Edouard Garand (p. 13-16).

VI

La veillée des adieux.


M. Hartley, sa femme et son fils avaient pénétré dans le « living-room », pièce spacieuse, décorée avec un goût un peu sévère, éclairée par huit candélabres électriques et un lustre en bronze suspendu au centre de la pièce. Deux cheminées chauffées au gaz y répandaient une bonne chaleur.

Après avoir choisi un journal sur un guéridon, M. Hartley s’était allongé sur un sofa placé devant l’un des foyers, puis avait allumé un cigare.

Le jeune homme s’était jeté dans un fauteuil, au milieu du living-room, et il fumait lentement une cigarette avec un sourire aux lèvres.

Mme Hartley allait ça et là, déplaçant un divan, dérangeant un fauteuil, arrangeant des coussins, comme si elle se fût préparée à recevoir.

En effet, au moment où une horloge sonnait huit heures, un domestique vêtu de noir, raide et compassé, parut annonçant Mme Foisy et Mlle Gabrielle.

— Où sont ces dames ? demanda Mme Hartley.

— Dans le Hall, madame.

— Je vais à leur rencontre.

Le serviteur, en domestique stylé, s’inclina devant la maîtresse de la maison et sortit sur ses pas.

Le jeune M. Hartley se leva et se dirigea vers un fumoir voisin.

— Pourquoi t’en vas-tu, James ? demanda M. Hartley en levant les yeux de son journal.

— Mon Dieu ! parce que cette madame Foisy m’ennuie à m’assommer.

— Mais la fille ? sourit M. Hartley.

— Gabrielle ? fit le jeune homme avec un hochement de tête dédaigneux, elle m’éreinte avec ses balivernes et ses niaiseries.

M. Hartley toussa, fuma et reprit la lecture de son journal.

Le jeune M. Hartley traversa le living-room, pénétra dans le fumoir et ferma la porte sur lui.

L’instant d’après, Mme Hartley revenait suivie de Mme Foisy et de Mlle Gabrielle.

Mlle Gabrielle était une grande fille ni jolie ni laide, un peu maigre, avec un visage au teint mat et des traits réguliers, avec des cheveux châtains. Elle avait de très beaux yeux, noirs, grands, pleins de rires et abrités sous de long cils qui en voilaient un peu l’éclat. Son rire était éclatant, son sourire sur des lèvres fraîches était dédaigneux comme celui de sa mère. Son maintien était très relâché et sa démarche très nonchalante. Assise, elle était très agitée : en dix minutes elle prenait dix postures différentes. Elle croisait facilement une jambe sur l’autre en quelque société qu’elle se trouvât. On aurait pu l’appeler avec justesse « Mademoiselle Sans-gêne ». Sa tête était une véritable girouette, marchant sans cesse, tournant de droite à gauche, de gauche à droite, reluquant ceci, reluquant cela, dévisageant, détaillant, toisant… Puis elle s’étirait, bâillait, souriait, bavardait, disait les plus grosses balourdises, en riait aux éclats, prenait un air grave ou boudeur, rougissait ou pâlissait pour un peu ou pour un rien… Si bien qu’il était impossible de démêler le moindre des sentiments qui s’agitaient dans l’esprit de cette fille. Pour tout dire, c’était un froufrou continuel et insaisissable. Sa mère l’adorait… cela se comprend. Et commit-elle une gaucherie, cette Gabrielle, ou fit-elle une grosse étourderie, Mme Foisy souriait avec ravissement. Parfois, elle reprenait bien sa fille avec un air très sévère ; mais cela voulait dire le plus souvent pour Gabrielle :

« Continue, chérie, tu es un charme » !

Et Gabrielle continuait tant et si bien qu’elle eût fait rougir l’excellente Duchesse de Dantzig. Ensuite, Gabrielle ne parlait qu’anglais, même dans les réunions exclusivement françaises. C’est la manie que possèdent bien d’autres de nos compatriotes, manie acquise par une admiration inexplicable de la langue anglaise, une admiration à ce point excessive que ceux qui sont atteints, comme cette Gabrielle, de cette maladie, en arrivent à oublier où à mépriser leur langue maternelle. Aussi, se rendent-ils eux-mêmes méprisables aux yeux des gens sensés, comme les Hartley, qui, tout en parlant correctement la langue française, n’avaient jamais songé à abandonner la langue de leurs ancêtres. Car ces Hartley savaient que tout homme qui abandonne sa langue, renie sa patrie, et tout homme qui renie sa patrie… Mais passons !

