Plon-Nourrit et Cie (2p. 129-132).


IX


Le roi Artus et la reine la festoyèrent, car elle était haute femme, et elle leur conta ce qui était arrivé et comment elle avait oublié de remercier le bon chevalier qui lui avait rendu si grand service. Le roi lui demanda d’en décrire les contenances et l’aspect, et dès qu’elle l’eut fait, il lui dit :

— M’est avis que c’est mon neveu Gauvain.

— Dieu m’aide ! s’écria la dame. En ce cas, je suis honnie !

Et elle supplia la reine d’obtenir de la nièce de Groadain qu’elle permît à Hector de partir en quête de monseigneur Gauvain.

— Dame, ne craignez rien, fit la reine, je saurai bien la contraindre. Avertissez-la seulement que je vous ai fort priée de demeurer ici et ne m’accordez nul don qu’elle ne m’en ait octroyé un.

Ainsi fut fait. Le lendemain, devant toute la cour, la reine invita la dame de Roestoc à prolonger son séjour ; mais elle répondit que c’était impossible. Alors la reine prit à part la nièce de Groadain.

— Belle amie, savez-vous ce que je ferai ? Je demanderai à votre cousine de m’octroyer un don : elle croira que c’est pour l’obliger à demeurer, mais je lui requerrai le pardon de votre oncle le nain.

— Ha ! dame, fit la pucelle, comme vous êtes avisée !

Là-dessus, toutes deux s’approchèrent de la dame de Roestoc, que la reine pria de lui accorder un don.

— Dame, je vous l’octroierai, si ma cousine vous en octroie un auparavant.

La reine reçut le serment de l’une et de l’autre ; après quoi elle dit :

— Savez-vous ce que vous m’avez donné ? Vous, la délivrance du nain Groadain. Et vous, demoiselle, que vous prierez Hector de partir en quête de mon neveu Gauvain et que vous ferez tant qu’il ira.

À ce coup, l’amie d’Hector fut si étonnée qu’elle demeura longtemps sans pouvoir parler. Enfin elle dit :

— Dame reine, certes il n’y a pas tant de bien en vous que l’on prétend ! On a peu de mérite à tromper une pucelle. Au reste, jamais je ne prierai Hector de partir, dussé-je être démembrée.

— Certes, vous ne seriez pas la nièce de Groadain si vous n’étiez félonne. Sachez bien que vous n’aurez jamais terre en fief jusqu’à ce que vous ayez acquitté votre serment.

— Dame, je n’aurai donc jamais mon héritage !

Là-dessus, la pucelle se leva, pleurant amèrement, et fut se jeter sur son lit. Vainement le nain et Hector la supplièrent à genoux de ne point fausser sa promesse. À la fin, la reine qui en avait pitié la manda auprès d’elle, et fit tant que la pucelle dit en pleurant que ni par sa prière, ni par son commandement, Hector n’irait en péril de mort, mais que, s’il voulait partir, elle le lui permettait. Et elle se remit à pleurer si fort que la dame de Malehaut l’emmena dans une chambre afin que le commun des gens ne la vît pas ainsi.

Cependant, Hector prenait congé, heaume en tête afin de cacher les larmes qui lui coulaient des yeux pour la douleur de sa mie. Toutefois, il sentait bien qu’il l’aimait moins, à cause de la prison où elle voulait le tenir. D’ailleurs, la reine lui promit que, s’il accomplissait quelque prouesse durant cette quête, elle le ferait asseoir à la Table l’onde, et aussi qu’elle saurait bien consoler la nièce du nain. Grâce à quoi il partit réconforté.