Plon-Nourrit et Cie (2p. 257-259).


LII


Après s’être séparé de Lionel qui s’en fut de son côté, il chercha longuement Lancelot par tous pays et il trouva maintes aventures, mais il ne put avoir nouvelles de son ami. Enfin, il passa en Sorelois, où il apprit tout ce qui était arrivé : comment Lancelot l’avait attendu, puis comment son esprit s’était dérangé et comment on avait trouvé son lit vide et plein de sang ; et il ne douta plus que son compagnon ne se fût occis.

Alors il commença de se chagriner et désespérer si fort qu’il ne voulait plus boire ni manger. Il avait fait placer devant ses yeux un vieil écu de Lancelot qu’il avait retrouvé et qui, seul, lui apportait un peu de réconfort. Onze jours et onze nuits, il jeûna. Les gens de religion qui venaient le voir le semoncèrent et lui dirent que, s’il mourait de cette manière, son âme serait perdue et damnée ; il consentit alors à prendre quelque nourriture ; mais il était trop tard. D’ailleurs, une mauvaise blessure qu’il avait reçue en quêtant Lancelot se rouvrit et toute la chair pourrit alentour. Enfin le corps lui sécha. Il languit ainsi du jour de la Madeleine à la première quinzaine de septembre, faisant de grandes aumônes ; puis il trépassa comme le plus prud’homme qui fût.

Son neveu Galehaudin fut revêtu de sa terre et reçut les hommages de ses barons. Et le deuil de tous ses amis fut grand, mais en comparaison de celui que fit la dame de Malehaut, qui l’avait rejoint en Sorelois durant sa maladie, tous les autres ne furent que néant : aussi bien, elle n’avait pas tort, car il l’eût prise pour femme s’il eût vécu un an de plus. Ainsi mourut Galehaut, le fils de la belle géante, sire des Lointaines Îles, mais le conte dira plus loin ce qu’il advint de son corps mortel. Et il récitera tout à loisir la suite des non pareilles chevaleries du preux et vaillant seigneur Lancelot du Lac, avec plusieurs faits belliqueux de Bohor l’exilé, de monseigneur Gauvain, neveu du roi Artus, de Perceval le Gallois et des compagnons de la Table ronde, qui sont tous contes merveilleusement doux à lire et écouter, et propres à induire les honorables seigneurs et dames à vivre en toute courtoisie, clémence et honneur, par lesquelles vertus on parvient au Royaume éternel. Explicit.




FIN