Femmes (Prudhomme)/« Si je pouvais »

Œuvres de Sully PrudhommeAlphonse LemerrePoésies 1865-1866 (p. 110-111).
◄  Jalousie
Sonnet  ►

Si je pouvais


 
Si je pouvais aller lui dire :
« Elle est à vous et ne m’inspire
Plus rien, même plus d’amitié ;
Je n’en ai plus pour cette ingrate ;
Mais elle est pâle, délicate :
Ayez soin d’elle par pitié.

« Écoutez-moi sans jalousie,
Car l’aile de sa fantaisie
N’a fait, hélas ! que m’effleurer ;
Je sais comment sa main repousse,
Mais pour ceux qu’elle aime elle est douce :
Ne la faites jamais pleurer. »

Si je pouvais aller lui dire :
« Elle est triste et lente à sourire ;
Donnez-lui des fleurs chaque jour,
Des bluets plutôt que des roses :
C’est l’offrande des moindres choses
Qui recèle le plus d’amour. »

Je pourrais vivre avec l’idée
Qu’elle est chérie et possédée
Non par moi, mais selon mon cœur…
Méchante enfant qui m’abandonnes,
Vois le chagrin que tu me donnes :
Je ne peux rien pour ton bonheur !