Donc, ce soir-là, en pénétrant dans le living-room, la première parole de Gabrielle, avant même de saluer M. Hartley qui s’avançait avec une courtoisie parfaite, fut cette question faite avec le sans-gêne naturel de cette fille :

— Comment, James n’est-pas là ?

— Il est au fumoir, je crois, répondit M. Hartley en offrant sa main à la jeune fille.

— Au fumoir ?… Bon. Comment ça va ? Et elle secouait la main de M. Hartley avec un grand rire.

Puis, sitôt dit, elle faisait volte-face, se dirigeait vers le fumoir, ouvrait brusquement la porte et s’écriait :

Well, my boy, how do you do ?

Puis elle échappait un éclat de rire strident.

— Pourquoi ris-tu si fort ? voulut réprimander Mme Foisy.

— Pourquoi, maman ? Parce que je viens de saluer un absent. Et elle se mit à appeler :

James ! James ! where are you, nasty fellow ?

Puis elle referma brusquement la porte qui claqua.

— Je pense, dit M. Hartley, que James est allé à son club.

— À son club ? s’écria Gabrielle comme outragée. Quelle impolitesse ! Où est-ce son club ?

— Tu n’iras pas, j’espère, le relancer jusque là ? dit Mme Foisy.

— Pourquoi pas ? Est-ce qu’on n’avait pas promis de venir le saluer avant son départ pour Yale ?

— Qu’à cela ne tienne ! sourit Mme Hartley, vous le verrez certainement ce soir, Gabrielle. James ne peut être allé à son club que pour un moment, une petite affaire à régler, que sais-je ?

— Ah ! bien, le voilà ! s’écria tout à coup Gabrielle. Et rapidement elle s’élança vers la personne qui venait de paraître. Mais elle s’arrêta court devant le serviteur qui annonçait :

— Monsieur et madame Hibbard !

Gabrielle fit une grimace, pirouetta et s’en fut s’asseoir près de sa mère.

M. Hartley et Mme Hartley s’avançaient vivement vers les nouveaux venus.

M. Hibbard était un très long et très maigre personnage, sans cheveux, sans barbe, sans moustache, d’une figure longue comme un carême, hâve et famélique. Il était vêtu d’un complet tout noir, portait le col romain et ses longues jambes étaient emprisonnées dans de longues jambières. M. Hibbard était un clergyman.

Petite, grassette, souriante, à l’allure vive, blonde et grisonnante, telle était Mme Hibbard, l’épouse du digne clergyman.

À peine les salutations furent-elles faites que de nouveaux visiteurs furent annoncés.

Il y avait Mme Burnham et son fils, Conrad, qui allait accompagner le jeune Hartley à Yale. Puis, Cox & Son, banquiers, père et fils. M. Cox était veuf, et son veuvage paraissait lui être un supplice. C’était un gros homme, court, bien gras, bien rouge, très jovial. « On disait » qu’il avait des vues sur Mme Foisy, bien que ces vues n’eussent pas encore été exprimées ouvertement et publiquement. Le fils Cox était un garçon de 25 ans, de taille moyenne, ni long ni court, avec une tête rousse, un visage parsemé de points de rousseur, et pas beau du tout. Tiré à huit épingles, garni de diamants, l’air empesé et précieux, ce garçon sentait de très loin la suffisance et l’insignifiance. Il ne savait que prendre des poses… et quelles poses ! Il parlait peu par manque de savoir causer ; mais s’il se hasardait à dire quelque chose, c’était une sottise. « On disait »… sur le compte de ce dernier qu’il en tenait pour Mlle Gabrielle !

