Fragments sur la structure et les usages des glandes mammaires des cétacés/Glande mamellaire d’un fœtus de Baleine franche

Sur la glande mamellaire d’un fœtus de Baleine franche.

J’ai rappelé plus haut que j’avais clos l’année 1833 par trois lectures consécutives, les lundis 16, 23 et 30 décembre ; et là je signalai certaines imperfections de structure chez les cétacés, au moyen desquelles leurs petits étaient lancés dans d’autres arrangemens et appelés à user d’habiletés, pour s’accommoder de quelques curieuses modifications affectant le système commun des organes de lactation, mais toutefois les affectant de manière à ce que les petits cétacés pussent tout aussi bien que d’autres de leurs congénères, et, dans ce cas, par des voies et procédés différens, obtenir de leurs mères leur alimentation quotidienne de premier âge. Les lectures du 16 et du 23 ont paru dans la Gazette médicale, premier et second numéros de 1834, et celle du 30 sera donnée ci-après.

J’avais fait les dispositions les plus diligentes pour que le mémoire du 23 fût accompagné d’une planche, à laquelle il devait servir de commentaire. Cette planche ne fut point prête à temps, et elle me resta. Ce sont cette planche et une explication nouvelle, qui sont le sujet du présent écrit.

J’avais, pour une pareille œuvre à produire, j’avais, dis-je, dans l’esprit de certaines vues d’induction : et, pour en être secondé merveilleusement, j’allai procéder sur un très petit théâtre d’exploitation, me procurant cet avantage que tout m’apparaîtrait à la fois, les faits d’ensemble, comme ceux de détails. Hunter ne fut pas servi en 1787 par une aussi précieuse chance quand il entreprit de donner l’anatomie d’une grande baleine. Puis, c’est à la fois de toutes les parties de cette grande baleine qu’il s’occupa, et moi, tout au contraire, j’en vins à concentrer mon attention sur un seul appareil, sur la glande mamellaire, dont, en raison de ses très petites dimensions dans un fœtus, je ne devais, certes, nullement méconnaître les curieux rapports quant à ses diverses parties.

Ajoutons que c’est aussi une chose bien différente que d’écrire sur l’organisation des animaux en 1833 ou en 1787, et qu’aujourd’hui les progrès de la science, riche d’expériences et de principes, portent à des prévisions de recherches qui avaient manqué en 1787 à Hunter. L’anatomie humaine formait alors le type auquel toutes les études sur les animaux étaient ramenées. Ce grand maître voyait bien dans quelle mesure existaient des différences ; mais il cédait à l’usage de son temps de les négliger en application, n’y cherchant point encore un principe commun et dominateur, le caractère d’exister les unes en vue des autres. Une telle négligence de ces rapports, qui révèlent cependant les moyens d’une parfaite coïncidence d’harmonie, forme l’une des brillantes conquêtes de l’esprit humain dans l’époque actuelle.

Si donc je rappelle ces idées générales qui témoignent de l’état, de premier âge et de l’impuissance ancienne de la science, c’est que je crains que des remarques que j’aurai à produire sur les travaux anatomiques de Hunter, en ce qui concerne l’anatomie des baleines, ne soient attribuées à l’intention de rabaisser le mérite de l’illustre anatomiste de l’Angleterre. Nulle gloire au contraire ne fut plus grande ni plus légitime en 1787 que la sienne, car il fit véritablement preuve de tout le talent possible alors.

Toutefois en ce qui regarde les organes d’alimentation des petits, on est forcé d’admettre l’influence des temps. Hunter a vraiment disséqué et a écrit sous la prévention que, à part les différences de volume, chaque sorte d’organe répétait la même structure que chez la femme : ainsi il aurait fait mention de choses nouvelles, en n’en comprenant pas l’importance, et en n’insistant nullement sur leur caractère de nouveauté. Ceci explique comment le travail de Hunter n’a pas retenti dans la suite, et comment il n’a inspiré ni Camper, ni Cuvier, qui se trouvaient cependant dans l’obligation de traiter des mamelles des cétacés, et qui n’eussent pas manqué de poursuivre et d’étendre les découvertes du maître leur prédécesseur.

Mais ce n’est pas le moment de dire quelles difficultés devaient être surmontées pour comprendre, conformément à leurs données cétacéennes, l’état spécial des organes, et pour y trouver un fait d’influence de l’essence du milieu environnant. Je l’ai fait le 11 mars dernier dans un mémoire ad hoc. Je reviens à l’objet du présent écrit, l’explication de ma planche d’un fœtus de baleine.

Une fatalité s’était attachée à mes plans de recherches. La science était muette dans ses livres, et elle était aussi privée d’utiles matériaux dans les dépôts ou collections publiques que je n’avais pas manqué d’aller compulser, attendu qu’une dissection bien faite contient déjà les élémens d’un bon mémoire. Je fus huit mois en quête de sujets ; et ce fut inutilement que M. le docteur Jules Guérin me ménagea à Dieppe les soins d’une maison de commerce. Devais-je dans ces circonstances m’attendre que ce désappointement cesserait aussi singulièrement, et que ce serait pour une observation sur les baleines que je commencerais ma série de recherches ? Cela fut cependant ainsi.

