poids ou son âcreté, il n’y a rien d’étonnant que des mouvements contraires aient lieu continuellement dans ces parties, comme cela se voit au cœur, dans toutes les artères, dans le thorax et le poumon.
Dans toutes ces parties on voit clairement s’opérer presqu’à chaque instant et à la fois, des mouvements d’organes et des transports de matériaux s’effectuant en sens inverse. Eh bien, pour la trachée-artère, vous ne doutez pas qu’alternativement elle n’amène au poumon et ne ramène au dehors le pneuma ; vous n’avez, aucun doute non plus sur la fonction des méats du nez et sur celle de la bouche dans son ensemble ; vous ne trouvez ni surprenant ni extraordinaire qu’un canal servant naguère à l’introduction du pneuma, serve aussi à son expulsion ; et pour les veines qui aboutissent du foie aux intestins et à l’estomac, vous êtes dans le doute et il vous paraît étonnant que la nourriture soit à la fois par les mêmes veines distribuée dans le foie, attirée et ramenée du foie à l’estomac ! Il faut distinguer ce que vous entendez par ce mot : à la fois. Si vous comprenez que ce mot signifie dans le même temps, c’est un sens que nous n’admettons pas. En effet, de même que l’inspiration a lieu dans un temps et l’expiration dans un autre, de même le foie attire de l’estomac la nourriture dans un temps, et l’estomac l’attire du foie dans un autre. Mais si ce mot à la fois signifie pour vous que dans le même animal un seul organe sert à des transports de matériaux en sens inverse, et si cela vous embarrasse, considérez l’inspiration et l’expiration. En effet, elles s’opèrent absolument par les mêmes organes, mais diffèrent par le mode de mouvement et de transport des matériaux. Ainsi le poumon et le thorax, les artères rugueuses (trachée-artère) et lisses (artères proprement dites), le cœur, la bouche et les fosses nasales, à des intervalles très-rapprochés, éprouvent des mouvements contraires et échangent des matériaux. Pour les veines qui aboutissent du foie aux intestins et à l’estomac, elles éprouvent le mouvement contraire, non pas à des intervalles aussi courts, mais une fois par hasard dans une longue suite de jours.
Voici comment l’opération a lieu dans son ensemble. Chacun des organes attire à lui la nourriture voisine, il en extrait toute l’humeur utile jusqu’à ce qu’il en soit rassasié, et cette humeur, comme nous le démontrions précédemment, il la dépose en lui, puis se l’applique, se l’assimile ; en un mot il se nourrit. Nous avons nettement expliqué en commençant (I, vii et suiv.) que la nutrition est, de toute nécessité, précédée par l’agglutination, dont elle diffère, et que l’agglutination est à son tour précédée par l’application. De même donc que les animaux cessent seulement de manger quand leur estomac est plein, de même pour chaque partie l’application ne cesse que par la plénitude de l’humeur propre. Lors donc que toute partie a de l’appétence au même degré que l’estomac, elle se nourrit, embrasse la nourriture et la presse sur tous les points de la même façon que l’estomac. De là résulte nécessairement, comme nous l’avons dit précédemment, pour les aliments la nécessité d’être cuits, l’estomac ne se contractant pas sur eux dans le but de les rendre propres aux autres parties, car alors ce ne serait plus un organe physique, mais un animal doué de raison et d’intelligence, apte à choisir ce qui est mieux. Si l’estomac se contracte, c’est que tout le corps possède une faculté capable d’attirer et de jouir des qualités propres, comme nous l’avons démontré précédemment. Parfois les aliments s’altèrent dans l’estomac. Aussi lorsqu’il est rempli et rassasié du suc tiré de ces aliments, pour lui, désormais, ces aliments sont un fardeau. Il rejette donc aussitôt ce superflu et le pousse en bas, tandis que lui-même se tourne vers un autre acte, l’agglutination. Cependant la nourriture en traversant tout l’intestin est entraînée par les vaisseaux qui y aboutissent, la plus grande partie pénétrant dans les veines et une petite quantité dans les artères (cf. Util. des parties, IV, xvii, t. I, p. 327), comme nous le démontrerons un peu plus tard (chap. xiv et xv). Pendant ce temps, la nourriture s’applique aussi sur les tuniques des intestins.
