Feuerbach - Qu'est-ce que la Religion ?/L’essence du Christianisme. — Chap. III

Traduction par Hermann Ewerbeck.
Ladrange, Garnier frères (p. 131-154).


Chapitre III.

Dieu, un Être de la Raison, de l'Intelligence.


Religion, c’est le mot technique pour exprimer la grande scission que l’individu humain fait en lui-même, en disant : « Dieu est infini, l’homme ne l’est pas ; Dieu est parfait, l’homme ne l’est pas ; Dieu est éternel, l’homme ne l’est pas ; bref, Dieu et l’homme sont deux pôles diamétralement opposés. » Nous prouverons dans ce livre que cette scission entre l’homme et le Dieu de l’homme, cette scission dont se sert la religion comme point de départ, n’est qu’une scission que l’homme a engagée d’avec l’être humain, d’avec l’essence humaine.

D’abord si Dieu était un être entièrement différent de l’être humain, il n’y aurait jamais une scission ; que se soucier, en effet, d’un Dieu qui n’a pas de contact avec notre nature essentielle ? La possibilité d’une scission n’existe qu’entre deux êtres qui doivent, qui peuvent s’entendre et harmoniser ; leur discorde est donc regardée comme quelque chose contre leur nature. L’être divin, en tant qu’impersonnel, c’est l’intelligence conçue comme objective, comme non appartenant à l’individu humain. L’être suprême, dans ce sens-là, est l’expression que se donne la raison ou l’intelligence. C’est l’idée par laquelle la raison a conscience de sa propre perfection, bref la conscience que la raison a d’elle-même. La raison ne connaît point les souffrances de l’âme ; elle n’a ni faiblesses ni passions, ni besoins, ni antipathies, ni sympathies. Des individus dominés par la raison pure et simple, jouissent à la vérité d’une liberté froide, mais limpide et lucide ; ils sont au-dessus des vagues si chaotiques, si brûlantes des passions ; ils ne s’engagent jamais, ils restent indépendants et ils en sont tiers, Ils disent : « Tout, absolument tout est vanité, soumettons les objets à nous, gardons-nous de nous soumettre aux objets, échappons le plus possible à nos besoins personnels, rendons-nous semblables aux dieux immortels, » voilà les épigraphes de ceux qui ont pris pour guide la lumière monotone et indifférente qu’on appelle intelligence. Impassible et apathique au fond, elle est bien la mesure des mesures, la règle des règles, la conscience absolue que l’homme individuel acquiert de la nécessité, du connexe causal, du droit incorruptible et salutaire ; la raison lève le voile qui cache tes défauts et les faiblesses de nos amis les plus chéris, car elle se tient éternellement dans l’abstraction qu’elle fait des créatures particulières. Elle marche droit au centre des choses — des phénomènes — elle construit la science. L’astronomie, la physique, les mathématiques, la philosophie, voilà ses manifestations. Elle doit donc sèchement, simplement nier l’anthropomorphisme religieux, et le dieu qu’elle décrétera ne sera que sa propre essence à elle, objectivée et élevée triomphalement au trône solitaire de l’univers. C’est l’Être-Suprême, sans passions, sans émotions, sans besoins, et surtout sans anthropomorphismes ; pourquoi, en effet, se ferait-il homme ? — Ce Dieu, qui n’est point fini, ni humain, ni matériellement perceptible aux sens, ce dieu n’est qu’un objet de la pensée. Ce Dieu est l’être abstrait et négatif, sans forme ni image, et qui voudra le reconnaître devra devra procéder via negationis, par la négation et l’abstraction. Ce Dieu n’est que l’essence objectivée de la faculté pensante ; pour concevoir l’idée d’un esprit, l’homme ne peut faire autrement que prendre pour modèle l’intelligence humaine, tout en la débarrassant des étroites limites de l’individualité ; tout autre esprit n’appartient qu’à la superstition religieuse et métaphysique. « Dieu, disent bien des philosophes païens, des pères de l’Église et des scolastiques, Dieu est l’Être immatériel, l’Intelligence pure, l’Esprit pur : à bas donc toute image divine. » Certes, ils ont raison mais ceux qui disent : « Tu ne peux pas te faire une image de l’Intelligence, » ont-ils peut-être tort ? Non, certainement non. Personne ne saurait dire comment se fait l’acte mystérieux qui s’appelle le penser, la méditation, la conscience du moi.

On ne voudra pas accuser d’exagération celui qui appellerait la conscience l’énigme des énigmes, et dans les ouvrages des antiques mystiques, des scolastiques et des pères de l’Église de trempe mystique, nous trouvons souvent une comparaison aussi mystique que magnifique entre l’incompréhensibilité de Dieu et l’incompréhensibilité de l’intelligence de l’homme ; comparaison qui constitue au fond l’identité essentielle des deux comparés. Saint Augustin, dans son ouvrage contre les académiciens, qu’il écrit étant presque païen, dit (3,12) : « Le plus grand bien de l’homme c’est l’intelligence. » Dans son livre des Rétractations, au contraire, il parle en théologien chrétien : « J’aurais mieux écrit : c’est Dieu car l’esprit humain, pour être heureux, jouit de son Dieu comme du bien suprême. » Saint Augustin se trompe s’il croit que ceci constitue une véritable rectification ; il oublie que son essence ne peut être que là où se trouve son bien suprême.

Certes, elle n’est perceptible, compréhensible qu’à elle-même, cette sublime conscience de la conscience, qu’on nomme la conscience du moi. Ainsi, Dieu, comme l’être métaphysique, c’est l’intelligence, c’est la conscience de la conscience parfaitement satisfaite et tranquille, ayant trouvé la paix de l’éternel équilibre en elle-même : ou plutôt vice versa, l’intelligence, quand on la représente comme étant en paix éternelle, c’est le Dieu des métaphysiciens. Toutes les descriptions métaphysiques qu’on a données de Dieu sont donc des descriptions réelles, quand on les reconnaît dans leur logique intérieure.

L’intelligence, à ses propres yeux, est le critérium de toute réalité ; elle doit rejeter comme non existant tout ce qui est en contradiction avec elle, ou, – ce qui revient au même – ce qui est contre Dieu, contre son Dieu, c’est-à-dire contre elle-même.

La raison ne trouve qu’en elle-même la source comme le but de l’univers ; elle déduit donc nécessairement toute chose de son Dieu, c’est-t-dire de la raison. Elle n’adore Dieu que quand il harmonise avec elle ; on disait même dans l’époque de la plus stupide foi religieuse : « Le Tout-Puissant ne saurait faire ce qui est contre la raison », en d’autres termes : la puissance de la raison est plus puissante que la Toute-Puissance.

