Gérardmer à travers les âges/partie5

Indépendamment de l’église paroissiale et de la chapelle du Calvaire, il existait à Gérardmer plusieurs autres monuments religieux dont nous allons retracer l’histoire. Ce sont les chapelles de Longemer et de la Trinité, les croix de pierre, la Vierge de la Creuse.

Chapelle de Longemer

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Lorsque Bilon vint se fixer à Longemer, outre sa propre cellule et son oratoire, il bâtit, sur un monticule qui domine le lac, une chapelle dédiée aux saints Gérard et Barthélemy ; ce fut le premier édifice religieux de Gérardmer, puisque la chapelle du Calvaire ne date que de 1540.

Cette chapelle fut rebâtie en 1727 ; elle existe encore actuellement, mais elle ne sert plus au culte. Elle fut placée sous le vocable de saint Florent ; à l’intérieur de la chapelle se trouve une statue du saint qui parait être, comme les autres ornements de l’intérieur, du style Louis XV. La statue porte un dévidoir merveilleux qui fut l’objet d’un pèlerinage très suivi ; on venait de loin le tourner – à l’envers – pour être guéri de la colique[1].

En 1881, quand on creusa la tombe d’inhumation du professeur Rigaud[2], à l’intérieur de la chapelle, on découvrit dans le sol des ossements humains, restes probables des générations antérieures à 1540, qui furent inhumées dans la chapelle même, comme c’était la coutume autrefois.

Longemer, son lac et les fermes voisines, appartenaient à l’abbaye de Remiremont, sans qu’on ait pu établir en vertu de quel droit.

Dès 1475, l’abbesse affirma son autorité sur la ferme en la louant par bail à deux habitants de Gérardmer. Voici le texte du bail[3] :

Nous Jeanne d’Anglure, par ces présentes lettres, laixons et admodions par le terme et espace de douzes ans prochainement venant et continuel enseignant, en commenssant le jour de feste Sainct-Marc d’avrier passei de ceste présente année, à Mengin Pierrel, de Gyramer, et à Colin, fil (fils) Chippou, genre Brenoy du dict Gyramer, chacun par moitié pour faire leur profit et utilitei lesdis douze ans durant, c’est assavoir la mer de Sainct Bartholomey de Longemer, ensemble et avec la maison demourance et habitation du dict Longemer et ses héritaiges, prés, terres, boix, eauvez (eaux), usuaires et aisances quelconques, comme est de coustume (coutume), appartenant d’ancienneté à la dite maison dès le ruy de Barberrieutte (Belbriette) jusques à la mer, et dès la pointée de Barberriette par-dessous les prés jusques à la dite mer, saulve et réservée la chapelle du dit Saint-Bartholomey, avec ses redevances et propriétés, et c’est présent laix et admodiation avons-nous fait et faisons èz dit Mengin Pierrel et Colin-Parmey paiant chacun an, le dit terme durant, c’est assavoir seyx (6) florins d’or du Rin (Rhin) ou dey nuefs (19) gros, monoie cursable ( ayant cours) de Lorraine, pour chacun florin rendu et paier à nous en notre maison et habitation au dit Remiremont et à leur propre frais et missions, le jour de la Saint-Marc, chacun an, les dis douzes ans durant, ensemble et avec quattre services de bons poixon (poissons), honorablement comme est d’ancienneté souffisamment, c’est assavoir ung des services de poixons le sambedy, vigile de Pentecoste, et l’aultre service la vigile de l’Assumption Nostre-Dame, au moix d’Aoust, et l’aultre service la vigile de la Toussainctz…

Dans le bail de 1636, pour la grange de Longemer, il est stipulé que le fermier :

Fera dire par chacun an, le jour de la Saint-Barthélemy, une Messe dans la chapelle de ce nom, comme il se pratique de tout temps, et d’aultant que les courses des soldats et gens de guerre enlèvent souvent le bestail de la dite grange, il a été convenu que le cas arrivant (ce que Dieu détourne), que les vaches de la dite grange venant à être enlevées par les dites gens de guerre, que le reteneur s’adressera à Madame pour en obtenir réduction.

La maison de Longemer était une maison franche, et le fermier ne payait pas d’impôts à Gérardmer. La communauté ayant voulu l’imposer (1654), l’abbesse, Mme Alençon réclama à l’intendant ; ce dernier ordonna que le fermier de Longemer fût :

Franc et exempt de toutes contributions tant ordinaires qu’extraordinaires, et de quartier d’hiver, avec déffence aux habitans de Géramer et à tous autres de le comprendre ez rolles et répartitions des contributions, à peine de tous dépens, dommages et intérêts…

Il ajoutait :

Nous deschargeons Sébastien Chaussotte, fermier de la dite Dame abbesse, résidant à Longemer, de contribuer au dit Gérardmer pour cause de la dite ferme ; ordonnons néanmoins qu’il sera cottisé modérément dans les contributions et charges du dit Gérardmer, pour raison du bien qu’il possède de son propre et autres qu’il fera valloir, et sans despens.

C’est vers la même époque (1668) que l’abbesse de Remiremont, Judith de Lorraine, pour bien établir sa suzeraineté sur Gérardmer, institua la procession de Longemer. Chaque année, le jour de la Pentecôte, les habitants de Gérardmer, clergé en tête, bannières déployées, devaient se rendre en procession à la chapelle de Longemer ; cette cérémonie fut en honneur jusqu’à la Révolution.

Depuis fort longtemps c’était aussi la coutume :

Que les bourgeois de Bruyères se rendaient à Longemer la veille de Saint-Barthélemy, en armes, drapeau déployé, au bruit des tambours, pour y maintenir la police[4]. En 1668, ils s’y rendirent comme d’habitude, au nombre de 67, commandés par le sieur Jean de Chausel, jeune homme de 36 ans, porte-enseigne à Bruyères, qui résidait alors à Herpellemont, et Jean Ranfaing, hotelin (hôtelier) à Bruyères, de l’âge de 28 ans.

En arrivant à la chapelle de Longemer, ils en firent trois fois le tour, à cinq heures du soir, déposèrent leurs armes dans la grange du fermier, et demandèrent à souper au fermier. – Celui-ci, qui était attenu à cette charge, les servit copieusement ; mais ils ne se contentèrent pas de ce repas ; ils entrèrent en fureur et commirent tous les excès auxquels une troupe effrénée se livre ordinairement.

L’abbesse de Remiremont se plaignit à la Cour de Lorraine, disant:

Que les archers, non contents d’avoir tiré du fermier 140 pintes de vin à la grande mesure, qui est un tiers plus que la mesure de Nancy, poisson, pain et fromage au delà de ce qu’ils en pouvoient souhaiter, ont encore rompu la porte de la cave du dit fermier et en ont enlevé, malgré lui, trois barils de chacun vingt pintes de la dite mesure, lui ont pris et emporté quantité de fromages, dont ils ont caché une partie dans les buissons et forests, lui ont pris cinq plats d’estin, rompu et bruslé ses meubles de bois, battu et excédé son gendre et sa belle-mère, brisé toutes ses vitres, avec jurements et blasphèmes, bruslé les palissades qui servoient de clôture, quoiqu’il y eût plus de dix cordes de bois façonné sur la place, coupé à coups d’espée et arraché les choux et autres choses qui y estoient, et jusqu’à un tel désordre, qu’estant souls de vin, se sont entrebattus et blessés dangereusement[5].

Le tumulte avait commencé à cinq heures après midi, le 23 Août 1668, et avait duré jusqu’à quatre heures du matin. Jean Ranfaing reçut plusieurs coups d’épée. L’affaire fut poursuivie avec chaleur ; des témoins furent entendus, et les tapageurs punis.

Comme il se commettait de nouveaux désordres chaque année, le nombre des envoyés du prévôt de Bruyères fut réduit à trois[6] par ordre de François, sire de Créquy, gouverneur des duchés de Lorraine, Barrois et Luxembourg, premier maréchal de France (1686).

Cet ordre n’est que la confirmation de celui de 1670, que donna Charles IV à la suite d’une nouvelle plainte de l’abbesse de Remiremont, car le prévôt et gouverneur de Bruyères, un sieur d’Arnolet, vexé des punitions encourues par les compagnons de Ranfaing, avait envoyé à Longemer 160 hommes armés, en manière de représailles. Mais force resta à l’abbesse[7].

En 1765, Anne-Charlotte de Lorraine, abbesse de Remiremont, fit remettre au fermier de Longemer, par son conseiller Boisramé, une chasuble à fond jaune avec son compartiment, un calice et d’autres ornemens, pour le service de la chapelle[8].

À la Révolution, le lac et la ferme de Longemer furent vendus comme biens nationaux ; actuellement ils sont la propriété de Mme veuve Rigaud.

Les croix de pierre

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Il existe sur les différents chemins qui environnent Gérardmer plus d’une centaine de Croix de pierre ; ce sont les témoignages des manifestations de la foi religieuse des Géromois, et l’expression des diverses formes de l’art aux siècles derniers.

Les plus anciennes de ces croix – si l’on s’en tient aux inscriptions – sont celles du millésime 1555, vulgairement appelées croix des trois cinq. À cette époque, Gérardmer ne comptait que 22 pères de famille ; l’érection de ces trois croix fut donc un effort considérable pour l’époque. Ces croix ont le fût cylindrique, surmonté d’une croix de Jérusalem ; elles sont bien conservées, mais elles ont été un peu restaurées (partie inférieure et socles). L’antiquaire peut visiter ces croix ; il trouvera l’une en suivant le chemin de Liézey, en face de l’orphelinat, à gauche de la route, tout près du carrefour des chemins de Rougimont et des Xettes ; une deuxième, au lieu dit Les Bruches ; la troisième, au Grand-Étang, à l’angle de l’ancienne route de Rochesson qui rejoint l’auberge du Haut-de-la-Côte.

Beaucoup de croix furent érigées dans le cours des xviie et xviiie siècles ; bien souvent c’était la communauté qui en faisait les frais, témoin la croix de 1735 dont nous avons relaté le prix de construction.

Ces croix ont même leurs légendes, tantôt gaie et spirituelle comme celle de la Croix-Meyon, contée en patois, qui a une saveur d’originalité des plus attrayantes ; tantôt lugubre et triste comme celle dite des Oiseaux, située au haut du Noir-Rupt.