Un jeune officier de santé, M. Roussel de Vauzème, arrivait de voyage et d’une expédition contre les baleines. Il en rapporta dans l’alcool un baleineau à l’état de fœtus et du sexe féminin.

Ce jeune savant devait employer ce fœtus pour des recherches anatomiques, qu’il est fort en état de suivre et de rendre très intéressantes. Je pensai donc qu’avec de tels projets il se montrerait très difficile sur une demande que je lui adressai, sur mon désir de consulter sa pièce. Il y acquiesça au contraire, et je ne lui en dois que plus de reconnaissance. Je le prie d’agréer mes bien vives actions de grâces de ses procédés singulièrement bons et gracieux.

J’ai donc saisi avec empressement cette occasion de donner à la science l’information et le dessin qui y étaient désirables alors. Je ne connais de figuré qu’un bout de sein de baleine par Ruisch, circonstance signalée par M. Dumeril dans un rapport qu’il fit le 7 avril dernier à l’Académie des sciences. J’aurai plus tard à prévenir contre une chance d’erreur à y venir puiser, puisque, donné par Ruisch pour tout l’organe mamellaire, ce bout de sein ne représente que la neuvième partie de l’organe.

Tout cet organe dans son état de premier âge[1] est apparent dans ma planche où je l’ai seul représenté de grandeur naturelle. Les proportions de chaque chose sont donc visuelles ; je les exprime toutefois en chiffres et paroles comme il suit :

Fig. I. Longueur de la fente vulvaire, Lett. C, — 15 lignes ; plus loin et en arrière est l’anus B : sa largeur est de 1 à 2 lignes ; la distance de l’extrémité de la vulve de 3[2]. Vers le haut et dès la naissance de la vulve apparaît le clitoris, saillant surtout à son sommet, et que nous avons vu excéder ici et sortir de 3 lignes. Enfin, vers l’un et sur l’autre côté de la vulve et à la distance de 5 lignes, existe un méat de sécrétion de forme ovalaire et sans grande profondeur.

La peau se voyait déjà épaisse et lardacée dans ce sujet à l’état fœtal. Mon jeune ami, M. Martin Saint-Ange, a fait la dissection, ayant bien voulu m’aider à la fois et de son scalpel et de son crayon, et justifiant là ce que ses importans travaux ont fait connaître de lui, qu’il réunit dans le même degré les deux mérites du savant et de l’artiste.

Cette première figure que j’examine se compose de deux plans, l’un superficiel (couche abdominale externe), et l’autre profond (couche intrà-musculaire) : elle représente un morceau coupé carrément où sont visibles en dehors les parties ci-dessus énumérées. Les glandes FF sortent de dessous les lames superficielles pour gagner la région ombilicale. Elles apparaissent sous la forme d’un champignon écrasé, ayant une tête renflée et arrondie. Un pédicule plus large en haut et plus étroit en bas arrive au méat excréteur. Notre discrétion nous a interdit d’aller vérifier si un canal existait à l’intérieur : c’est présumable. Le débouché de chaque glande arrive alors au méat, lett. E. Ce qu’on y voit, c’est uniquement une fente peu profonde : rien là ne porte à l’esprit l’idée d’un bout de sein ; mais c’est une partie non développée qui existe chez un être appelé à bien d’autres développemens. Qu’on veuille prendre la peine de consulter l’épaisseur du pourtour du parallélogramme, fig. I, et on jugera par là de celle de la peau elle-même.

Fig. II. L’on a fait une section le long du méat mamellaire et mis à nu la glande située dessous. L’on a été jusque sur la glande elle-même, c’est-à-dire que l’on a fendu les aponévroses, en dedans desquelles elle se trouvait abritée et renfermée. Ainsi sa tête renflée est là apparente avec un entourage en manière de bourse. De nombreux vaisseaux se ramifiaient à la surface, et généralement tout passait à l’aspect d’une glande de pancréas.

Les lettres renvoient comme il suit :

AA, le derme ; BB, ligne d’opération et rejet à droite des tégumens détachés ; C, épaisseur de la peau lardacée ; D, portion, vue extérieurement de la bourse, renfermant la glande ; E, la glande recouverte de ses vaisseaux, et F, coupe sur la bourse à parois charnues extérieurement.

Ce qui m’a apparu dans cet arrangement, c’est que la glande a profité des parois réciproquement affectées aux muscles, les uns situés au devant des autres, pour s’intercaler dans leurs intervalles, et y prendre son assiette. Les parois de la bourse apparentes autour d’elle sont les aponévroses de ces muscles, et la détermination de ceux-ci n’offrait rien d’équivoque. Les fibres répandues sur la couenne de lard forment un fort muscle peaussier, et plus profondément sont de longues portions des muscles abdominaux. La glande est donc renfermée dans un véritable manchon musculaire.