La raison c’est l’être indépendant et libre, basé sur lui-même, l’être autonome par excellence : un individu déraisonnable n’a pas de volonté, pas de caractère, et incapable de se servir des objets environnants, il devient objet, il devient moyen, instrument lui-même. « Je pense, dit Kant, et comme penseur j’ai la conscience que c’est mon moi qui pense, et point un autre être : d’où je conclus que je suis substance, et non attribut d’un autre être quelconque. »

Nous respirons l’air, et comme organisme respirant, je me sens, en effet, dépendant de l’atmosphère sans laquelle je ne saurais exister ; elle est la condition de ma vie, elle devient par là sujet, moi je ne suis plus qu’objet, si vous voulez. Mais attendez, ce rapport sera bientôt interverti je pense, je médite comme physicien sur l’atmosphère, sur l’appareil anatomique et physiologique de l’acte respiratoire et mon rôle cesse d’être un rôle passif, objectif, je redeviens sujet, j’utilise l’objet en le soumettant à mon intelligence. Le végétal dépend de l’air et de la lumière qui sont, pour lui, deux sujets sans lesquels il cesserait sur le champ d’exister, mais en les absorbant il en fait ses objets. La vie organique du végétal et de l’animal est donc un échange perpétuel d’objet en sujet et de sujet en objet.

L’homme, au contraire, a le pouvoir suprême de faire un moyen, un objet de tout ce qu’il trouve autour de lui, et sa raison est le sujet absolu qui ne permet a aucun objet d’usurper, vis-a-vis d’elle, les droits de sujet par excellence ; c’est à cet égard qu’elle mérite le nom de l’être le plus réel (Ens realissimum) dont les anciens ontothéologiens ont tant parlé : « Au fond, disent-ils, nous ne pouvons concevoir Dieu autrement qu’en lui prêtant toutes les réalités que nous rencontrons en nous, mais toutes ces réalités débarrassées de leurs limites, et élargies à l’infini » (Kant, Leçon sur les relig. posit. 39). Cette opération ne se fait que par l’intelligence, ce dieu sans limites est donc l’intelligence illimitée, bref l’intelligence c’est l’Être-Supême. L’ontothéologie peut être réduite à la psychologie la plus simple.

L’intelligence, c’est l’être indépendant et autonome ; un individu dépourvu d’intelligence manque aussi de caractère ; il se laisse séduire et éblouir, et les autres individus s’en servent comme d’un simple instrument. Libre et indépendant n’est qu’un homme qui pense librement ; en pensant, il ne relève que de lui-même ; l’activité de la pensée est sans contredit une activité primitive, centrale, pour ainsi dire : « Quand je pense, je sais que c’est bien moi-même qui pense, mon moi, et point un autre être quelconque. J’en conclus donc que ce penser n’inhère pas à un autre être au-dehors de mon moi ; j’en conclus que je n’appartiens point à un autre être, que je ne suis point attribut, bref, que je suis un être existant et subsistant pour moi, que je suis substance (Kant, I. c. 80). » Ainsi, nous avons toujours besoin de l’air atmosphérique, et en même temps nous avons la faculté, comme physiciens, de changer cet objet de notre besoin matériel en un objet de notre activité réflective, en une simple chose théorique. En respirant je suis un objet pour l’air, je suis, en d’autres termes, dépendant de l’air, l’air est alors sujet, moi, je suis objet. Je médite, j’étudie les lois de la physique, et aussitôt ce rapport change, je deviens sujet, l’air devient objet, un objet de ma réaction scientifique. Abstraction faite de la conscience, le végétal lui aussi est un objet dépendant de la lumière et de l’atmosphère, qui sont sujet auprès de lui, et ce même végétal devient sujet, en ce sens que l’atmosphère est plus ou moins dépendante, plus ou moins objet du végétal. Nous ne nous trompons donc point, en soutenant que la vie physique est un échange perpétuel entre sujet et objet, objet et sujet, c’est-à-dire entre dépendance et indépendance.

L’animal et le végétal consument l’air, et l’air les consume son tour : l’intelligence seule, en jouissant de toutes les choses existantes, en les consumant ; théoriquement, ne peut pas être consumée ; elle est donc un être assez riche pour jouir de lui-même, sujet absolu qui ne peut plus être dégradé à devenir l’objet d’un autre ; l’être enfin qui embrasse tout objet comme ses attributs, l’être qui est libre de toute chose et de tout objet.

Autonome, indépendant est ce qui porte en soi son essence ; non autonome est ce qui doit chercher au-dehors son essence ; delà cette contradiction permanente qu’on appelle la vie, car il faut bien dire de la vie qu’elle a son essence tant en elle qu’en-dehors. La raison, l’intelligence seule est exempte de cette contradiction : je dois toutefois faire remarquer, pour éviter un malentendu, que dans ce chapitre je ne me sers point des expressions : être autonome, etc., dans mon sens, mais dans celui de l’ontothéologie, de la théologie métaphysique ; mon but à présent est de démontrer que la métaphysique est susceptible d’être réduite à la psychologie. Le résultat de cette réduction est que les attributs ontothéologiques sont purement et simplement les attributs de l’intelligence.

L’unité de l’intelligence se traduit, selon cette méthode, par le dogme de l’unité de Dieu. L’intelligence a pour caractère essentiel, on le devine, la conscience de son unité et de son universalité ; elle est précisément la conscience de son identité absolue, de sorte que tout ce qui lui apparaît comme raisonnable et rationnel, a par là même la valeur d’une loi absolue, universelle aux yeux de la raison.

Penser, c’est vivre en soi ; agir, c’est vivre hors de soi. Delà vient la thèse qui dit : la pensée est la liberté des dieux immortels, débarrassés qu’ils sont de toute influence extérieure c’est bien là le Brahma des Indiens. Malebranche (Hist. de la philos., p. Louis Feuerbach, p. 322) dit : « Il y a peut-être des êtres raisonnables qui ne nous ressemblent point, mais ces êtres ne pourraient pas ne pas adhérer aux fois de notre logique ; eux aussi trouvent sans doute que deux fois deux font quatre, et qu’il faut préférer son ami à son chien, » et Chr. Huygens (Cosmotheor. I) demande : « Exstaret ne alibi diversa ab hac ratio ? Jugerait-on comme infamie, comme crime chez les habitants des planètes, Jupiter ou Mars, ce que nous appelons vertu ? Certes, ceci n’est guère probable, ceci n’est point possible. » Bref, nous ne pouvons point imaginer une intelligence entièrement et essentiellement différente de la nôtre ; jamais un homme religieux n’adorera deux êtres suprêmes à la fois, et la cause en est que la raison humaine ne peut point abdiquer, se renier elle-même. Elle est et demeure une et indivisible, et partant infinie, éternelle ; elle n’a point de rival ni d’égal, elle n’est point espèce d’un genre, ni individu d’une espèce : elle est à la fois genre et individu, existence et essence. Elle est incomparable, elle porte en elle-même la source de toute combinaison, de toute comparaison ; elle est immense et incommensurable, nous mesurons l’univers à l’aide de notre intelligence. Elle ne se laisse jamais classer, comprendre sous un principe dit supérieur ; elle est assez puissante et vaste pour embrasser tout. Ainsi, c’est bien elle qui peut parfaitement bien revendiquer tout ce que les métaphysiciens ont dit de leur Dieu ; chacune des définitions spéculatives et théosophiques, par exemple, la coïncidence de l’existence de Dieu avec l’essence de Dieu, l’identité de l’attribut et du sujet, etc., peut également se dire de la raison.

Toutes les définitions métaphysiques de Dieu sont des idées abstraites dessinées d’après un original et cet original s’appelle intelligence de l’homme.