Le millésime 1777 (les trois sept), se rencontre à l’instar de celui des trois cinq ; par contre, nous n’avons pas retrouvé celui de 1666.

La Vierge de la Creuse

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À deux kilomètres de Gérardmer, sur la vieille route de La Bresse, on rencontre, à gauche du chemin, avant le Grand-Étang, un bloc d’eurite rose dont la face qui regarde Les Xettes est en pan coupé. C’est le rocher de la Creuse, sur la face plane duquel est peinte l’image de la Vierge de la Creuse, et qu’un cataclysme de la nature semble avoir coupé en deux.

Une naïve tradition veut qu’un jour cette séparation eut lieu, et pendant qu’une moitié du rocher roulait dans la vallée, un tableau tel qu’il existe, représentant la Sainte Vierge, se trouva peint sur la face lisse et perpendiculaire de l’autre partie. Cette douce image ainsi placée, loin de toute habitation, devint l’objet de la dévotion des habitants du bourg. De là l’origine des pieuses légendes de la Vierge de la Creuse, madone consolatrice, au pied de laquelle aimeront toujours à prier les mères pour leurs enfants malades, les pauvres, les déshérités de ce monde, pour obtenir allégement à leurs misères[9].

D’après le docteur A. Fournier[10], l’origine de la dévotion au rocher de la Creuse est une manifestation païenne du culte des pierres. « Si, dit-il, on trouve dans les Vosges moins de vestiges de ces pratiques du paganisme, c’est que la pierre, le menhir a été brisé pour servir à la construction destinée à abriter la nouvelle divinité. »

Au hameau du Hangochet (Plainfaing), au pied d’une roche fort élevée, ayant la forme d’une tour carrée – une pierre levée – existe une petite grotte dans laquelle se trouve une vierge très ancienne qui a le pouvoir d’apprendre aux jeunes filles si elles seront bientôt mariées.

Aujourd’hui, c’est à la Vierge, au saint, que l’on s’adresse, autrefois c’était au rocher.

Chapelle de la Trinité

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En suivant le chemin de La Haie-Griselle, on rencontre à mi-côte la chapelle de la Trinité. Voici comment une légende du pays raconte l’origine de cette chapelle.

Vers le milieu du siècle dernier, un bon paysan, qui habitait La Haie-Griselle, avait deux filles. Elles couchaient dans le même lit. Toutes les nuits elles étaient visitées par une ombre invisible qui leur passait la main sur le visage. Grandement terrifiées par cette caresse mystérieuse, elles contèrent l’aventure à leur père ; en homme brave, ce dernier fit coucher ses jeunes filles dans sa chambre et il prit leur place.

La main invisible vint se poser sur le visage du paysan ; mais il s’y était préparé : il saisit cette main et fut aussitôt entraîné dans les airs. La nuit était sombre, et le voyageur malgré lui, peu rassuré ; il eut la pieuse pensée de recommander son âme à la Sainte Trinité ; aussitôt il fut délivré. En signe de reconnaissance, il fit voeu d’édifier une chapelle à la Sainte Trinité, au lieu même où il avait touché terre.

Cette chapelle fut le siège d’un pèlerinage dégénéré en fête populaire le lundi de la Pentecôte.

Mœurs, coutumes, légendes

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Le langage

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Dans les meilleures familles, il n’y a guère qu’une trentaine d’années, on ne parlait aux enfants que le patois local. Ce dialecte, héritage de plusieurs races d’origine différente, est abondant en expressions énergiques et naïves, mais il est peu harmonieux ; il est riche en expressions tudesques[11], et la prononciation à l’allemande du ch lui donne une rudesse caractéristique.

Nous donnons, dans ce chapitre, plusieurs spécimens de patois de Gérardmer ; nous ajoutons que de nos jours, gràce aux progrès de ]’instruction, on parle français dans la majeure partie des familles, sinon de la montagne au moins du centre.

Compliment pour un jour de Fête[12]

Po Cicile

Cicile, Dèyee vo gar[13]. J’a sti vo lé cinq oure
Fâre in to dô neu mouè,
Quéri dé fiô ou don dé poure ;
Mâ céte é n’y ovouzeu eu pouè.
J’ireu bé n’èwesti, tot ô zeuchan dô lèye ;
Po vo fare in boquè, et po to lô far vô
Que j’sè bé qu’ c’o vot’ fête ènèye.
Je n’la jèmâ rélie ; vo l’voyin bé n’oho.
J’préhe tro déjo inoq’ slè
Qué son ène occasion si bolle
De v’ pezotè mo cœur, ô vo d’nan in boquè.
Sai-j’, se’ lir’ to po li, s’o voure bé lo pôre?
Vo pôré bé dé fiô ; mê mo cceur n’o mi môre,
Pi qu’ço po vo qu’é bet ; vo n’sô fih jema.
J’vouréye qu’é vo piéhesse inoq’ lo vin mi piâ.
Evo l’èoue, torto èjôle ;
L’ pi jot fiô n’on qu’en sohon.
Pernè mo cceur et vo vôron :
Lcs éoués n’y fron ré. J’vî èhèyiè en’ foué
Po vô s’ro prehie pih aq’ qué n’dir mi to coue.

Pour Cicile

Cécile, Dieu vous garde. J’ai été vers les cinq heures
Faire un tour dans notre jardin,
Chercher des fleurs ou bien des poires ;
Mais certes il n’y en avait point.
J’étais bien empressé, tout en sortant du lit ;
Pour vous faire un bouquet, et par là vous faire voir
Que je sais bien que c’est votre fête aujourd’hui.
Je ne l’ai jamais oublié ; vous le vîtes bien hier soir.
Je prise (j’aime) trop des jours comme ceux-là
Qui sont une occasion si belle
De vous présenter mon coeur, en vous donnant un bouquet.
Sais-je, s’il était tout seul, si vous voudriez le prendre ?
Vous prendriez bien des fleurs ; mais mon coeur n’est pas moindre (en valeur),
Puisque c’est pour vous qu’il bat ; vous n’en êtes dehors jamais
Je voudrais qu’il vous plût ainsi que le vôtre me plaît.
Avec l’hiver, tout gèle ;
Les plus belles fleurs n’ont qu’une saison.
Prenez mon coeur et vous verrez :
Les hivers n’y feront rien. Je veux essayer une fois
Pour voir si vous prisez plus quelque chose qui ne dure pas toujours.

L’amour du sol natal

Le montagnard aime son pays ; il est légitimement fier de ses belles montagnes ; c’est sans aucun doute à ce sentiment de fierté qu’il faut attribuer le dicton local dont nous n’avons pu, malheureusement, retrouver l’origine. Ce dicton se présente sous les deux variantes suivantes, l’une en vieux patois, l’autre en dialecte moderne :

1re variante : Se ç’nir’ de Giromouè, steu co quéq’ peu Nancèye, Lè Lorraine èn’ serô céte ré. – Si ce n’était de Gérardmer, peut-être encore quelque peu Nancy, la Lorraine ne serait certes rien.

2e variante : Sè cè té d’Giraumouè, èco in peu Nancy, Qu’os qué c’ sero d’lè Lorrène? – Si ce n’était de Gérardmer, encore un peu Nancy, que serait-ce de la Lorraine ?

Le montagnard de Gérardmer languit loin du sol qui l’a vu naître, dit l’abbé Jacquel. Cette observation est des plus justes. Presque tous les montagnards, après avoir satisfait au service militaire, reviennent au pays pour y exercer des professions manuelles des plus humbles, lors même qu’ils trouveraient ailleurs des professions plus lucratives et moins pénibles. Le vrai montagnard se décide même difficilement à quitter sa chaumière natale pour venir habiter « le village », c’est-à-dire le centre de Gérardmer.

Cet attachement du montagnard à son sol natal, parfois si ingrat, a inspiré à Chateaubriand les lignes suivantes : « Le montagnard trouve plus de charme à sa montagne que l’habitant de la plaine à son sillon… Il dépérit s’il ne retourne au lieu natal. C’est une plante de la montagne ; il faut que sa racine soit dans le rocher ; elle ne peut prospérer si elle n’est battue des vents et des pluies ; la terre, les abris et le soleil de la plaine la font mourir. »

Tiou hi hie!

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Tout est local dans notre montagne des Vosges ; il n’y a pas jusqu’au cri du montagnard qui ne soit particulier à la région.

Ce cri bizarre peut se traduire par l’onomatopée : Tiou hi hie! Il exprime – avec une énergie toute sauvage – la joie vivement ressentie, les émotions bruyantes.

Pour les jeunes gens qui vont é grand’loures (aux grandes veillées), c’est le cri de ralliement, de reconnaissance, de rendez-vous, d’adieu.

Le montagnard, soit qu’il reconduise sa promise après la veillée, soit qu’il remplisse le rôle de compère pour le baptême d’un jeune voisin, est fier de réveiller les échos de la vallée par son joyeux Tiou hi hie! C’est pour lui une affirmation de virilité dont il est volontiers prodigue.

Les jours de tirage au sort ou de révision, alors que les conscrits ont les chapeaux ornés de rubans multicolores, parfois les bottes garnies de grelots, l’air retentit d’interminables Tiou hi hie! lancés dans toutes les gammes imaginables.

Tiou hi hie! Nous serons soldats demain ! Nous porterons vaillamment l’uniforme français ! Nous serons dignes de nos ancêtres gérômois qui, par centaines, se rendirent à l’appel de la Patrie en danger. Comme eux, nous saurons mourir pour nos trois couleurs. Tiou hi hie!

Dès l’antiquité la plus reculée, les peuples guerriers ont eu un signe de ralliement. Selon le docteur Fournier qui connaît bien l’histoire vosgienne, le Tiou hi hie! du montagnard n’est que le souvenir du so, so celtique ou du sou, sou grec.

Louis Jouve prétend que ce cri aurait une origine plus moderne. Il raconte, à ce propos, qu’en 1842 le roi Frédéric-Guillaume vint visiter le Spreewald ; des centaines de barques et de canots pavoisés l’accompagnèrent dans son excursion. Après s’être arrêtée sous un chêne, Sa Majesté prussienne poussa le cri wende Iuchuchu, qui, prononcé à l’allemande, est identique au nôtre.

