Plon-Nourrit et Cie (2p. 245-247).


XLVIII


Ils tinrent conseil et décidèrent qu’ils partiraient à sa recherche, dès que la quête de monseigneur Gauvain serait achevée. Keheddin les invita à s’héberger chez Keu d’Estraux, son oncle, qui avait son château près de là. Ils montèrent sur leurs chevaux, qu’ils trouvèrent tout sellés, et ils se mirent en marche, après que Keheddin eut envoyé un valet saluer son parent et l’avertir de leur venue.

Le valet trouva Keu d’Estraux qui jouait aux échecs avec une belle dame, sa femme épousée. Or, sitôt qu’il eut fait son message, la dame chut pâmée ; puis, revenue à elle, elle demanda quel était le nom du chevalier qui avait délivré les captifs du Val Sans Retour.

— Dame, il a nom Lancelot du Lac. Mais, hélas ! Morgane la déloyale l’a fait prisonnier !

— Ô Lancelot, diable félon ! s’écria la dame, puisses-tu mourir de mauvaises armes empoisonnées, ou ne jamais sortir de prison !

— Dieu le garde de mal ! fit au contraire Keu d’Estraux qui semblait tout joyeux. C’est le meilleur des chevaliers et le plus loyal des amants.

Tandis que la dame gagnait sa chambre pour y lamenter plus à l’aise, les quatre compagnons de la Table ronde entraient au château. Ils y eurent le plus bel accueil du monde ; mais Keheddin, quand il eut appris le deuil que menait sa tante, fut la voir et lui demanda si elle n’était pas contente de sa délivrance.

— Quoi ! dame, dit-il, ne m’aimez-vous point ?

— Las ! le chagrin l’emporte sur la joie ! Maintes dames perdent aujourd’hui leur bonheur en même temps que leur avantage, et celui qui a ouvert le Val des Faux Amants a fait plus de mal que de bien en délivrant ceux à qui leur déloyauté valait justement d’être en prison.

Néanmoins, Keheddin la pria tant qu’elle consentit à descendre au souper ; mais elle se retira aussitôt après, et Keu d’Estraux dit à ses hôtes surpris :

— Seigneurs, je l’ai aimée et l’aime plus que tout ; elle était encore enfant, que déjà je lui parlais d’amour. Il y a huit ans, elle me dit que, si je lui accordais un don, elle me prendrait pour mari et ami, et je le lui promis. Puis quand je l’eus épousée, elle me requit de mon serment : hélas ! le don que je lui avais octroyé c’était de ne jamais passer la porte de ce château avant que le Val des Faux Amants fût ouvert. Elle sait bien maintenant qu’elle ne m’aura plus si souvent en sa compagnie ! Lancelot m’a délivré comme vous : aussi irai-je en quête de lui.

Il envoya des messagers par toute sa terre pour assembler ses chevaliers, et le lendemain, à tierce, il en arriva plus de dix qui se mirent en chemin avec lui et les quatre compagnons pour joindre l’armée du roi Artus.

Or, Lancelot y arriva le vendredi, et il est inutile de dire si on lui fit joie. Le lendemain, dès que le soleil abattit la rosée, le roi et les siens se mirent en marche pour attaquer Karadoc le grand, qui était sorti à leur rencontre avec toutes ses forces.