Feuillets parisiens : poésiesLibrairie Henri Messager (p. 7-12).


I

DEUX SONNETS




TRISTAN & ISEULT



iseult
Ô timide héros oublieux de mon rang,
Vous n’avez pas daigné saluer votre dame !
Vos yeux bleus sont restés attachés sur la rame.
Osez voir sur mon front la fureur d’un beau sang.
tristan
J’observe le pilote assoupi sur son banc,
Afin que le navire où vient neiger la lame
Nous conduise tout droit devant l’épitalame.
Je suis le blanc gardien de votre honneur tout blanc.
iseult
Qu’éclate sans pitié ma tendresse étouffée !
Buvez, Tristan. Je suis la fille d’une fée ;
Ce breuvage innocent ne contient que la mort.

tristan
Je bois, faisant pour vous ce dont je suis capable.
Ô charme, enchantement, joie, ivresse, remord !
Je renferme l’amour, ce breuvage coupable.



LA JALOUSIE DU JEUNE DIEU



Un savant visitait l’Égypte ; ayant osé
Pénétrer dans l’horreur des chambres violettes,
Où les vieux rois Thébains, en de saintes toilettes,
Se couchaient sous le roc, profondément creusé,

Il vit un pied de femme, et le trouva brisé
Par des Bédouins voleurs de riches amulettes.
Le beaume avait saigné le long des bandelettes,
Le henné ravivait les doigts d’un ton rosé.


Car ce pied conservait dans ses nuits infernales
Le charme doux et froid des choses virginales :
L’amour d’un jeune dieu l’avait pris enfantin.
Ayant baisé ce pied posé dans l’autre monde,
Le savant fut saisi d’une terreur profonde
Et mourut furieux, le lendemain matin.