Nous ne nous chargerons pas de mettre d’accord les érudits ; ce qu’il y a de certain, c’est que depuis des générations et des générations les Gérômois se sont transmis leur cri, et que, pendant de longues années encore, les échos d’alentour, de Ramberchamp au Faing-des-Meules, rediront le joyeux Tiou hi hie[14]!

Lè Semptremèye

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La fête patronale de Gérardmer ramène chaque année une animation de plus en plus considérable.

Les Nancéiens ont leur foire qui dure un mois ; les habitants de Lyon et du centre ont la vogue ; seuls, les Gérômois possèdent la Semptremèye.

Voici le sens de cette locution locale ; il y a bientôt neuf siècles, l’ermite Bilon édifia auprès du lac de Longemer une chapelle placée sous le vocable des saints Barthélemy et Gérard.

Notre ville prit pour patrons les deux saints choisis par le pieux solitaire ; en patois local la Saint-Barthélemy se prononce lè Saint-Bathremèye, d’où l’on a fait, par corruption, lè Semptremèye.

Lè Semptremèye fut toujours une fête impatiemment attendue par l’habitant de la montagne et les ouvriers d’usine qui, pendant le mois d’Août, redoublent d’activité afin de pouvoir festoyer.

Autrefois, le montagnard ne mangeait de la viande et ne buvait du vin qu’à la Semptremèye ; c’était bombance une fois l’an ; après on reprenait le régime habituel d’une frugalité toute spartiate.

Il n’y a guère plus d’une vingtaine d’années que les places du Marché et du Tilleul sont remplies, lors de la fête patronale, de baraques nombreuses et variées offrant au public des attractions sans cesse renouvelées ; on n’y voyait pas de ces carrousels étincelants, de ces théâtres forains où l’on vend à bon marché « gaîté et joyeuseté. »

Les goûts étaient plus modestes, on faisait moins de bruit ; en revanche on riait davantage en famille. Les costumes étaient simples comme les mœurs ; les jeunes gens portaient la blouse, un chapeau de feutre à larges bords et de gros souliers ferrés ; les jeunes filles étaient vêtues du jupon de Calamende et coiffées de frais bonnets bien blancs et proprets.

Après la grand’messe, religieusement entendue, les jeunes couples se dirigeaient joyeux vers l’unique bal de la fête. Et les jambes de se trémousser avec cet entrain, ce plaisir de la danse inné chez le montagnard.

Pendant que les couples s’enlaçaient, les papas jouaient aux cartes dans le cabaret voisin et trinquaient amicalement ; les mamans, debout autour des danseuses, se rappelaient leur jeune temps, et parfois ne dédaignaient pas de faire une valse avec leurs fils.

Entre deux danses les jeunes gars conduisaient leurs promises faire quelques tours sur les chevaux de bois, les délices des amoureux aussi bien que des enfants. Ils ne manquaient pas non plus de les conduire aux jeux de faïence, de porcelaine, d’amarides, de sucre d’orge. Pour peu qu’elles eussent de la chance et leurs promis, quelques pièces blanches, les jeunes Gérômoises se procuraient une demi-douzaine de bols, de tasses, de verres avec inscription : « Souvenir de la fête – Amitié – Pensez à moi, etc. », qui formaient les premiers fonds du futur ménage.

Et le soir, à la nuit tombante, par les sentiers de la montagne, on voyait les jeunes filles rieuses, chargées de vaisselle et de sucreries, suivies des vieux parents, regagner leurs fermes, tandis que les jeunes gens jetaient aux échos voisins de joyeux Tiou hi hie[15]!

Les chants

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Jadis le montagnard gérômois chantait beaucoup dans les repas de noces, de baptême, de fête patronale, lorsque le vin l’avait mis de belle humeur ; ses chansons – qui se rapportaient aux circonstances ordinaires de la vie – étaient parfois des épigrammes anodines ou des critiques mordantes dirigées contre les jeunes filles ou les veuves de l’endroit qui avaient fauté ; si une jeune personne était activement recherchée en mariage pour sa fortune ou sa beauté, les prétendants évincés se vengeaient de l’ingrate en la chansonnant ainsi que son préféré ; la chanson servait aussi les petites rancunes personnelles des montagnards ou leur penchant naturel à ridiculiser les travers de leur prochain.

Naturellement ces chansons étaient écrites en patois ; la poésie n’en était pas bien savante et pour cause ; les mots rimaient au hasard et se notaient sur un ton mineur et langoureux, avec une phrase finale qui se traînait mollement. C’était plutôt une sorte de mélopée, brodée sur un motif principal, qu’un chant bien rythmé.

Ces chansons n’ont pas disparu ; malheureusement elles sont trop souvent d’une gauloiserie plus que rabelaisienne ; pour donner une idée du genre, nous citons la chanson suivante qui avait un grand succès il y a 50 ans.

1j01i11i k 2j-12i j i22h 1k 1k 3j-13i h33g

3i23h i33j 3i23g h33i 3i23f g33h 3i03f e33g

II. Oh hô ! Pé m’fou bé d’c’lè !
Ja co dé sou pou mi rèchetè.
Jè m’ fou bé d’clé,
Jè m’ vie mèriè,
Qui os-ce qué t’vourau ?
To to coue seu do lé coborè,
On n’voue rie qu’c’lè.

III. El ové coran, drobè lo champ
Ché lo p’tit Colon, é trô môhon,
Tô tan-z’otran,
El y font beignant,
Ehchèye te toci,
J’ prôch’ron[16] d’ti.

I. – Je suis Nicolas Étienne – Je demeure là-haut à la Poussière – Je suis conscrit – Pour cette année – Mais si je suis pris – Je ne partirai pas.

II. – Oh ho ! Je me moque bien de cela ! – J’ai encore de l’argent pour me racheter (me payer un remplaçant) – Je me moque bien de cela – Je veux me marier – Qui est-ce qui te voudrait ? – Tu es toujours saoul dans les cabarets – On ne voit que cela (de toi).

III. Il s’en va courant – À travers le champ (la prairie du champ) – Chez le petit Colon aux Trois-Maisons – Tout en entrant – Ils (les parents et la jeune fille) lui font accueil – Assieds- toi ici – Nous parlerons de toi.

Vieilles coutumes et pratiques superstitieuses

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« Le montagnard est religieux et sincèrement attaché à la foi de ses pères[17] » ; mais ni lui ni aucun des historiens de Gérardmer n’ont mis en relief ce trait du caractère des Gérômois : leur crédulité aux revenants, aux sorciers, aux guérisseurs du secret.

Un tantinet superstitieux aussi, le montagnard se fiait davantage aux artifices des jeteurs de sort qu’à la science du médecin.

On pourrait remplir un volume en notant les formules bizarres, les recettes baroques qui servaient à guérir les maladies ; celles des bêtes aussi bien que celles des gens.

Nous en donnons quelques-unes des plus connues dans le pays.

Remède pour guérir la jaunisse. – Prendre une pièce de 5 francs et faire avec elle 3 fois le tour de la figure du malade en prononçant les paroles suivantes : « Je t’adresse et te commande, au nom du grand Dieu vivant, d’Emmanuel et de saint Abraham, de quitter le corps de cette personne (la nommer) et de descendre au fond de la mer ou dans les entrailles de la terre. Ainsi soit-il. Amen. »

Voici l’ordonnance à suivre : faire uriner le malade dans un pot où l’on aura mis une poignée d’éclaire[18].

Remède pour guérir l’arête. (On appelle ainsi une tumeur enflammée qui est occasionnée par la piqûre d’une écharde ou une contusion). – C’est le charpentier du lieu qui opère, avec une hache spéciale, connue sous le nom d’épaule de mouton ; le patient place le membre malade sur 2 brins de paille posés en croix en haut d’un tabouret ; le guérisseur, en coupant les brins de paille au niveau du tabouret, lui dit : « Qu’est-ce que je coupe ? » – Le malade répond : « L’arête ». – Le guérisseur reprend : « Arête, je te coupe comme saint Pierre a coupé l’oreille à Malchus ». Il répète trois fois ces paroles ; mais pour que l’opération ait du succès, il faut que les brins de paille coupés sautent en l’air avant de tomber ; sinon l’arête ne serait pas guérie.

Ces pratiques – qui jouissent encore d’un certain crédit – rappellent les plus beaux jours des guérisseurs du secret et des jeteurs de sort.

Il n’y avait guère de maisons au siècle dernier qui n’eussent, dans leur étable, un sort jeté par un mécréant, un habitué du sabbat. Ses bestiaux dépérissaient et mouraient frappés subitement d’un mal mystérieux, si on ne faisait pas aussitôt conjurer le mal et « désensorceler » la maison.

À cet effet, le propriétaire se rendait chez le guérisseur le plus proche, un vieux malin qui exploitait habilement la crédulité populaire et jetait de la poudre aux yeux par une mise en scène très propre à frapper l’imagination. Le sorcier commençait par allumer un cierge bénit le Samedi-Saint, et plaçait à côté un peu du cambouis de la moyenne cloche ; il brûlait un peu de la cire des clous du cierge pascal de l’année écoulée, tirait d’une armoire mystérieuse un grimoire rempli de formules et de signes cabalistiques, mettait ses lunettes et récitait la bizarre élucubration que voici :

Ab, abra, abraca, abracada, abracadabra ; bar, kibar, alli, alla, Tétragamator, virgo, virgula, virgule, point, pointo, pointu ; dic, dic, verum, cagli os tro[19] bonum ; merlina, timus, animus, boum ! bricar, dic, dic, calamita, calamita, cocquateso, veranapa, topena[20], dic, dic, accipe quod tibi et nihif, amplius. Bar, Kibar, alli, alla, oh ! oh ! Amen. Ainsi soit-il. – Et fiâ voluntas tua.

Pendant qu’il débitait ce prestigieux factum, le sorcier traçait en l’air des signes magiques et poussait de temps en temps des cris aigus ; il frappait dans ses mains, s’arrachait des mèches de cheveux, grimaçait affreusement, se trémoussait comme un véritable épileptique[21].

Les sorciers et guérisseurs du secret se faisaient grassement payer leurs prétendus services. Ils avaient du reste des réponses à double sens qui leur permettaient toujours de sortir d’embarras. Si le mal empirait, le remède l’avait empêché d’aller plus vite encore, et il était nécessaire de recourir de nouveau à leur intervention.