Enfin, elle doit aussi être regardée comme l’être de la nécessité, l’être nécessaire par excellence. La raison existe. Pourquoi existe-t-elle parce que sa non-existence serait un non-sens, parce que sans elle tout serait rien. S’il n’y avait pas des existences, le néant serait là, c’est-à-dire il n’y aurait rien du tout ce qui impliquerait contradiction. Ainsi la fameuse question : « Pourquoi l’univers existe-t-il ? » ne permettra que la réponse : « parce que le non-univers serait un non-sens. » L’existence, en effet, c’est la nécessité invincible, absolue. Les philosophes de la spéculation métaphysique nous disent que l’univers a été né du néant, ou plutôt de la négativité ; c’est ce nom-là qu’ils ont adopté pour désigner un néant qui porte en lui-même la nécessité de cesser et de devenir existence. Ce néant antémondain ne doit toutefois point être exprimé sous forme d’un être ontologique ; c’est plutôt tout simplement le rien qui existerait par impossible, si l’univers n’existait pas. J’insiste ici principalement sur ce que l’univers existe par nécessité intérieure, mais nullement par une nécessité extérieure qui aurait son point d’issue, son point d’appui dans un être différent de cet univers. La nécessité de l’existence universelle ou, si vous voulez, de l’univers existant est précisément la nécessité de l’intelligence. On a beau déclamer contre cette thèse, elle n’en sera pas moins rigoureuse et claire ; l’intelligence, cette lumière intérieure, est comme la lumière extérieure, sans l’une et sans l’autre, l’univers serait nul, et en disant que l’intelligence est l’existence ayant conscience d’elle-même, nous sommes sûrs de ne point dire trop.

On reproche à ceux pour qui Dieu et l’immortalité personnelle n’existent pas, d’être incapables de se sacrifier pour autrui mais c’est ou une calomnie grave ou une grave erreur. Ils sont du moins sincères, ils ne font des sacrifices que de bon cœur, tout autre leur parait être une hypocrisie, et partant un péché. Ils proclament comme principe supérieur la domination de soi-même, l’encratie, et ils rejettent l’abnégation de soi-même. Eux aussi ont des sentiments qu’ils appellent religieux pour les distinguer des sentiments vulgaires de la vie journalière : ce sont les nobles et mélancoliques sentiments qui naissent à l’idée de leur propre mort, au souvenir des bien aimés, à la mémoire des grands personnages historiques, à l’étude du passé du genre humain, et quand ils plongent le regard dans les ineffables profondeurs de l’âme, ou dans les abîmes si effroyablement silencieux et immenses de la nature : soit dans la goutte d’eau, soit dans le ciel étoilé. Mais il n’est pas convenable, ce nous semble, de vouloir se servir de ces sentiments anonymes et modestes en leur donnant le nom célèbre d’un Jéhova, d’un Jupiter, d’un Christ, d’un Brama, d’un Allah, pour prouver par là les prétendues vérité dogmatiques et rationalistes ; ils sont évidemment tout indépendants d’une foi religieuse quelconque, et leurs objets n’ont guère, aux yeux de la religiosité, une bonne valeur. Qu’on ne s’étonne pas, du reste, de ce que l’homme s’objective son essence, en la portant au dehors et la plaçant en face de lui ce phénomène, quand il s’appelle religion, n’est point plus singulier que quand il s’appelle poésie, personnification des sensations, dramatisation des doctrines sous formes de mythes et d’allégories, au point que l’homme se fait raconter par les animaux, les plantes et les pierres de la fable ce qu’il sait déjà et ce qu’il se dit, lui, à lui-même ; en un mot, quand l’homme matérialise au-dehors et redouble, pour ainsi dire, en signes et symboles les pensées qu’il a déjà dans sa tête, n’est-ce pas là un phénomène vital, une amplification organique de son être, et qui par conséquent est aussi clair, ou, si vous voulez, aussi peu explicable que tout autre phénomène primitif de la vie ?

La religion est un dialogue en poésie que l’homme prononce solennellement avec lui-même ; plus tard vient le dialogue en prose, la philosophie, qui est plus difficile. Mais les diplomates se trompent quand ils espèrent la permanence du dialogue en poésie : selon eux, l’état politique actuel est le nec plus ultra de l’essence humaine, et il n’était pourtant, pendant six mille ans, qu’un tissu des réciprocités les plus affreuses ; le droit s’y base sur l’injustice ; la liberté, sur la servitude ; la richesse, sur l’indigence ; la civilisation, sur la barbarie ; l’honneur du citoyen, sur l’infamie de l’homme ; la présomption des princes, sur l’humilité religieuse du peuple. Sous ce point de vue, la religion n’est rien autre chose que l’explication et le sanctionnement de l’exploitation politique et sociale ; mais heureusement les hommes sont inconséquents, ils renient parfois, dans la pratique, cette incroyable théorie qui leur dit : « Portez en patience vos souffrances ; j’ai souffert pour vous, souffrez aussi et m’imitez : tout vient de la volonté de Dieu. » Le chrétien est donc obligé, pour obéir à cette voix, de tendre à une vertu absolue, à un idéal irréalisable ; il se lance donc vers l’impossible, et ne réussit pas à obtenir le possible ; il cherche en théorie le ciel, et perd en pratique la terre ; il veut s’élever au-dessus de l’homme, et tombe bien profondément au-dessous : les scandales et les horreurs de la civilisation chrétienne, depuis près d’un âge du monde, en sont la preuve. Les doctrines dogmatiques, toutes surnaturelles et surrationnelles, rendent l’homme à la fois déraisonnable et dénaturé ; les doctrines morales, toutes surnaturelles et surhumaines, conduisent au mensonge intérieur et à l’inhumanité. L’homme devient ainsi un acteur, il étudie péniblement un rôle qui ne peut pas lui convenir, et toute manifestation de son être ne lui parait qu’une métaphore allégorique de son modèle céleste : mais il ne peut se renier entièrement, la nature essentielle se révolte et s’envenime : ce sont les tentations charnelles des saints. Le protestantisme en a eu raison, mais après avoir anéanti ce symptôme, il a laissé subsister la maladie intérieure, la secrète hypocrisie d’un principe extravagant ; il a commis la faute du catholicisme de diriger l’homme vers un but purement fantastique. J’insiste surtout sur la différence radicale d’un amour vrai et d’un amour ordonné par n’importe quoi, soit par un dogme, soit par la loi dite morale. Ce dernier a beau se croire pur de tout égoïsme et de tout intérêt, il n’en est pas moins faux et il se ment à lui-même quand il se persuade d’être vrai ; le premier, il faut l’avouer, est égoïste en ce sens qu’il cherche et obtient à la fois la satisfaction des deux êtres. L’amour vrai est comme le pain sacré qu’on donna en symbole dans les saints mystères du paganisme, l’amour faux et supranaturaliste tel que la théologie chrétienne l’enseigne, trouverait son symbole dans le gâteau ; l’un est simple et naturel, l’autre est du luxe. Très caractéristique pour la théologie est ce qu’elle enseigne sur le corps humain tel qu’il sera au ciel : ce corps sera tout à fait semblable à l’actuel, mais il n’y aura en lui aucune sécrétion ni excrétion, il possède tous les organes sans aucune de leurs manifestations physiologiques ; dans ce corps-mensonge, dans ce mensonge incorporé la théologie tout entière se résume. Il est corps incorporel, de même est son Dieu, un être personnel sans personnalité, réel sans réalité, vivant sans vitalité ; le corps au ciel possède tous nos organes, mais sans le moindre but et motif, de même Dieu a-t-il les qualités essentielles de l’homme, esprit, intelligence, amour et volonté, mais sans en avoir besoin, car l’esprit suppose la chair, l’intelligence l’inintelligence, la volonté l’apathie, et l’amour le désir ; or, toutes ces antithèses étant ici superflues et inutiles, cet être suprême t’est également.