Or, tout ce monde s’était réparti en trois groupes : les vieux messieurs d’un côté, pour causer affaires et argent ; les vieilles dames de l’autre, pour jalouser les jeunes ou se plaindre de leurs maris ; les jeunes, c’est-à-dire M. Cox, fils, le jeune Burnham — petit jeune homme agité, bavard et fat — et Mlle Gabrielle formaient le troisième groupe.

La conversation était devenue générale, mais le verbe hautement timbré de Gabrielle et ses immenses éclats de rire dominaient.

Entourée du jeune M. Burnham, toujours porté aux galanteries souvent osées, mais qui ne déplaisaient guère à Gabrielle, et du précieux M. Cox, fils, qui parlait peu, riait peu, bougeait peu, mais qui, d’autre part, dévorait beaucoup Gabrielle de ses yeux jaunes et stupides, — la jeune fille, ainsi entourée se trémoussait de plus en plus.

Un peu plus tard, M. Burnham, par simple courtoisie, avait demandé à la jeune fille un petit morceau de musique.

Celle-ci s’était mise à rire, puis avait répondu :

— Pour vous plaire…

Et elle était allé au piano, en avait fait jaillir quelques plaintes, puis s’était défendue de ne se rappeler rien, et bien vite était revenue s’abandonner aux galanteries du jeune M. Burnham et aux regards dévorants de M. Cox, fils.

De temps à autre Gabrielle lâchait une grivoiserie qui mettait sur le masque du clergyman une grimace, et un sourire sur les lèvres de Mme Foisy.

Enfin, deux autres personnages firent leur apparition : Mme Renaud et sa nièce. Oui, Lucienne traînée comme une martyre dans un milieu pour lequel elle n’était pas faite et qui l’écœurait.

Les conversations s’arrêtèrent aussitôt.

M. et Mme Hartley déjà s’empressaient auprès des nouvelles venues.

Des regards d’admiration du côté masculin saluèrent l’arrivée de la jeune fille ; des regards d’envie ou de dédain du côté des dames.

Gabrielle parut enchantée de voir Lucienne. Sans se soucier des jeunes messieurs, elle s’élança vers l’orpheline, lui sauta au cou et la couvrit de caresses folles.

Sans l’entrée d’un nouveau personnage, il est probable que Gabrielle n’aurait pas donné à Lucienne le loisir de saluer les distingués visiteurs de M. Hartley. Et ce nouveau personnage n’était autre que le jeune M. Hartley qui venait d’apparaître dans la porte du fumoir. Les regards du jeune homme s’étaient arrêtés de suite sur la charmante physionomie de Lucienne, qui lui adressa un sourire gracieux. Car, disons-le, Lucienne, traînée à la remorque de sa tante, contre fortune tachait de faire bon visage.

Mais déjà Gabrielle, en trois sauts, avait franchi la distance qui la séparait du jeune M. Hartley, et elle criait :

— Ô James ! ce cher James !… Eh bien ! tu en fais de belles, toi ? On vient te voir, et tu t’esquives sans façon ! On ouvre la boîte (elle désignait le fumoir), et pas de bonhomme dedans ! Étais-tu fourré sous un meuble ? Good Heavens ! est-ce que nous voulons maintenant nous cacher de notre grande Gabrielle… de notre petite Gaby ? Te fait-elle si peur que ça ? Non ? Mais alors, pourquoi se sauver d’elle ? Où étais-tu, James, puisque je veux, la prochaine fois, trouver la cachette ? Ha ! ha ! ha ! poor boy ! Come along !…

Et Gabrielle, ayant débité tout ce méli-mélo, et continuant de bavarder à tort et à travers, riant, criant, gesticulant, cherchait à entraîner le jeune Hartley de vive force.

Elle répétait sans cesse :

Come along ! come along !

Le jeune M. Hartley, plus rouge que la crête d’un coq, parvint à se dégager de l’étreinte de Gabrielle et dit d’une voix troublée par la confusion :

— Mademoiselle, si vous voulez, j’irai saluer ces dames et ces messieurs.

— Mais sans doute, certainement, donnez-moi votre bras, je vais vous présenter, cher monsieur Hartley. Mais venez donc !

