)
Boehme et Anderer (p. 72-75).



GOOD-BYE


Cairo, farewell !
I love thee well !


C’est l’été ; nous partons pour la rose Syrie
Bercés sur les flots bleus ;
Que l’hélice se presse et que l’azur nous rie
Des lointains fabuleux !

Nos cœurs sont tout heureux d’espérances promises
Et gonflés de plaisir,
Devant nos yeux pensifs des visions exquises
Passent, fleurs de loisir.

Mon Caire est déjà loin, pays multicolore,
Comme un rêve passé ;
J’emporte son amour, comme une douce aurore,
Dans mon cœur délaissé.


Le train, un tourbillon qui trébuche et qui danse
Sur le bien-aimé sol,
Qui se disperse vague en la lumière dense
Et se perd comme un vol !

Je ne garde de toi, changeante Alexandrie,
Que l’odeur du départ :
Celle des paquebots amassés en série,
Des marins étendards,

Des barques, du goudron, d’amer et de coquilles
Et de large salé ;
Mais toi, Guide Nocturne, ô son Phare, tu brilles
Dans mon rêve étoilé !

Partons, partons toujours, les voiles déployées,
Nous sommes attendus !
L’homme est partout chez lui : aux terres éloignées,
Aux coins les plus perdus.

Mon cœur ne songera qu’à ses kiefs uniques,
Oh ! les jours de repos
Où l’on ignorera les crimes politiques,
Les dires des journaux,


Les sentences de mort… oh ! les horreurs humaines !
Pensant au meurtrier
Je sens mon cœur tordu de spasmes et de haines,
D’horreur et de pitié !

N’est-ce pas leur destin (mystère pour tout homme
De toute éternité)
De mourir tous deux, l’un innocent, l’autre comme
Sa fin piteuse était… ?

Hélas ! la vie est courte, à quoi bon la bataille,
Le crime et la prison ?
Le temps est abrégé pour jeter la semaille
Et faucher la moisson !

Hommes, le savez-vous, le savez-vous que naître
Est mourir à moitié,
Et que chaque naissance apporte un pâle spectre
Vers le gouffre plié… ?

Aimez, faites le bien, utilisez votre âme
Au service du Beau ;
Votre vie en sera la sainte et douce flamme
Éclairant le tombeau.


… Partons, oublions tout, vivons dans le vertige
Et dans l’illusion…
Flots, exercez sur moi votre aimable prestige,
Portez-moi vers Sion !

Flots, reconnaissez-moi ! c’est votre jeune amante
Qui penche sur vos fronts
Son front mat, rêveur où la Chimère dormante
A placé ses rayons…

Flots, reconnaissez-moi ! je baise vos épaules,
(Attouchement moelleux !)
Qui portent mes rêves, pleureurs comme les saules,
Vers les horizons bleus !

Un pleur intérieur qui jamais ne s’achève
Glisse sur mon émoi,
« Une aile de jeunesse et d’amour me soulève »
Et me porte vers Toi !