Festons et astragales/À une femme

Festons et astragalesAlphonse Lemerre, éditeur (p. 34-35).


À une Femme.


Quoi ! tu raillais vraiment, quand tu disais : Je t’aime !
Quoi ! tu mentais aussi, pauvre fille !… À quoi bon ?
Tu ne me trompais pas, tu te trompais toi-même,
Pouvant avoir l’amour, tu n’as que le pardon !

Garde-le, large et franc, comme fut ma tendresse.
Que par aucun regret ton cœur ne soit mordu :
Ce que j’aimais, en toi, c’était ma propre ivresse,
Ce que j’aimais, en toi, je ne l’ai pas perdu.

Ta lampe n’a brûlé qu’en empruntant ma flamme.
Comme le grand convive aux noces de Cana,
Je changeais en vin pur les fadeurs de ton âme,
Et ce fut un festin dont plus d’un s’étonna.

Tu n’as jamais été, dans tes jours les plus rares,
Qu’un banal instrument sous mon archet vainqueur,
Et, comme un air qui sonne, au bois creux des guitares,
J’ai fait chanter mon rêve au vide de ton cœur.

S’il fut sublime et doux, ce n’est point ton affaire.
Je peux le dire au monde et ne te pas nommer ;
Pour tirer du néant sa splendeur éphémère,
Il m’a suffi de croire. Il m’a suffi d’aimer.


Et maintenant, adieu ! suis ton chemin, je passe !
Poudre d’un blanc discret les rougeurs de ton front ;
Le banquet est fini, quand j’ai vidé ma tasse,
S’il reste encor du vin, les laquais le boiront !