Des chrétiens vraiment pieux[1] se moquent de la science, et parmi les papiers de Pascal ses héritiers trouvaient la note suivante : «Écrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences : Descartes.» La piété ne fait donc qu’effleurer : voilà l’idéal du catholicisme pur-sang. Et en effet, à quoi bon faire des études prosaïques et mondaines ? le ciel n’est-il pas ouvert avec ses joies poétiques et surmondaines ? qui ne préférerait l’intimité avec des saints et des anges à celle avec des écrivains profanes, voire même avec des bêtes, des plantes, des pierres ? Quand on vient de goûter de la manne céleste, on n’aimera plus la pomme de terre… Mais ce qu’il y a de déplorable dans tout ceci, c’est qu’aux yeux de la piété, soit chrétienne, soit autre, les sciences ne sont qu’un jeu, qu’un passe-temps, qu’un hors-d’œuvre. La science n’est admise qu’à la condition humiliante de se choisir un objet sacré : ainsi la théologie catholique ne répugne ni à l’Église ni au sentiment catholique. Du bon vieux temps de Rabane Maure, où l’Église romaine n’était pas encore compromise par le contact de tant de choses profanes, l’affection qu’un homme alors éprouvait par hasard pour les occupations scientifiques, ne fut approuvée qu’en prenant pour objet une matière ecclésiastique ou dogmatique. Delà le sort si varié d’Aristote au moyen-âge : en 1209, on commence à le connaître à Paris, et dans cette année même un concile parisien le condamne sous peine d’excommunication, ne quis eos de caetero scribere et legere praesumeret vel quocunque modo haberee, non-seulement parce que sa métaphysique avait donné naissance à l’hérésie d’Almaric (ce reproche n’était qu’un impudent mensonge), mais aussi parce qu’elle pouvait engendrer encore des hérésies futures (Joann. Lanoy, théol. Paris, de varia Arist. fortuna, 1720, Witemb. ab Elswich, p. 127). En 1215, le légat du pape y donne son assentiment, et on condamne aussi le livre Sur la Philosophie Naturelle ; mais en revanche, ce légat introduit la dialectique du païen Aristote au grand détriment de la dialectique de saint Augustin. Cinquante ans plus tard, un légat du pape supprime encore la métaphysique et la physique, et cette fois sans phrase : mais en 1366 tous les ouvrages d’Aristote sont permis et déclarés légitimes par deux cardinaux, et Nicolas V en commande une traduction latine pour faciliter leur lecture. Le catholicisme dans sa vieille pureté logique rejettera toujours Aristote, représentant de la science : mais cet interdit est levé par le catholicisme devenu mondain, qui est capable de faire je ce sais quelles énormes concessions, soit pour se maintenir en vogue, soit parce qu’il se croit déjà à l’abri de tout danger. Thomas d’Aquin fut canonisé, il avait pourtant commenté les ouvrages d’Aristote, frappés de l’exécration papale ; mais la Sorbonne avait parfaitement raison d’accuser Thomas devant la curie de Rome, et elle reproche à ce docteur d’avoir enseigné : « Dieu ne peut pas faire des choses contradictoires, donc Dieu ne peut pas tout, il n’est point tout-puissant. » Saint Vincent Ferrera (canonisé en 1419) écrit : « Prêchez l’Évangile plutôt, car prêcher les paroles les paroles des damnés c’est la damnation, » et Jérôme dit que Platon avec Aristote est aux enfers ; ce Verba damnatorum praedicare damnaion doit être très rassurant pour les philologues et les penseurs.

Vous ne voyez aucune contradiction entre le vrai catholicisme et sa tolérance envers les sciences ? alors veuillez aussi admettre un accord complet entre lui et les mœurs si opposées à ses principes fondamentaux, les mœurs de ses moines et de son clergé : car la vie mondaine des ecclésiastiques est dans le domaine de la pratique absolument ce que dans celui de la théorie est l’intérêt scientifique. Si vous imputez au catholicisme ce que des catholiques ont fait pour les sciences, alors soyez logiques et imputez-lui aussi un mérite de l’art militaire, parce qu’il y eut jadis des évêques qui commandèrent des armées.

Mais sans répondre ici à la fameuse thèse du cardinal Pallavicini qui disait que l’Église, l’état de Dieu sur terre, devait non-seulement avoir la forme d’une magnifique monarchie solidement constituée, mais aussi faire usage du sabre, pour châtier les corps quand les âmes ne respectent plus l’autorité spirituelle : — nous trouvons dans le culte des miracles, des antiquités, de l’autorité, de la tradition, et dans l’idiosyncrasie fébrile contre les hérétiques, autant de preuves de l’inimitié éternelle entre le catholicisme et la science. Parmi ces attributs du catholicisme la croyance aux miracles occupe la première place : elle est, on ne le sait que trop, une croyance illimitée, et quand le scolasticisme dit que la toute-puissance ne peut que ce qui n’est pas contradictoire, il pose par là une restriction philosophique, païenne, et qui est approuvée par l’intelligence, mais écartée par la foi. Quel saint, quelle sainte, soit catholique soit autre, n’aurait pas fait ce que Dieu fait, des miracles ? Don Ignace de Loyola déclare dans Ribadaneira (première édition) qu’ils sont superflus, mais il en a fait beaucoup dans la deuxième (liv. V, 13). Du reste, même si saint Ignace n’eut pas jugé à propos de se légitimer par des miracles, son affidé saint Xavier en aurait exécuté suffisamment pour tous les deux : « On ne vit jamais, dit Bayle, plus de miracles que l’on n’en voit dans le livre Xaverius Thaumaturgus : On ne saurait faire un pas sans y en trouver, et l’on demanderait volontiers, qui des deux doit passer pour le miracle, ou l’interruption ou le cours de la nature ; on ne sait où est l’exception et où la règle, car l’une ne se présente guère moins souvent que l’autre (p. 350, Nouvelle de la répub. des lettres). » Les moines étaient assez bons catholiques pour croire les miracles opérés par les fondateurs de leurs ordres, au moins égaux à ceux du Christ (Dictionn. Bayle, Fr. Assisi Rem. N.). Or, la croyance aux miracles est un poison lent et mortel pour l’esprit scientifique ; elle efface radicalement toute ligne de démarcation entre le songe et la vérité, entre l’absurdité et la raison. Les écrits du jésuite allemand Athanase Kircher en sont un exemple éclatant : ce savant a débité des niaiseries sans nombre sur la nature. La croyance aux miracles ébranle la base de l’âme, elle la rend malade vis-à-vis de la nature, tandis que la croyance aux traditions lui ôte toute sympathie pour l’histoire scientifique, qui ne peut commencer que là où le mythe a cessé. Ce puéril engouement pour les choses merveilleuses et antiques est un héritage très édifiant que l’Église romaine tient du paganisme romain, qui lui aussi ne connut ni l’étude de la nature ni l’étude de l’histoire. Ainsi chaque fois que l’esprit historique apparut, le catholicisme lui barra le chemin : Abailard fut incarcéré pour avoir nié que saint Denis l’Aréopagite était le premier apôtre des Gaules, et la même chose faillit arriver a Launol, qui prouva que sainte Madeleine n’a jamais été en Provence, et que le prophète hébreu Élie n’est pas le fondateur des Carméites chrétiens. Cette obstination vient d’un instinct psychologique, qui ne se fait pas d’illusion sur les suites inévitables de la destruction d’une seule tradition ou d’un mythe isolé ; les autres vont irrévocablement être entraînés dans le même abîme de la critique[2].