Partagez par la pensée en trois périodes tout ce qui concerne la nourriture : dans la première, supposez-la séjournant dans l’estomac, cuite et appliquée à satiété sur les parois de ce viscère ; une partie s’en détache pour passer dans le foie. Dans la seconde période, elle traverse les intestins, sature en s’y appliquant ces intestins et le foie, tandis qu’une faible portion circule dans tout le corps. Pendant ce temps, songez que la nourriture, appliquée durant la première période, s’attache à l’estomac. Dans la troisième période, l’estomac se nourrit déjà en s’assimilant complètement la nourriture agrégée ; il y a agrégation dans le foie et les intestins de la nourriture appliquée, distribution et application dans toutes les parties du corps. Si alors l’animal prend immédiatement de la nourriture, pendant que l’estomac la cuit et en jouit en appliquant sur ses tuniques toute la portion utile, les intestins assimileront complétement l’humeur agrégée. Il en est de même du foie. Dans tout le corps a lieu l’agrégation des parties de la nourriture appliquée. Si pendant ce temps l’estomac est contraint de demeurer sans aliment, il tirera sa nourriture des veines du mésentère et du foie, et non pas du corps même du foie. J’appelle corps du foie d’abord et essentiellement la chair même particulière du foie, puis chacun des vaisseaux qu’il renferme. En effet, pour l’humeur déjà contenue dans chacune des parties, il n’est pas probable qu’une autre partie l’attire, surtout lorsque déjà s’opère l’agrégation ou l’assimilation, mais pour l’humeur contenue dans les cavités des veines, la partie à la fois plus forte et dans le besoin, l’attire. C’est ainsi que l’estomac, dans le temps qu’il a besoin de nourriture et que l’animal ne mange pas encore, en dérobe aux veines du foie.
Comme nous avons démontré précédemment (II, ix. — Cf. aussi Util. des parties, IV, xv) que la rate attire ce qu’il y a de plus épais dans le foie, l’élabore et le transforme en une humeur plus utile, il n’y a pas à s’étonner ici que cette humeur soit en partie attirée par chacun des organes communiquant avec elle au moyen des veines, par exemple : l’épiploon, le mésentère, l’intestin grêle, le colon, et l’estomac lui-même. De la même façon, la rate parfois rejette les superfluités dans l’estomac, et parfois, en revanche, elle attire de l’estomac une partie de sa nourriture propre.
Pour résumer ce que nous avons déjà dit précédemment, toute partie peut attirer de toute partie et lui envoyer dans des temps différents ; ce qui se passe ressemble tout à fait à ceci : imaginez un grand nombre d’animaux paissant à volonté un fonds commun de nourriture : pendant que les uns cessent de manger, naturellement les autres mangent ; ceux-ci vont cesser, ceux-là commencent, il en est qui mangent ensemble et d’autres qui mangent tour à tour ; parfois l’on voit un de ces animaux dérober sa nourriture à l’autre, si le premier a besoin tandis que le second est abondamment pourvu. De même, il n’y a rien d’étonnant que de l’extrême surface quelque chose revienne dans l’intérieur du corps, et que l’estomac reçoive du foie et de la rate par les mêmes vaisseaux qui tout à l’heure portaient de l’estomac à ces viscères.
Un fait pareil se voit clairement dans les artères comme aussi dans le cœur, le thorax et le poumon. En effet, tous ces organes se dilatant et se contractant tour à tour, il faut que la substance enlevée naguère à ceux-ci par l’attraction, leur soit renvoyée plus tard. La nature, prévoyant cette nécessité, a pourvu les orifices des vaisseaux, du cœur de membranes qui empêchent les substances de rebrousser chemin. Mais comment et de quelle façon cela a-t-il lieu ? C’est ce que nous dirons dans. notre traité De l’utilité des parties (VI, xiv, et surtout xvi). Nous y démontrerons, entre autres choses, que les orifices des vaisseaux ne sauraient être assez, étroitement fermés pour que rien ne revienne en arrière, et que dans l’artère veineuse (ce point y sera également démontré) une quantité de substance plus considérable qu’aux autres orifices retourne nécessairement en arrière. Pour le moment ce qu’il est utile de savoir, c’est qu’aucun des viscères doués d’une manifeste et grande capacité ne saurait se dilater sans attirer quelque chose des parties voisines, ni se contracter sans rendre en l’exprimant ce qu’il a reçu. À l’appui de cette assertion viennent les explications déjà présentées dans ce livre, et les démonstrations qu’Érasistrate et nous-même, dans un autre ouvrage, avons données sur le phénomène du remplacement de ce qui est évacué.