Hâtons-nous d’ajouter que les progrès de l’instruction ont fait disparaître ces pratiques ridicules dont les jeunes élèves de nos écoles sont les premiers à plaisanter ; cependant il reste un fond de croyance aux remèdes empiriques et charlatanesques ; bien des montagnards préfèrent encore la formule et le secours d’un rebouteur ou guérisseur, surtout pour les bestiaux, aux soins d’un bon vétérinaire.

Si les pratiques bizarres dont nous venons de parler vont s’affaiblissant journellement, il n’en est pas de même de certaines croyances populaires, qui sont des plus vivaces.

Nous les avons entendu affirmer très souvent et nous signalons les principales.

Les présages

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– Si, en se mettant en route, on rencontre un chat ou une vieille femme, c’est un signe d’accident et de malheur dans le voyage.

– Une salière renversée, un couteau et une fourchette placés en croix annoncent mort ou malheur prochain.

– L’apparition d’une pie (ohé d’lè mô, oiseau de la mort), est un signe de mort pour les habitants de la maison où elle est venue se poser.

– Si on entend, dans les planchers, au milieu de la nuit, un petit bruit continu, c’est que la mort viendra bientôt chercher quelqu’un du logis. Ce bruit est appelé l’horloge de la mort. Il est dû au travail des vrillettes (coléoptères), qui rongent les boiseries.

– Voir une araignée le matin, c’est un signe de chagrin ; si c’est le soir, c’est un signe d’espoir.

– S’il y a beaucoup d’araignées sur les bruyères, c’est un signe de malheur.

– Une étoile filante est une âme qui sort du Purgatoire.

– Lorsque les oreilles tintent, c’est qu’on parle de vous ; si c’est la droite, c’est en bien ; si c’est la gauche, c’est en mal.

Les petits procédés

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– Avoir dans son porte-monnaie de la corde de pendu ou du trèfle à 4 feuilles, c’est s’assurer le succès dans ses affaires.

– Quand le chef de la famille est mort, si on possède un rucher, il faut y suspendre un morceau de drap noir, sinon les abeilles s’en iraient au bout de 9 jours.

– Si les futurs conjoints assistent à la messe quand on y fait, au prône, les publications de leurs bans, leurs enfants seront morveux et baveux.

– Après la bénédiction nuptiale, celui des deux époux qui se lève le premier sera le maître du ménage.

– Lorsqu’un coq a mangé du pain bénit, il devient enragé.

– Si on est 13 à table, un des 13 doit mourir dans l’année.

– Un œuf du Vendredi-Saint jeté dans un incendie l’arrête aussitôt, si l’incendie a été allumé par le feu du ciel.

– Si on tue un cochon le jour du Vendredi-Saint, cela porte malheur.

– Si on entreprend un voyage le vendredi, on aura des accidents en route.

– C’est faire souffrir les âmes du Purgatoire que de laisser bouillir l’eau sur le feu ; aussi met-on dans cette eau un légume ou un bout de bois.

– Soulever la paupière supérieure et la renverser, c’est faire pleurer la Sainte Vierge.

La plupart des coutumes et des pratiques que nous venons de citer, sont des restes du paganisme comme le dit excellemment le docteur A. Fournier[22].

L’imagination de nos aïeux a peuplé, en effet, les vastes forêts qui couvraient le sol, d’esprits qui étaient des êtres farouches, noirs, hideux, vrais diables, qui personnifiaient la vie sauvage ; ou bien des êtres aux formes les plus variées, les plus gracieuses qui, dans les clairières et les futaies, menaient joyeuse vie.

Le culte de l’Arbre, si vulgarisé en Gaule par le druidisme, persista pendant des siècles après l’établissement du Christianisme. Le Concile d’Auxerre (598), défendit aux fidèles « de rendre leurs vœux dans les haies, auprès des arbres ou sur les fontaines… » Plus tard, au Concile de Nantes (658), il est ordonné aux évêques de faire arracher et brûler les arbres que les peuples adorent, et pour lesquels ils ont une telle vénération qu’ils n’en oseraient couper la moindre branche.

Parfois on n’osait arracher ou brûler l’arbre sacré ; l’Église se l’appropriait en y plaçant l’image d’un saint vénéré dans la région.

À Gérardmer, il existe plusieurs de ces saints placés sur des arbres ; il y a un saint Antoine sur un sapin à l’ancien Écho Saint-Antoine (sur la nouvelle route de Sapois) ; un saint Nicolas sur un sapin à gauche de la vieille route de Saint-Dié. Il s’en trouve un troisième à la Basse-des-Rupts, près du chemin qui redescend au ruisseau.

Les chapelles de l’endroit ont des arbres à leur côté ; telles sont les chapelles de la Trinité et de Saint-Florent, entourées de tilleuls séculaires.

Dans presque toutes les communes vosgiennes, c’est avec des branches que l’on orne les façades des maisons le jour de la Fête-Dieu[23].

Un certain nombre de fêtes populaires qui coïncident avec les fêtes catholiques, sont accompagnées de pratiques païennes.

Une des plus curieuses est le pèlerinage à sainte Sabine (29 Août).

Dans la forêt de Fossard (Remiremont), non loin du menhir de Kerlinkin, se trouve la source de sainte Sabine dont on disait :

La source de sainte Sabine
De tout mal affine.

Elle guérit les ulcères, les abcès ; il suffisait de les piquer avec une épingle que l’on jetait dans le bassin de la source.

Mais c’étaient surtout les jeunes filles en quête de mari qui fréquentaient la source. Elles jetaient dans l’eau une épingle ; si elle surnage, leurs désirs seront exaucés. Seulement la fontaine n’avait ce pouvoir que le jour de la sainte Sabine.

Thiriat ajoute[24] « que l’épingle ne surnage jamais, quelles que soient sa ténuité et sa finesse, quand la jeune personne est coupable d’une faute contre la virginité, et que les veuves mêmes consultent en vain la naïade de la fontaine. »

Les loures (veillées)

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Elles se perdent de plus en plus, ces antiques soirées d’hiver, ces joyeuses loures (veillées) où se réunissaient, autour de la lampe fumeuse, les voisins, les parents, les amoureux.

Il y avait trois sortes de loures : les loures ordinaires, où les voisins seuls venaient et qui étaient journalières ; les loures à recine, pour les parents et les amis qui se répétaient une ou deux fois seulement dans l’hiver ; enfin lé grand loures (les grandes loures) ; assemblées où se rencontraient les jeunes gens de toute une section, qui se tenaient une douzaine de fois pour la mauvaise saison.

Loures ordinaires

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Les loures ordinaires étaient les veillées telles qu’elles se passent encore de nos jours. Les hommes, assis près du feu, racontaient leurs exploits militaires ou causaient de leurs affaires commerciales. Les femmes filaient le lin ; en dévidant la quenouille, elles devisaient de leurs enfants et contaient les potins du jour. Les enfants jouaient bruyamment dans un coin de la chambre, ou si on les avait couchés, prêtaient une oreille attentive aux récits de sorcellerie, de sabbat, qui revenaient invariablement avec chaque veillée. Ces enfants suçaient ainsi, avec le lait maternel, la crainte du sotré, de la mannihennekin ; toutes les histoires terrifiantes qui faisaient les frais des longues veillées, frappaient leurs jeunes imaginations, et contribuaient puissamment à les rendre crédules, superstitieux et peureux.

À 10 heures, on se séparait, pour recommencer le lendemain.

Les loures avec recine

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Les parents, les amis, s’invitaient de temps à autre, généralement le samedi, à des veillées avec recine. La première partie de la veillée se passait comme nous venons de le dire ; seulement on jouait aux cartes jusque vers 10 ou 11 heures ; à ce moment la maîtresse de maison invitait la veillée à s’approcher de la table, rallongée pour la circonstance, « du pétrin » de la famille, et entourée de bancs improvisés, de sièges très variés.

C’était le moment de la recine, repas frugal où l’on ne servait que du pain noir et des noix, mais où l’on vidait force rasades de brancvin.

Avant la recine ou même après, garçons et jeunes filles jouaient aux jeux innocents, fort nombreux à l’époque ; il y avait le Colin-maillard, la paume (main-chaude), le levain, la mal mariée, l’oiseau (pigeon vole), le plomb, le ruban, le diable boiteux. Lorsqu’on était pris, on donnait des gages ; pour les racheter, le perdant était condamné à une pénitence généralement anodine, qui consistait à embrasser celle que vous aimez ou le plus joli garçon de l’assemblée.

Dans certains cas également, les garçons faisaient parade de leur force ou de leur adresse dans des tours de bateleurs, ou mystifiaient les plus naïfs par des farces d’un goût douteux.

Avant de se quitter, les membres de la veillée fixaient la maison où aurait lieu le rendez-vous de la semaine suivante.

Puis les jeunes garçons reconduisaient les jeunes filles à leur domicile, escortés des parents, en troublant le silence de la nuit par leurs joyeux Tiou hi hie !

C’est dans ces réunions locales que se nouaient, entre les jeunes gens, les premières relations qui devaient aboutir au mariage quand le jeune garçon aurait fait son temps (aurait satisfait au service militaire). Elles sont devenues plus rares, parce que le commerce des toiles, très florissant il y a une trentaine d’années, a produit chez plusieurs montagnards une aisance relative. Le vin, le café, la viande, le pain blanc, ont remplacé sur la table des recines, le pain noir et le brancvin des anciennes loures. Il en est résulté que beaucoup de personnes n’étant pas en mesure de rendre la politesse, ne sont plus allées aux loures des recines.

Les grandes Loures

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La personne qui voulait organiser une grande loure, invitait les jeunes filles des environs et prévenait les jeunes gens, qui se transmettaient la nouvelle de section en section comme un grand évènement ; il n’était pas rare, au jour donné, de trouver réunis de 50 à 60 jeunes gens des deux sexes dans la maison où se tenait la grande loure.

La veillée était bruyante ; à peine les femmes et les jeunes filles avaient-elles travaillé quelques heures, que les garçons organisaient des danses : pas de grande loure sans le ménétrier obligé. Dès qu’il arrivait, sur les coups de neuf heures, escorté d’une troupe de danseurs, les jeunes gens s’empressaient de préparer pour la danse la grange ou le poèle ; on juchait le ménétrier sur une estrade improvisée et les couples valsaient joyeusement au son du violon.