Le professeur d’histoire naturelle de Tubingue, G. Rapp, a parlé de quelque chose allant à cet arrangement ; c’est dans un travail assez étendu, qu’il a placé dans les Archives de physiologie alors dirigées par Meckel, cahier de décembre 1830. Ce savant professeur a très bien reconnu la disposition des muscles et jugé de leurs usages, attribuant à ces muscles le pouvoir d’éjaculer le lait.

Je crois toutefois que je conserve la priorité sur lui quant à cette curieuse circonstance ; vraie et importante découverte en raison du caractère et de la puissance d’intervention de ce service. On en jugera d’après l’allégation suivante :

J’aurais en effet le premier annoncé le pouvoir des mères, d’éjaculer les fluides contenus dans leurs glandes mammaires, et d’y pourvoir par un acte spontané, décidément voulu par elles, et de plus providentiel. Cet acte retire l’activité au petit pour le reporter de fait à sa mère, et il devenait par ce croisement de relations une des nécessités du développement de l’organisation des êtres marsupiaux, attendu qu’il arrive à leurs fœtus suspendus aux tétines d’être déjà des sujets esquissés sans qu’ils possèdent pourtant des organes achevés, ceux surtout employés dans le phénomène de la succion. Ce pouvoir d’éjaculation du lait chez les mères, ce pouvoir correcteur d’une première imperfection, je l’avais déjà vu et constaté en 1827. Ce fut sur un exemplaire qui me fut remis par le médecin de la marine, M. Busseuil, homme aimable, enjoué, et possédant aussi une très solide instruction. Il arrivait d’un voyage autour du monde, exécuté sur une corvette de l’état, la Thétis, laquelle avait été commandée par le digne fils du célèbre Bougainville.

Ce fut dans le Kangurou que je découvris ce point si curieux d’organisation. La glande mammaire n’est pas entièrement entourée de fibres musculaires, ce qui est le cas des Cétacés et des Monotrêmes : c’est toute la surface externe de la glande qui s’en trouve recouverte. Des digitations musculaires viennent aider à la compression de l’organe et au jet des fluides. Cette sorte de muscle choanoïde m’a paru tellement remarquable, que j’en ai joint la figure à mes planches alors en publication, destinées à l’étude des organes sexuels de l’ornithorinque. (Voyez Mémoires du Muséum d’histoire naturelle, texte page 48, et planche ii.)

Fig. III. Le fœtus de M. Roussel de Vauzème portait un long cordon ombilical ; j’ai cru y apercevoir quelque chose de plus compliqué qu’aux cordons analogues des autres mammifères, et j’en ai séparé une tranche, qui est ainsi devenue le sujet de ce no 3. AA désigne le derme du pourtour, BB les deux artères, CC les deux veines, D’un grand sinus veineux, et E le sillon qui se voit près l’artère surnuméraire.

Fig. IV. Ce numéro est étranger à la baleine ; il représente dans un grand état de confusion une partie mamellaire d’un dauphin. Telle était sur la fin de 1833 la pauvreté de mes sujets d’observation, que je recourais aux moindres lambeaux. Or c’était une pièce dans un état à mériter ce nom que j’ai pu extraire d’un des bocaux de notre collection d’anatomie. J’ai souhaité voir au fond du sillon mamellaire et arriver sur la tétine qui devait s’y trouver. L’ardeur de ma recherche fut récompensée à quelques égards ; car, bien que les parties se trouvassent racornies et résistantes sous le doigt en raison de leur long séjour dans l’alcool, il me fut pourtant possible d’y vérifier le fait annoncé en 1681 par Jean-Daniel Major, et d’y rencontrer la circonstance que ce prétendu bout de sein n’était point terminé en tête d’arrosoir, eu égard au grand nombre de ses issues de sécrétion comme chez les vrais mammifères, mais que c’était un canal avec un large et unique pertuis, lequel répondait à la pensée de Major exprimée par ce redoublement d’insistance : Quod curiositatem magis, magisque augebat, hæ glandulæ stylo permeabiles erant.

Voilà ce que j’ai tenu, contre l’avis de M. le docteur Martin Saint-Ange, à faire représenter, et ce qui n’a pu être fait que très obscurément. Nous comptions donner une coupe de l’appareil, c’est-à-dire la coupe du prétendu bout de sein et définitivement la vue de son canal intérieur. La planche, pour comble d’accident, a craché en noir, expression des lithographes, et le résultat de cet effort est devenue une chose insignifiante.

Cependant cela prouve un fait, ce sont mes tentatives ardues pour aller déterrer jusque dans d’assez misérables débris des renseignemens nécessaires à l’exposition des faits. Or, ce zèle constant pour la recherche de la vérité, n’est-ce pas cela que l’on serait venu encore me contester durant la dernière discussion que l’on m’a suscitée ? Mais laissons dire : le public n’accorde d’estime qu’au vrai des choses, et je me confie dans cet avenir.












  1. La figure iv n’en fait point partie.
  2. Dans les Delphinus, la fente vulvaire se prolonge jusqu’à s’étendre sur l’anus même.