Il existe dans chacune des artères, nous l’avons démontré ailleurs, une certaine faculté qui dérive du cœur et en vertu de laquelle elles se dilatent et se contractent. Si vous songez à ce double fait que l’artère est douée de ces mouvements et que tout ce qui se dilate attire à soi des parties voisines, vous ne trouverez nullement étonnant que les artères aboutissant à la peau, attirent l’air extérieur en se dilatant, que les artères qui s’abouchent par quelque point avec les veines, attirent la partie la plus ténue et la plus vaporeuse du sang qu’elles renferment ; que les artères voisines du cœur exercent sur lui leur attraction. En effet, dans les phénomènes du remplacement de ce qui est évacué, la partie plus légère et plus ténue suit la partie plus lourde et plus épaisse (cf. Util. des parties, VII, ix). Or de toutes les choses contenues dans le corps la plus légère et la plus ténue est le pneuma ; la seconde est la vapeur ; en troisième lieu vient la partie du sang exactement élaborée et atténuée. Telles sont les substances que les artères attirent à elles de tous les côtés. Celles qui aboutissent au derme attirent l’air extérieur. L’air en effet est très-proche de ces artères et il est essentiellement léger. Parmi les autres artères celles qui du cœur remontent vers le cou et celle qui est placée sur le rachis, et même celles qui sont situées dans le voisinage, attirent surtout du cœur lui-même. Mais les artères plus éloignées du cœur et de la peau sont contraintes d’attirer des veines la partie la plus légère du sang. Ainsi encore pour les artères qui aboutissent à l’estomac et aux intestins et qui dérivent de l’artère située sur le rachis, elles exercent toutes en se dilatant leur attraction sur le cœur lui-même et sur les veines si nombreuses qui l’avoisinent. En effet elles ne sauraient faire un emprunt important aux intestins et à l’estomac qui renferment en eux une nourriture si épaisse et si lourde, remplies qu’elles sont par avance de substances plus légères. Plongez un tube dans un vase rempli d’eau et de sable et attirez avec la bouche l’air du vase, le sable ne pourra remonter avant l’eau ; toujours dans les phénomènes du remplacement de ce qui est évacué, la partie plus légère suit d’abord. Il ne faut donc pas s’étonner si de l’estomac il n’arrive aux artères déjà pleines de substances plus légères qu’une quantité très-petite de sang et d’un sang parfaitement élaboré.
Il faut savoir qu’il existe deux genres d’attraction qui résultent l’une du remplacement de ce qui est évacué, l’autre d’une qualité propre à la matière. En effet autre est l’attraction de l’air dans le soufflet, autre celle du fer par la pierre d’aimant. Il faut savoir aussi que le remplacement de ce qui est évacué a toujours pour résultat d’attirer d’abord la substance plus légère, tandis que celui de la qualité propre attire souvent, si cela se rencontre, la substance plus lourde, au cas où la nature s’en accommode. Ainsi dans les artères et dans le cœur qui sont des organes creux, capables de se dilater, toujours la substance plus légère suit d’abord, et comme ils ont besoin de nourriture, l’aliment propre est attiré dans les tuniques mêmes qui sont les corps des organes. En conséquence tout le sang qui a passé dans la cavité de ces organes dilatés étant très-propre et très-apte à nourrir, est attiré par les tuniques mêmes des vaisseaux (cf. Utilité des parties, VI, ix, x, xv, xviii, xxi.)