La commère qui tenait la grande loure, débitait aux amateurs des petits verres d’eau-de-vie ; peu à peu les têtes se montaient ; vers minuit il n’était pas rare de voir des coups échangés et une mêlée générale mettre fin à la danse. Des jalousies à propos de frais minois, des rancunes de section à section, de vieilles querelles à vider, c’était assez pour provoquer des rixes parfois sanglantes.

Au reste cette distribution de coups de poing semblait être une partie essentielle de la grande loure ; les garçons amoureux des chicanes, se posaient, avant l’assemblée, la question suivante, bien topique : « On s’bettré? » (on se battra ?) condition sine qua non de leur apparition à la soirée[25].

Les grandes loures n’existent plus ; mais l’habitude des veillées reste néanmoins vivace dans la montagne, et si la clarinette y a remplacé le violon, le goût de la danse n’en est pas moins accentué.

Légendes

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C’est pendant les veillées que nous venons de rappeler que se redisaient les légendes, presque toutes spéciales à Gérardmer. Nous allons raconter les plus intéressantes, celles que nous avons pour la plupart, recueillies de la bouche même des vieux montagnards.

Le génie malfaisant qui poursuit ses victimes, s’attache à elles pour les perdre dans les sentiers déserts, les lieux marécageux, c’est Culas.

Il se montre dans les cimetières, les étangs, les lieux écartés, et ses apparitions sont des flammèches vacillantes, qui s’enfuient à l’approche des voyageurs ou les poursuivent s’ils s’éloignent.

On devine que ces apparitions ne sont pas autre chose que les feux-follets, dont la nature, inexpliquée aux siècles derniers, était bien faite pour frapper l’imagination vive et la bonne foi des montagnards.

Pour la plupart d’entre eux, les feux-follets sont aussi des âmes du purgatoire qui viennent demander à leurs proches de faire dire des messes pour abréger leurs souffrances.

Sotré et dragon

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Êtres fantastiques, ayant tous les artifices de la ruse, le sotré et le dragon étaient également des personnifications du génie du mal. Le tonnerre, les gémissements du vent dans les forêts de sapins, l’ouragan, les aérolithes, étaient des manifestations de l’esprit malin.

Avec des récits dont l’imagination faisait tous les frais, les montagnards racontaient à leurs enfants, sur le compte de ces êtres surnaturels, des histoires merveilleuses qui avaient malheureusement le tort de les effrayer et de les rendre crédules et peureux.

Mannihennekin

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Le mot Mannihennekin (prononcez kin comme dans innombrable), vient de megnèye, mot patois qui signifie domestique, et hennequin ou hennekin, esprit infernal.

On désignait en effet sous ce nom la troupe des domestiques d’un esprit puissant qui, pendant l’hiver, dans les nuits brumeuses, faisait entendre dans les airs des concerts où des cris lugubres se mêlaient aux sons d’une musique retentissante.

C’était le sabbat des démons qui emportait dans les tourbillons magiques les personnes du pays dont l’âme leur était assurée. Cette croyance, qui va s’affaiblissant, n’est encore qu’un reste du paganisme de l’ancien culte de « Diane, qui eut longtemps ses adorateurs dans nos forêts vosgiennes, puis, sous l’influence du catholicisme, s’est transformé en celui de saint Hubert.[26] »

La mannihennekin de la montagne des Vosges, c’est la chasse de Jean des Baumes, la Chasse sauvage des Allemands.

« Il existe proche Rozerotte un bois dit Bois des Baumes, que les habitants du pays croient habité par l’âme d’un ancien chasseur appelé Jean des Baumes. On raconte que pour avoir chassé chaque dimanche sans avoir jamais pensé à Dieu, il fut condamné à chasser éternellement sans pouvoir atteindre le gibier qu’il poursuit. On prétend même que, pendant certaines nuits de l’année, on l’entend encourager ses chiens[27]. »

M. Voulot raconte aussi[28] qu’au pied du Donon, les montagnards passant le soir dans une forêt sombre, à la lueur des éclairs, au bruit retentissant de la foudre, ne manquent jamais de réciter cette prière qui les préserve de tous les dangers :

Grand saint Hubert, patron des Ardeignes ! gu’avez eu la gloire de voir not’ Seigneur Jésus-Christ crucifié entre les cornes d’un cerff, et d’recevoir miraculeusement l’étole par le ministre (ministère) d’un ange, dont nous vous demandons d’nous octroyer la grâce, en nous préservant de rage, maléfice, coups de tonnerre et autres maux. Priez pour nous, grand saint Hubert !…

Enfin, après la messe de saint Hubert qui se célébrait sous les épaisses voûtes des forêts, on se rendait à un repas où l’on chantait :

Ô saint Hubert !
Le front découvert,
Nous chantons ta gloire.
Nous allons boire
Et porter ta santé
À la postérité.

Le sabbat

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Le sabbat était une cérémonie diabolique qui avait lieu toutes les semaines tantôt à la Roche-du-Diable, tantôt à la Beheuille, dans un endroit solitaire, entouré de hautes forêts.

Là, une foule de vieilles femmes au nez crochu, au front ratatiné, d’hommes mal famés, aux allures mystérieuses, dansaient avec les sorciers du pays et les diablotins, des rondes effrénées. Ils se livraient à de copieuses libations et chantaient des chansons qui glaçaient le sang dans les veines.

Le voyageur attardé qui passait dans ces lieux vers minuit, était arrêté par une main invisible. Il entendait des frôlements insolites et des cris ou des rires dans la profondeur des bois ; les arbres lui paraissaient renversés et des bruits de chaînes retentissantes ou de musique étrange, discordante, lui donnaient une peur affreuse. Malheur à lui s’il n’avait un talisman, un peu d’eau bénite, un chapelet, ou s’il ne pouvait faire le signe de la croix. Il était alors précipité dans les lacs de Longemer ou de Retournemer où il se noyait, ou bien il était brisé contre les rochers dans un saut effroyable.

Il existe encore des vieux montagnards de Gérardmer qui croient au sabbat. Ils racontent, avec conviction, qu’ils en ont fait partie ou en ont vu les preuves irrécusables. L’un d’eux ne nous certifiait-il pas avoir trouvé, un matin, sur le sable, à la Beheuille, des traces de pied fourchu, un soulier de femme, des manches à balai et divers débris du festin qu’avaient fait en cet endroit les diables et les sorciers !

Loups-Garous

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Plusieurs cavernes des montagnes de Gérardmer passent pour avoir donné asile aux Loups-Garous. C’étaient, disent les anciens, des hommes qui vivaient comme des loups et mangeaient les petits enfants comme les ogres du temps des fées, ou guettaient les voyageurs qui passaient près de leurs repaires.

Le souvenir de ces êtres fantastiques s’est perpétué dans le jeu si connu de Chasse au Darou, mystification généralement anodine, avec laquelle les indigènes se font un malin plaisir de s’égayer aux dépens des nouveaux venus.

Le Darou est personnifié sous la forme d’un animal étrange, le Falkenar. On voit cet être fabuleux, de la taille du renard, au pelage gris bleuté, rôder sur le coup de minuit, autour des habitations où doit se produire un décès à brève échéance. À la pâle clarté de la lune, on l’a vu se promener, les soirs d’hiver, sur la Roche-du-Page. Son museau de fouine au vent, ses yeux qui brillent comme des charbons ardents, jettent l’effroi au cœur du montagnard qui s’est attardé à la veillée.

La croyance au Loup-Garou s’est perpétuée dans une chanson fort ancienne que les nourrices chantent pour endormir leurs bébés, et dont voici le refrain :

Dormez, dormez, ma demoiselle,
Car le Loup-Garou va venir.

Les Crikis

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Les sorciers et les sorcières eurent grande vogue autrefois à Gérardmer, et nous avons raconté[29] le procès fait à Mougeatte Chipot, accusée de sorcellerie.

Une famille du pays, dont les membres passaient pour sorciers, était désignée sous le nom, qui leur est resté, de Crikis.

L’ancêtre de cette famille était un jeteur de sorts, qui pouvait faire venir à volonté, dans les habitations, des souris, des rats, des puces et autres vermines. On assurait même qu’il avait le pouvoir de prendre la forme d’un de ces animaux, et d’être ainsi, dans un incognito complet, sur la trace de ses ennemis.

Ce qu’il y a de triste à dire, c’est que les descendants de cette famille stigmatisée existent encore, et qu’à leur nom s’attache toujours le souvenir des misères d’un autre âge. C’est à tel point qu’il y a quelques années, comme nous avions affaire chez un très brave habitant de Longemer, une personne de Xonrupt nous dit très sérieusement : « N’allez pas chez lui, je vous en prie, c’est un Criki ! » Naturellement nous n’avons eu cure du renseignement ; mais nous n’avons pu nous empêcher de songer que c’était bien pénible de voir une semblable crédulité sur la fin du xixe siècle !

Le Pont-des-Fées

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Comme tous les pays, Gérardmer a sa bonne fée qui connaît le présent, le passé et l’avenir, et domine toute la nature. Son accent console ou terrifie avec ses capricieuses transformations. Elle est tour à tour séduisante jeune fille, pauvre vieille décrépite, rayon de lumière, souffle d’air, insecte d’or, oiseau d’azur. Si vous doutez que ce soit elle, demandez aux paysans qui habitent sur les bords de La Vologne. Ils vous diront qu’ils l’ont vue en joyeuse compagnie, vêtue du costume le plus original que vous puissiez rêver, donner une grande fête dans le palais qui avait surgi pour elle des belles eaux du clair ruisseau. Elle, y recevait de brillants chevaliers, leur donnait à boire un philtre magique qui leur ôtait toute volonté. Ils étaient alors forcés de travailler à la construction du pont qui existe encore et porte le nom de Pont-des-Fées.

La vérité est que ce pont est ainsi nommé à cause de l’abondance – aux environs – des épicéas et que le nom patois de ce sapin est fie ; on a dit le Pont-des-Fies, d’où, en français le Pont-des-Fées.

Néanmoins la légende persiste ; elle a même inspiré un poète[30] et nous reproduisons sa charmante inspiration.

Ballade du Pont-des-Fées

« Ne vous endormez pas
le soir au Pont-des-Fées. »

Dans le bois sombre et solitaire,
Messire Humbert s’est égaré :
Au-dessus d’une arche de pierre
Murmure un torrent resserré ;
Et vaguement, il se rappelle
La Légende que par hasard
Un soir contait, heureuse et belle,
Rosalbe, fille de Gérard.

