Plon-Nourrit et Cie (2p. 164-168).


XXI


Lancelot guéri, il n’est joie que l’amour puisse donner dont il n’eut sa part ; le conte n’en dit pas plus là-dessus. Et quand fut le neuvième jour, il était redevenu aussi beau que jamais. Souvent il demandait à la reine qu’elle lui permît d’aller jouter ; mais elle répondait qu’il n’était pas encore assez bien guéri. Enfin, un matin que l’on criait par toute l’armée : « Or, tôt aux armes, seigneurs barons ! On verra qui preux sera ! », elle le vit si dolent et si triste, qu’elle commanda en soupirant d’apporter les meilleures armes qu’on pourrait trouver. Et elle voulut lacer elle-même le heaume de son ami, mais auparavant elle le baisa tendrement, en le recommandant à Celui qui fut mis en croix.

La mêlée était déjà commencée quand Lancelot parut. Lionel portait à côté de lui le pennon de la reine, qui était d’azur à trois couronnes d’or et une seule aigle.

— Seigneurs, cria messire Yvain en les voyant venir, voici le pennon de madame !

Tel un lion qui saute entre les biches, non pour grande faim qu’il ait, mais pour montrer sa force et sa vitesse : tel Lancelot entre les Saines ; il ne semblait pas un homme, mais la vengeance de Dieu. Messire Yvain et tous les autres éperonnaient derrière lui. « C’est folie que d’attendre un tel chevalier », pensèrent les païens lorsqu’ils virent les merveilles qu’il faisait ; et, en s’enfuyant vers le château, ils se pressèrent tant sur la chaussée qu’il s’en noya bien vingt dans les fossés. Lancelot, suivi des gens du roi Artus, pénétra dans la forteresse mêlé aux fuyards, et tout d’abord il courut à la chambre de Camille. Elle était couchée auprès de son ami, Gadrasolain : il hausse l’épée, fend au valet la tête jusqu’aux épaules ; puis il saisit la dame par ses tresses :

— Rendez les prisonniers ou je vous trancherai le cou !

Alors elle le conduisit aux cachots. Quelle joie eut Galehaut lorsqu’il retrouva son ami !

— Sire, dit au roi messire Gauvain, voyez Lancelot du Lac que nous avons tant cherché !

Oyant cela, le roi tomba à genoux, disant qu’il mettait en la merci de Lancelot sa personne, son honneur et toute sa terre. Mais, quand le bon chevalier le vit s’humilier ainsi, il se mit à pleurer et se hâta de le relever. À ce moment, la reine entrait : elle alla droit à Lancelot, lui jeta les bras au cou et le baisa devant tous.

— Sire chevalier, dit-elle, je ne sais qui vous êtes, à mon grand regret. Mais, pour l’honneur de monseigneur et le mien que vous avez sauvé aujourd’hui, je vous offre mon affection comme loyale dame la peut donner à loyal chevalier.

— Dame, dit le roi, sachez que ce chevalier est Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Benoïc.

Et la reine feignit d’être fort étonnée et se signa plusieurs fois.

Pendant ce temps, Keu le sénéchal visitait le château. Dans un souterrain, il trouva une demoiselle enchaînée, qui lui apprit qu’elle était ainsi enfermée depuis trois ans parce que Gadrasolain l’avait jadis aimée.

— Camille s’est-elle échappée ? demanda-t-elle. Si elle emporte ses livres et ses boites, vous êtes perdus, car elle peut faire jaillir un lac où vous disparaîtrez tous avec le château.

— Et où sont-ils ? demanda Keu.

La demoiselle le mena à un coffre qu’il prit et jeta au feu. Et lorsque l’enchanteresse sut que ses livres étaient en cendres, elle en eut une telle douleur qu’elle se précipita du haut des murs. Dont le roi fut très chagrin, car il l’aimait encore.

Les tables mises, tous s’assirent. Et après qu’ils eurent mangé, le roi s’approcha de Galehaut et le pria de permettre que Lancelot fût désormais de sa maison et de la Table ronde.

— Ha, sire, s’écria Galehaut, je ne saurais vivre sans lui : voulez-vous ma mort ?

Mais la reine, sur l’ordre du roi, se mit à genoux pour le prier de consentir, et à la voir ainsi, le cœur de Lancelot se serra tant qu’il ne put se tenir de crier :

— Dame, je resterai auprès de monseigneur !

— Puisqu’il en est ainsi, je vous l’octroie, reprit tristement Galehaut.

Le roi le remercia, et il le pria de devenir lui-même, non son chevalier, mais son compagnon et son ami. Puis il retint également Hector. Ainsi Lancelot du Lac, Galehaut et Hector s’assirent à la Table ronde. Et les grands clercs furent mandés pour mettre en écrit, tout ce qui s’était fait d’armes depuis l’assemblée de Galore ; au reste, c’est par eux que nous connaissons le conte de Lancelot, qui est une branche du Graal.