VII


premier service rendu par paolo à christine


François répondit poliment à l’adieu que lui adressèrent Maurice et Adolphe, un peu embarrassés vis-à-vis de lui depuis qu’ils savaient que M. de Nancé était son père. M. de Nancé passait dans le pays pour avoir une belle fortune ; et il avait la réputation d’un homme excellent, religieux, charitable et prêt à tout sacrifier pour le bonheur de son fils. Son grand chagrin était l’infirmité du pauvre François, qui avait été droit et grand jusqu’à l’âge de sept ans, et qu’une chute du haut d’un escalier avait rendu bossu. Quand Mme de Guibert l’engagea à dîner, il commença par refuser ; mais, Mme de Guibert lui ayant dit que François était compris dans l’invitation, il accepta, pour ne pas priver son fils d’une journée agréable avec ses amis Bernard, Gabrielle et surtout Christine. Toute la société se dispersa une heure après le départ des Sibran et des Guibert. Christine promit à ses cousins de demander la permission d’aller les voir le lendemain dans la journée.

« Tâche de venir aussi, François ; nous nous rencontrerons tous en face du moulin de mon oncle de Cémiane.

françois.

Non, Christine ; il faut que je travaille ; je passe deux heures chez M. le curé avec Bernard, et je reviens à la maison pour faire mes devoirs. Et toi, est-ce que tu ne travailles pas ?

christine.

Non, je lis un peu toute seule.

françois.

Mais la personne qui t’a appris à lire ne te donne-t-elle pas des leçons ?

christine.

Personne ne m’a appris ; Gabrielle et Bernard m’ont un peu fait voir comment on lisait, et puis j’ai essayé de lire toute seule.

— Moi, z’apprendrai beaucoup à la Signorina, dit Paolo, qui écoutait toujours les conversations des enfants. Moi, zé viendrai tous les zours, et Signorina saura italien, latin, mousique, dessin, mathématiques, grec, hébreu, et beaucoup d’autres encore.

christine.

Vraiment, Monsieur Paolo, vous voudrez bien ? Je serais si contente de savoir quelque chose ! Mais demandez à maman ; je n’ose pas sans sa permission.

— Oui, Signorina ; z’y vais ; et vous verrez que zé né souis pas si bête que z’en ai l’air. »

Et s’approchant de Mme des Ormes qui causait avec M. de Nancé :

« Signorina, bella, bellissima, moi, Paolo, désire vous voir tous les zours avec vos beaux ceveux noir de corbeau, votre peau blanc de lait, vos bras souperbes et votre esprit magnifique ; et zé demande, Signora, que zé vienne tous les zours ; zé donnerai des leçons à la petite Signorina ; zé serai votre serviteur dévoué, zé dézeunerai, pouis zé recommencerai les leçons, pouis les promenades avec vous, pouis vos commissions, et tout.

madame des ormes.

Ah ! ah ! ah ! quelle drôle de demande ! Je veux bien, moi ; mais si vous donnez des leçons à Christine, il faudra un tas de livres, de papiers, de je ne sais quoi, et rien ne m’ennuie comme de m’occuper de ces choses-là. »

Paolo resta interdit ; il n’avait pas prévu cette difficulté. Son air humble et honteux, l’air affligé de Christine, touchèrent M. de Nancé, qui dit avec empressement :

« Vous n’aurez pas besoin de vous en occuper, Madame ; j’ai une foule de livres et de cahiers dont François ne se sert plus, et je les donnerai à Christine pour ses leçons avec Paolo.

madame des ormes.

Très bien ! Alors venez, mon cher Monsieur Paolo, quand vous voudrez et tant que vous voudrez,

puisque vous êtes si heureux de me voir.
paolo.

Merci, Signora ; vous êtes belle et bonne ; à demain. »

Et Paolo se retira, laissant Christine dans une grande joie, François enchanté de la satisfaction de sa petite amie, M. de Nancé heureux d’avoir fait à si peu de frais le bonheur de la bonne petite Christine, de Paolo et surtout de son cher François ; quand ils furent seuls, François remercia son père avec effusion du service qu’il rendait à la pauvre Christine, dont il lui expliqua l’abandon. Il lui raconta aussi tout ce qui s’était passé entre elle et Maurice, et tout ce qu’elle lui avait dit, à lui, de bon et d’affectueux.

« J’aime cet enfant, elle est réellement bonne ! dit M. de Nancé ; vois-la le plus souvent possible, mon cher François ; c’est, de tout notre voisinage, la meilleure et la plus aimable. »