Œuvres de Sully PrudhommeAlphonse LemerrePoésies 1865-1866 (p. 108-109).

Jalousie


 
Je ne me plaindrai point. La pâle Jalousie
Retient sa voix tremblante et pleure un sang muet.
Qu’ils vivent de longs jours, heureux sans poésie,
Et qu’un amour tranquille habite leur chevet !

Qu’il la possède bien, sans l’avoir désirée,
Par le droit seul, exempt du péril de l’aveu,
Sans cette passion folle et désespérée
Qui tente sur le vide une étreinte de feu !

Mais qu’insensiblement le réseau gris des rides
Fatigue le sourire et blesse les baisers ;
Que les cheveux blanchis, les prunelles arides
N’offrent plus que l’hiver à des sens apaisés ;


J’attends, moi, sa vieillesse, et j’en épierai l’heure ;
Et ce sera mon tour ; alors je lui dirai ;
« Je vous chéris toujours, et toujours je vous pleure :
Reprenez un dépôt que je gardais sacré.

« Je viens vous rapporter votre jeunesse blonde :
Tout l’or de vos cheveux est resté dans mon cœur,
Et voici vos quinze ans dans la trace profonde
De mon premier amour patient, et vainqueur ! »