Mais Humbert ne connaît la crainte,
Il a déployé son manteau,
Il invoque la Vierge sainte,
Et s’étend au bord d’un ruisseau.
Pourtant les vieilles, aux veillées,
Disent : « Ne vous endormez pas,
Quand vient le soir, au Pont-des-Fées,
Mieux vaudrait pour vous le trépas. »

Mais toujours sire Humbert sommeille,
Pourquoi son cheval se plaint-il?
Le cavalier bientôt s’éveille,
Et des yeux cherche le péril :
Une femme blanche, élancée,
Calme, le regarde dormir ;
Comment sa douce fiancée
Vient-elle en ce lieu sans frémir?

« Si loin du castel de ton père
Comme une esclave qui s’enfuit,
Pourquoi, dans ce lieu solitaire,
Rosalbe, erres-tu dans la nuit? »
– « Que mon doux seigneur ne s’irrite,
Il s’en repentirait demain ;
De loin je suis venue, et vite,
Pour le remettre au droit chemin.

Remontez cent pas la rivière,
Vous verrez un sentier étroit ;
Au carrefour de la clairière
Laissez choisir le palefroi. »
– «  Prends mon coursier, ma souveraine
Je ne t’abandonnerai pas ;
Vers le duc, Gérard de Lorraine,
Que ton époux guide tes pas. »

Le coq va chanter tout à l’heure,
Je dois vous quitter à l’instant ;
Pour me conduire à ma demeure,
Un serviteur fidèle attend. »
Elle a dit ; légère et rapide,
Elle se perd dans la forêt.
L’aurore frappe l’herbe humide,
Et le brillant soleil paraît.

Sire Humbert selle sa monture,
Il découvre l’étroit sentier,
Et, rêvant à cette aventure,
Hâte le pas du destrier.
Il arrive devant la porte,
Et vainement sonne du cor,
Sur les créneaux un archer porte
Le noir étendard de la mort.

« Bon soldat pourquoi cet emblème,
Qui présage un affreux trépas? »
– « Hélas! c’est Rosalbe elle-même ;
Comment ne le saviez-vous pas ?
À l’heure où l’aurore sereine
À peine faisant place au jour,
La fille du duc de Lorraine
Quittait ce terrestre séjour! »

Que du deuil la sombre bannière
Flotte à jamais sur ce castel,
Et que les vassaux en prière
Implorent la pitié du ciel!

== Légende de la Croix-Méyon ==

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Sur la route du Tholy, à mi-chemin du lac, il existe une vieille croix de pierre au socle branlant ; les lichens l’ont marquée de leur incrustante végétation : c’est la Croix-Meyon. Elle porte le millésime de 1777 ; en voici la légende, en patois du pays (d’après Thiriat) :

El y avoue o Bélia, vo l’évoué dé trau sette,
Lo keblar Jean Méyon et sè fomme Minette,
Qu’ièré viquet heuroux ; selmô mo Jean Méyon
Ovoue lo grand défaut d’ète in peu trop soulon.
Quot é rpotiè sé cvèye é marchand do villège,
O coboret reliant sè fomme et so mênège,
E s’mè terti sé sou sno si vodiè in niau ;
Et do lô é rvenet po le chemin trop strau.
Quot sè fomme lo chosé et lo tratiè d’hhautauye,
E n’lôyè qu’ d’in cotè, et dolo d’l’aute oroye,
E squoutè sé lo vot empotiet sé rohon,
Et d’si seulè d’no vèie é tè tocoue d’sohon.

Minette voyant bé qu’elle n’o pourô joie,
D’in mouïé pi hodii s’évisé d’ehhèyle.
In sau qué so soulon tè braumo ennèyeti,
Elle s’erotié lo cor do in grand blan fieri,
Es boté d’si lè tête eune lantêne erlihante,
Ettèché derrie léye enne chaîne restenante,
Et vo lo drau de mo, elle féré si peusté.
E Hhette, è Rebouéchamps, on n’voyait pi d’tiète,
E fèyè nèye inno qué do lo dso d’enne quesse.
Lo vot do lè montaine erjanet dé piandesse,
Lè chouette o fond dé beu chantait in âr dé mo. O pie dé reuche do slèye, o front m’neçant et haut,
Qué no hma vlsltè que po l’ohèye dé hline.
Ô z’oïet lè flo nôr què hauvouè et le line.
Et lè line, au corant lo to, espovotâye,
Couèchèt so bian musé derrie lé naur nouâye…

Jean Méyon vo ménèye, éhhé do coboret,
Chambollant et branciant tsi sè mègue jorret.
Lo brancvin ro hôdii, ço qué n’sé seulot vouâre,
Mâ t’si le vie soulon é fâ l’effet contrare,
Ç’ot poqué not grivois strémet o pi pti brit ;
Au pessant lo Gripèye é spiè èlanto d’li,
Quot, to d’in keu é voue è sé zèye epporète
In gran rvenant to bian qu’li crie : « Errête ! errête ! »
Vo vo l’epossé bé, terto rtone do li…
E pone sé pi dire au brèyant espovotè :
« Qu’osqu’om’vlé ? qu’osqu’om’vlé ? » Vilain soulon je vie
Qu’ét’ chaingèsse dé conduite, et té vé m’lo jirie,
Aussi bé qu’é t’fare botte enne crèye o drau dé mo
Qué t’fré tocoue, toci, sevni dé to sarmot,
Meyon d’hé : « J’vo lo jire », et n’vi pi ré qu’lè nèye.
Lo brancvin do so vote, ovoue stédi so fèye ;

Et cé n’fé mi s’no mau qu’é rgaignié so logi.
Minette, o lo dvine jo, ertè haut bé dans qu’li.
Quot elle lo vi s’ehhâre, aussi bian qué do chique,
Elle li dmandé corant sé l’ovoue lè colique.
« Nian, qué d’hé, ma scoûte mé : Ç’o lo sau ci lè fin
D’mé ribotte ; ço fâ jé n’bourrâ pi d’brancvin! »
C’fé vrâ. E fi grèvè so no, et sou d’sè fomme,
T’si lè crèye qu’é fi botte ousqué vit lo fantôme.
O dit qué « qui qué bi bourré », ma Jean Meyon,
Au z’be’ d’pé lo sau lo, heuté d’éte in soulon,
Et so qu’en’ vouron mi t’si mè poreule crâre,
In fâ si soupernant, aussi vrâ qu’è lo rare,
Enne crèye d’pire o tolot d’bout po li zi provet
Qu’enne foue è Giraumoè, lo proverbe é bodiet.

Il y avait au Beillard, vers l’hiver des trois sept (1777),
Le cuvelier Jean Méyon et sa femme Minette,
Qui auraient vécu heureux ; seulement mon Jean Méyon
Avait le grand défaut d’être un peu trop ivrogne.
Quand il reportait ses cuveaux aux marchands du village,
Au cabaret, oubliant sa femme et son ménage,
Il semait tous ses sous sans se garder un niau[31] ;
Et puis il revenait par les chemins trop étroits.
Quand sa femme le grondait et le traitait de vaurien,
Il ne l’entendait que d’un côté, et puis, de l’autre oreille,
Il écoutait si le vent emportait ses raisons,
Et de se griser de nouveau il était toujours de saison.

Minette voyant bien qu’elle n’en pourrait venir à bout,
D’un moyen plus hardi s’avisa d’essayer.
Un soir que son ivrogne était beaucoup ennuité,
Elle s’entoura le corps dans un grand blanc linceul,
Se mit sur la tète une lanterne brillante ;
Attacha derrière elle une chaîne retentissante,
Et vers la droite du lac elle fut se poster.
Aux Xettes, à Ramberchamp, on ne voyait plus de clartés,
Il faisait nuit, comme dans le fond d’une chaudière.
Le vent dans la montagne erjanait[32],. beuglait des plaintes,
La chouette au fond des bois chantait un air de mort.
Au pied de la Roche-du-Cellier[33], au front menaçant et haut,
Qui n’est jamais visité que par l’oiseau des poules (buse, milan).
On entendait les flots noirs qui aboyaient à la lune.
Et la lune en courant le ciel épouvantée,
Cachait son blanc museau derrière les noires nuées.

Jean Méyon vers minuit sortit du cabaret,
Chancelant et ployant sur ses maigres jarrets.
L’eau-de-vie rend hardi ceux qui ne se soulent guère,
Mais chez les vieux ivrognes elle fait l’effet contraire,
C’est pourquoi notre grivois tressaillait au plus petit bruit ;
En passant le Grippo[34] il regardait autour de lui,
Quand tout à coup il voit à ses yeux apparaître
Un grand revenant tout blanc qui lui crie : « Arrête ! arrête ! »
Vous le pensez bien, tout retourna dans lui…
À peine s’il put dire en criant éperdu :
« Que me voulez-vous? que voulez-vous? » Vilain soulard, je veux
Que tu changes de conduite et tu vas me le jurer
Aussi bien que de faire mettre une croix au droit du lac
Qui te fera toujours ici souvenir de ton serment. »
Mèyon dit : « Je vous le jure », et ne vit plus rien que la nuit.
L’eau-de-vie dans son ventre avait éteint son feu.

Et ce ne fut pas sans mal qu’il regagna son logis.
Minette, on le devine déjà, était de retour avant lui.
Quand elle le vit s’asseoir aussi blanc que du fromage blanc,
Elle lui demanda tout vite s’il avait la colique.
« Non, dit-il, mais écoute-moi : C’est ce soir-ci la fin
De mes ribottes, c’est fini, je ne boirai plus de brandevin. »
Ce fut vrai. – Il fit graver son nom et celui de sa femme
Sur la croix qu’il fit mettre où il avait vu le fantôme.
On dit que « qui a bu boira ». Mais Jean Meyon,
Aussi bien depuis ce soir-là, cessa d’être un soulard,
Et ceux qui ne voudraient sur ma parole croire
Un fait si surprenant, aussi vrai qu’il est rare,
Une croix en pierre est là debout, pour leur prouver
Qu’une fois à Gérardmer le proverbe a menti.

Origine légendaire de Gérardmer[35]

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Les peuples de l’antiquité aimaient à entourer de merveilleuses légendes le berceau de leur enfance ; telle est la tradition de la louve qui allaita Romulus et Rémus, dont un simple élève de sixième connaît les faits et gestes dans ses moindres détails.

