Plon-Nourrit et Cie (2p. 180-182).


XXIV


Lionel partit le lendemain, accompagné des cinq plus sages clercs du royaume de Logres, et ils chevauchèrent tant qu’ils arrivèrent en Sorelois. Quand Galehaut apprit ce qui s’était passé à la cour du roi Artus, il songea d’abord à la douleur qu’éprouverait Lancelot s’il le savait : aussi défendit-il à tous ceux qui étaient près de lui d’en rien dire. Néanmoins il ne fut guère que Lancelot ne s’en trouvât instruit. Ah ! quel chagrin quand il connut que sa dame était accusée !

— Beau doux ami, lui dit Galehaut, je ne vous en osais parler. Mais ce qui advient est peut-être ce qui peut arriver de mieux à deux amants, et, s’il vous plaît, je vous donnerai un conseil. Écoutez : si le roi Artus la répudie (Dieu l’en garde !), je donnerai à madame la reine le meilleur royaume qui soit en toute la Bretagne bleue : c’est celui où nous sommes. Qu’elle vienne et qu’elle en soit dame dorénavant ! Et vous pourrez l’aimer sans péché et sans vilenie après l’avoir épousée par loyal mariage. Si son cœur est aussi vrai qu’il semble, elle aimera mieux être dame d’un petit royaume avec vous, que reine de tout l’univers sans votre compagnie.

— Ha, sire, c’est là ce que je souhaiterais le plus au monde ! Mais le roi a juré qu’il la ferait périr si elle était convaincue de ce crime. Non, elle ne mourra pas, s’il plaît à Dieu et à vous, en la garde de qui je me suis mis après celle de Notre Seigneur ! Je vous supplie de m’aider au nom de Dieu et du grand amour que vous avez pour moi, et qui vous a coûté déjà de perdre en un seul jour l’espoir de conquérir trente royaumes !

Là-dessus, Lancelot se prit à pleurer si fort que la parole lui manqua et, joignant les mains, il tomba aux genoux de son ami. Mais celui-ci l’embrassa et tous deux, menant grand deuil, s’assirent côte à côte. Et Galehaut, qui était plus sage et plus maître de lui, se reprit le premier et commença de réconforter Lancelot, disant :

— Beau doux ami, consolez-vous : il n’est rien que vous voudrez commander que je n’accomplisse par force ou par ruse, dussé-je perdre toute ma terre et tous mes amis. C’est vrai : j’ai fait pour vous maintes choses, qui me seront comptées plutôt à folie qu’à sagesse ; mais c’est qu’à tous les biens de ce monde, je préfère votre compagnie et votre amour : si je vous perdais, je serais mort sans retour. Quand vous serez auprès de madame la reine, faites qu’elle accepte ce que je viens de dire : ainsi nous pourrons vivre ensemble à toujours. Et sachez que, moi qui n’ai jamais commis félonie ni trahison, j’avais dessein d’aller, avec cent chevaliers armés sous leurs robes, surprendre le roi Artus la première fois qu’il viendrait en cette marche et enlever madame la reine pour l’amener ici, près de vous. Mais c’eût été trahison trop laide. Et si madame se fût courroucée, vous en eussiez perdu le sens ou vous en seriez mort.

— Sire, dit Lancelot, vous m’eussiez tué : n’entreprenez rien de tel sans mon conseil, car si elle s’en irritait, jamais plus je ne connaîtrais la joie.