Hachette (p. 36-39).


SUZANNE


Le Louvre, vous le savez, est un musée où l’on conserve de belles choses et des choses anciennes :



on a raison, car la vieillesse et la beauté sont également vénérables. Or, parmi les antiquités les plus touchantes du musée du Louvre, il est un morceau de marbre usé et rompu en beaucoup d’endroits, mais sur lequel on distingue nettement encore deux jeunes filles qui tiennent à la main chacune une fleur. Ce sont deux belles personnes : elles étaient jeunes dans la jeunesse de la Grèce. C’était, dit-on, l’âge de la beauté parfaite. Le sculpteur qui nous laissa leur image les a représentées de profil, se présentant l’une à l’autre une de ces fleurs de lotus que l’on disait sacrées. On respirait dans leur calice bleu l’oubli des maux de la vie. Nos savants se sont beaucoup occupés de ces deux jeunes filles. Ils ont consulté à leur sujet beaucoup de gros livres, reliés les uns en parchemin, d’autres en veau, et

plusieurs en peau de truie ; mais ils n’ont pas su pourquoi ces deux belles jeunes filles élevaient une fleur dans leur main.

Ce qu’ils n’ont pu découvrir après avoir travaillé, médité, sué, pâli, mademoiselle Suzanne l’a trouvé tout de suite.

Son papa l’avait menée au Louvre, où il avait affaire. Mademoiselle Suzon regardait les antiques avec surprise et, voyant des dieux à qui il manquait les jambes, les bras, la tête, elle se disait en elle-même : « Ah ! ah ! ce sont là les poupées des messieurs, et je vois que les messieurs cassent leurs poupées comme font les petites filles. » Mais quand elle passa devant les deux jeunes filles qui tiennent une fleur, elle leur envoya un baiser, parce qu’elle les trouvait jolies.

Son père lui demanda alors :

« Pourquoi s’offrent-elles l’une à l’autre une fleur ? »

Et Suzanne répondit aussitôt :

« Pour se souhaiter leur fête. »



Puis, ayant réfléchi un moment, elle ajouta :

« Leur jour de fête est le même, elles sont toutes les deux pareilles et elles s’offrent la même fleur. Les amies devraient avoir toutes le même jour de fête. »

Maintenant Suzanne est loin du Louvre et loin des vieux marbres ; elle est dans le royaume des oiseaux et des fleurs. Elle passe dans les champs, à l’abri des bois, les jours clairs du printemps. Elle joue dans l’herbe, et c’est le plus doux jeu. Elle songe que c’est aujourd’hui la fête de son amie Jacqueline, c’est pourquoi elle va cueillir des fleurs qu’elle donnera à Jacqueline avec des baisers.