Que les veines laissent passer quelque chose dans les artères, en voici, outre les raisons données (chap. xiv), une preuve suffisante : si pour tuer un animal vous lui coupez d’importantes et nombreuses artères, vous trouverez ses veines vides comme ses artères, ce qui n’aurait pu avoir lieu, s’il n’existait entre elles des communications. Dans le cœur également, la partie la plus ténue du sang est attirée de la cavité droite dans la cavité gauche, la cloison qui les sépare étant percée de trous qu’on peut parfaitement voir comme des fosses avec un orifice très-large qui va toujours se rétrécissant de plus en plus (cf. Util. des parties, VI, xvii). Cependant il n’est pas possible de voir leurs dernières extrémités à cause de leur ténuité et parce que l’animal étant déjà mort, tout est refroidi et affaissé. Mais ici encore le raisonnement en partant d’abord du principe que rien n’est fait en vain par la nature, s’explique ces communications des cavités du cœur ; car ce n’est pas au hasard ni fortuitement que les fosses ont été créées se rétrécissant de la sorte. En second lieu, on conclut de ce fait que des deux orifices de la cavité droite du cœur, l’un qui amène le sang et l’autre qui le renvoie, celui qui l’amène est beaucoup plus considérable que l’autre. En effet, comme si tout le sang que la veine cave donne au cœur n’était pas renvoyé par celui-ci au poumon, l’insertion de la veine cave sur le cœur est plus considérable que l’implantation sur le cœur de la veine qui va sur le poumon. Cela ne veut pas dire qu’une partie du sang a été dépensée pour la nutrition du corps même du cœur. En effet, il est une autre veine ramifiée dans le corps du cœur, laquelle n’est pas dérivée du cœur et n’en reçoit pas de sang (veine coronaire — voy. Util. des parties, VI, xvii). Si une partie du sang est dépensée, la veine qui amène le sang au poumon n’est pas moindre que la veine insérée sur le cœur, dans la proportion de la quantité vraisemblable de sang employée pour la nourriture du cœur ; mais la différence est beaucoup plus forte. Il est donc évident qu’il passe du sang dans la cavité gauche. En effet, les vaisseaux de cette cavité étant au nombre de deux, celui qui du poumon lui amène le pneuma (veine artérieuse) est beaucoup plus petit que la grande artère (aorte) issue du cœur et d’où dérivent toutes les artères du corps, comme si cette cavité ne recevait pas seulement le pneuma du poumon, mais encore du sang de la cavité droite par les communications indiquées. Qu’il soit préférable pour les parties du corps d’être nourries les unes par un sang pur, ténu et vaporeux, les autres par un sang épais et trouble, et qu’à cet égard non plus, la nature n’ait commis aucune négligence, cela sera expliqué dans le livre Sur l’utilité des parties (cf. particul. VI, xvii). Il n’y a donc pas lieu de traiter actuellement ces questions, mais après avoir rappelé qu’il existe deux espèces d’attraction, certains corps attirant par de larges voies en se dilatant pour que s’opère le remplacement de ce qui est évacué, d’autres par l’effet d’une qualité propre, il nous reste à dire que les premiers peuvent attirer même de loin et les seconds de très-près seulement. En effet, avec un tube très-long plongé dans l’eau, vous pouvez aisément attirer le liquide dans votre bouche ; mais si vous éloignez le fer de la pierre aimantée ou le blé du vase d’argile (un exemple de cette espèce a été cité précédemment, —— I, xiv, p. 240), l’attraction ne peut plus avoir lieu. Les conduits des jardins vous donneront de ceci une idée fort nette. Ces conduits distribuent de l’eau à tout leur voisinage ; plus loin elle ne peut arriver ; aussi est-on forcé, à l’aide de beaucoup de petits canaux dérivés du grand conduit, d’amener le cours d’eau dans chaque partie du jardin. Les intervalles laissés entre ces petits canaux sont de la grandeur suffisante pour qu’ils jouissent pleinement de l’humidité qu’ils attirent et qui les pénètre de chaque côté. La même chose a lieu dans le corps des animaux. Beaucoup de canaux ramifiés dans toutes leurs parties leur amènent le sang comme l’eau dans un jardin. Les intervalles de ces vaisseaux ont été, dès le principe, admirablement ménagés par la nature pour qu’il n’y ait ni insuffisance dans la distribution aux parties intermédiaires qui attirent le sang à elles, ni danger pour elles d’être inondées par une quantité superflue de liquide déversée à contre-temps. Car tel est leur mode de nutrition.