Dans le vrai catholicisme il ne reste debout que la syllogistique, la sophistique, qui est une activité intellectuelle, mais secondaire et dépourvue d’esprit. Elle se base sur le fameux praejudicium auctoritatis, et n’a par conséquent pas le moindre judicium en elle-même, ou plutôt son jugement est précisément dans le préjugé. L’opposition contre les nouveautés comme on disait alors, fut poussée par la Sorbonne jusqu’à condamner comme hérésie la prononciation améliorée de la lettre Q, qui avant 1550 avait été prononcée comme K (Freig. in vita Rami, Dict. de Bayle) et un évêque français révoqua un chanoine qui n’avait pas prononcé Paraclytus mais Paracletus, la Sorbonne aussi condamna Érasme à cause de cette innovation lexicographique. La scolastique se montra bonne catholique, comme toujours, dans les luttes de l’église contre la pensée à l’époque de la renaissance : à un grand médecin à Venise, qui fit voir à son auditoire que le tronc nerveux descend du cerveau et non du cœur, un péripatéticien catholique répondit après un moment d’hésitation : « vous avez si bien démontré à mes yeux que vous m’auriez convaincu, si le texte d’Aristote ne me prouvait pas le contraire. » Pascal, ce bon catholique, était malgré ses études tellement scolastique qu’il n’abandonna la théorie de l’horror vacui qu’à regret.

Ce qui est très caractéristique pour le catholicisme, c’est qu’il ne procède que par un intermédiaire : entre l’homme et Dieu, il y a le Christ ; entre le Christ et l’homme, il y a le pape ; entre l’homme et la nature les scolastiques interposent Aristote, et encore quel Aristote ! La version latine ! De même érige-t-il entre l’homme et la bible un mur — il l’appelle un pont — sous le nom de vulgate : « L. Allatius fait mention d’un décret de la congrégation générale des cardinaux, daté du 4 janvier 1577, portant qu’il ne fallait pas s’en écarter (de la traduction latine), pas même à l’égard d’une syllabe on d’un iota. » (Bayle répub. 131, 333).

Beaucoup de beaux et magnifiques exploits scientifiques ont eu lieu dans le catholicisme, mais gardons-nous de les appeler ses résultats. Hroswithe au dixième siècle, la nonne allemande qui lit et imite les comédies de Térence, avoue qu’elle commet une faute antireligieuse. Saint-Ignace de Loyola déteste les études scientifiques au plus haut degré, par ce qu’il les fait dans un but pieux et partant opposé à la science : propter degustatam spiritus suavitatem a studiis litterarum abhorrebat (Ribandaneira, 69). En un mot, ce que des moines ont fait pour les sciences, n’a que la valeur d’une aumône jetée à l’esprit scientifique.

Il serait peu juste de mépriser ce qui dans quelques ordres a été exécuté, par quelques individus qui portaient dans leur âme plus que tous les autres une inextinguible soif de penser et de rechercher, mais il ne faut point estimer cette aumône prix égal à l’amour sacré qui fait de la science à cause de la science, et qui n’a plus besoin de placer la lumière sous le boisseau.

Érasme est un exemple de cette belle émancipation du génie littéraire et scientifique : ad litteras tantum rapiebatur animus. écrit-il au prieur de son couvent,et il le quitte pour toujours.

Les jésuites, tout en faisant de la science une de leurs occupations principales, n’y ont jamais eu un autre but que la propagande religieuse ; les sciences ne sont à leurs yeux qu’un instrument, le moyen est sanctifié par le but. Ils ont tort de ne pas avoir pardonné à Descartes ; ce penseur était assez bon catholique pour écrire : « peut-être Dieu est-il capable de rendre vraies à la fois deux notions contradictoires, une vallée par exemple qui est en même temps une montagne. » Machiavel, l’hérétique Vanini ont dit de semblables erreurs. Partout c’est la croyance aux miracles qui occasionne les faiblesses momentanées de ces grands lutteurs de l’idée : « Les médecins, dit Luther, quand ils attribuent les maladies mentales à des causes naturelles et non au démon, ignorent à ce qu’il paraît combien est grande sa puissance. » Et Réaumur, pour avoir cité Peircscius, qui avait démontré que la fameuse pluie de sang, très redoutée par les fidèles d’alors, n’était rien autre choses que des excréments d’insectes, fut blâmé par les journalistes de Trévoux de la manière suivante : « Le public a toujours droit de s’alarmer, il est coupable, et tout ce qui rappelle l’idée de la colère d’un Dieu vengeur, n’est jamais un objet faux de quelque ignorance philosophique qu’il soit accompagné. » Leur pensée intime, dit Réaumur, était que pour exciter à la piété il ne fallait pas s’embarrasser des idées exactes. Les théologiens se fâchaient contre Réaumur quand il leur avait prouvé que la prétendue métamorphose des insectes n’était qu’apparente ; elle avait été regardée par les plus célèbres écrivains de l’église comme une image de la résurrection.

Haller considérait les monstres comme des effets surnaturels de la volonté de Dieu, il tance d’impiété l’opinion contraire.

Mais ce que nous pouvons pardonner aux naturalistes et théologiens du passé, nous devons le poursuivre chez nos modernes, ceux-ci n’ayant plus l’excuse de l’ignorance ; nous blâmerons sévèrement ce que M. Hochstetter dit (Botanique popul.) : « Beaucoup d’animaux se nourrissent des petites graines du plantain, donc Dieu, à ce qu’il paraît, l’a fait croître tout le long des chemins et des prairies. » La théologie qui avait de tout temps insisté sur l’origine surnaturelle du langage humain, se sentit comme frappée de la foudre lorsqu’un théologien allemand en 1770 prouva le contraire : Herder, il est vrai, n’était théologien que de métier, son âme, son intelligence étaient celles d’un vrai philosophe, naturaliste et poète, et comme tel il réussit à prononcer la formule suivante : « La langue a été inventée, d’une façon aussi naturelle et aussi nécessaire à l’homme que l’homme est homme : elle n’est point un cadeau venu du ciel. » Les anciens physiciens, du reste, expliquaient si mal ce fait naturel, que les métaphysiciens contemporains préféraient l’interprétation théologique : voilà encore une preuve historique de ce que j’avais dit : « La déduction des choses naturelles d’une cause surnaturelle n’est que l’ignorance où nous sommes sur la cause naturelle », et chaque élargissement du cercle scientifique correspond à un rétrécissement du cercle théologique. Aux yeux du païen classique les phénomènes les plus vulgaires étaient des actes divins, le chrétien ne donna ce nom qu’aux faits extraordinaires. Thomasius et beaucoup d’autres métaphysiciens ou théologiens considéraient, encore au commencement du 18e siècle, l’art d’écrire comme un don directement venu de Dieu : jusqu’à ce que le vieux docteur Heumann (Acta philos. I, 807) les confondit par la simple question : « Dieu n’aurait-il pas mieux fait est apprenant déjà aux hommes de la plus haute antiquité l’art typographique ?  »

