Plon-Nourrit et Cie (2p. 217-218).


XXXVI


Ce jour-là, après la messe, les tables furent mises dans les pavillons et les tentes que le roi avait fait dresser sur les bords de la Tamise, car il ne se fût pas trouvé de salles assez grandes pour abriter autant de monde qu’il en hébergea. Et après le manger, qui fut plus beau qu’on ne saurait dire, Galessin, duc de Glarence, fit grande joie à monseigneur Gauvain, son cousin, qu’il n’avait pas vu depuis longtemps. Il était fils du roi Nantre de Garlot, neveu du roi Artus, et bien fourni de corps et de membres, quoique petit et épais. Messire Gauvain et Lancelot du Lac furent avec lui se promener dans la forêt voisine, et, quand ils eurent assez marché, ils s’assirent tous trois sur un tapis d’herbe verdoyante et menue, à l’ombre d’un haut chêne feuillu.

Tandis qu’ils causaient, un écuyer vint à passer, qui arrêta son cheval et les regarda avec attention ; après quoi il tourna bride et s’éloigna au galop. Ils reprirent leur propos en haussant les épaules ; mais peu après ils entendirent un grand bruit dans les fourrés, et ils virent débucher le valet, suivi d’un chevalier d’une taille gigantesque, qui portait un écu d’or au lion de sinople.

— Voici Gauvain le traître ! s’écrie l’écuyer.

Sans mot dire, le chevalier pousse son cheval droit sur monseigneur Gauvain ; et comme celui-ci, en s’écartant, tentait de lui ravir l’épée qui lui pendait au côté, il se penche, le saisit à deux mains sous les aisselles, l’enlève et l’assied devant lui comme un petit enfant ; après quoi, il broche des éperons et part à toute bride, avant même que les deux autres, stupéfaits et d’ailleurs désarmés, aient eu le loisir de bouger.

Lancelot voulait le poursuivre sur-le-champ ; mais Galessin l’arrêta par le bras et lui représenta que mieux valait qu’ils fussent prendre leurs armes tout d’abord, après quoi ils se mettraient en quête de leur compagnon sans avertir le roi, la reine, ni personne. Et ainsi firent-ils ; mais, bientôt les traces du ravisseur les menèrent à un carrefour d’où partaient plusieurs routes : alors ils résolurent de se séparer pour avoir plus de chances de le retrouver, et chacun s’en fut par la voie qu’il avait choisie.