Dans un corps fait d’une pièce, tel qu’Érasistrate suppose le vaisseau, les parties superficielles jouissent les premières de la nourriture avec laquelle elles sont en contact. Les parties suivantes attirant en vertu de leur contiguïté, la reçoivent de celles-ci ; puis d’autres à leur tour reçoivent de ces dernières et cela ne cesse que quand la qualité de la substance nutritive est distribuée dans toutes les parties du corps. Quant aux parties qui pour nourriture ont besoin d’une humeur fortement altérée, la nature a disposé chez elles une sorte de réservoir, soit des cavités ou des cavernes, ou quelque chose d’analogue à des cavernes. Ainsi les chairs, celles de tous les viscères et celles des muscles sont nourries par le sang même qui a subi une faible altération. Les os pour s’en nourrir exigent qu’il ait subi un changement considérable. Ce que le sang est pour les chairs, la moelle l’est pour les os (cf. Util. des parties, XI, xviii ; t. I, p. 700) ; dans les os petits et sans cavités, la moelle est disséminée dans leurs cavernes ; mais dans les os grands et qui ont des cavités, elle se trouve accumulée dans ces cavités mêmes. En effet, comme nous le démontrions dans le premier livre (chap. x), les corps qui ont une substance semblable peuvent se transformer mutuellement, ceux qui sont très-différents ne sauraient s’assimiler les uns aux autres, sans des transformations intermédiaires. Tels sont pour les cartilages le mucus qui les entoure, et pour les ligaments, les membranes et les nerfs, l’humeur visqueuse qui les lubrifie. En effet, chacun de ces corps est composé de fibres nombreuses lesquelles sont des parties homoïomères et des éléments vraiment sensibles ; dans l’intervalle des fibres est disséminée l’humeur la plus propre à leur nutrition qu’ils ont tirée du sang des veines en choisissant autant que possible la portion la plus semblable à eux et qu’ils assimilent peu à peu et transforment en leur substance (cf. XIV, x, p. 115).
Toutes ces observations concordent entre elles et apportent un grand témoignage aux démonstrations précédentes. Ne prolongeons donc plus ce discours. D’après ce que nous avons dit, chacun peut aisément imaginer comme il le veut, la manière dont s’opèrent plusieurs faits de détail.
En voici un exemple : Chez beaucoup de buveurs, la boisson est absorbée très-rapidement et rendue, peu s’en faut, tout entière dans un temps très-court. Dans ce cas aussi la rapidité de l’absorption est due à la propriété de la qualité, à la ténuité du liquide, à la largeur des vaisseaux et de leurs orifices, et à l’énergie de la faculté attractive, les parties situées près de l’estomac attirant pour elles la boisson à cause de sa qualité propre, les parties suivantes la ravissant aussi pour elles-mêmes, puis les parties suivantes la recevant de ces dernières, jusqu’à ce qu’elle soit arrivée dans la veine cave d’où les reins désormais tireront la partie qui leur convient. Il n’y a donc rien d’étonnant que le vin, vu sa qualité spéciale, soit absorbé plus vite que l’eau, que parmi les vins eux-mêmes, le vin blanc et pur se distribue rapidement à cause de sa ténuité, tandis que le vin noir et trouble est arrêté dans sa marche et retardé par son épaisseur. Ce sont là des preuves assez fortes à l’appui de ce que nous disions précédemment au sujet des artères. Partout en effet la portion appropriée et ténue du sang arrive plus vite que la portion qui n’est pas telle aux parties qui l’attirent. C’est pourquoi les artères qui, en se dilatant, peuvent attirer la vapeur, le pneuma et le sang ténu, n’attirent aucunement ou attirent excessivement peu le suc contenu dans l’estomac et les intestins (cf. Util. des parties, V, vi ; t. I, p. 357).
- ↑ Cf. Util. des parties, IV, viii ; t. I, p. 294 et la note 2.
- ↑ Des eaux, des airs et des lieux, § 21. Hippocrate parle aussi en plus de vingt endroits de ses traités Sur les maladies des femmes, de l’impossibilité où se trouve le col de l’utérus de recevoir la semence ; et il donne diverses raisons de cette impossibilité.
- ↑ Sur le choléra des anciens, voy. Oribase, t. II, p. 816.