La vraie religiosité ne saurait exister que là où la religion est libre, c’est-à-dire séparée de toute influence politique qu’elle pourrait exercer ou subir ; un État politique qui fait de la religion un impôt indirect, organise par là l’hypocrisie. Elle n’est pas libre, non plus, là où la mécréance est épouvantée par un enfer, et la croyance alléchée par un paradis. La crainte et l’espérance privent l’homme de sa liberté, et surtout en religion ces deux agents sont aussi vils que dangereux : c’est comme si vous versiez à quelqu’un de l’opium pour lui arracher sa parole d’honneur au milieu de ses rêves. Il s’ensuit que l’Église était parfaitement logique en employant la force brutale, et que le contraire aurait été une absurdité : vous vous adressez aux passions matérielles de la peur et de l’espérance pour infuser à l’homme la foi, veuillez alors ne pas vous arrêter à moitié chemin, et si la parole ne suffit plus, employez en gradation rationnelle les moyens matériels, depuis le simple coup de fouet jusqu’à la mort la plus compliquée et combinée de mille sortes de tourments.

Le but sanctifie les moyens, c’est une maxime bien antérieure à don Ignace de Loyola, elle appartient au christianisme primitif (pia fraus) et sert de base à l’apologie que l’évêque d’Hippone fait des poursuites contre les hérétiques[3].

Le concile de Constance, disent les protestants, a prononcé le mot : fides non est servanda haeriticis ; les catholiques le nient, et avec raison. Il n’y a point été prononcé dogmatiquement, mais il s’ensuit logiquement du principe de l’intolérance prêché par Augustin, qui est le chef historique reconnu de l’Église (Carranza Summa om. Concil., 326). 11 recommande à l’autorité politique comme un devoir l’executiun de tous les hérétiques, et les catholiques du temps de Bayle justifient par là même les martyres qu’ils font endurer aux reformés français (Nouv. de la Rép., 688 Dict. , art. Léou). L’hérétique est plus infâme que les voleurs et les assassins, ce serait donc un crime de le protéger par un serment.

Ainsi, qui dit : le chrétien quand il est immoral, ne l’est que parce qu’il est homme, devrait en même temps comprendre que le chrétien quand il est vertueux, l’est précisément parce qu’il est homme. Cette distinction entre l’homme et le chrétien dans un même individu chrétien est louche, mais enfin, quand on y tient il faut être conséquent jusqu’au bout. L’homme a été déjà bon avant le christianisme. Et encore, un individu dépravé qui en chrétien suit la loi religieuse, ne le fera que parce qu’elle lui a été commandée, mais il la regardera toujours comme une puissance extérieure qui lui est imposée, et de tous les dogmes du christianisme cet homme ne s’inclinera que devant celui de la perversité innée à l’essence humaine ; ce dogme lui sera plus sacré que celui de l’existence de Dieu. Il se cramponne donc à la Bible, ce document extérieur, et il hait ceux qui ne font pas de même, comme capables de tous les crimes.

Le dogme de la perversité radicale de l’homme est lui-même au plus haut degré un dogme pervers, il lui suce la moëlle des os, il le rend machine, il l’avilit en même temps à ses propres yeux ; tant que l’humanité croira ce dogme, elle restera en effet misérable et abjecte. La vertu intérieure est déshéritée, quand le péché possède seul le privilège de se propager de naissance en naissance ; alors on ne peut plus croire au bien moral. Une religion poositive ne peut avoir une force vraiment morale que là où elle est une ecclesia pressa et militans en face d’une religion ennemie qui la frappe de proscription : voyez l’ancien christianisme et la reforme protestante. Dans sa première époque elle est négative contre une autre religion positive constituée ; elle est alors appelée athéisme, hors la loi commune, mais elle est puissante et belle par le droit imprescriptible et naturel de la conviction et de la conscience. Mais ces beaux temps passent vite ; le seul moyen de leur donner de la durée serait de laisser libre la non-croyance à côté de la croyance. La moindre distinction matérielle, directe ou indirecte, que la foi établit entre elle-même et la non-foi, y cause non-seulement une inextricable confusion, mais aussi la ruine complète de la foi : voyez encore le christianisme et la réforme.

Il serait absurde de déclarer pour autant d’anthropopathismes et anthropomorphismes très innocents et purement allégoriques, la colère, la jalousie, l’ambition dont le Dieu théologique s’est paré. Cette excuse vient du raisonnement et non de la foi ; les annales du christianisme prouvent clairement que la colère et l’orgueil de son Dieu possèdent toutes les qualités de la réalité la plus matérielle : les larmes et le sang des chrétiens des catacombes dans les trois siècles romains ne sont qu’une goutte, en comparaison avec cet océan de sang et de larmes des hérétiques que l’Église triomphante faisait couler pendant treize siècles. Ces idées se retrouvent même comme des raisons pénales dans les codes sanglants de Justinien et de Maximilien, ce qui met le comble au déshonneur du christianisme. Ce qu’il a de démoralisant, c’est la signification qu’il donne à la foi : « Elle seule, dit-il, vous rendra bienheureux, or sans les bonnes œuvres elle ne vaudrait rien, donc vous êtes obligés d’en faire. » Mais abstraction faite des sophismes de cette phrase, qui a permis à la foi de mettre de bonnes œuvres à la place des vertus ? C’est ravaler singulièrement la valeur de celles-ci ; là où la vertu n’est plus principe, elle est hors-d’œuvre et l’homme la perd de vue. Le christianisme tombe ici dans la faute immorale de l’épicurisme, qui lui aussi disait : « Le plaisir vous rendra bienheureux, or sans de la vertu point de plaisir, donc vous devez être vertueux » « Non est voluptas sine virtute, inquit. Sed quare ante virtutem est ? de ordine putas disputationem esse ? de re tota et de potestate ejus ambigitur, non est virtus si sequi potest ducere debet. (Sénèque, de benef., 4, 2.) »

L’ancien athéisme prétendu spéculatif consiste, on le sait, à nier l’existence de Dieu, il efface celle-ci, mais sans effacer les qualités de Dieu ; il a parfaitement raison vis-à-vis de la question « un Dieu existe-il ? » car cette formule est applicable à je ne sais combien d’objets. On demande alors : « Est-ce qu’il y a un Dieu ? » Comme : est-ce qu’il y vraiment une Amérique ? Dans l’un comme dans l’autre cas il s’agit d’un objet physique, matériel, objectif, tombant entièrement dans l’horizon de nos sens corporels, bref empirique, mais dans la question sur Dieu l’existence ne peut être vérifiée, il y a donc là contradiction intérieure, c’est là l’origine de l’athéisme des anciens. La notion de l’existence telle qu’on la comprend dans la formule précédente, est éminemment dépourvue d’esprit et d’intelligence, elle est applicable aussi au démon : «  Est-ce qu’il y a un Démon ? » Cette question vaut bien l’autre : Bayle peut donc dire que cette foi reste sans aucune influence sur le caractère moral de l’homme.

