Gabriel Vicaire (Verlaine)

Œuvres complètes - Tome VVanier (Messein) (p. 457-461).


GABRIEL VICAIRE


Gabriel Vicaire. Ce n’est point parce que c’est un de mes meilleurs amis que je ne parlerai pas en toute franchise de ce bon, de cet excellent poète. (Né à Belfort, Haut-Rhin, en 1848, où son père était receveur d’enregistrement, passa toute son enfance en Bresse, à Pont-de-Veyle, ou à Ambérieux, en Bugey, et fut reçu avocat.)

Ce n’est point non plus parce que ce fut, à propos du début de la querelle symbolo-décadente, sous la forme d’un charmant pamphlet, les Déliquescences[1] par Adoré Floupette, chez Lion Vanné, Byzance, comme un peu d’hostilité envers votre serviteur, que je nierai toutes les qualités de forme et de fond de ce, je le répète, bon, excellent poète, à la fois naïf et raffiné, primitif et « fin-de-siècle », pour parler l’affreux langage contemporain.

Les Émaux Bressans inaugurèrent la précieuse série de ses ouvrages. Ce livre, devenu introuvable et dont l’auteur nous doit de nouvelles éditions, dénotait déjà les vertus de belle et loyale franchise littéraire, de clarté française et de haute ingénuité qui font de Gabriel Vicaire un original dans un temps d’imitation et d’écolâtrerie. Et quel délicieux original que le poète de la Légende de saint Nicolas, de Madeleine, de Rosette, et des ballades qu’il a tout récemment publiées chez Lemerre sous ce titre : À la Bonne Franquette.


BALLADE


Le soleil a secoué
Ses beaux cheveux sur le monde
Et voici, Dieu soit loué !
Toute fraîche, rose et blonde.
Ma gentille Rosemonde.
Ainsi qu’un manteau de cour.
Sa chevelure l’inonde.
Entrons au jardin d’amour !

J’aime son air enjoué,
Sa perversité profonde.
Oui, j’en suis tout engoué,
Moi, moi, l’énorme Burgonde
À la face rubiconde.
— Mon petit, bonjour, bonjour,
C’est l’instant, c’est la seconde.
Entrons au jardin d’amour !


Je l’en prie, assez joué.
Chère belle, ou bien… je gronde
Mon cœur est si peu roué !
Si l’on veut que je réponde.
Il faut bien qu’on me seconde.
Entends battre le tambour,
Là-bas, là-bas, vers Golconde ?
Entrons au jardin d’amour !

ENVOI

Princesse de Trébizonde,
Trois saluts, un petit tour,
Entrons vite dans la ronde.
Entrons au jardin d’amour !

Gabriel Vicaire


J’exprimais cette appréciation dans un sonnet que je réimprime ici parce qu’il est la traduction littérale de ma pensée, en même temps qu’un trop faible hommage à un fier et tout cordial compagnon d’armes :


Vous êtes un mystique et j’en suis un aussi:
Mais vous léger, charmant, on dirait du Shakspeare,
Moi pas mal sombre, un Dante imperceptible et pire
Avec un reste, au fond, de pécheur mal transi.

Je suis un sensuel, vous en êtes un autre;
Mais vous gentil, rieur, en Gaulois et demi.
Moi l’ombre du marquis de Sade, et ce, parmi
Parfois des airs naïfs et faux de bon apôtre.



Plaignez-moi, car je suis mauvais et non méchant.
Puis, tel vous, j’aime la danse et j’aime le chant,
Toutes raisons pour ne plus m’en vouloir qu’à peine.

Et puis j’aime ! Tout court ! En masse, en général,
Depuis la fille amère au souris sépulcral
Jusqu’à Dieu tout-puissant dont la droite nous mène !


L’homme, en Vicaire est bien le frère du poète. Rondeur fine et bonhomie malicieuse, belle humeur sans tumulte et mélancolie suffisante, un souci du naturel et de la bonne, de la vraie simplicité, celle des grands classiques anciens et modernes, avec un goût exquis de terroir que parfume encore un souvenir très discret mais très savoureux de fortes et judicieuses bonnes études, tel l’homme, tel le poète qu’est Vicaire.

J’ai le bonheur de le connaître d’assez longue date, et m’applaudis de plus en plus d’être de son intimité. Causeur sans pair, de l’érudition doublée d’expérience (en dépit de son âge encore en fleur), un bon rire judicieux, la poignée de main moins facile que merveilleusement sincère, voilà pour l’ami.

Bien qu’absolument indépendant en sa qualité de poète très français et bien français, Vicaire fréquente dans les divers groupes littéraires d’autrefois et d’aujourd’hui. Je l’ai connu au café Voltaire du temps de ce tant regretté Valade. Mérat, Mercier, Gineste, — jadis Cabaner, mort aussi ! Burty, autre absent, l’a jamais pleuré Charles Cros, ses frères, tant d’autres, et moi, que de belles conversations, controverses, discussions, paradoxes et utopies nous déchaînâmes là ! Vicaire y prenait une part considérable, et son ferme bon sens, son esprit, son à-propos, ne formaient pas le moindre agrément de ces belles et bonnes soirées. Depuis ont éclos, puis disparu, les Hydropathes, les Hirsutes dont Vicaire ne fit point partie, mais de qui il était et reste l’ami fêté. Les Décadents et les Symbolistes un peu plus tard, l’eurent aussi comme hôte favori, — et je crois bien que l’École Romane, nouvelle création se le paiera comme un bon camarade incapable d’une amertume quelconque, encore que susceptible de tels inappréciables bons conseils.

Il fait beau et bon écouter Vicaire, quand secoué de son rire si aimable et si malin, il réfute ou retorque quelque sottise ou quelque erreur. Bel et bon encore de le voir qui allume son cigare entre deux jolies répliques. Bel et bon surtout de le lire et de le relire.

Décoré de la Légion d’honneur à la dernière promotion. Vive la République — alors !


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  1. Plaquette rarissime, épuisée et ne devant pas être réimprimée, publiée à 3 francs en 1885 par le bibliopole Vanier en collaboration avec Henri Beauclair.