Sans avoir de prétentions aussi classiquement établies, Gérardmer n’en possède pas moins son origine mystérieuse. Lisez plutôt la Cinthyperléïade, ou l’oracle de Diane, poème épique en huit chants et trois mille trois cents vers. Cette œuvre poétique fut composée à la fin du siècle dernier par Philippe-Antoine de Chainel, seigneur du Château-sur-Perle, sis près des rives de la riante Vologne, entre Cheniménil et Docelles[36].

Voici la légende expliquant l’origine de Gérardmer telle que l’a conçue le poète dans sa vive imagination :

Les Titans, vaincus en Thessalie par les dieux auxquels ils avaient l’intention de ravir l’Olympe, se réfugièrent dans les Vosges. Après avoir franchi le Rhin, ils résolurent, pour assurer leur défense, d’élever à peu de distance de la rive gauche du fleuve un rempart inexpugnable. Ils formèrent ainsi la chaîne des Vosges, abrupte du côté du Rhin, en pente à l’Ouest, telles que ces montagnes existent encore aujourd’hui. Les dieux les y suivirent, les forcèrent dans leur camp qui se trouvait sur le plateau de Champdray, et les repoussèrent dans le bassin de Gérardmer où ils leur livrèrent bataille.

Les dieux et les déesses, après leur victoire, construisirent le Château-sur-Perle, et c’est la qu’ils s’assemblèrent pour juger leurs prisonniers.

Les quatre chefs des Titans : Typhon, Pélor, Hippolyte et Palibotte, furent condamnés à être enfermés à perpétuité dans des grottes souterraines, où, depuis cette époque, ils échauffent, par leur souffle brûlant, les sources thermales de Bains, Luxeuil, Bourbonne et Plombières. Les prisonniers vulgaires furent employés aux travaux de l’alimentation des forges ou des salines ; Neptune construisit les cascades des Vosges ; Eole souffla dans ses urnes et souleva une affreuse tempête qui vint fondre sur Gérardmer des quatre coins de l’horizon. Il y eut des tremblements de terre, et trois crevasses s’ouvrirent qui donnèrent naissance aux lacs de Gérardmer, de Longemer et de Retournemer. Des enfants furent métamorphosés en hurlins (petites perches des lacs), et ces poissons se sont perpétués depuis dans les eaux lacustres.

Vénus, en se baignant dans la Vologne, y donna naissance aux perles, jadis si célèbres, qu’a chantées le poète :

La Vologne, vray Gange de la Vôge,
Attiré du Prieur et la veüe et l’éloge.
Il y voit se former et les perles[37] et l’or,
Q’on trouve dans son sein, qui brillent sur son bord[38].

Le Charbonnier du Hoheneck[39]

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Il est peu d’habitants de Gérardmer qui ne tentent, au moins une fois dans leur vie, l’ascension du Hoheneck, la montagne la plus élevée des environs.

Tout en foulant l’herbe parfumée des hautes chaumes, l’excursionniste peut se faire conter par les schlitteurs la légende du Charbonnier du Hoheneck.

Voici cette légende telle que nous l’a contée, près de la Fontaine-de-la-Duchesse, un bûcheron nonagénaire, telle que l’a contée aussi, avant nous, Henri Berthoud.

C’était en 1814, en Janvier, lors de l’invasion des alliés. Un détachement de Cosaques pilla la cabane où vivait le charbonnier du Hoheneck, et tua sa mère et ses trois enfants. Il était absent avec sa femme, lors de cette catastrophe. En voyant, à son retour, ces quatre cadavres et la ruine de tout ce qu’il possédait, il voulut se venger et sauta sur son fusil. Ils sont vingt-deux, dit la femme, tu ne pourras en tuer qu’un, deux tout au plus ; laisse-moi faire, je les tuerai tous. Pendant que tu enterreras ma mère et mes trois enfants, je les vengerai.

Elle récolta, dans un panier, des légumes échappés au pillage, y joignit des racines d’aconit qu’elle alla cueillir dans les ravins du voisinage, et, se dirigeant vers le campement des Cosaques, elle fit si bien que, tout en simulant une grande peur, elle fut arrêtée par eux et conduite au poste, ou ils avaient allumé un grand feu et où on préparait à manger.

Feignant une résignation parfaite à son sort de prisonnière, elle s’offrit comme cuisinière et versa dans la marmite ses légumes.

Après quelques heures de cuisson, elle servit elle-même la soupe aux soldats, et s’esquiva aussitôt. Le lendemain, au point du jour, elle conduisait son mari sur la montagne. Il y avait vingt-deux cadavres[40] raidis par la gelée et gisants sur le sol!

Avec les armes et les munitions de ces soldats, le charbonnier et sa femme, en embuscade dans la montagne, continuèrent à venger le meurtre commis par les Cosaques.

Avant la création de la route de la Schlucht, on montrait aux voyageurs un vieux sapin qu’il a fallu abattre, et qu’on appelait le livre du charbonnier. Chaque fois qu’il tuait un soldat ennemi, il avait soin d’entailler d’une large coche le tronc de cet arbre, et l’on en comptait soixante-seize!

Les Joueurs de Boules de Fachepremont[41]

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Pendant les longues soirées d’hiver, les montagnards aiment à se réunir pour la veillée ; les hommes fument leurs pipes au coin du feu, les femmes s’occupent de travaux de lingerie. Dès que la conversation languit, les grand’mamans racontent les histoires du bon vieux temps.

En voici une que nous avons retenue de l’hiver dernier, un soir que, chassé par le vent et la neige, nous avons demandé quelques heures d’hospitalité à un brave habitant du fond de Retournemer.

« Dans le temps, commença la bonne vieille, au milieu d’un silence religieux, ma grand’mère m’a raconté l’histoire des Joueurs de Boules. Je vais vous la dire.

« C’était à Fachepremont, pays autrefois appelé les Respandises de Vespermoundt. Les femmes aimaient déjà bien de causer, et les hommes étaient de grands joueurs devant l’Eternel ; du moins, c’est grand’mère qui l’affirmait.

« C’était surtout au jeu de boules (jeu de quilles) que se passaient les soirées du dimanche ; parfois – dans la belle saison – elles se prolongeaient fort avant dans la nuit. Il arriva qu’un dimanche de la saint Jean (24 Juin), les joueurs s’étaient attardés plus que de coutume, jouant à la lueur d’un brasier. Un étranger se trouva soudain parmi eux sans qu’ils aient su comment il était venu.

« L’étranger, fort bien vêtu, avait les pieds difformes, et les mains crochues ; ses yeux étaient étranges: parfois, ils jetaient des éclairs comme des charbons enflammés. Un instant, les joueurs regardèrent avec défiance le nouveau venu ; mais comme il prôchait lo putois (parlait le patois) et qu’il proposa une partie, nos Géromhèyes l’acceptèrent comme partenaire.

« La bourse du nouveau joueur était inépuisable ; il perdit, il perdit ; on croit même qu’il lui suffisait de se baisser et de toucher les cailloux pour les changer en pièces d’or. Nos Giromhèyes ne se tenaient pas d’aise ; eux qui n’avaient jamais possédé que deux ou trois écus, en se sentant la poche pleine de louys d’or, se croyaient riches comme des princes ; le gain les rendit entreprenants ; ils firent des paris extravagants et, la chance les ayant abandonnés, ils perdirent non-seulement l’argent gagné, mais encore leur maigre boursicot.

« Ce fut au tour de l’étranger de ricaner avec un sourire diabolique et des éclats de voix qui donnaient froid dans le dos. En manière de plaisanterie, il offrit aux dépouillés de leur donner un moyen de continuer le jeu ; il compta devant chacun d’eux 20 louys d’or, et les cédait si les Géromhèyes voulaient, en échange, vendre leur âme au diable. Les pièces d’or étaient toutes erlihantes (reluisantes), c’était vraiment une tentation du démon! Cependant comme le marché était grave, les plus intrépides joueurs hésitaient ; l’étranger devenait plus souriant, plus pressant que jamais…

« Finalement, le démon du jeu l’emporta ; les pièces d’or étaient si près et le diable si loin que le marché fut accepté et les boules envoyées avec une nouvelle activité.

« En peu d’instants les Géromhèyes perdirent leur or si mal acquis, l’étranger trichait au jeu ; furieux, ils allaient se jeter sur lui, lorsque tout à coup, il frappa du pied, la terre se fendit, et il en sortit des flammes qui l’environnèrent complètement ; ses habits, disparus comme par enchantement, laissèrent apercevoir à nos joueurs terrifiés Lucifer en personne avec son corps velu, sa queue de singe, ses griffes de chat ; sa bouche enflammée et grimaçante lançait des gerbes de feu ; il disparut en leur hurlant : « Au revoir! »

« Brusquement, le brasier s’éteignit, les flammes disparurent, et nos joueurs, fous de peur, se trouvèrent plongés dans les ténèbres les plus épaisses. La chouette, au fond du bois, chantait son air de mort ; la mannihennequin traversait les airs avec son cortège infernal ; à la Beheuille et à la Roche-du-Diable on entendait le sabbat des sorciers et des crikis qui redoublait leur effroi. Le remords dans l’âme, tremblants de tous leurs membres, ils regagnèrent péniblement leurs demeures où ils rentrèrent au petit jour.

« À partir de cette époque, on ne les vit plus rire ; ils moururent tous dans l’année, atteints d’un mal mystérieux incurable ; au moment de les mettre en bière, les ensevelisseurs aperçurent, à leur grande terreur, un petit singe noir qui sortait du lit du défunt et se sauvait par la porte…

« Depuis lors les joueurs de Fachepremont sont condamnés à revenir tous les soirs, à minuit, jouer sur le lieu de leur perdition…

« De la Roche-du-Diable, on peut les apercevoir, par les nuits sombres se chauffant autour d’un brasier et roulant des boules enflammées.»

Légende du lac de Longemer

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Cette légende remonte à Charlemagne. De la fameuse Pierre qui porte son nom, le grand empereur s’en fut un jour pécher à la ligne dans le lac de Longemer. Il y prit un brochet de taille gigantesque qui fit l’admiration des compagnons du guerrier. Cette satisfaction d’amour-propre suffit à Charlemagne ; après avoir ordonné à son forgeron de placer au cou du poisson un carcan portant une clochette d’or, l’empereur rendit la liberté à messire brochet qui, disparut prestement. Depuis…il nage toujours invulnérable, avec son talisman impérial, aux plus perfides hameçons.