Leibnitz se fait l’avocat des dogmes du point de vue de la nécessité rationnelle : « puisque Dieu a permis le vice, dit-il (Théodicée 2, 124), il faut que l’ordre de l’univers, trouvé préférable à tout autre plan, l’ait demandé ; Dieu veut l’ordre et le bien, mais il arrive quelquefois (??) que ce qui est désordre dans la partie est ordre dans le tout… La permission des maux vient d’une espèce de nécessité morale » (128). C’est bien, mais comment des théologiens n’y ont-ils pas vu une hérésie ? car le mal, selon leur doctrine, est surnaturel, diabolique, et ne peut être anéanti que par quelque autre chose d’aussi surnaturel mais antidiabolique, par l’incarnation de Dieu. La théologie doit toujours maintenir l’origine du péché deo inrito et inscio, à l’insu et contre la volonté de Dieu, car le péché est si puissant, et il éprouve une si forte antipathie contre le péché, qu’il se voit obligé de verser son propre sang pour en triompher. La dernière folie de toutes dont la théologie se rend coupable, est donc de croire que le péché ait été prémédite d’avance par Dieu : s’il l’a prémédité, la grande tragédie divine n’est qu’une mesquine farce. Voilà comme la théologie blasphème à son insu.

De temps en temps les chrétiens se souvinrent, à ce qu’il parait, de la force innée de la vertu : Thomas d’Aquin, Hugo de Groot dirent que, même s’il n’y eut pas de Dieu, nous serions obligés de suivre les lois du droit naturel ; mais ces aveux isolés sont sans importance parce qu’ils contredisent la foi. Et du reste, quoi de plus contradictoire en soi, que la théologie ? la critique n’en doit pas prendre acte, et si elle le fait, ce ne sera que pour en conclure la guerre éternelle entre la foi et la raison.

Leibnitz[4] reproche à Bayle une idée sur le péché originel comme si elle était particulière au philosophe français, il ne voit donc pas combien elle est théologique ? il ne voit donc pas combien il contredit la religion quand il dit dans sa Théodicée, que la défense divine était comme celle qu’un père fait à son enfant de jouer avec des couteaux ? (112) Leibnitz veut par ce sophisme éviter le décret purement arbitraire, il ne voit donc pas que toute la scène se passe sur un sol supranaturaliste ?

Les scolastiques sont, comme saint Augustin, assez naïfs pour étudier, entre autres, les qualités physiques ou plutôt hyperphysiques du corps d’Adam avant le péché : ils ne se gênent point de s’exprimer avec beaucoup de franchise : « si le pèche originel n’eût pas eu lieu, sicut alia membra corporis aliis admovemus, ut manum ori sine libidinis ardore, ita genitalibus uterentur sine aliquo pruritu carnis » (P. Lombard. sentent. II. distin. 20, 83), et selon Albert-le-Grand (Summa. 63, 168), ce corps était exempt de douleur même quand des pierres fussent tombés dessus. Comment Leibnitz a-t-il pu démontrer la transformation, sans miracles, de ce corps adamite en un corps ordinaire. On a beau être génie universel, on n’a pas pour cela le privilège de se jouer des mots et des notions, et d’écrire : « je me rappelle le géomètre et astronome français Auzout, virum non vulgaris doctrinae, inter maxima argumenta existentiae Dei non inepte (?!) referre in diversis sexibus partium generationi dicaratum consensum (Opp. omn. II, 144). Et quant au péché originel, on connaît la ruse théologique pour le justifier aux yeux de l’équité : « Adam renferma en lui tout le genre humain, donc tout le genre humain pécha en et par lui, donc nous tous devons être punis » (P. Lomb. 2, 30. Alb. Mag. 197. Pro peccato originali punitur parvulus licet non sit suum personaliter, tamen suum est naturaliter). Charmant ! Mais ce qu’il y a de plus beau dans cette atrocité, c’est que si toute l’humanité a péché en Adam, elle a été punie aussi en lui ; Adam est censé représenter le genre humain dans le premier acte du drame, il doit l’être aussi dans le second ; Adam a été châtié par perte du paradis et de l’immortalité corporelle, sa mort était donc la plus cruelle, une mort de signification universelle. Dieu par conséquent, qui se disait un être aimant, devait être concilié, Adam est déjà le christ, et le péché originel, ou originant comme dit Albert-le-Grand, a été déjà effacé en Adam même. Il n’est donné qu’à la théologie de produire des thèses de cette force, où la conclusion anéantit la prémisse ; la théologie ne se base dès l’antiquité que sur le mendacium et la pia fraus, elle est condamnée à être continuellement ballotée entre le nihilisme des abstractions les plus creuses, et l’anthropomorphisme le plus abject. Elle n’a pas, Je le sais, doté son Dieu de cette sensualité charnelle qu’il y avait dans les divinités païennes, mais en revanche elle lui a prêté toutes les misérables et odieuses passions de la personnalité, toutes, entendez-vous ? sans aucune exception ; elle a institué ou du moins sanctionné par là l’idolâtrie de la personnalité, cette dégoûtante vénération pour l’orgueil, la présomption, la jalousie, l’envie, le faux honneur, le caprice, tout cela est respecte en tant que faisant partie immanente et inhérente (!) de la personne humaine. C’est le mauvais côté de l’individualisme, le subjectivisme, et devant lui il n’y a plus de moralité objective qui tienne ; tout à fait comme le Dieu des théologiens qui n’agit jamais autrement que d’après son bon plaisir, ce Dieu qui s’est immolé la justice, l’équité le bon droit en condamnant Adam et les enfants d’Adam. Ainsi, fonder la vertu sur la théologie, c’est-à-dire sur le dogme de l’existence d’un Dieu personnel, est un hysteron proteron et les vertus du chrétien risquent fort de n’être que spécieuses, apparentes, puisqu’elles ne naissent point, d’après son propre aveu, de l’amour direct de la vertu, mais indirectement, de ce qu’il appelle amour de Dieu. Or ce Dieu est un être personnel, et la notion de la personnalité embrasse tout ce qu’il y a dans l’homme, absolument tout ; donnez-lui en outre comme attribut la sainteté, attribut éminemment suspect par ce qu’il craint la lumière : et vous pouvez y placer tout intérêt égoïste, toute idée déraisonnable, et toute pensée immorale. Il me paraît nécessaire d’insister sur ce culte de la personnalité, je le considère comme diamétralement opposé à celui de la vertu antique (ethica), du Bien (Kalon Kagathon), qui est assez grand par sa force intérieure pour se passer de la forme individualisée. Avec le Dieu personnel vous intronisez un législateur extérieur, une très-haute police, et Fred. Schlegel avait raison de se moquer du Dieu éminemment juridique dans la Théodicée de Leibnitz. Si des théologiens comme Albertus Magnus (Tract. 16. Quaest. 102, 3.) ont deux ou trois fois dit qu’il fallait aimer la vertu pour elle-même, ils l’ont dit par mégarde, quandoquidem bonus dormitat Homerus… Mais cette idée est déplorable : vous dégradez les vertus si vous les aimez à cause de je ne sais quoi, au lieu de les adorer par et pour elles-mêmes.

