Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques/2e éd., 1875/Alain de lille

Dictionnaire des sciences philosophiques
par une société de professeurs et de savants

ALAIN de Lille (de Insulis, Insidensis, ma­gnus de Insulis), appelé aussi par quelques Al­lemands, Alain de Ryssel, surnomme le Docteur universel. On ne sait pas précisément le lieu ni la date de sa naissance et de sa mort, et, en gé­néral, sa biographie est fort peu connue. Casimir Oudin (Comm. de Script, eccl., t. II, p. 1388), suivi par Fabricius (Biblioth. med. et inf. latinit.), pense qu’il est le même personnage qu’Alain, évêque d’Auxerre, mort en 1203 ; mais cette hy­pothèse est combattue par Du Boulay (Hist. acad. Paris., t. II) et par l’abbé Lebœuf (Dissert. sur l’hist. de Paris), qui reconnaissent l’existence de deux Alain, tous deux de Lille ; de son côté l’abbé Lebœuf a contre lui les auteurs de l’Histoire lit­téraire (t. XIV). qui, en distinguant le docteur universel et l’évêque d’Auxerre, ne veulent pas que celui-ci ait porté le nom de de insulis. Au milieu de ces incertitudes un seul fait est positif, c’est qu’un docteur scolastique du nom d’Alain, qui vivait dans le courant du xiie siècle, a com­posé, entre autres ouvrages célèbres au moyen âge, un traité de théologie, de Arte fidei, et deux poèmes philosophiques intitulés l’un, de Planctu naturœ, sorte de complainte contre les vices des hommes, l’autre, Anti-Claudianus. On sait que Claudien, dans la satire qu’il nous a laissée contre Rufin, imagine que tous les vices s’étaient réunis pour créer le ministre de Théodose. L’auteur de l’Anti-Claudianus, se plaçant à un point de vue opposé, montre, au contraire, les vertus qui tra­vaillent à former l’homme et à l’embellir de leurs dons. Parmi les idées communes et quelques dé­tails précieux pour l’histoire littéraire que cette fiction renferme, deux pensées philosophiques peuvent en être dégagées : la première, que la raison, dirigée par la prudence, découvre par ses seules forces beaucoup de vérités, et spécialement celles de l’ordre physique ; la seconde, que, pour les vérités religieuses, elle doit se confier à la foi. Cependant, dans le traité de Arte fidei, Alain semble considérer la théologie elle-même comme étant susceptible d’une démonstration rationnelle. Il ne suffit pas, selon lui, pour triompher des hé­rétiques, d’en appeler à l’autorité ; il faut encore « recourir au raisonnement, de manière à rame­ner par des arguments ceux qui méprisent l’Évangile et les prophéties. » Partant de cette idée, il n’entreprend pas moins que de prouver tous les dogmes du christianisme à la manière des géomètres. Il pose des axiomes, donne des défi­nitions, énonce des théorèmes qu’il démontre, tire des corollaires qui servent de base à des démonstrations nouvelles, et ne s’arrête qu’après avoir parcouru tout le symbole, depuis l’existence de Dieu jusqu’à la vie future et la résurrection des corps. C’est précisément, comme on voit, le procède suivi par Spinoza ; mais au xiiie siècle application d’une pareille méthode à la théolo­gie est un fait singulièrement curieux, et qui fait peut-être mieux comprendre que tout autre les tendances nouvelles des esprits. L’ouvrage, du reste, ne renferme aucune autre idée originale. — Les œuvres d’Alain ont été réunies par Charles de Wisch, in-f°, Anvers, 1653 ; mais cette édition ne comprend pas le traité de Arte fidei. qui ne se trouve que dans le Thesaurus anecaotorum de Pcze, t. I, p. 11. Legrand d’Aussy a publié dans le tome V de l’ouvrage intitulé : Notice et Extraits des manuscrits, la notice d’une traduction fran­çaise inédite de l’Anti-Claudianus. On peut aussi consulter Jourdain ; Rech. sur l’âge et l’orig. des trad. latines d’Aristote, in-8, Paris, 1843, p. 278 et suiv., et un article étendu de l’Histoire litté­raire de France, t. XIV.C. J.