Le bûcheron de Martimprey

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Un bûcheron, qui avait commis un délit forestier – il y a de cela 200 ans – fut condamné par le seigneur de Martimprey à être pendu.

En homme de ressource, le bûcheron se rappela, fort à propos, qu’en vertu d’un privilège très ancien, le condamné à mort qui épousait une fille de Gérardmer avait la vie sauve.

Il demanda et obtint de tenter le choix d’une compagne parmi les jeunes Gérômoises. Ces dernières, en costume de congréganistes, un cierge à la main, vinrent défiler devant notre bûcheron, qui attendait « le hart au col » une personne de son goût.

Il en laissa passer une, deux, vingt et finalement toute la bande ; quand arriva le tour de la dernière, il se retourna vers le bourreau, et lui dit en patois du pays : « Monte me’[42]. – Monte-moi ; Pends-moi. – Elles sont trop peuttes. – Elles sont trop laides ! »

Gérardmer, station estivale

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Depuis quelque vingt ans, Gérardmer est devenu une station estivale très fréquentée ; les touristes qui viennent en admirer les sites pittoresques, tout en y respirant un air pur, sont plus nombreux d’année en année. Peut-être a-t-il tenu à peu de chose que la célébrité de Gérardmer, comme villégiature, fût devancée de deux siècles.

En 1622, Polidor Ancel, conseiller d’État et auditeur des Comptes, et Jean Lhoste, habile ingénieur et mathématicien, vinrent visiter « les lacqs de Gérardmer[43]. » Il est probable qu’à cette date aussi, le duc de Lorraine Henri II, et sa femme, Marguerite de Gonzague, Vinrent visiter Gérardmer, et que la duchesse, enchantée du pays, en demanda la possession à son mari.

Par lettres patentes[44] du 25 Novembre de la même année, le duc accorda à la duchesse Marguerite le lac de Gérardmer :

Henry, etc. Nostre très-chère et très-aymée compagne et espouse, Madame Marguerite de Gonsague, ayant désiré de se voir gratifier… du lac qui nous compète et appartient, près et au-dessus du village de Gérardmer… au pied de nos chaulmes, en nostre office et prévosté d’Arches, pour estre la contrée qui renferme le dit lac grandement délectable et se rencontrer commodité d’y bastir quelque maison de plaisance, qui soit en oultre profitable pour le nourry que l’on pourroit faire, ainsi que le lieu y est pour le tout disposé. Sçavoir faisons que, pour donner à icelle le contentement qu’elle auroit deu se promettre de nostre affection singulière envers elle, par réciprocité de celle qu’avec excès de ses bonnes volontés elle nous témoigne journellement, Nous, pour ces causes et autres bons respects à ce nous mouvans, et après qu’aurions esté deument informez de la qualité et nature du dit lac, ensemble du droict qui nous peut appartenir en iceluy, avons, pour nous et nos successeurs ducz de Lorraine, donné, concédé et transporté, donnons, concédons et transportons par cestes, tant par donnation entre vifz, pure et irrévocable, qu’à tous autres meilleurs tiltres que de droict et coustume faire se peut et doibt, à nostre dite très-chére et très-aymée espouse et compagne, Madame Margueritte de Gonsague, pour elle, ses hoirs, successeurs et, ayans cause, en tout droict de propriété et treffond, à perpétuité, ledit lac, dict et nommé vulgairement la mer de Gérardmer, ainsi qu’il se comporte et contient ; et que le ferons aborner cy-après, pour intelligence et cognoissance plus ample de l’extendue d’iceluy, affin de retrancher tous sujets de difficulté qui pourraient autrement naistre en ceste occasion à l’advenir, pour jouir de la dite donnation par nostre dite espouse, Madame Margueritte de Gonsague, sesdits hoirs, successeurs et ayans cause, comme de son propre, en disposer tout ainsi que bon luy semblera, par vente, donnation et aliénation, en faire les fruicts siens, selon qu’elle treuvera le debvoir pour sa commodité, mesmement faire changer le bassin d’iceluy de nature, si elle le juge le pouvoir faire pour utilité plus grande… Données en nostre ville de Nancy, le vingtcinquième jour de Novembre mil six cens vingt-deux.

Malheureusement, la mort de Henri II survenue deux années après (1624), les guerres qui désolèrent la Lorraine sous le règne de son successeur, ne permirent pas à Marguerite de Gonsague de réaliser ses projets de villégiature à Gérardmer, et d’établir ainsi la notoriété du pays comme station estivale.

Néanmoins, depuis bien longtemps, la beauté du pays, les nombreuses curiosités naturelles qui en sont l’ornement, attirent des visiteurs. Léopold Bexon dit à ce sujet dans son remarquable mémoire : « Les habitants sont honnêtes envers les étrangers ; il est peu de jours de l’été qu’il n’en vienne visiter cette contrée singulière, et tous ces étrangers admirent la bonté de la truite, du brochet et de la perche de ses lacs et des ruisseaux qui en coulent, ainsi que de la cuisson ; ils admirent aussi l’arrangement des maisons, la propreté de la tenue du lait, de la façon et de la conduite des fromages. »

Il y avait donc déjà des touristes en 1778, et d’habiles cordons-bleus sachant faire estimer le poisson de Gérardmer.

L. GÉHIN
Gérardmer, le 1er Août 1892.


  1. Renseignements communiqués par notre ami M. Julien Rigaud.
  2. Ancien professeur à la Faculté de médecine de Nancy.
  3. Archives des Vosges : Seigneurie dépendant de la Crosse au manuscrit de l’abbé Didelot, archives communales J.J.I.
  4. C’était la fête patronale.
  5. Mémoire de l’abbé Didelot, Archives communales J.J.I.
  6. Id.
  7. D’après l’abbé Didelot. Mémoire précité.
  8. D’après l’abbé Didelot. Mémoire précité.
  9. L’abbé Jacquel. Ouvrage cité.
  10. Vieilles Coutumes dans les Vosges. Ouvrage cité.
  11. Voici quelques-uns de ces mots patois qui viennent en droite ligne de l’allemand : Streuso, paillasse (Strohsark). – Banvoua, garde-champêtre (Bannwar). – Schouflic, terme d’injure, savetier (Schuhflicker). – Frichti, déjeuner (Frühstück). – Brancvin, eau-de-vie (Branntwein). – Schlitte, traîneau (Schlitten). – Strè, paille (Stroh). – Wandlè, déménager (Wandceln). – Kéblar, cuvelier (Kübel). – Rèhche, riche (Reich). – Stôye, étable (Stall). – Hostou, vif, turbulent (Hastig). – Seg, scie (Soege). – Kroug, cruche (Krug). – Folle, piège (Falle). – Boube, garçon (Bube). – Bire, bière (Bier). – Oeule, huile (Oel). – Sucrutt, Choucroute (Alsacien, Sürgrütt ; allemand, Sauerkraut). – Tringeld, pourboire (Tringeld). – Boc, chèvre pour traîner les tronces (Boc). – Cho, giron (Schoosz). – Fritz, Frédéric (Friedrich). – Hockè, piocher (Hacken). – Grôlè, grogner, exprimer de la rancune (der Groll, la rancune). – Prôchè, parlet (Spechen). – Vodiè, garder (Warten). – Trinquè, boire (Trinken), etc.
  12. Par l’abbé Potier, premier curé de Gérardmer.
  13. Par corruption on dit souvent digar.
  14. Gérardmer-Saison, journal local, 9. Louis Dulac.
  15. Gérardmer-Saison, journal local, 10. Louis Dulac.
  16. Procher, parler, de l’allemand sprechen.
  17. Abbé Jacquel.
  18. Cette plante est la Chelidonium majus des botanistes. Elle a mérité ce surnom populaire, parce que le suc jaunâtre qu’elle exude était employé pour combattre les maladies d’yeux.
  19. Nom syllabé du fameux Cagliostro.
  20. De ces 3 mots on trouve : coq a des os, ver n’en a pas, taupe en a.
  21. D’après un vieux montagnard, initié aux pratiques de la magie et de la sorcellerie, qui a souvent été témoin de pareilles scènes.
  22. Vieilles traditions. Ouvrage cité.
  23. À Gérardmer, on les appelle des massüe.
  24. Vallée de Cleurie.
  25. D’après des témoins oculaires.
  26. Dr Fournier. Vieilles légendes. Ouvrage cité.
  27. Dr A. Fournier. Ouvrage cité.
  28. Les Vosges avant l’histoire.
  29. Voir précédemment.
  30. Volange, Gérardmer-Saison.
  31. Niau, œuf que l’on met dans un nid pour engager les poules à pondre.
  32. Erjanè, mugissement de la vache.
  33. Rocher-du-Cellier. Montagne qui domine le lac au midi de la Villa Kattendike.
  34. Il y avait une très forte côte là où eut lieu l’apparition, et qu’on nommait le Grippe, le lieu où l’on grimpe.
  35. Gérardmer-Saison, 11. Louis Dulac.
  36. Ce château appartient à M. Boucher père.
  37. Il s’agit de la moule allongée (unio elongata), qu’on ne trouve dans la Vologne qu’au-dessous de son confluent avec le Neuné. Il y avait un garde spécial de ces perles ; en 1734, la duchesse régente accorda à Nicolas Pierron, de Fiménil, un brevet l’exemptant des charges, car il était garde des perles de la Vologne depuis trente ans.
  38. Statistique des Vosges, t.II, p. 547.
  39. Gérardmer-Saison, 7. Louis Dulac.
  40. Ils avaient été empoisonnés par le principe toxique renfermé dans la racine de l’aconit, qui est un poison violent (l’aconitine).
  41. Gérardmer-Saison, 12. Louis Dulac.
  42. Ou « Rebotte me’ haut ». Remets moi en haut – suivant une autre variante.
  43. Comptes du domaine d’Arches pour 1622. Ces deux envoyés du duc reçurent la somme de 310 francs pour frais de voyage. D’après H. Lepage.
  44. Documents rares et inédits de l’Histoire vosgienne. Tome V, p. 196. Origine: Trésor des Chartes de Lorraine. Registre des lettres patentes de l’année 1622 (B. 93. folio 224).