Comme le jeune M. Hartley résistait encore, Gabrielle appela :

— Lucienne ! Lucienne ! viens donc m’aider à faire marcher ce mannequin !

Il y eut de petits rires ça et là.

Le clergyman prononça avec effort :

Terrible girl !

Lucienne, sans répondre à l’appel de Gabrielle, prit place sur une causeuse où était assise Mme Hartley.

M. Hartley fit signe à son fils de céder à Gabrielle, afin de faire cesser une scène qui devenait disgracieuse.

Le jeune homme obéit. Il se laissa conduire, ou mieux il se laissa entraîner vers Lucienne.

C’est à ce moment surtout qu’il put juger de la distance qui existait entre ces deux jeunes filles ! Oui, quelle différence entre cette Gabrielle débraillée, bohème, et la parfaite tenue de Lucienne ! Lucienne… quel charme dans toute sa physionomie ! Quelle grâce dans son sourire ! Quelle délicatesse dans sa conversation. Quelle distinction modeste et simple dans ses gestes ! Cela était si frappant que Mme Foisy se voyait forcée de se l’avouer à elle-même, mais avec une jalousie qui la faisait verdir.

Pendant une demi-heure la conversation roula sur l’importance de l’instruction à donner aux jeunes hommes, sur les avantages immenses qu’offre la fréquentation des universités étrangères, sur les talents particuliers du jeune M. Hartley comme sur ceux du jeune M. Burnham. Et à part quelques espiègleries de Gabrielle — espiègleries qui ne manquaient pas de faire rouler de gros yeux au long et maigre clergyman — tout se passa dans les meilleures convenances.

Puis Lucienne fut priée de chanter, car on savait qu’elle chantait bien. Elle accepta de bonne grâce. Elle accepta également, et avec un sourire gracieux, le bras que lui offrit le jeune Hartley pour la conduire au piano.

Un silence absolu se fit, tous les regards s’attachèrent curieusement sur le jeune homme et la jeune fille, puis toutes les oreilles demeurèrent dans l’attente. La nièce de Mme Renaud venait d’essayer les touches d’ivoire, et le jeune M. Hartley, debout, accoudé à l’instrument regardait la jeune fille avec une admiration que toute l’assemblée pouvait facilement saisir. Parmi les visiteurs quelques coups d’œil s’échangèrent et Mme Foisy profita de cette circonstance pour se pencher vers sa fille et lui murmurer à l’oreille cette recommandation :

— Gaby ! fais en sorte qu’ils ne se trouvent pas seuls… Du regard elle indiquait Lucienne et le jeune Hartley.

Un sourire entendu glissa entre les lèvres de Gabrielle, et elle répliqua :

— Je suis là maman… je te garantis qu’il ne se prendront pas même le bout du petit doigt !

Mme Foisy sourit avec satisfaction.

À cet instant, Lucienne commençait les premières paroles d’une romance. Elle chanta avec un accent de tendre mélancolie qui toucha surtout Mme Hartley et son fils. Et quand résonnèrent les derniers accords, toute l’assistance applaudit vivement.

Gabrielle, sincèrement ou non, multiplia les battements de mains, se pencha de côté et d’autre pour s’assurer qu’elle était remarquée et elle oublia la recommandation de sa mère. Et quand les paroles de Mme Foisy lui revinrent à l’esprit, elle comprit qu’il était trop tard, et que, peut-être, tout un drame venait de se jouer entre la nièce de Mme Renaud et le jeune Hartley.

En effet, celui-ci, au moment où les applaudissements éclataient, incapable de résister plus longtemps aux désirs ardents qui le brûlaient, s’était soudainement penché à l’oreille de Lucienne et avait dit à brûle-pourpoint :

— Lucienne, je vous aime !…

De suite il était revenu à sa posture d’avant, tout pale, très agité, et comme épouvanté d’une audace dont il ne s’était jamais cru capable.

À cette déclaration inattendue, Lucienne avait tressailli, rougi violemment et perdu son sourire.