Un fils qui ne ment pas pour ne pas déplaire son père, est assurément un enfant obéissant et louable, mais encore assez éloigné de la vertu. L’idée de la vertu, voilà la première, ce n’est que par elle que celle d’un Dieu se précise et se maintient dans la pureté ; si non, vous aurez bientôt le Dieu de la nonne hystérique et nymphomane, ou du piétiste langoureux et obscène. La personnalité divine ne doit donc être qu’un accessoire, et alors elle devient superflue.

Nicolle, l’ami intime de Pascal, écrit en bon théologien : qu’y a-t-il de plus dur en apparence (??) que la condamnation d’enfants pour le crime d’un seul homme (Adam)… C’est par la vérité des dogmes qu’il faut juger s’ils sont cruels. Tout ce que Dieu fait ne saurait être cruel, puisqu’il est la souveraine justice » (Rep. aux quest. 874). Cela signifie : toute chose que Dieu fait est bonne, même si elle était la plus atroce, la plus injuste, la plus infâme, car le bien tel qu’il s’applique à Dieu doit être entendu d’une façon tout autre que chez l’homme, dont les faibles idées, comme Nicolle s’exprime, ne peuvent pas juger sur ce qui est juste ou cruel.

Notre Leibnitz, dans sa chevaleresque complaisance pour une aimable reine, et parce qu’il était tolérant de nature envers des opinions contemporaines dont son intelligence universelle, je t’espère du moins, s’était émancipée au fond, démontre dans sa Théodicée entre autres thèses de la même valeur aussi celle que Dieu ne peut pas pécher tout faisant ce que l’homme appellerait crime (176).

Le calvinisme dit que Dieu qui désapprouve publiquement te péché, l’approuve en secret (Rép. aux quest. 842), et Xénophane reçoit pour réponse de ses compatriotes idolâtres : « Insensé, tu oses reprocher à nos divinités leurs actions parce qu’elles ont de la ressemblance avec ce que nous autres mortels appelons péché et crime ? Tu ne sais donc pas que l’adultère des dieux n’est point un adultère humain ? » Heureusement, chrétiens et païens valent un peu mieux que leurs divinités ; mais ne me dites pas qu’il faut suivre les commandements de Dieu et non ses actes : l’exempte est plus puissant que la parole. Il en est de même de tant d’actes des saints que la théologie donne pour modèles : l’assassinat d’Abraham sur son fils Isaac est un de ces faits bibliques qui, lui seul, est capable de bouleverser l’intelligence, le bon sens, le bon goût, le cœur et le caractère, parce qu’il efface toute différence objective entre le bien et le mal ; l’infanticide n’est donc qu’un crime formel, et point un crime essentiel, matériel. Jurieu dit avec une louable franchise : « ce qui va décider de tout, c’est le droit souverain de Dieu sur les créatures, cette puissance sans bornes doit imposer silence… Les noms d’être, de substance qui pense, volonté, liberté, justice sont tous noms équivoques qui ne signifient pas en Dieu, ce qu’ils signifient dans l’homme[5], (vie de M. Bayle : Desmaiseaux 105) ; c’est-à-dire, les attributs a, b, c ne signifient plus a, b, c : Dieu est en colère, dit le vrai théologien, mais en colère, sans colère. Le vrai théologien est donc un falsificateur de notions et paroles ?

Scientia sin charitate inflat, charitas sine scientia aberrat, scientia cum charitate aedificat dit saint Bernard, mais il ne faut jamais prendre à la lettre de pareilles expressions théologiques. Toute phrase, tout mot a un double sens dans la bouche théologique, un sens terrestre et un autre surterrestre ; le Langage religieux est une amphibologie d’un bout jusqu’à l’autre. Ainsi, science signifie ici, non ce que tout le monde païen et philosophique appellerait, mais science théologique, théologie proprement dite, et nos adversaires se rendent coupables de perfidie littéraire quand ils nous opposent des citations comme celle-là.

  1. Ceci est du livre P. Bayle, de M. Feuerbach. (Note du traducteur)
  2. Niebuhr jeta dans le creuset de la critique les mythes de la fondation de Rome. Vint après lui nécessairement M. Strauss, qui en fit de même quant à ceux de la fondation du christianisme, plus tard encore MM. Feuerbach, Bauer, Daumer, qui dévoilent l’origine mythique de la religion en général. (Le traducteur)
  3. Certes, saint Aurèle Augustin, né et élevé dans le pays des Carthaginois latinisés, avait toute cette organisation intellectuelle et morale qui était l’héritage de ces Africains, et que Rome flétrissait par le mot panica fules : mais il ne faut pas pour cela oublier les autres chefs de l’Église, par exemple, ce Jean Damascène : « Quoi, Dieu est assailli par les Manichéens, Dieu est mis en pièces — et nous ne les tuerions pas par le feu ? Ou pyri katanalosomea, ouk apoktenooumen autous ? » (Note du traducteur.)
  4. Il avait le malheur de se compromettre par son essai de fusion, non des Églises romaine et protestante (qui lui aurait peut être réussi sans la perfidie de l'évêque de Meaux), mais de la théologie et de la philosophie. Il voulait défendre le christianisme orthodoxe contre le semi-christianisme, mais alors il ne devait point donner aux dogmes une signification forcée. M. Henri Heine (Salon, II, 106) dit que Leibnitz exerçait une heureuse influence sur l’Allemagne ; je crois le contraire, et en tout cas elle me paraît avoir été bien inférieure en qualité à celle de Descartes sur la France. (Note du traducteur)
  5. En combattant la théologie, le théisme du xviie et xviiie, surtout celui de la franc-maçonnerie, avait quelque chose d’imposant et de pur : « Tu adores un Dieu par Mahomet ? et toi par le grand Lama ? et par le pape ? Eh, malheureux ! adore un Dieu par ta propre raison ! » dit lord Rollingbroke (Exam. import. en 1736) ; « Nous sommes plus d’un million d’hommes dans l’Europe qu’on peut appeler théistes, nous osons en attester le Dieu unique que nous servons » écrivent des théistes allemands à Voltaire « le grand homme français ; » ils se moquent avec une ironie aussi amère, aussi inintelligente et ignorante, mais aussi noble et chaleureuse, des dogmes chrétiens et hébreu, que les pères de l'Église des dogmes romains et grecs. Le christianisme, devenu église opprimante, d’opprimé qu’il avait été pendant quelques sicles seulement, avait tort de se récrier contre la sainte colère du théisme, il partage le sort du mahométanisme, du mosaïsme, du bouddhisme, du bramanisme, du laotséisme qui tous se dissolvent à peu. Le théisme à son tour s’écroule. Et cela doit être (Voyez M. Daumer : 'Religion du Nouveau Monde). (Le traducteur)