Français, reprenez le pouvoir !/Partie 4/Chapitre 1

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Pour moi, la fraternité est le ciment irremplaçable de la société française. Elle concrétise la solidarité qui doit nécessairement exister au sein d’une nation pour que celle-ci, au-delà du regroupement d’individus libres et égaux réunis par une culture, des valeurs et des intérêts communs, forme une réelle communauté d’affection. Elle est un « amour du prochain » sécularisé, qui confère à notre pays sa générosité et son humanisme. Elle est gage d’accomplissement moral du projet national, autant qu’un puissant facteur de cohésion, c’est-à-dire d’efficacité politique. Enfin, la fraternité est proprement indissociable de la République, dont le projet philosophique, l’utopie fondatrice de 1789, était de réaliser le Bonheur collectif, ce qui implique aujourd’hui d’assurer la dignité de chacun dans son existence morale et matérielle.

Cette exigence de fraternité qui est la mienne condamne par principe l’idée suivant laquelle la société doit se plier aux exigences du tout-puissant marché au nom d’un soi-disant réalisme. En effet, l’économisme est non seulement une idéologie qui s’habille de réalisme pour asséner une doctrine moralement inacceptable (le chômage et la précarité sont une fatalité), c’est aussi une idéologie totalement erronée (comme toutes les idéologies d’ailleurs), car elle promeut un « modèle de société » inique et déséquilibré fatalement appelé, par ses propres excès, à l’autodestruction.

C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle se rendent nombre de défenseurs du libéralisme aux États-Unis, qui s’alarment du creusement explosif des inégalités entre hauts revenus (ils n’ont jamais été aussi hauts) et revenus de la classe moyenne (ils stagnent, lorsqu’ils ne régressent pas). L’exigence républicaine de la fraternité est le remède à cet économisme destructeur. Elle implique l’obligation d’un effort de chacun, à la mesure de ses moyens et de ses capacités, au bénéfice de tous, étant entendu que la collectivité retirera un avantage plus grand que les sacrifices individuellement consentis, et que chaque membre en bénéficiera. On gagne toujours à jouer collectif lorsqu’on est une équipe. La France est une grande équipe qui doit se mobiliser pour mieux réussir.

Or, trente années de crise économique et sociale ont profondément mis à mal le modèle de développement français, au point de rompre avec l’idée de Progrès, selon laquelle il est souhaitable et possible d’assurer une amélioration continue des conditions de vie du plus grand nombre. Notre société est aujourd’hui écartelée entre différentes catégories de Français qui se jalousent, se replient sur eux-mêmes et finissent par perdre le sens de l’intérêt commun:

  •  la France des exclus, qui a perdu tout espoir en l’avenir, entretenue par une société privilégiant l’assistanat à la solidarité;
  •  la France des salariés, notamment des grandes entreprises, soumise aux appétits des actionnaires, à la folie du capitalisme boursier, à la flexibilité et au gel des salaires consécutifs aux trente-cinq heures;
  •  la France percluse de taxes et de charges, celle des petites entreprises, professions libérales, commerçants et artisans, qui travaille beaucoup et bénéficie d’une faible protection sociale;
  •  la France des fonctionnaires, sur laquelle est jeté l’opprobre public, alors qu’elle est victime d’un système administratif sclérosé qui ne récompense pas assez le mérite, l’effort et l’initiative de ses personnels;
  •  la France des fortunés, celle des capitaines d’industrie, des jeunes talents ou des sportifs de haut niveau, qui fuit le territoire national pour échapper à la fiscalité.

En définitive, chacun se jalouse là où nous devrions d’un même élan nous entraider, nous mobiliser. Au cœur de cet éclatement, se trouve la question de l’emploi. La persistance depuis trente ans d’un chômage de masse, cette « préférence française pour le chômage » pour reprendre les mots de Denis Olivennes, apporte un cinglant désaveu au « droit du travail » proclamé en 1946 et repris par la Constitution de la Ve République.

Tout a été écrit sur ce cancer social, avec lequel la France a eu le tort de vouloir apprendre à vivre: il ronge toute la société, bien au-delà de ce que peuvent en dire les statistiques, car aux 9 % de demandeurs d’emploi, il faudrait ajouter les petits boulots, les temps partiels contraints, les mises à la retraite anticipée et tous les emplois aidés.

Certes, la vie n’était pas facile par le passé. Chaque fois que je célèbre en mairie des noces d’or – cinquante ans de mariage! – les témoignages des époux surprennent toujours les plus jeunes de l’assistance: travail le samedi et parfois le dimanche, absence de vacances, cumul d’activités, logement parfois en meublé.

Mais il y a une différence fondamentale entre hier et aujourd’hui: la foi en l’avenir, en la progression des conditions, la confiance dans la capacité de la collectivité à protéger étaient des sentiments très forts qui ont disparu aujourd’hui. Il faut les rétablir.