Plon-Nourrit et Cie (2p. 219-221).


XXXVII


Sur l’heure de tierce, Lancelot se trouva dans une belle petite lande où courait un ruisseau ; mais elle était toute semée de tronçons de lances, de pièces d’écus, de mailles de haubert et de chevaux tués. Et comme il s’était arrêté à regarder ce spectacle, il entendit des cris et il vit sortir du bois une demoiselle qui fuyait, tenant dans ses mains ses longues tresses coupées, pourchassée par un chevalier à pied. Apercevant Lancelot, elle courut se jeter à ses pieds.

— Ha ! gentil homme, protège-moi ! Ce traître veut me honnir et il m’a tranché mes belles tresses !

Lancelot laissa le chevalier lacer son heaume et monter à cheval ; puis il le heurta si rudement de sa lance qu’il l’abattit ; après quoi il sauta à terre, lui arracha son heaume et dit à la demoiselle en lui tendant son épée :

— Tenez ! Et coupez-lui la tête si vous voulez.

Mais elle répondit que son cœur ne le pourrait souffrir et pria Lancelot de le faire lui-même. À quoi il ne manqua point. Puis il interrogea la pucelle :

— Sire, lui dit-elle, la dame de Briestoc, à qui je suis, se rendait à la cour du roi Artus, son cousin, lorsque nous vîmes des gens qui emmenaient monseigneur Gauvain tout sanglant, en chemise et en braies, attaché sur un roussin, et qu’on battait cruellement. Madame les fit attaquer par ses chevaliers ; mais ceux-ci ont été défaits, car nul ne pouvait souffrir les coups d’un grand homme à l’écu d’or chargé d’un lion de sinople, et nous nous sommes sauvées dans les bois. J’étais partie à la découverte, lorsque j’ai rencontré ce truand qui a tenté de me faire violence et m’a coupé mes tresses pour me punir de lui résister.

Alors elle conduisit Lancelot au fourré où la dame de Briestoc et ses pucelles étaient cachées et il ne faut demander si le chevalier fut bien accueilli. Cependant le jour commençait de baisser et ils ne savaient où passer la nuit, lorsqu’ils entendirent sonner un cor sur leur droite, à quelque distance. Ils suivirent un sentier nouvellement frayé et parvinrent à un fort château dont les murs, couleur de craie, blanchoyaient dans le crépuscule ; on le nommait le Blanc Castel. Là, ils eurent bon gîte et on apprit à Lancelot que le chevalier à l’écu d’or au lion de sinople ne pouvait être que Karadoc le grand, seigneur de la Tour Douloureuse.

— C’est le plus fort chevalier qu’on ait jamais connu, dit à Lancelot la dame du Blanc Castel. Cent champions tous aussi vaillants que le meilleur de la cour du roi Artus ne l’outreraient pas. À suivre la quête que vous avez entreprise, vous ne pouvez que mourir.

Toutefois, le lendemain, dès qu’il eut entendu la messe en compagnie de la dame de Briestoc et de la dame du Blanc Castel, Lancelot prit congé d’elles, et, il se mit en route vers la Tour Douloureuse dont il s’était fait indiquer le chemin.

Mais le conte se tait ici de lui et devise de Galessin, le duc de Clarence.