Gabrielle avait saisi ou deviné tous les fils de ce petit drame, elle en avait comme perçu toutes les émotions qui avaient un moment secoué les deux acteurs ; et à l’instant où le jeune M. Hartley se demandait avec angoisse ce que Lucienne allait répondre, Gabrielle, pour étouffer les rugissements de colère qui grondaient en elle, saisit une main du jeune M. Burnham, une main du fils Cox, et comme soulevée par un coup de vent, elle s’élança dans une course furibonde vers Lucienne et Hartley, entraînant ses deux « finfins » et criant de tous ses poumons :

— Bravo ! Lucienne… bravo ! encore… encore…

Et pour mieux écarter le jeune Hartley, Gabrielle jetait presque sur les genoux de Lucienne ses deux gardes du corps, disant :

— Au fait, tu ne connais pas M. Burnham et M. Cox, mes amis. Je te les présente… ils sont très gentils…

Et aussitôt — car elle s’imaginait avec raison peut-être qu’il ne lui fallait pas perdre une minute — elle pivota vers le jeune Hartley avec lequel elle se trouva face à face.

— Sais-tu que j’ai un mot à te dire, James ? fit la jeune fille sur un ton demi sévère.

Elle le prit par un bras pour l’attirer à l’écart.

— Qu’avez-vous à me dire, Gabrielle ? demanda le jeune Hartley avec un accent ennuyé et fâché.

— J’ai dit un mot… pardon, c’est deux. Viens ici !

— Expliquez-vous, Gabrielle !

— Je vous en veux, monsieur… terriblement… prononça-t-elle avec un air très irrité.

— Mais pourquoi m’en voulez-vous ? demanda le jeune M. Hartley sur un ton très agacé.

— Viens ici…

De force presque elle entraîna le jeune homme vers Mme Foisy. Là, elle s’arrêta et d’une voix pour n’être entendue que de Hartley et de sa mère, Gabrielle articula :

— Pourquoi je vous en veux, James ?… parce que vous ne m’aimez pas !…

Et sans attendre la réplique du jeune Hartley où l’effet que ses paroles auraient pu produire sur le jeune homme, Gabrielle fit un bond, pirouetta, pila sur les longs pieds du brave clergyman qui, à l’instant, s’approchait de sa femme, heurta le ventre rebondi du gras M. Cox qui, à pas de loup, rampait vers Mme Foisy, et arriva, par bonds, sauts, ricochets, jusqu’au groupe composé de Lucienne, Burnham et Cox fils.

 

Cette soirée se termina par une collation arrosée de cidre, et ce fut l’heure de la séparation.

Au moment où Mme Renaud et Lucienne prenaient congé, le jeune Hartley parvint à s’esquiver de la folle Gabrielle et se rapprocha de la tante et de la nièce.

Mme Renaud s’empressa de faire ses souhaits de bon voyage au jeune homme, et devinant que celui-ci avait quelque confidence à faire à Lucienne, elle prit le bras de Mme Hartley et l’attira un peu à l’écart. Et c’est ainsi que Lucienne se vit seule avec le jeune M. Hartley qu’elle aurait voulu éviter et ne plus revoir.

Et lui, très gêné, la voix tremblante, le regard confus, balbutia difficilement :

— Je compte bien, mademoiselle, que nous nous reverrons plus tard ?

— Monsieur Hartley, répondit Lucienne avec franchise, j’aime vous souhaiter de grands succès dans vos études universitaires, mais quant à nous revoir plus tard, je n’éprouve pas ce désir ; je pense qu’il importe de nous dire adieu !

— Pourquoi… adieu ?… interrogea le jeune homme devenu tout livide.

— Parce que vous avez ou paraissez avoir des espérances que, loyalement, je ne peux pas favoriser.

Hartley n’eut pas le temps de répliquer, Gabrielle tombait entre lui et Lucienne comme un coup de foudre.

— Eh bien, bonsoir, James ! Bon voyage !… J’espère bien que tu n’oublieras pas ta petite Gaby…

Alors seulement elle remarqua la physionomie défaite et bouleversée du jeune homme, et elle prononça avec un attendrissement bien joué :

Oh !… poor old boy !

Le jeune M.Hartley avait des larmes dans les yeux car Lucienne était partie…